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Grande-Bretagne : comment survit le Parti Communiste...
Au cours de ces dix dernières années, le Parti Communiste de Grande-Bretagne (PCGB) a connu une série de scissions importantes, culminant à l'été 1985 avec l'exclusion de sa tendance dite « dure » et la perte de son quotidien, le Morning Star.
Aujourd'hui, le PCGB se trouve divisé et ses effectifs sont retombés à leur niveau de 1935 , l'une des périodes difficiles de son histoire.
La faiblesse historique du mouvement communiste britannique
Le PCGB n'a jamais atteint ni une taille ni une influence similaires à celle des partis communistes allemand, italien ou français.
Dans ces pays, les partis communistes émergèrent, après 1918 , du mouvement social-démocrate, rassemblant des dizaines de milliers de militants qui se reconnaissaient dans la révolution russe et influençaient des pans entiers de la classe ouvrière. En Italie et en France, c'est même en tant que majorité des vieilles organisations social-démocrates que se formèrent les nouveaux partis.
Au contraire, le PCGB, lui, fut formé dans des conditions très difficiles, par la fusion de quelques groupes socialistes dépourvus de forces et d'une influence reconnue dans la classe ouvrière. C'est ce que montre, par exemple, le fait que le plus important, et de loin, de ces groupes, le Parti Socialiste Britannique, ne comptait que 2 500 membres lors de la fusion. En fait, non seulement ces groupes manquaient de toute influence réelle parmi les travailleurs, mais la plupart d'entre eux avaient connu un développement marqué de sectarisme et isolé du reste du mouvement ouvrier. Politiquement ces groupes avaient peu de choses en commun. Leurs positions politiques couvraient un large spectre, allant d'une rigide pureté « marxiste » au syndicalisme révolutionnaire et au populisme. Pendant plusieurs années ce furent des luttes fractionnelles amères et incessantes, qui furent une cause de paralysie. Et en 1926, à la veille de la seule grève générale qu'ait jamais connue le pays, les effectifs du parti n'avaient toujours pas dépassé la barre des cinq mille.
La grève générale de 1926 aurait pu être l'occasion pour le PCGB de sortir de l'isolement. Pour la première fois de leur histoire, les militants communistes se trouvèrent portés à la tête de masses ouvrières qui voulaient lutter. La Révolution Russe n'avait encore que neuf ans et son prestige était encore intact aux yeux de bon nombre d'ouvriers britanniques qui ignoraient tout de la façon dont la bureaucratie avait privé la classe ouvrière russe de tout pouvoir politique, et ces ouvriers se tournaient vers les militants communistes. Dans de nombreuses localités ceux-ci mirent en place et dirigèrent des « comités d'action » qui prirent la responsabilité de l'organisation de la grève sans en passer par la bureaucratie syndicale.
Mais cette influence devait être de courte durée.
Staline et la bureaucratie russe se préoccupaient avant tout de préserver les relations relativement bonnes qu'ils avaient établies avec l'État anglais, et avec ceux qu'ils considéraient comme leurs « alliés » dans le mouvement travailliste, les bureaucrates syndicaux. Tandis que les militants communistes prenaient-du poids sur le terrain de la lutte de classe, la direction du Parti Communiste lança le mot d'ordre « Tout le pouvoir au Conseil Général » (la direction du Congrès des syndicats) et le Comité Anglo-Russe, composé de bureaucrates syndicaux et de représentants des syndicats russes, servit à mettre tout le prestige de l'URSS au service des dirigeants syndicaux, suscitant ainsi toutes sortes d'illusions parmi les grévistes. Quand, en fin de compte, ces mêmes dirigeants syndicaux poignardèrent la classe ouvrière dans le dos en appelant à la reprise, grévistes et militants communistes furent pris par surprise, et le mouvement fut écrasé. Les militants du Parti Communiste restèrent isolés. Ils jouèrent néanmoins un rôle dirigeant parmi les mineurs restés seuls en grève. Mais cette grève fut un combat d'arrière-garde, qui dura plus d'un an dans l'amertume et l'isolement et se termina par une défaite. Bien qu'il y ait gagné quelque influence dans les communautés minières, influence dont on peut voir encore la trace aujourd'hui en particulier en Écosse et au Pays de Galles, le PCGB en sorti aussi isolé qu'auparavant.
La voie britannique vers le réformisme...
Le PCGB ne se remit pas totalement de la trahison de 1926, pendant toute une période au moins. Il demeura pour l'essentiel une petite organisation isolée, au point de compter à peine plus de deux mille membres en 1930. Ce n'est qu'au milieu des années trente, avec la montée ouvrière en Espagne et en France, la reprise des luttes sociales en Grande-Bretagne et la lutte contre l'Union des Fascistes Britanniques de Mosley, que de nouvelles vagues de recrues vinrent renforcer ses rangs, faisant monter ses effectifs à dix huit mille membres en 1939.
Dans le même temps, le tournant à 180° de Staline vers la politique de Front Populaire, ouvrit une nouvelle période pour la direction du PCGB. Cependant, en comparaison du Parti Communiste Français par exemple, le PCGB ne pouvait guère se nourrir d'illusions sur ses perspectives sur le terrain du réformisme. Son poids électoral était pour ainsi dire nul : il n'avait jamais eu plus de deux élus au Parlement et ses résultats aux élections municipales étaient à peine meilleurs. Quant à son influence dans la classe ouvrière, elle était à peine moins marginale. Pourquoi la bourgeoisie accorderait-elle le moindre intérêt à un parti qui avait si peu de choses à offrir en contrepartie, et a fortiori pourquoi offrirait-elle à ses dirigeants le moindre poste dans son appareil -d'État ?
Les particularités du Parti Travailliste anglais ouvraient néanmoins quelques perspectives sur le plan réformiste. Contrairement à la plupart de ses homologues européens, le Parti Travailliste était avant tout un parti à structure fédérale basé sur les syndicats. Les organisations politiques pouvaient également s'affilier en tant que telles. Son organisation électorale locale permettait aux membres d'accéder à différents postes, soit en tant qu'individu, soit en tant que représentant d'un syndicat ou d'une organisation affiliée, à condition de mettre assez d'eau dans leur vin pour se faire accepter de la bureaucratie travailliste. Par ce mécanisme, une organisation de la taille du Parti Communiste pouvait se faire une place dans le monde politique « respectable », dans le cadre du Parti Travailliste.
Bien sûr, une telle perspective n'était viable que dans la mesure où la bureaucratie travailliste et syndicale le tolérait, ce qui était loin d'être le cas au milieu des années trente. En fait, depuis la fin des années vingt, le Parti Communiste se voyait refuser l'affiliation en tant qu'organisation, et l'adhésion individuelle était refusée à ses membres. Dans les syndicats, la situation n'était guère plus brillante : dans sa « circulaire noire » de 1934, la direction du TUC (le Congrès des Syndicats) avait interdit aux militants communistes de représenter leur syndicat à la conférence du Parti Travailliste, à celle du TUC et même aux trades councils (sorte d'intersyndicales regroupant des représentants des diverses sections syndicales d'une localité). Cette circulaire allait jusqu'à recommander d'interdire toute responsabilité syndicale aux militants communistes.
En fait, toutes ces mesures eurent une portée limitée dans la mesure où elles n'empêchèrent pas le nombre de délégués d'atelier communistes d'augmenter considérablement à la faveur de la vague de mouvements revendicatifs de la fin des années trente, ce qui permit au Parti Communiste d'acquérir une certaine influence dans quelques syndicats comme celui des métallos. Mais ces mesures réussirent quand même à empêcher l'influence du Parti Communiste de dépasser le niveau régional, et elles furent très efficaces dans le Parti Travailliste lui-même.
La Deuxième Guerre mondiale offrit au Parti Communiste une occasion de surmonter ces restrictions.
Avec l'entrée en guerre de l'URSS dans le camp des Alliés, le PCGB fit comme tous les autres partis communistes, il prit le parti de sa propre bourgeoisie au nom de la lutte contre le fascisme. Ses effectifs montèrent en flèche jusqu'à dépasser cinquante mille membres. Dans la classe ouvrière, ses militants devinrent des opposants acharnés de la grève. Ils mirent sur pied et dirigèrent dans les usines des « comités de production » afin de contribuer à l'intensification de l'effort de guerre. En retour, la bureaucratie syndicale fit plus de place au Parti Communiste, et en 1943 le TUC annula sa « circulaire noire », permettant ainsi aux militants du Parti Communiste d'accéder aux échelons supérieurs de la hiérarchie syndicale.
Pendant cette période, l'intégration de la bureaucratie syndicale dans l'appareil d'État s'accéléra par le biais de toutes sortes de comités mis en place par le gouvernement pour s'assurer la collaboration des syndicalistes dans l'effort de guerre. Ce processus ne prit pas fin avec la guerre. Au contraire, il se poursuivit sous tous les gouvernements, travaillistes comme conservateurs, transformant un nombre de plus en plus grand de dirigeants syndicaux en hommes de comités ou de conseils d'administration. Au passage, le Parti Communiste lui aussi eut sa part de postes, une part relativement modeste il est vrai.
... et vers l'euro-communisme
La croissance rapide des effectifs du Parti Communiste et l'influence acquise dans les syndicats ne se traduisirent pas pour autant sur le plan électoral. Aux élections de 1945, il eut deux élus, exactement comme en 1922 et cela devait être son meilleur résultat électoral de l'après-guerre.
Cela ne freina en rien la ligne réformiste du Parti Communiste. Pour lui, il s'agissait de faire pression sur le Parti Travailliste en s'emparant de positions dans la bureaucratie syndicale grâce à son influence dans la classe ouvrière. « La voie britannique vers le socialisme », programme adopté par le Parti Communiste en 1952, exprima pour la première fois de façon ouverte l'idée que la route du socialisme passait par le Parlement.
La période de la Guerre Froide fut une période difficile pour les militants communistes dans les syndicats. Ils parvinrent néanmoins à la traverser avec des pertes relativement minimes. Bien pires furent les brèches faites par l'intervention russe contre l'insurrection de Budapest en 1956 et par la campagne anti-communiste qui s'ensuivit. En l'espace d'un an, le Parti Communiste perdit un tiers de ses effectifs et connut une série de démissions remarquées, parmi ses intellectuels comme parmi ses syndicalistes. Parmi ces derniers on comptait quelques démissionnaires de premier plan comme John Horner, secrétaire général 0ul du syndicat des pompiers, Alex Moffat, leader des mineurs écossais et deux membres du Comité exécutif du syndicat des électriciens, Les Cannon et Frank Chapple. Aucun de ces dirigeants syndicaux ne démissionnait du parti en signe de soutien aux ouvriers hongrois. Tous, en fait, ne faisaient que capituler devant la vague anti-communiste, et devaient par la suite virer à droite, certains même très à droite. Le cas le plus spectaculaire fut celui de Frank Chapple, qui mena une chasse aux sorcières victorieuse dans son syndicat et réussit non seulement à mettre fin au contrôle qu'exerçait le Parti Communiste depuis la guerre sur la direction du syndicat, mais également à interdire aux militants communistes l'accès à la moindre responsabilité.
Compte tenu de sa faiblesse numérique, le Parti Communiste ne pouvait que dépendre financièrement de l'aide de l'URSS. En 1975, par exemple, un tiers des exemplaires de son quotidien, le Moming Star, qui étaient vendus, l'était en Europe de l'Est. Mais comme l'essentiel de l'existence politique du Parti Communiste dépendait de ses bonnes relations avec la bureaucratie syndicale, il lui fallait se rendre acceptable aux yeux des bureaucrates, et cela d'autant plus que ses effectifs dans la classe ouvrière diminuaient. Ceci conduisit la direction du Parti Communiste à condamner en 1968 l'intervention russe à Prague, une prise de positon relativement peu courante parmi les petits partis communistes.
Cette attitude critique envers l'URSS ne passa pas sans résistance. Au début des années soixante-dix, une opposition connue sous le nom de tankies se développa, critiquant également l'abandon de l'activité en direction des usines en faveur d'une activité électorale. Les tankies allèrent jusqu'à recueillir 30 % des votes au congrès du parti en 1973, et 50 % à celui de l'organisation de jeunesse, la Ligue des Jeunes Communistes, mais ils ne parvinrent pas à aller plus loin. Finalement, en 1977, les plus résolus des tankies choisirent de scissionner et de créer le Nouveau Parti Communiste sous la présidence de Sid French, l'ancien secrétaire régional du Parti Communiste dans le Surrey. Bien que revendiquant deux mille militants lors de son lancement, la nouvelle organisation se réduisit bientôt à un groupuscule stalinien.
La même année, le congrès du Parti Communiste adopta un programme ouvertement « euro-communiste » à une majorité écrasante. Il s'agissait d'une version remise au goût du jour du vieux programme, « La voix britannique vers le socialisme » qui renonçait clairement à tout rôle indépendant pour le Parti Communiste : « Le Parti Communiste ne cherche pas à remplacer le Parti Travailliste en tant que parti fédéral de la classe ouvrière, mais plutôt à renforcer sa structure fédérale originale. Nous pensons que l'existence d'un Parti Communiste bien plus influent est cruciale pour le futur du Parti Travailliste lui-même et pour le développement du mouvement ouvrier et de l'alliance démocratique large dans son ensemble ». Bien que ce langage ait été nouveau dans le programme officiel du parti, il reflétait une pratique qui était déjà vieille de plusieurs années.
Des luttes fractionnelles à la paralysie
Cette orientation totale et dépourvue de critique vers le Parti Travailliste signifiait évidemment qu'il y avait de moins en moins de raisons d'adhérer au Parti Communiste. Et cela devint d'autant plus vrai au début des années quatre-vingt, que, suite à la défaite travailliste aux élections de 1979, l'aile gauche du Labour Party se mit à se développer en usant d'un langage qui pouvait passer pour bien plus radical que celui du PC. Tandis que Straight Left ( « en avant vers la gauche » ), un journal représentant une faction interne du PC, proposait l'adoption d'une politique entriste au sein du Parti Travailliste, bon nombre de militants franchirent le pas en quittant le PC et en rejoignant le Parti Travailliste. Du coup les effectifs du PC décrurent brutalement, passant de 23 293 avant la scission de 1977 à 15 691 en 1983, tandis que les ventes du Morning Star, en Grande-Bretagne tombaient à 15 000 exemplaires, moins que les ventes du quotidien en Europe de l'Est. Quant à la Ligue des Jeunes Communistes, ses effectifs tombèrent à 604 membres.
Ce déclin brutal des effectifs du PC servit de point de ralliement à une nouvelle opposition, les « durs » comme on les a appelés, qui reprirent à leur compte les critiques des « tankies » d'hier, avec il est vrai une résonnance moins stalinienne.
Le premier affrontement se produisit lors du congrès de 1983 qui, de façon symbolique, comptait comme hôte d'honneur Monseigneur Bruce Kent, le secrétaire national de la Campagne pour le Désarmement Nucléaire. Le secrétaire général du PC, Gordon McLennan, ouvrit le congrès en déclarant : « A cause de sa taille, de son engagement dans la lutte de classe et de ses capacités organisationnelles, le mouvement ouvrier organisé doit jouer un rôle dirigeant dans la lutte d'en semble pour préserver la paix et sortir la Grande-Bretagne de la crise. Mais pour que cette lutte soit victorieuse il ne faut pas qu'elle englobe seulement les partisans traditionnels du parti travailliste, mais aussi beaucoup de ceux qui votent pour l'alliance Libéraux-SDP, pour les conservateurs, ou qui ne votent pas du tout ». Et il poursuivit : « Plus le mouvement ouvrier développera ses liens avec le mouvement des femmes, plus il le soutiendra, et plus il renforcera l'unité de la classe ouvrière. Il en va de même pour les mouvements des immigrés, des étudiants, les mouvements nationalistes ou pacifistes, et tous les autres mouvements progressistes » . Après avoir ainsi ouvert comme seule perspective au PC de faire la cour aux pacifistes comme aux différend courants des marginaux de la gauche travailliste, McLennan passa au point principal de l'ordre du jour qui consista à éliminer les six « durs » qui siégeaient encore au comité exécutif, parmi lesquels Derek Robinson, l'ancien leader des délégués d'ateliers de l'usine British Leyland de Longbridge, et Malcolm Pitt, le leader des mineurs du Kent.
Par la suite, les bagarres de factions prirent de l'ampleur. Tandis que les « durs » manoevraient pour s'emparer du Morning Star, les « euros » se regroupaient autour du mensuel du parti, Marxism Today ( « le marxisme aujourd'hui » ) désormais populaire dans les milieux intellectuels à la page. Cette vendetta interne tourna aux attaques personnelles, aux campagnes de calomnies et finalement à la paralysie de l'activité dans les groupes de base.
Finalement, à l'été 1985, toute l'organisation de Londres fut suspendue par la direction du parti, tandis que les dirigeants des « durs » étaient exclus. Les exclus gardèrent le contrôle du Morning Star et constituèrent le Groupe d'Action Communiste en tant que fraction externe du PC visant à le faire revenir à sa politique traditionnelle.
Ceci ne mit cependant pas fin aux luttes factionnelles au sein du PC où les exclus conservaient bon nombre de partisans en particulier dans le nord de l'Angleterre et en Ecosse. Depuis, les exclusions de militants et les suspensions de groupes n'ont cessé de se succéder. Bon nombre de membres, pris dans les manoeuvres bureaucratiques auxquelles se livrent les deux factions, sont partis écoeurés et désorientés. L'étendue de la désorganisation qui en est résultée apparaît dans le chiffre officiel des effectifs du parti qui est tombé à 8 000, dont tous ne sont probablement pas à jour de leurs cotisacons.
Deux langages, un même réformisme
A en croire le Morning Star la ligne de partage ente la tendance « dure » et « euro » serait nette : les premiers se tiendraient fermes dans le camp de la classe ouvrière tandis que les seconds auraient rompu avec toute conception de classe.
Il est incontestable que la ligne officielle du PC en vient à nier ouvertement le rôle dirigeant de la classe ouvrière dans la transformation de la société. Comme l'exprime Hobsbawm, le principal théoricien des « euros » : « On ne peut plus considérer que tous les travailleurs en viendront un jour à reconnaître que de par leur situation de classe ils doivent se ranger derrière un parti ouvrier socialiste, bien qu'il y en ait encore des millions qui pensent de la sorte » . Par conséquent selon Hobsbawm, il faut cesser de rêver au passé et penser pour le futur à « une version remise à jour de Front Populaire » . Par là, il veut dire une alliance électorale coupant au travers des frontières ente classes et entre partis traditionnels, sur la base des prétendus « nouveaux » enjeux que sont le séparatisme pour la population de couleur, le féminisme, le pacifisme, etc., en d'autres termes tous les sujets d'intérêts favoris d'une petite bourgeoisie qui se moque bien des intérêts de la classe ouvrière.
Mais en quoi les « durs » se tiennent-ils fermement dans le camp de la classe ouvrière ? Dans la brochure publiée lors de sa fondation, « La crise du parti communiste : comment aller de l'avant » , le Groupe d'Action Communiste déclare que son but est « de défendre les règles de fonctionnement et la constitution du parti communiste, ainsi que les principes du marxisme léninisme sur lesquels repose son programme, « la voie britannique vers le socialisme » . En d'autres termes les « durs » se tiennent fermes sur le terrain d'un programme qui n'a ni buts ni perspectives autres qu'électoralistes.
En fait les deux tendances se placent résolument sur le terrain du réformisme. Toutes les deux subordonnent tout changement dans la société à une stratégie électorale. La principale différence tient au fait que tandis que les « durs » continuent à prétendre que la classe ouvrière peut se servir des élections pour faire avancer ses propres intérêts, les « euros » considèrent que la classe ouvrière n'est plus une force électorale déterminante et que par conséquent la gauche doit chercher à élargir ses appuis dans l'électorat en évitant de se polariser sur ce qui touche spécifiquement la classe ouvrière. De leur propre point de vue réformiste, les « euros » ont au moins le mérite de jouer cartes sur table et de façon conséquente. Mais du point de vue de la classe ouvrière, ces deux politiques se ramènent en fait au même électoralisme éculé.
Le PCGB a-t-il cessé de compter aujourd'hui ?
Dans l'extrême gauche britannique, de nos jours, il est bien porté de dire que le PCGB a cessé de compter et que son influence dans la classe ouvrière n'existe plus. On décrit volontiers, et avec un mépris certain, les militants de base du PC soit comme des adorateurs de Moscou vieillissants qui persistent obstinément à vendre un journal que plus personne n'achète ou comme des « flics » au sein du mouvement ouvrier que l'on identifie grossièrement à la droite syndicale.
Bien qu'il soit considérablement plus faible que dans le passé, le PC est encore comparable en taille aux plus gros des groupes de l'extrême gauche. Qui plus est, il a encore un milieu constitué de milliers d'anciens membres qui lui conservent une certaine loyauté.
Une partie de ce milieu a été gagnée sur la base des questions marginales à la mode dont Hobsbawm fait grand cas dans Marxism Today, en particulier parmi les intellectuels et les collaborateurs aisés des nombreux organismes dépendant du gouvernement central ou des municipalités, un milieu qui est précisément attiré par le mépris très nouvelle vague qu'affichent les « euros » pour les conceptions de classe. C'est ce qui saute aux yeux par exemple dans le public qui assiste à « Left Unlimited » une fête annuelle organisée à Londres par Marxism Today.
Mais l'essentiel du milieu du PC est d'une toute autre nature. Non qu'il soit moins réformiste, mais d'un réformisme qui est mélangé à une orientation fondamentale vers la classe ouvrière. Une grande partie de ce milieu a été gagné au fil des années au travers de l'activité des militants du PC dans les syndicats et dans les entreprises. Dans bien des localités on rencontre ce milieu au sein des trades councils et dans les rangs des appareils syndicaux locaux. Souvent ces militants sont actifs au sein du parti travailliste où ils occupent quelquefois des positions dirigeantes simplement parce qu'il se trouve bien peu de monde au sein de ce parti qui soit prêt à consacrer du temps à la tâche obscure qui consiste à faire en sorte que le parti fonctionne.
Bien sûr beaucoup de ces militants approchent aujourd'hui de l'âge de la retraite. Mais bien que prenant de l'âge, ils sont toujours là, tenant des postes de responsabilité su le plan local, qui peuvent refléter ou non une implantation réelle, mais qui reflètent effectivement leur militantisme, le crédit qu'ils ont et le fait qu'en gros il n'y a personne pour leur contester leur poste.
A un autre niveau, dans les couches supérieures de la bureaucratie syndicale, le PC conserve encore une influence non négligeable. Par exemple à la direction du syndicat des mineurs, des syndicats ouvrier et technicien de la construction mécanique, des syndicats de l'imprimerie, de la plupart des syndicats de cols blancs, et d'un certain nombre de petits syndicats ouvriers comme celui des travailleurs du bois, celui de la sidérurgie des produits plats, etc.
Beaucoup de militants d'extrême gauche rétorqueraient que ces dirigeants syndicaux sont souvent tellement droitiers, et leurs liens avec la base si ténus, qu'il n'y a absolument aucune raison de les distinguer des bureaucrates droitiers.
Il n'y a aucun doute que bon nombre des postes de direction occupés par le milieu du PC dans les syndicats doivent plus à l'inertie des appareils ou à des alliances avec la bureaucratie travailliste qu'à un soutien réel de la part des syndiqués de base. Il n'y a aucun doute non plus sur le fait que ces dirigeants syndicaux ont souvent adopté des positions très droitières. Comme par exemple McGahey et Bolton, les leaders des mineurs écossais, tous deux membres de premier plan du PC, qui s'étaient opposés à l'extension de la grève des mineurs à ses débuts, en 1984. Ou encore comme Derek Robinson, un des dirigeants de la tendance « dure » qui, au début des années 80, à l'usine de Longbridge, s'opposa à toutes les tentatives spontanées des travailleurs de résister aux mesures de rationalisation, au nom des intérêts de l'industrie automobile britannique.
Cela dit, il faut bien reconnaître que ce milieu PC qui existe dans les couches supérieures de la bureaucratie syndicale a été présent dans tous les conflits sociaux de ces dix dernières années, qu'il y a mené une politique, et que surtout il s'est trouvé un nombre limité mais souvent non négligeable de syndicalistes locaux prêts à suivre cette politique parce qu'ils s'identifiaient à la même tradition politique qu'eux. Ce fut le cas par exemple lors de la grève de l'acier de 1980 à Sheffield, le bastion le plus militant de la grève. Ce fut le cas également, et de façon bien plus éclatante, au cours de la grève de l'imprimerie - grève qui dura un an et s'est terminée par une défaite en janvier dernier - où deux dirigeants londoniens de SOGAT, le principal syndicat de l'imprimerie, tous deux membres de la tendance « dure », Mike Hicks (qui est d'ailleurs président du Groupe d'Action Communiste) et Bill Freeman prirent la tête des grévistes qui se rebellaient contre leur direction nationale.
Il n'est pas exclu que la dégringolade du PC finisse par mener un jour à sa disparition. Mais ce n'est pas encore le cas. Et pour ce qui est des luttes de la classe ouvrière, l'intervention du milieu du PC y a été bien plus importante que celle de l'extrême-gauche, et de loin !
Prétendre comme l'ont fait certains groupes d'extrême gauche que le stalinisme est mort dans la classe ouvrière britannique, c'est prendre ses désirs pour des réalités. La grève de l'imprimerie montre quel est l'enjeu. L'incapacité de l'extrême-gauche à intervenir dans cette grève a permis aux militants du PC d'apparaître comme la seule direction de rechange, alors qu'ils n'ont fait qu'entraîner les travailleurs exactement dans la même impasse, celle de l'isolement.
Pour l'essentiel le milieu PC est probablement tout aussi réformiste que celui du part travailliste. Néanmoins il représente une tradition très différente dont les militants révolutionnaires ont encore bien des choses à apprendre, ne serait-ce qu'afin de pouvoir contester sa politique.
Par exemple celle de se dire communiste, malgré les préjugés anticommunistes très répandus, ce que bien peu de gens dans l'extrême gauche font ou osent faire ; ce que Tony Benn, le leader de la gauche travailliste et le gourou de tant de groupes trotskystes n'a lui certainement jamais fait !
Et surtout il y a dans le milieu PC une tradition qui vise à s'enraciner dans la classe ouvrière. Dans son édition de mai 1986, le mensuel interne du PC, News and Views, a publié une lettre d'une militante de Sheffield : « En tant que communistes, nous devons construire un parti d'avant-garde capable de diriger les luttes de la classe ouvrière. Pour cela il nous faut construire des groupes dans les usines et sur les lieux de travail, et en faire le noyau central de notre organisation ». Combien, parmi les groupes d'extrême gauche, s'en trouve-t-il qui ont fait ce choix organisationnel fondamental dans la tradition léniniste ? Aucun. Le parti travailliste semble attirer bien plus la plupart des groupes existants que la classe ouvrière.
Avant de rayer le PC et son milieu de la carte, il faut se rappeler qu'à bien des reprises les partis communistes, y compris en Grande-Bretagne, ont réapparu après avoir traversé des périodes d'isolement très dures. Ils ont pu le faire grâce à leurs traditions, aux militants qu'ils avaient dans la classe ouvrière et surtout parce qu'il n'y avait personne en face. Pour pouvoir prétendre en avoir terminé avec le stalinisme en Grande-Bretagne ou ailleurs, il faut qu'il ne reste pas incontesté dans la classe ouvrière.
Il reste donc aux militants révolutionnaires à construire l'instrument qui permettra de contester le stalinisme - aussi bien que le réformisme en général - , c'est-à-dire une organisation qui ne cherche pas à avoir de l'influence seulement hors, ou autour, mais dans la classe ouvrière elle-même, parmi les travailleurs du rang. C'est dire qu'il reste à ceux qui le voudraient un champ immense d'activités. L'exemple même du PC montre que des militants ouvriers, révolutionnaires, débarrassés du soutien direct ou indirect envers les dirigeants de l'URSS, débarrassés de l'hésitation entre la politique des travaillistes et une politique ouvrière, pourraient trouver dans la classe ouvrière anglaise un écho et un soutien réels, c'est-à-dire une implantation et un poids qui ont toujours manqué à l'extrême-gauche.