Leur société

Nucléaire : les défaillances du système

Le 8 décembre, jour où Macron organisait une visite médiatisée à l’usine Framatome du Creusot pour soutenir la filière nucléaire, Greenpeace révélait que des informations relatives à la sécurité de l’EPR de Flamanville circulaient quasi librement sur le Net.

Les documents qui ont été envoyés à Greenpeace émanent des échanges par mails entre les ingénieurs ou les techniciens d’EDF et ceux des multiples entreprises sous-traitantes qui construisent cette centrale. Il s’agit par exemple de plans, de codes ou de notices concernant les caméras de vidéo surveillance et autres systèmes de sécurité. Greenpeace et les associations qui militent pour l’abandon du nucléaire y voient une nouvelle raison pour arrêter tout de suite la livraison du combustible nucléaire à Flamanville, car « entre de mauvaises mains ces informations peuvent faciliter les intrusions et le sabotage ».

Un accès si facile à de telles informations a certes de quoi inquiéter. Mais ce qu’elles montrent surtout c’est que le chantier de l’EPR fonctionne comme tous les chantiers du BTP et la plupart des usines : il repose sur des centaines d’entreprises sous-traitantes, qui sous-traitent elles-mêmes à d’autres sociétés prestataires. Avec le renouvellement et la succession des entreprises comme des travailleurs, bien souvent des intérimaires et des contractuels, le suivi des chantiers et l’accès aux informations techniques relèvent du casse-tête. À tous les niveaux, des ouvriers aux chefs d’équipe ou aux ingénieurs, chacun doit se débrouiller par ses propres moyens pour accéder aux informations ou aux plans.

Depuis des années, chez EDF, Framatome, Areva comme ailleurs, l’externalisation de multiples tâches a été une politique systématique et un moyen de faire des économies. Pour emporter le marché, chacune des entreprises intervenantes réduit les coûts, y compris en supprimant des postes de contrôleurs ou des services d’archives. Les coupes budgétaires, la sous-traitance, les réorganisations incessantes de services, les départs à la retraite non remplacés entraînent des pertes de compétences. C’est ainsi que dès 2008 des fissures ont été constatées dans le béton de l’EPR. En 2013, l’usine du Creusot, alors sous le contrôle d’Areva, a livré une cuve et un couvercle dont l’acier était défectueux.

Ce qui vaut pour le secteur du nucléaire vaut pour une grande partie de l’industrie. Dans le capitalisme sénile du 21e siècle, la réduction des investissements productifs au profit de la finance finit par compromettre la marche même de l’économie. Pour la collectivité, ce sont des menaces et des surcoûts. Pour les travailleurs qui assurent la production, ce sont des conditions dégradées auxquelles s’ajoute le dégoût du travail mal fait.

Plus encore que le danger du nucléaire ainsi géré, cela souligne que les travailleurs, à tous les niveaux, parce qu’ils effectuent eux-mêmes le travail, parce qu’ils disposent collectivement de toutes les informations, seraient les mieux placés pour contrôler la sécurité et la qualité de ce qu’ils produisent. Eux seuls peuvent mettre en commun les informations dont ils disposent pour imposer des conditions de sécurité maximales et les faire respecter. Eux seuls peuvent imposer que l’intérêt général passe avant les profits des actionnaires privés. Sortie du nucléaire ou non, il faut militer pour le pouvoir des travailleurs.

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