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Dans le monde
Salman Rushdie agressé : les hypocrites à son chevet
La tentative d’assassinat de l’écrivain Salman Rushdie, par un jeune Américain musulman proche du Hezbollah libanais, a été utilisée par les dirigeants des grandes puissances pour se poser en défenseurs de la civilisation et de la liberté face à la barbarie.
Macron a déclaré : « Salman Rushdie incarne la liberté et la lutte contre l’obscurantisme. Son combat est le nôtre, universel. » Élisabeth Borne a affirmé, sans rire : « Dans son combat contre l’obscurantisme, nous avons toujours été aux côtés de Salman Rushdie ». Quant à Biden, il a salué « le refus de Salman Rushdie d’être intimidé ou réduit au silence », avant de… prier pour son rétablissement. Ces déclarations sont indécentes.
L’écrivain britannique, né en Inde juste avant l’indépendance dans une famille musulmane, est certes courageux. Depuis 1989, il est menacé par une fatwa de feu l’ayatollah Khomeini, fondateur de la République islamique d’Iran, le condamnant à mort pour quelques lignes jugées blasphématoires dans son livre Les Versets sataniques. À l’époque, dans divers pays musulmans, des intégristes et des politiciens avaient déclenché des manifestations réclamant l’interdiction du livre. Ils voulaient en faire un chiffon rouge pour détourner vers un bouc émissaire la colère des masses pauvres de leur pays. En lançant cet appel au meurtre, Khomeini se voulait le chef de file des musulmans du monde entier.
Malgré ces menaces et la vie clandestine qui lui est imposée depuis trente ans, Salman Rushdie a continué à écrire librement. Il ne s’est laissé intimider ni par les fanatiques religieux qui lui reprochent son athéisme et sa liberté de ton à l’égard de l’islam, ni par les politiciens qui utilisent la religion par calcul politique. Parmi ces responsables politiques, les dirigeants des grandes puissances occupent la première place. L’impérialisme britannique a régné sur l’Inde et a également dominé l’Iran. Du Moyen-Orient à l’Afrique, les « civilisateurs » coloniaux français et britanniques ont engendré les guerres contemporaines, en opposant les peuples les uns aux autres sur des bases ethniques et religieuses. Depuis la fin de la colonisation, les puissances impérialistes, États-Unis en tête, garantissent leur domination sur la planète en soutenant et armant les pires dictatures, y compris des théocraties sanguinaires. Ainsi Biden et Macron viennent de mettre en scène leur réconciliation avec le prince saoudien Mohammed ben Salmane. Le pétrole et les contrats d’armements valent bien plus que le sort des femmes reléguées, des travailleurs émigrés surexploités, des libres-penseurs ou des opposants réprimés en Arabie saoudite.
En 1989, quand Khomeini a lancé sa fatwa contre Rushdie, les dirigeants occidentaux se sont fait prier pour soutenir l’écrivain. La France de Mitterrand ne voulait pas risquer de perdre les contrats d’armes et de béton négociés avec l’Iran à la fin de la guerre Iran-Irak. Le socialiste Roland Dumas multipliait les voyages à Téhéran mais refusait un séjour de Rushdie à Paris. Quant à Chirac, il accusait Rushdie d’être un provocateur et un blasphémateur, tout comme le réalisateur Scorsese, dont le film La dernière tentation du Christ suscitait les foudres des intégristes chrétiens, qui empêchaient sa diffusion et incendiaient des salles de cinéma.
Si les relations entre les États-Unis et l’Iran venaient à s’améliorer, ce que les tractations autour du programme nucléaire laissent entrevoir, tout comme les dénégations de l’Iran quant à son implication dans l’attaque contre Salman Rushdie, l’obscurantisme religieux de ses dirigeants sera immédiatement oublié et les opposants progressistes seront livrés à leurs bourreaux. C’est la civilisation selon Biden et Macron.