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Pourquoi le PCF frappe sur la gauche
Si l'emploi de la violence physique contre les révolutionnaires n'est pas, de la part du Parti Communiste Français, chose nouvelle, il est incontestable que depuis plusieurs mois les agressions commises par les nervis staliniens contre les organisations d'extrême gauche, leurs réunions, leurs militants, ou les vendeurs de leur presse, se sont multipliées.
Lors de son dernier congrès, en janvier 1967, à Levallois, le PCF a en effet mis à l'ordre du jour la guerre ouverte contre tout ce qui se trouve sur sa gauche, et qu'il désigne par le terme général de « pro-chinois », qu'il s'agisse d'authentiques admirateurs de Mao, ou d'organisations se réclamant du trotskysme.
Et comme pour bien montrer qu'il ne s'agit pas là d'incidents dus à des éléments plus ou moins incontrôlés, mais bien d'une orientation du Parti, « l'Humanité » n'a pas hésité à revendiquer ouvertement certains d'entre eux.
C'est ainsi que l'on vit des militants révolutionnaires reconnus comme tels au cours de manifestations, notamment le 17 mai, pris à parti par le service d'ordre de la CGT ; des réunions publiques organisées par les Jeunesses Communistes Révolutionnaires (à Toulouse), par Voix Ouvrière (à Rouen), ou par les pro-chinois (à Paris), assaillies par des commandos staliniens, qui n'hésitèrent pas, dans le dernier cas à précipiter des militants pro-chinois par dessus le balcon du premier étage de la salle de la Mutualité ; c'est ainsi que l'on put voir le 2 juin, devant les usines Berliet à Lyon-Vénissieux, le PCF faire appel à la police pour interdire la vente de Voix Ouvrière, et sous la protection de ses matraques lapider nos camarades.
Certains s'étonneront peut-être, de voir ce Parti qui parle tant de la nécessité d' » une démocratie véritable », utiliser de pareilles méthodes de gangsters, et se montrer aussi ennemi de la liberté d'expression aux portes des entreprises. Mais en fait, il s'agit là d'attitudes qui pour être apparemment contradictoires, n'en sont pas moins, au fond, logiquement complémentaires. C'est justement parce que le PCF se fait le champion de la « démocratie véritable », c'est-à-dire de la démocratie bourgeoise, qu'il est un adversaire aussi acharné de la démocratie ouvrière.
En tant que parti stalinien, il n'a pas le choix, parce que, ce qu'il risque, c'est bien plus que de laisser un quelconque groupe d'extrême gauche s'exprimer.
Et inversement, quand les révolutionnaires défendent la démocratie ouvrière, ils défendent bien plus que leur simple droit à la liberté d'expression.
En effet si, pour les marxistes, seul le prolétariat pourra organiser la société sur la base d'une économie socialiste, après s'être emparé du pouvoir politique, seul aussi un prolétariat ayant atteint un haut niveau de conscience de ses buts et de ses moyens pourra accomplir cette tâche.
Or, ce n'est que dans la mesure où toutes les opinions pourront s'exprimer librement au sein de la classe ouvrière, que les travailleurs pourront choisir en toute connaissance de cause la voie qui leur paraît la plus juste.
Ce n'est que dans la mesure où chaque organisation, chaque militant, chaque travailleur, pourra affirmer son point de vue, formuler des critiques, apporter des solutions, en un mot détendre une ligne politique, que la classe ouvrière pourra vérifier, au cours d'expériences multiples, la valeur de telle théorie ou de telle politique, accorder sa confiance à tel militant et à telle organisation, sélectionner la direction révolutionnaire qui sera capable de diriger victorieusement ses luttes.
Il ne peut pas y avoir de prise de conscience révolutionnaire, sans exercice de la démocratie ouvrière, parce qu'on ne peut pas demander au prolétariat de briser le joug social qui l'opprime en lui imposant un joug intellectuel et moral.
C'est pourquoi toute organisation politique qui tente par des méthodes déloyales ou par la force d'empêcher la libre expression des idées au sein de la classe ouvrière se fait le gendarme du capitalisme ; c'est pourquoi toute atteinte à la démocratie ouvrière est en réalité un crime contre le prolétariat et la révolution socialiste.
Il ne peut pas y avoir de politique révolutionnaire sans respect de la démocratie ouvrière, il ne peut y avoir qu'une phraséologie mensongère, et si les révolutionnaires ne sont certes pas des non-violents, l'usage de la violence, ils la réserve contre l'ennemis de classe, et contre l'ordre social bourgeois.
La démocratie dont le PCF s'est fait le champion n'est certes pas celle-là. Ce qu'il souhaite, c'est la possibilité d'avoir, dans la société bourgeoise, le maximum de conseillers municipaux, de maires et de députés, les plus larges facilités d'existence pour lui-même, et pour la centrale syndicale, la CGT, qui lui permet d'être ce qu'il est, la possibilité même de participer au gouvernement.
Mais c'est justement parce qu'il a depuis longtemps renoncé à toute transformation révolutionnaire de la société, pour vivre des miettes que l'impérialisme veut bien abandonner aux partis ouvriers-traitres dans les régimes de démocratie bourgeoise, que le PCF est devenu un farouche ennemi de la démocratie ouvrière, qu'il ne peut pas tolérer le libre cheminement des idées révolutionnaires.
Car malgré ses trahisons et ses reniements, le PCF continue à se prétendre communiste. S'il se réclame de la « démocratie véritable », des « voies pacifiques et parlementaires vers le socialisme » et de « la coexistence pacifique » ; il n'a pas encore osé renier en paroles (en pratique, il l'a fait depuis longtemps) le socialisme et la lutte de classe. Et il bénéficie encore de la confiance d'une partie importante de la classe ouvrière, qui nourrit certes beaucoup d'illusions à son sujet, mais qui de ce fait même le place dans une situation délicate. La SFIO ne craint pas d'être débordée sur sa gauche. Même si on la prenait au mot, cela ne mènerait pas bien loin, et de toute façon, personne ne se fait beaucoup d'illusions sur son compte. Mais il n'en est pas de même pour le PCF, et c'est précisément parce que celui-ci est considéré par beaucoup de travailleurs encore comme un parti de lutte de classe, sinon comme un parti révolutionnaire, qu'il est obligé de lutter aussi violemment contre les idées révolutionnaires.
Pour garder la confiance de leur base, le PCF - et la CGT - sont bien obligés en effet, d'organiser des actions. Ils le font certes en prenant le moins de risques possible, et si, par exemple, le PCF accepte à l'occasion d'appeler ses militants à manifester centralement contre la politique américaine au Vietnam, et d'affronter à cette occasion les forces de police, parce que cela ne peut pas déboucher sur quoi que ce soit mettant en cause le régime bourgeois lui-même en France, il se garde bien d'en faire autant lorsqu'il s'agit de luttes revendicatives des travailleurs. Car il n'est pas au pouvoir des travailleurs français d'imposer une quelconque solution au Vietnam, ils ne peuvent que protester. Mais en ce qui concerne leurs revendications, il n'en est pas de même, et cela peut poser rapidement le problème du pouvoir.
Le PCF prend donc le minimum de risques, mais ce faisant il en prend tout de même, et cela, d'autant plus que sa base, et les travailleurs, gardent des illusions à son sujet.
Par exemple, lors de la manifestation du 23 novembre 1966 de la Gare de l'Est à la Bourse du Travail, qui avait été interdite par la Préfecture de Police, malgré l'acceptation de cette interdiction par « l'Humanité », bien des militants se croyaient « dans la ligne » en manifestant malgré tout.
Vis-à-vis de sa propre base, vis-à-vis des travailleurs qui dans leur majorité votent pour lui aux élections syndicales professionnelles et parlementaires, le PCF mène donc un jeu difficile. Pour justifier son emploi d'avocat ouvrier auprès de la bourgeoisie, il faut qu'il représente vraiment une force, c'est-à-dire qu'il ait une base ouvrière qui le suive et qu'il contrôle. Pour justifier sa position dirigeante aux yeux des ouvriers, il lui faut organiser des « luttes », certes toujours circonscrites et contrôlées, mais des luttes quand même, revendicatives et politiques. Il ne peut se le permettre que dans la mesure où son appareil tient toujours en main la situation. Le rôle des critiques révolutionnaires qui dénoncent cette capitulation masquée et visent à faire prendre conscience aux travailleurs de l'incapacité et de la trahison de leur direction, est donc, même si ces critiques sont faibles et peu nombreuses, extrêmement dangereux pour le PCF.
Quand la situation est calme, le contrôle de l'appareil est facilité, mais quand le rapport de force change dans le pays, quand des mouvements revendicatifs durs et souvent spontanés démarrent en divers secteurs, alors, l'appareil doit se montrer vigilant et frapper vite. Non que les groupes révolutionnaires représentent un danger immédiat, mais les travailleurs en lutte instruits par l'inexpérience sur la valeur de leur direction traditionnelle, pourraient poussés par la dynamique des événements, trouver dans les idées et les militants révolutionnaires, le programme et la direction adéquates. Ce n'est qu'une perspective. Mais cette perspective, le PCF ne peut la tolérer. Et il se doit de détruire toute possibilité lointaine ou immédiate dans ce sens. C'est ainsi qu'il faut interpréter l'acharnement des staliniens devant les usines Berliet, pressés de « liquider » les trotskystes, alors que dans l'usine des grèves sauvages encore sans direction, risquaient de ruiner la politique de compromis et de capitulation menée par la CGT après la levée du lock-out.
Et si le PCF craint tellement les idées révolutionnaires, c'est qu'il suffit que des travailleurs soient acquis, non pas à tout le programme, mais à une seule de ses idées, pour le mettre parfois en position difficile.
Des différences historiques expliquent également que même là où ils sont majoritaires et influents, les sociaux-démocrates emploient rarement contre les révolutionnaires des méthodes aussi violentes que celles des staliniens.
La dégénérescence de la social-démocratie s'est déroulé dans une période de paix sociale relative, celle qui précéda la guerre de 1914, dans un climat de légalisme et de conformisme bourgeois tel qu'il aurait été difficile aux dirigeants réformistes de trouver parmi leurs troupes des hommes de main à utiliser contre les révolutionnaires, alors qu'ils pouvaient sans mal utiliser contre eux, en cas de besoin, tout l'arsenal des lois bourgeoises, le cas limite en ce domaine étant celui de la social-démocratie allemande qui dirigea, en 1919, en tant que parti gouvernemental la répression militaire contre les insurrections révolutionnaires.
La dégénérescence de la troisième Internationale s'effectua dans de toutes autres conditions, au lendemain de la plus grande crise révolutionnaire que le monde ait connue, et touchant des partis qui s'étaient forcés contre le légalisme de la IIe Internationale, et qui proclamaient la nécessité, face à lui, de la violence révolutionnaire. Après avoir renié le programme révolutionnaire (et ce reniement de fait fut longtemps recouvert par une phraséologie ultra-gauchiste), l'appareil stalinien, représentant en premier lieu les intérêts de la bureaucratie soviétique, et non ceux de sa bourgeoisie nationale, ne pouvait pas collaborer aussi facilement et aussi directement avec l'appareil d'État contre les révolutionnaires. Et il avait pourtant besoin, bien plus que la social-démocratie, de leur livrer une lutte sans merci, justement parce qu'aux yeux des masses il représentait les idées et les traditions d'octobre 1917. C'est pourquoi il dressa ses propres militants à la chasse aux opposants (ce qui ne l'empêchait pas, par ailleurs, de livrer ceux-ci à la pire des répressions policières, quand il en avait la possibilité), et à travers la « troisième période » de l'Internationale Communiste, et la lutte contre les « social-fascistes » (auxquels il amalgamait les trotskystes), il y parvint sans trop de peine.
C'est ainsi que les mours politiques que la réaction stalinienne installa en URSS gagnèrent toutes les sections de la IIIe Internationale, et si Staline trouva des « juges » et des bourreaux pour liquider l'avant garde révolutionnaire en Union Soviétique, le Guépéou forma dans tous les pays des hommes de main prêts à toutes les besognes, y compris l'assassinat des militants de l'Opposition Communiste.
Cette élimination n'était pas seulement un besoin pour chacun des partis staliniens, c'était plus encore une nécessité absolue pour la bureaucratie soviétique. Celle-ci se trouvait dans une situation tellement instable que tout mouvement révolutionnaire, où que ce soit dans le monde, risquait de mettre son existence en danger, et il était donc d'une importance vitale, pour elle, d'éliminer les germes d'une future direction révolutionnaire.
Le stalinisme parvint ainsi à détruire, physiquement ou moralement, presque toute une génération de militants révolutionnaires, et ce fait, à lui seul, explique que le problème de la crise de la direction révolutionnaire, qui se trouve posé depuis près de 40 ans, ne soit pas encore résolu.
Mais le stalinisme ne parvint pas, même ainsi, à éliminer les idées révolutionnaires, et aujourd'hui il se trouve toujours contraint d'employer des méthodes de gangsters contre tous les groupes, et toutes les idées, qui par leur existence même sont une critique vivante de ses reniements.
Dans cette tâche, il se trouve aidé par la complicité - ne serait ce que par le silence - des réformistes de tout poil, de la SFIO au PSU.
Ceux-ci ont toujours su s'indigner, du moins dans les périodes où cela ne risquait pas de nuire à leurs bonnes relations avec le PCF et de compromettre ainsi les services qu'ils pouvaient en commun rendre à la bourgeoisie française (la SFIO ne se scandalisera vraiment des procès de Moscou que longtemps après 1936), de ce qui se passait en Union Soviétique.
Mais quand les nervis staliniens s'en prennent à des révolutionnaires à la porte des entreprises, ou au cours de manifestations, on ne voit pas les militants de ces organisations s'interposer, et elles se gardent bien de démentir publiquement les communiqués mensongers du PCF ou de la CGT.
Et quand on somme ces organisations de prendre position sur de tels événements, comme ce fut le cas à Dijon pour les fédérations départementales du PSU et de la FGDS, elles se gardent bien de donner une réponse précise, se prononçant bien sur pour la liberté d'expression en général, mais ne s'estimant jamais suffisamment informées pour pouvoir se prononcer sur un cas précis. Sur quelque cent quarante députés de la Fédération de la Gauche Socialiste à qui nous avons demandé leur avis sur l'attitude des staliniens à la porte des entreprises, deux nous ont répondu.
C'est que ces « démocrates » là se moquent tout autant de la démocratie ouvrière que ceux du PCF. Eux aussi, la seule démocratie qui les intéresse, c'est celle des places à prendre et des sièges à pourvoir, celle qui a besoin des appareils réformistes, et qui leur permet d'exister.
Et quand les dirigeants sociaux-démocrates critiquent le manque de démocratie en URSS, ce n'est pas le sort fait aux masses qui les indigne, soyons en sûrs.
Les sociaux-démocrates répugnent à employer les mêmes méthodes que les staliniens, mais ils ne sont pas mécontents que ceux-ci se chargent des basses besognes, et ils se gardent bien de leur rendre leur tâche difficile.
C'est que dans ce domaine, tous les défenseurs de la bourgeoisie ne peuvent que se retrouver unis.
Car la démocratie ouvrière n'est pas seulement une condition nécessaire à la prise de conscience révolutionnaire des masses. C'est presque une condition suffisante. Et le barrage que les appareils social-démocrates et staliniens opposent à la pénétration des idées révolutionnaires dans les masses est, dans tous les pays capitalistes avancés la meilleure sauvegarde de la bourgeoisie.
C'est pourquoi la lutte révolutionnaire est inséparable de la lutte pour la démocratie ouvrière.