Dans le monde

Grande-Bretagne : la crise politique continue

Mardi 25 octobre, Rishi Sunak a remplacé Liz Truss comme Premier ministre du Royaume-Uni. De quoi peut-être rassurer les marchés, mais certainement pas les travailleurs.

En démissionnant jeudi 20 octobre, la conservatrice Truss a battu le record du plus court mandat dans l’histoire du pays : elle n’aura tenu que 44 jours. En renvoyant son ministre de l’Économie, Kwasi Kwarteng, vendredi 14 octobre, elle avait espéré éviter sa propre éviction. Mais la manœuvre n’a pas suffi. Pourtant, dès son premier discours lundi 17 octobre, le remplaçant de Kwarteng, Jeremy Hunt, a tiré un trait sur une large part du programme économique de sa cheffe. Révision à la baisse des cadeaux fiscaux aux plus riches et des aides aux ménages sur les factures énergétiques : il ne restait presque rien des mesures phares de Truss. Ridiculisée dans les médias, sans autorité au sein de son parti, elle n’a eu d’autre choix que de se retirer.

Ces péripéties peuvent surprendre. Pourquoi une politicienne aussi dévouée à la bourgeoisie a-t-elle été écartée aussi vite ? C’est qu’aux yeux de la classe dominante, la servilité ne suffit pas. Il faut aussi une certaine compétence pour défendre ses intérêts, dont Truss a manqué dès le départ. Dès le 23 septembre, la présentation d’un « mini-budget » promettant des dépenses et baisses d’impôts extraordinaires, sans recettes crédibles en face, a inquiété les capitalistes, au point de faire vaciller la livre et d’inquiéter les fonds de pension. Critiquée dans les cercles de la haute finance britannique et internationale, malmenée au sein de son parti, impopulaire dans une population aux prises avec une inflation à plus de 10 %, Truss était sur un siège éjectable... et a fini éjectée.

Dans l’instabilité politique, les tares personnelles de Truss ne sont cependant pas seules en cause. Sa chute est surtout le symptôme d’un système en crise. Le Parti conservateur, longtemps parti naturel de la bourgeoisie, n’est plus un appareil auquel elle puisse se fier les yeux fermés. C’est en particulier vrai depuis le référendum du 23 juin 2016, qui a ouvert la voie au Brexit, devenu effectif en janvier 2021. Alors que la bourgeoisie britannique ne voulait pas de la sortie de l’Union européenne, la marche vers le Brexit fut enclenchée par un Premier ministre conservateur, David Cameron, qui pensait par ce référendum damer le pion à sa droite europhobe. Mais l’arroseur fut arrosé et la rupture avec l’UE a produit une série de désordres économiques et politiques dont la classe capitaliste se serait bien passée.

Faute de concurrents, Sunak a donc pris la place de Truss. Ancien cadre de la banque Goldman Sachs, ancien directeur de fonds spéculatifs, époux de la fille d’un milliardaire indien, il posséderait une fortune familiale de plus de 800 millions d’euros. En tant que ministre de l’Économie sous Johnson, il a été pendant la pandémie l’artisan du « quoi qu’il en coûte » à la sauce britannique. Le grand patronat a alors pu compter sur lui : non seulement l’État a pris en charge les salaires des travailleurs au chômage technique, mais il a versé aux grandes entreprises des dizaines de milliards qu’elles n’auront pas à rembourser. Alors que Truss vivait ses derniers jours à Downing Street, Sunak s’est plu à rappeler que, dès leur bataille pour la direction du Parti conservateur, il avait prédit que les mesures de Truss mèneraient au désastre. Il a donc une réputation de gestionnaire fiable auprès des milieux financiers.

Ce profil a sans doute de quoi rassurer, au moins provisoirement, la City. Dès la nomination de Sunak, l’indice FTSE100, l’équivalent britannique du CAC40, a pris 50 points. La mission de ce nouveau capitaine de gouvernement est de garantir aux possédants que l’argent public, désormais géré plus sérieusement, va continuer de remplir leurs poches, quels que soient les soubresauts de la crise mondiale, et si possible sans remous sociaux. C’est la quadrature du cercle.

Mais, dans ce climat incertain, il y a donc au moins une certitude : les attaques contre les classes populaires vont s’accentuer. Hunt, qui devrait rester en place comme ministre de l’Économie, a annoncé la couleur : le bouclier tarifaire sera moins durable que prévu, et les coupes dans les services publics au moins aussi sévères que dans les années 2010. La paupérisation d’un nombre croissant de travailleurs est déjà programmée.

Face à cela, le Parti travailliste, qui caracole en tête dans les sondages, continue de réclamer des élections anticipées, en se présentant comme un gestionnaire du capitalisme plus compétent que les Tories. De nombreux travailleurs seraient sûrement satisfaits de voir Sunak et les Tories dégager. Mais miser sur leur remplacement par un gouvernement de gauche pour que cessent les régressions sociales est un leurre. Les événements récents illustrent de façon frappante que ce sont les capitalistes, pas les politiciens, qui font la pluie et le beau temps. Pour tenir tête aux exploiteurs, le monde du travail ne pourra compter sur aucun sauveur suprême, seulement sur ses propres forces.

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