Bactéries et antibiotiques : les mains sales de l’industrie pharmaceutique21/11/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/11/2625.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

Bactéries et antibiotiques : les mains sales de l’industrie pharmaceutique

Près de 700 000 infections insensibles aux antibiotiques en un an, plus de 33 000 morts… Des chiffres dignes d’un tiers monde de misère ? Non, ils concernent l’Europe. Publiés par la revue médicale internationale The Lancet, ils soulignent une situation qui va s’aggravant et sur laquelle les épidémiologistes attirent l’attention depuis des décennies.

Il y a ainsi le retour massif de la tuberculose en Europe de l’Est ou la multiplication des cas d’infections nosocomiales (induites par des soins), qui atteignent en France un malade hospitalisé sur quinze et jusqu’à un sur quatre placés en réanimation.

On connaît la cause médicale de cette catastrophe sanitaire : c’est l’antibiorésistance. Un antibiotique vise à empêcher que prolifèrent les bactéries facteurs d’infection, mais les bactéries développent aussi un mécanisme de défense contre l’action des antibiotiques existants. Pour y faire échec, il faudrait mener une course permanente afin de créer de nouveaux antibiotiques.

Outre les conditions d’hygiène des hôpitaux qui reculent dès qu’ils manquent de moyens, les causes essentielles de la victoire des bactéries sont la surexposition aux antibiotiques existants et le retard mis à en créer de nouveaux. Cela met en cause la stratégie même de l’industrie pharmaceutique. En effet, la vente d’antibiotiques anciens, peu coûteux à produire, est une manne dont les industriels n’ont nulle envie de se priver.

Quant aux campagnes officielles sur le mode « Les antibiotiques, ce n’est pas automatique » ou, dernier slogan du ministère, « Ils sont précieux, utilisons-les mieux », elles pèsent peu face aux énormes moyens et aux pressions des capitalistes du secteur. Le volume des antibiotiques prescrits à des malades n’a guère changé dans les pays occidentaux depuis dix ans. Et surtout, l’usage déjà massif d’antibiotiques dans l’élevage explose, sans que les plans et règles des pouvoirs publics y fassent grand-chose.

L’industrie pharmaceutique ne cherche plus – et donc ne trouve plus depuis vingt ans – de nouvelles classes d’antibiotiques car elle estime que le retour sur investissement n’en vaut plus la chandelle boursière. De 2000 à 2011, on est tombé de 90 % à 30 % des grandes sociétés du secteur ayant des équipes de chercheurs en ce domaine, et le nombre de brevets qu’elles ont déposés a été divisé par deux. En fait, elles orientent leurs équipes de recherche pour l’essentiel vers la création de copies de médicaments déjà connus, ce qui leur permet de faire payer cher de fausses innovations. Au point que même les directeurs des deux grandes agences réglementaires de santé aux États-Unis et en Europe (la FDA et l’EMEA), peu suspects d’un anticapitalisme farouche, ont piqué publiquement en 2010 une grosse colère. Bien sûr, sans grand effet.

Ce qui ressort de ce désastre annoncé crève pourtant les yeux : laisser aux capitalistes du médicament le choix des investissements pour lutter contre la résistance des bactéries aux traitements, c’est renoncer à un combat vital pour l’humanité.

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