Dans le monde

Algérie : la contestation populaire remporte une manche

Lundi 11 mars, Bouteflika, rentré en Algérie après son hospitalisation en Suisse, a annoncé qu’il renonçait à briguer un cinquième mandat mais que, l’élection présidentielle prévue en avril étant reportée, il restait donc au pouvoir le temps de refondre le système politique.

Les sommets du système, comme le nomment les manifestants, sont donc en train d’essayer d’élaborer une réponse à la contestation populaire qui soit susceptible de faire rentrer celle-ci dans le rang. C’est loin d’être gagné car, dès mardi 12 mars, des manifestants dénonçaient la manœuvre, et la mobilisation de la population reste impressionnante.

Une mobilisation croissante

Vendredi 8 mars, des cortèges encore plus importants que les vendredis précédents ont sillonné les rues de toutes les villes d’Algérie. À Alger, malgré l’absence de métro, de tramway et de trains de banlieue, une marée humaine a envahi les rues. Elle réunissait toutes les générations, majoritairement des jeunes, des femmes en nombre, des travailleurs mais aussi des familles. Tous étaient venus exprimer leur rejet du cinquième mandat et du système. La colère, la joie, le sentiment d’une dignité retrouvée, d’un réveil après toutes les humiliations subies, se lisaient sur tous les visages. La lettre de Bouteflika, alors envoyée depuis Genève, n’a fait qu’attiser la colère. Agitant la menace de la guerre civile, cette lettre les mettait en garde contre le chaos. Et de nouveau les manifestants ont tenu à faire savoir qu’ils étaient pacifistes mais déterminés à refuser ce simulacre de démocratie. Les slogans étaient toujours dirigés contre Bouteflika et son frère Saïd, contre aussi le Premier ministre Ouyahia, qui est détesté. Ils dénonçaient aussi les voleurs, les corrompus qui ont pillé les richesses du pays. Les chants des supporters de foot, scandés depuis des mois dans les stades, ont été repris avec force : « Y’en a marre de cette vie. Le premier mandat nous a eus avec la décennie noire ; le deuxième, on a commencé à voir clair ; le 3e, le pays a maigri avec les intérêts privés ; le 4e, la poupée est morte, c’est celle des profiteurs. On nous laisse vivre dans la misère. »

Après avoir été conspués la semaine précédente, la plupart des leaders de l’opposition ont déserté la manifestation. L’ex-général Ali Ghediri, candidat déclaré, a été chahuté et contraint de quitter le cortège. Louisa Hanoune du Parti des travailleurs, soutien de longue date de Bouteflika, a eu le même sort.

Le pouvoir et les partis d’opposition cherchent une issue

Face aux démonstrations de force organisées trois vendredis de suite, le pouvoir a dû changer de ton. Le ministre des Armées, Gaïd Salah, avait menacé les manifestants, tout en les accusant d’être manipulés. Il a par la suite salué leur pacifisme et leur sens patriotique. Derrière ces discours, les partis au pouvoir et les partis d’opposition, rejetés par les manifestants, s’agitent pour préparer une transition honorable pour le pouvoir et qui préserve les intérêts de la bourgeoisie.

Beaucoup, parmi ceux qui se félicitaient des grandioses manifestations, se sont désolidarisés de l’appel à la grève générale, au nom de l’unité nationale et de la stabilité. Il faut, disent-ils, éviter les divisions. Ils craignent avant tout que les aspirations sociales, mises au second plan jusque-là derrière le mot d’ordre « Non au 5e mandat ! », surgissent dans la contestation.

Avec l’appel à la grève générale lancé et relayé sur les réseaux sociaux au nom de la désobéissance civile contre le cinquième mandat, la mobilisation populaire est entrée dans une nouvelle étape.

Répondant à cet appel, dimanche 10 mars, jour de reprise après le week-end, l’immense majorité des commerçants ont baissé le rideau. La jeunesse scolarisée des collèges et des lycées a, quant à elle, refusé de rentrer en cours. À Alger, elle a manifesté massivement dans les faubourgs populaires, tentant pour certains de rejoindre le centre-ville.

La décision du ministre de l’Enseignement supérieur d’avancer les vacances de quinze jours et de fermer les universités est apparue comme une manœuvre pour désamorcer la contestation. Elle a eu l’effet inverse. Des assemblées générales nombreuses, réunissant enseignants, étudiants et agents, se sont tenues dans tous les campus. Les étudiants étaient de nouveau dans la rue dimanche 10, avec comme objectif une grande manifestation mardi 12 mars.

Les travailleurs dans la mobilisation populaire

Dès le 10 mars, répondant aussi à l’appel sur les réseaux sociaux, des travailleurs des entreprises publiques et privées se sont mis en grève. C’est le cas des cheminots de la région d’Alger et aussi des travailleurs du métro, où un service minimum était assuré.

Dans l’immense zone industrielle de Rouiba-Regahia, à l’est d’Alger, des travailleurs ont rejoint la contestation. Contre l’avis des syndicats, qui avaient cadenassé les portes, des cortèges des différents sites de l’usine SNVI (Société nationale de véhicules industriels) se sont retrouvés pour manifester, rejoints par les lycéens. Mais un dispositif policier important les attendait, avec une attitude bien différente de celle des manifestations du vendredi. Les policiers ont d’emblée tenté d’arrêter les cortèges à coups de bombes lacrymogènes. Pour protéger les jeunes lycéens et collégiens, les travailleurs ont organisé le repli, pour revenir plus tard. La grève était observée aussi par les travailleurs des usines de LU, Pepsi Cola, ceux des chantiers publics et de Altuletal, filiale d’un grand groupe des hydrocarbures.

À Bejaïa, les travailleurs de l’usine Cevital, qui emploie plus de 3 000 personnes, se sont mis en grève, ainsi que ceux de la pétrochimie. Presque toutes les entreprises étaient à l’arrêt, ainsi que les activités du port. Le port de Skikda, terminal pétrolier important, était également à l’arrêt.

À Annaba, les travailleurs du complexe sidérurgique d’El Hadjar, qui emploie 4 000 personnes, ont manifesté en scandant « Ouyahia, dégage ! », « Système, dégage ! », et les slogans visaient également le dirigeant de l’UGTA, complice du pouvoir, avec « Sidi Saïd, dégage ! ».

Les travailleurs de la Sonatrach (Société nationale des hydrocarbures) ont suivi les appels, aussi bien dans les sites et chantiers de Hassi Messaoud, ou du complexe gazier d’Oued Ezzine, qu’à la direction des sites d’exploration à Boumerdès.

Certains patrons ont incité les travailleurs à rester chez eux lundi 11 mars, mais les ouvriers les plus combatifs sont revenus. Les patrons veulent éviter les piquets de grève, les assemblées générales et les cortèges ouvriers. Ils craignent que les revendications sociales surgissent. Les travailleurs du port d’Alger, qui venaient d’obtenir 26 % d’augmentation de salaire, réclament maintenant davantage.

Pour trouver une issue à la crise politique du régime et à la contestation sociale, les politiciens et les opposants du système doivent trouver une personnalité nouvelle, capable peut-être de faire consensus, sans répondre au mécontentement social. Mais il n’est pas dit que les travailleurs qui sont entrés en action contre le cinquième mandat se contentent de discours.

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