L’indépendance de l’Inde et sa partition sanglante17/08/20222022Journal/medias/journalnumero/images/2022/08/2820.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Il y a 75 ans

L’indépendance de l’Inde et sa partition sanglante

Le 15 août 1947, l’indépendance de l’Inde et celle du Pakistan étaient proclamées, mettant fin à l’empire britannique des Indes et à plusieurs siècles de domination coloniale.

Dès le 17e siècle, la Compagnie britannique des Indes orientales, une société privée pratiquant à l’origine le commerce des épices et de la soie, s’empara de la péninsule indienne et la plaça sous sa coupe. Un siècle et demi plus tard, cet immense territoire passa sous la tutelle de Londres.

Cette domination fut imposée par des massacres et en jouant sur les rivalités entre les rois (maharadjas en hindi), ces grands propriétaires qui asservissaient leur population et vivaient dans des palais somptueux. Des centaines d’États princiers virent le jour. Le pouvoir colonial renforça leur emprise, de même que celle du système réactionnaire des castes, qui fut étendu là où il ne s’était jamais imposé. Il opposa également les populations hindoues, sikhs et musulmanes, tout en les vouant au même mépris.

Première puissance capitaliste mondiale, la Grande-Bretagne dépouilla l’Inde de ses richesses, le coton, l’indigo, le jute, le thé et le charbon. Le pavot servit de base au commerce d’opium imposé à la Chine. Dans les villes et les campagnes, la main-d’œuvre indienne fut effroyablement exploitée. Une partie fut par ailleurs envoyée, dans des conditions proches de l’esclavage, dans les colonies : anglaises comme l’île Maurice, l’Afrique du Sud, la Birmanie, mais aussi françaises comme La Réunion et la Guadeloupe, à partir des « comptoirs » (emprises coloniales) que la France occupait en Inde. Quant aux manufactures existantes et à leurs métiers à tisser, ils furent détruits, ce qui contraignit l’Inde à importer les tissus produits dans les bagnes industriels anglais. Des millions de travailleurs furent ainsi réduits à la misère. Dès 1843, l’Inde était devenue le principal débouché extérieur de l’industrie cotonnière anglaise et une prodigieuse source de profits. Mais sa part dans la production manufacturée mondiale, quasi égale à celle de l’Europe en 1700, n’était plus que de 3,8 % à la fin de la domination coloniale.

À la fin du 19e siècle, les famines firent une quinzaine de millions de morts parmi la population pauvre des campagnes, qui constituait l’immense majorité des 250 millions d’habitants. En refusant d’apporter le moindre secours, en interdisant l’accès aux stocks de céréales, souvent destinées à l’exportation, et en maintenant le paiement des impôts fonciers, l’administration coloniale en portait la responsabilité directe.

Durant la Deuxième Guerre mondiale, le Premier ministre Churchill imposa la réquisition des denrées et des moyens de transport, provoquant la mort de trois à cinq millions de personnes au Bengale, dans l’est du pays.

Cette oppression entraîna de multiples soulèvements, dont la révolte des cipayes, les troupes supplétives de l’occupant, en 1857 : tous furent brutalement réprimés. Mais le sentiment national et anticolonial grandissait. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, dans laquelle avaient été enrôlés des centaines de milliers de travailleurs et de soldats indiens, la puissance coloniale fit face à une puissante vague de manifestations et de grèves. Pour la briser, le 13 avril 1919, à Amritsar, les troupes coloniales tuèrent plusieurs centaines de manifestants. En vain. Une campagne massive de boycott des produits anglais et de refus de payer l’impôt fut lancée.

Un jeune Parti communiste commença à s’implanter. Mais ce furent les élites indiennes qui profitèrent de cette mobilisation pour négocier avec la puissance coloniale une place plus conforme à leurs ambitions. Une bourgeoisie nationale, dont la dynastie Tata reste aujourd’hui le symbole, avait en effet commencé à émerger, dans le secteur textile et dans la sidérurgie.

Sur le plan politique, c’est le Congrès national indien, parti représenté notamment par Gandhi et Nehru, qui devint le porte-parole de cette classe montante. Il réclama l’autonomie, puis l’indépendance.

Les dirigeants britanniques repoussèrent longtemps toute réforme significative du statut de l’Inde. Chaque tentative faite pour continuer à rallier une fraction des élites, en leur concédant quelques postes et avantages, fut selon les termes de Nehru une nouvelle « charte d’esclavage destinée à augmenter la domination impérialiste et l’exploitation des masses ».

La Deuxième Guerre mondiale exacerba encore la volonté des masses d’en finir avec l’arbitraire et la domination coloniale. En 1942, Gandhi lança le mouvement pour l’indépendance derrière le mot d’ordre « Quit India ! » (Quittez l’Inde). Malgré cent mille arrestations et une répression féroce, il allait culminer avec un soulèvement quasi généralisé de 1945 à la mi-1947.

Mais le Parti du Congrès s’opposait à toute revendication sociale : son objectif était d’obtenir l’indépendance, pas de satisfaire les aspirations des exploités et des masses pauvres. De son côté, la Ligue musulmane et son dirigeant Jinnah exigeaient la création d’un État proprement musulman, le Pakistan. Ils y étaient largement encouragés par les dirigeants britanniques, qui en avaient déjà fait la promesse en échange du soutien de Jinnah à la guerre.

L’indépendance de l’Inde fut officiellement octroyée le 15 août 1947. Le Pakistan, nouvellement créé, se trouva lui-même divisé entre Pakistan occidental et Pakistan oriental, éloignés de plus de 1 500 km. Mais la politique coloniale du « diviser pour régner », s’appuyant sur la ségrégation et des pogromes religieux, trouva un autre prolongement sanglant.

Ce qui est encore souvent présenté comme une transition pacifique vers l’indépendance fut une immense tragédie, facilitée de surcroît par la démagogie du Parti du Congrès et de la Ligue musulmane, qui détournèrent la colère populaire sur le terrain communautaire. Poussées par la politique d’épuration, près de 18 millions de personnes prirent les routes de l’exode. Viols, agressions, meurtres et massacres se multiplièrent. Des notables en profitèrent pour s’approprier de nouvelles terres. Au cours du seul été 1947, on dénombra de 400 000 à un million de morts dans les violences interreligieuses.

L’indépendance de l’Inde ouvrit une puissante vague de décolonisation, en Asie tout d’abord, puis sur le continent africain. Malgré d’effroyables guerres menées pour maintenir la domination coloniale, celle-ci fut partout mise à bas. Mais, faute d’une perspective émancipatrice s’appuyant sur la classe ouvrière et la paysannerie pauvre, et en l’absence d’organisations communistes révolutionnaires à même de la conduire à bien, ce mouvement ne pouvait renverser les fondements de la domination impérialiste et du sous-développement. Le tiers-mondisme et le prétendu « non-alignement » entre le bloc occidental et le bloc soviétique, dont se prévalurent les dirigeants politiques indiens et d’autres pays, tournaient le dos à cette perspective.

C’est le prolétariat, dont les effectifs se sont depuis considérablement étendus, qui, plus que jamais, peut la faire revivre.

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