Novembre 1918 : la révolution allemande21/11/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/11/2625.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 100 ans

Novembre 1918 : la révolution allemande

Quand la révolution allemande éclate en novembre 1918, c’est une bonne nouvelle pour les prolétaires de Russie qui, depuis octobre 1917, espèrent une révolution dans un pays développé. Pour les bolcheviks, la révolution doit s’étendre, sinon elle sera étranglée par la bourgeoisie.

En Allemagne, pays le plus industrialisé d’Europe, la tradition marxiste a touché beaucoup d’ouvriers. En 1912, le Parti social-démocrate (SPD) compte un million de membres, sa centrale syndicale organise 2,5 millions de salariés et 34 % des électeurs ont envoyé 110 élus SPD au Parlement. Certes, celui-ci n’est plus le parti révolutionnaire qui défiait Bismarck, et ses succès électoraux ont conduit une partie de ses cadres à s’adapter au système politique dominant. C’est ce qui les amène, comme les socialistes français, à voter les crédits de guerre en août 1914 et, ayant changé de camp, à entraîner les travailleurs dans la boucherie impérialiste.

La trahison du SPD

Le SPD avait obligé ses élus qui y étaient opposés à voter les crédits de guerre. En décembre, le député Karl Liebknecht rompt cette discipline : il se retrouve au front à creuser des tranchées. Fils d’un fondateur du SPD, antimilitariste, il s’oppose à la guerre avec Rosa Luxemburg, Clara Zetkin, Leo Jogiches, Franz Mehring. Ensemble, ils lancent la Ligue Spartakus, du nom de l’esclave qui avait défié la Rome antique. Leur mot d’ordre : « L’ennemi princpal est dans notre pays. » Un mouvement identique se produit dans la centrale syndicale du SPD : des militants opposés à la guerre, tel Richard Müller, formant le réseau des délégués révolutionnaires, influents dans les usines.

En 1914, la fièvre nationaliste dominait. En 1915, des femmes manifestent contre la vie chère. Le 1er mai 1916, les spartakistes appellent à manifester contre la guerre. Liebknecht, en uniforme, lance : « À bas la guerre ! À bas le gouvernement ! » Les manifestants affrontent la police, Liebknecht est expédié aux travaux forcés.

Karl Kautsky, qui avait dirigé le SPD, écrit alors que, sans une inflexion pacifiste de sa politique, ouvriers et soldats vont rallier les spartakistes. En janvier 1917, la direction du SPD, avec Ebert et Scheidemann, exclut tous ses opposants. Il en sort un Parti socialiste indépendant (USPD) dirigé par Bernstein et Kautsky, aussi hostiles à la révolution que les chefs du SPD, mais dont font également partie les délégués révolutionnaires et les spartakistes.

Le 28 janvier 1918, 400 000 ouvriers berlinois font grève contre la guerre à l’appel des délégués révolutionnaires. La grève s’étend à Kiel, Hambourg, Cologne. Pour y mettre fin, Ebert et Scheidemann se font élire au comité de grève.

Le front craque

Fin septembre 1918, les revers militaires s’accumulant, l’état-major comprend qu’il ne gagnera pas la guerre. Il lui faut un armistice, mais il ne veut pas être associé à la défaite. Le général Ludendorff se tourne alors vers le SPD et lui offre des places au gouvernement. L’armée claironnera par la suite que les civils, le SPD en particulier, l’ont poignardée dans le dos.

Début octobre, un armistice est proposé à Wilson, président des États-Unis, entrés en guerre en 1917 au côté de la France et de la Grande-Bretagne. Wilson multiplie les exigences et ce n’est que le 28 octobre que, pour la première fois, le SPD participe au gouvernement.

Le soulèvement des marins

Mais les amiraux veulent un dernier combat, pour l’honneur. Les marins s’y refusent. Le 29 octobre, deux navires se mutinent près de Wilhelmshaven. Les officiers reprennent la situation en main, mettent aux arrêts un millier de marins, mais il n’y aura pas de baroud d’honneur. Dans la base navale de Kiel, qui concentre 50 000 marins et 30 000 ouvriers des chantiers navals, les marins veulent libérer leurs camarades. Après une manifestation réprimée, ils élisent leur conseil. Les ouvriers aussi. Les marins sont libérés. Des soldats envoyés pour les réprimer fraternisent. On est le 3 novembre, la révolution allemande a commencé.

Un ministre bourgeois et un cadre du SPD, Gustav Noske, sont dépêchés à Kiel depuis Berlin : Noske se fait élire à la tête du conseil des marins et soldats, puis devient gouverneur de la ville qu’il a reprise en main. Mais les marins se répandent dans le pays en y multipliant les conseils de soldats et d’ouvriers. Ils commencent par les ports, puis se tournent vers la Ruhr. Le 4 novembre, à Stuttgart, le conseil ouvrier se dit prêt à signer l’armistice. Le 6, le nord-ouest de l’Allemagne est aux mains des conseils. Le 7, à Munich, Kurt Eisner proclame la République des conseils de Bavière. Le 8, c’est au tour de la Saxe, la Hesse, la Franconie, le Wurtemberg. Des conseils se forment aussi à Metz et à Strasbourg.

La révolution arrive à Berlin

Le 9 novembre, les ouvriers berlinois occupent des bâtiments publics. Les soldats fraternisent. À 11 heures, le chancelier Max de Bade annonce l’abdication de l’empereur et laisse son poste à Ebert qui lance : « Je ne veux pas de la révolution, je la hais à l’égal du péché. » Son comparse social-démocrate Scheidemann, qui veut prendre de vitesse les spartakistes, annonce à 14 heures la Première République allemande. À 16 heures, Liebknecht proclame, lui, la République libre socialiste et appelle à lutter pour elle.

Ebert forme un gouvernement SPD-USPD, qu’il nomme, comme en Russie, conseil des commissaires du peuple, pour tromper les ouvriers. Les délégués révolutionnaires appellent les ouvriers à élire des conseils pour former un gouvernement révolutionnaire. Mais la majorité des 3 000 délégués au congrès des conseils, qui a été convoqué dans l’urgence, restent attachés au SPD. Et ils votent la confiance à Ebert, qui reçoit le soutien du maréchal Hindenburg et de l’armée contre les spartakistes. Une partie des troupes n’étant pas jugée sûre, l’armée met sur pied des corps francs, composés d’officiers, d’aventuriers et d’étudiants d’extrême droite.

Des grèves éclatent. Pour les prendre de court, le 15 novembre, la centrale syndicale SPD signe avec le patronat une convention accordant la journée de huit heures, la reconnaissance des syndicats d’usine et des conventions collectives.

Comme l’écrit Trotsky en 1919 : « Lorsque la guerre éclata et que vint l’heure de la plus grande épreuve historique, il apparut que l’organisation officielle [le SPD] agissait et réagissait non pas comme organisation de combat du prolétariat contre l’État bourgeois, mais comme un organe auxiliaire de l’État. (…) La classe ouvrière fut paralysée (…). Les souffrances de la guerre (...) mirent fin à la paralysie. (…) Mais le prolétariat resta sans organisation de combat. »

Ouvriers, soldats et marins ont fait tomber la monarchie. Mais ils veulent plus que la république bourgeoise, qui comble le SPD. Ils prendront des initiatives dans ce sens, mais il leur manque un parti révolutionnaire pour coordonner l’action. Le seul parti véritablement organisé est le SPD. Ce parti que Marx et Engels avaient aidé a créer en 1875 pour l’émancipation de la classe ouvrière, est devenu entre 1914 et 1918 le seul sur lequel la bourgeoisie et l’armée peuvent s’appuyer contre la révolution ouvrière.

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