Dans le monde

Liban : une économie et un système politique à bout de souffle

La crise économique continue de s’aggraver au Liban. La monnaie libanaise a perdu six fois sa valeur en quelques mois, faisant exploser l’inflation. Les conséquences sont désastreuses pour les couches populaires.

La responsabilité de la classe politique en place, avec sa corruption et son clientélisme, est pointée du doigt à juste titre. Mais elle ne doit pas faire oublier la responsabilité majeure de l’impérialisme, en particulier français, dans la situation dans laquelle le pays est plongé.

C’est la France qui, il y a cent ans, créa ce pays et jeta la base de son système politique confessionnel. Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la région qui constitue actuellement la Syrie et le Liban passait sous l’égide de la France, suite à l’accord Sykes-Picot conclu entre les pays vainqueurs pour se partager la région jusqu’alors sous domination de l’Empire ottoman. Afin d’affronter la résistance du mouvement nationaliste qui aspirait à la création d’un grand État arabe indépendant, la France tira profit de ses liens historiques avec les chrétiens habitant le mont Liban, à l’ouest de sa zone d’influence. Elle créa un État libanais autour de cette communauté, en y adjoignant des régions avoisinantes habitées principalement par des musulmans.

De ce fait, la superficie du pays fut limitée à 10 452 km² afin de conserver une majorité numérique pour les chrétiens. Le pacte national libanais instauré à l’époque définit le partage du pouvoir entre les différentes communautés religieuses de façon à ce que les chrétiens aient le contrôle du pouvoir politique. L’économie de ce petit pays sans grandes ressources naturelles dut se tourner vers la finance et le tourisme. Le contexte de redémarrage de l’économie mondiale après 1945, ainsi que les dollars issus des ressources pétrolières des pays voisins, entraîna un flux d’argent vers le Liban devenu un paradis fiscal, au point d’être surnommé dans les années 1960 « la Suisse du Moyen-Orient ».

Les retombées de ce système ne profitaient cependant qu’à la bourgeoisie liée au pouvoir, essentiellement chrétienne. La population des régions délaissées, à majorité musulmane, finit par protester contre la misère et la politique de l’État soumis aux multinationales. Le début des années 1970 vit l’explosion des grèves et des manifestations, en liaison avec les mouvements anti-impérialistes qui secouaient alors le monde arabe, et notamment le mouvement nationaliste palestinien. La politique de l’élite au pouvoir soutenue par l’impérialisme, mais aussi celle des dirigeants des mouvements d’opposition, palestiniens compris, fit que cet affrontement social dégénéra en une guerre civile interconfessionnelle, une guerre qui dura de 1975 à 1990 et fit près de 200 000 victimes.

En 1990, l’accord de Taef, conclu sous le parrainage des pays occidentaux pour mettre fin à la guerre civile, redéfinit le partage du pouvoir en fonction des différentes confessions. Mais il ne fit qu’entériner le système confessionnel et confirmer l’hégémonie des clans politiques qui s’étaient fait la guerre aux frais de la population.

L’instabilité du taux de change de la livre libanaise, conséquence de la guerre, demeura jusqu’à ce que le gouverneur de la Banque du Liban, Riad Salamé, instaure une parité fixe entre cette monnaie et le dollar. Pour assurer cette parité, il mit en place un système de rente dans lequel la banque centrale servait des taux d’intérêts faramineux, allant jusqu’à 20 % pour les plus gros dépôts. Cela fit le bonheur des banques prêteuses, de la classe politique et de tous les affairistes du pays.

Ce système ne pouvait que craquer, car il gonflait inexorablement la dette de la Banque du Liban, mais peu importait aux banques occidentales tant qu’il leur rapportait gros. En guise de reconnaissance, Riad Salamé se vit attribuer par des magazines économiques le titre de meilleur banquier central, et cela à deux reprises en 2006 et en 2009 ! De grandes messes de bailleurs de fonds furent organisées par la France afin de collecter l’argent pour alimenter cette machine infernale.

Ces dernières années, la crise de l’économie mondiale, aggravée par les conflits qui secouent la région, notamment dans la Syrie voisine, a fini par ralentir le flux de dollars et par ôter à l’État libanais toute capacité à rembourser sa dette, qui avoisine désormais 170 % du PIB. En octobre 2019, l’instauration de nouvelles taxes sur la consommation a déclenché des manifestations massives aboutissant à un nouveau gouvernement. Celui-ci n’a rien résolu et la situation économique n’a cessé de se dégrader. La livre libanaise est entrée dans une spirale de dévaluation telle que plus de la moitié de la population s’enfonce aujourd’hui dans la pauvreté.

Comme on l’entend souvent crier dans les manifestations qui se poursuivent, il faudrait en finir avec toute cette classe politique et tous ceux « qui ont volé l’argent ». En fait c’est toute la chaîne de domination de l’impérialisme dans la région moyen-orientale qui est en cause, dans le contexte d’une économie mondiale en crise dont le Liban n’est qu’un des maillons faibles.

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