La théorie de la révolution permanente en Chine01/07/19671967Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

La théorie de la révolution permanente en Chine

 

Analyser « le caractère, les liens internes et les méthodes de la Révolution », dégager par cette analyse le rôle, les tâches du prolétariat, en déduire les objectifs, les mots d'ordre qui s'imposent pour la période à venir, tel fut de tout temps l'objet de la théorie révolutionnaire prolétarienne. A notre époque, la seule théorie susceptible de servir de fondement à l'activité militante, la seule stratégie globale de la révolution mondiale est la théorie de la révolution permanente. Elle est la seule, car elle tire ses déductions stratégiques non point des particularités locales, non point des données circonstancielles, mais d'une conception globale, de la reconnaissance de la primauté du marché mondial sur toutes les réalités nationales.

L'impérialisme en conquérant le monde a fait de l'économie mondiale une entité spécifique. Brisant l'isolement, l'autarcie des pays arriérés, il les a intégrés dans le circuit du marché capitaliste, il leur a imposé des rapports de production capitaliste. Mais cela - et là est l'essence du développement combiné - sans détruire entièrement les structures économiques et sociales anciennes. Contrairement à l'évolution des pays occidentaux, ces pays arriérés sont à peine mûrs pour la révolution bourgeoise que déjà, le pourrissement de l'impérialisme pose le problème de la révolution socialiste à l'échelle du globe.

L'introduction des rapports de production capitaliste, leur coexistence avec des structures archaïques donnent à la nécessité des transformations économiques et sociales une vigueur particulière. Partant, les conflits de classes ont un caractère aigu. Comment et par quelle voie la transformation de ces sociétés peut-elle s'effectuer ? Quelle classe en sera le moteur ? Quelle voie la révolution, empruntera-t-elle ?

« Pour les pays à développement bourgeois retardataire - répondait Trotsky - la théorie de la révolution permanente signifie que la solution véritable et complète de leurs tâches démocratiques et de libération nationale ne peut être que la dictature du prolétariat, qui prend la tête de la nation opprimée, avant tout de ses masses paysannes. » « Cependant, - ajoute-t-il - la dictature du prolétariat qui a pris le pouvoir comme force dirigeante de la révolution démocratique sera inévitablement et très rapidement placée devant des tâches qui la forceront à faire les incursions profondes dans le droit bourgeois de propriété. La révolution démocratique, au cours de son développement, se transforme directement en révolution socialiste et devient ainsi une révolution permanente... »

La conquête du pouvoir par le prolétariat ne met pas un terme a la révolution, elle ne fait que l'inaugurer. La construction socialiste n'est concevable que sur la base de la lutte de classe à l'échelle nationale et internationale... La révolution socialiste ne peut être achevée dans les limites nationales... « La révolution socialiste commence sur le terrain national, se développe sur l'arène internationale et s'achève sur l'arène mondiale. Ainsi, la révolution socialiste devient permanente au sens nouveau et le plus large du terme : elle ne s'achève que dans le triomphe définitif de la nouvelle société sur toute notre planète ». La situation explosive créée par le développement combiné a été attestée par la vague de révolutions coloniales qui a pris depuis 1945 une ampleur inconnue jusqu'alors. La nécessité des transformations économiques, de la solution de la question nationale, le problème de la réforme agraire, maintiennent les pays arriérés dans un état de crise constante. Les masses soulevées au cours de ces « révolutions coloniales » cherchèrent confusément à donner une solution à ces problèmes. Mais en aucun endroit on n'a vu le prolétariat prendre « la tête de la nation opprimée, avant tout des masses paysannes ». En aucun endroit, on n'a vu surgir un parti révolutionnaire prolétarien, fixant les objectifs de combat de la classe ouvrière.

L'absence d'organisation révolutionnaire prolétarienne, et partant l'absence du prolétariat dans les luttes d'émancipation, en tant que classe ayant des objectifs propres, a été une des données fondamentales, sans la compréhension de laquelle il est impossible de dégager la dynamique des transformations politiques et sociales qu'ont connues certains pays ex-coloniaux après la guerre. Ce fait est fondamental. Il est d'autant plus étrange que la quasi-totalité des organisations se réclamant du trotskysme l'aient « oublié », sinon en théorie - quoique certains l'aient fait - du moins en pratique. L'essence de la « révolution permanente », ce qui en fait précisément une théorie révolutionnaire est qu'elle intègre l'action du prolétariat dans la dynamique des luttes des classes dans les conditions du développement combiné. L'intervention du prolétariat, sa conscience, son organisation sont des facteurs qui rendent la révolution « permanente », qui rendent cette révolution capable de donner « une solution véritable et complète aux tâches démocratiques et nationales libératrices », et qui rendent inévitables la transformation de la révolution démocratique en révolution socialiste. Un des méfaits principaux du pabliste fut d'avoir vidé la « théorie de la révolution permanente » de tout contenu révolutionnaire, en en faisant une description contemplative d'un processus mécanique, dont le moteur n'est plus l'action consciente du prolétariat, mais on ne sait quelles contradictions objectives.

C'est ainsi que - pour ne citer que cet exemple parmi tant d'autres - la résolution de la IVe Internationale (Frank) caractérise la révolution coloniale de la manière suivante :

« Fondamentalement, la révolution coloniale est la tendance irrésistible de ces deux milliards d'êtres humains à devenir enfin les maîtres et les bâtisseurs de leur propre destinée. Le fait que ceci ne soit socialement possible qu'au travers d'un État ouvrier fournit la base objective de la tendance de la révolution coloniale à s'engager sur la voie de la révolution permanente ».

Quelle est la conclusion qu'un révolutionnaire tirerait d'une telle constatation ? C'est que précisément parce que « la tendance irrésistible de ces deux milliards d'êtres humains à devenir les maîtres de leur propre destiné n'est possible qu'au travers d'un « État ouvrier » (au fait, pourquoi éviter systématiquement l'expression dictature du prolétariat ?) précisément pour cette raison le prolétariat doit bâtir son organisation de classe, lutter contre les organisations petites-bourgeoises même si elles se parent de l'étiquette socialiste, prendre la tête des masses paysannes, établir sa dictature. Le révolutionnaire dira - et il agira on conséquence - que l'État ouvrier (c'est-à-dire la dictature du prolétariat) ne surgit pas automatiquement d'une situation objective, il est le résultat de la lutte du prolétariat conscient se battant sur un programme de classe, sous la direction d'une organisation de classe forgeant ses organes de pouvoir. Et voilà ce qu'en dit la résolution du Congrès de Réunification. Après une tirade de principe contre l'idée de l'automatisme du processus révolutionnaire, après un coup de chapeau « aux efforts subjectifs de l'avant-garde », il ajoute que :

(le fait que) « la conquête socialiste révolutionnaire de la direction du mouvement des masses soit possible dans le processus même de la révolution, et dans un temps relativement court, a été démontré adéquatement dans le cas de Cuba ».

Ainsi, l'honneur est sauf, il suffit de parer Castro du qualificatif « socialiste révolutionnaire » (ou attendre qu'il s'en pare lui-même) pour qu'aussitôt le prolétariat trouve une direction et de ce fait un rôle a posteriori dans la révolution cubaine. Et du même coup ceci permet d'attribuer l'étiquette « ouvrier » à l'État cubain, car n'est-ce pas, bien que le prolétariat n'ait nullement pris la tête du mouvement paysan, ne l'ait nullement conduit à la victoire, n'a nullement forgé ses organes de pouvoir, « les bases objectives » de la création d'un État ouvrier existaient. Mais qu'est-ce donc, sinon une forme particulièrement hypocrite de la reconnaissance de l'automatisme du processus révolutionnaire ?

Ainsi le rôle conscient du prolétariat n'est nullement nécessaire dans ce processus. On n'aura certes pas vu une construction d'État ouvrier plus économique pour le prolétariat... La doctrine d'action la plus puissante de notre époque est ainsi transformée un une doctrine de passivité.

Nous reviendrons sur la façon dont les organisations du CI conçoivent la dynamique de 1a révolution permanente dans le cas concret de la Chine. Laissons cependant de côté pour l'instant la Chine, Cuba, la Yougoslavie, etc... qui, à bien des égards, constituent des exceptions en comparaison de l'évolution de la plupart des pays sous-développés.

Comment, en l'absence d'intervention du prolétariat, ces pays arriérés ont résolu les problèmes de leurs indispensables transformations sociales et politiques ?

L'évolution ou plus exactement la stagnation des pays sous-développés atteste, en quelque sorte par la négative, l'exactitude des prémisses de la révolution permanente. Elle a montré qu'aucun de ces pays n'a réussi à vaincre son arriération. En d'autres thermes elle a prouvé qu'y n'existe point de voies bourgeoises de développement.

Certes dans un bon nombre de ces pays la bourgeoisie nationale a pris le pouvoir politiques. Elle a réussi à conquérir dans une certaine mesure l'indépendance nationale. Malgré sa faiblesse elle a pu monnayer la pression des masses contre un relatif relâchement de l'emprise des métropoles. Elle a su le faire, car une série de circonstances ont favorisé son accession au pouvoir politique. Sans les examiner en détail, notons l'influence de la deuxième guerre mondiale qui a interrompu souvent pour longtemps le contrôle direct de la métropole, l'existence des deux blocs qui a permis à cette faible bourgeoisie de jouer à l'échelle internationale une politique d'équilibre, enfin et surtout l'inexistence d'organisations prolétariennes résolument anti-impérialistes.

Cependant si de telles circonstances favorables ont permis à la bourgeoisie nationale d'accéder au pouvoir politique, si elles lui permirent de jouer un certain rôle, ce rôle n'est en rien comparable à celui des bourgeoisies occidentales d'il y a deux siècles. Même au pouvoir, aucune de ces bourgeoisie n'a su donner une réponse aux problèmes brûlants de leur pays : faire place nette pour une évolution capitaliste en détruisant de fond en comble les structures archaïques, réaliser la reforme agraire, créer un marché intérieur capitaliste, développer l'économie et permettre l'éclosion d'une démocratie bourgeoise.

La bourgeoisie nationale a tout au plus réussi, pour son propre compte, à asseoir son existence parasitaire sur une base un peu plus solide qu'au temps de la domination coloniale et, grâce à la possession de l'appareil d'État, à extorquer une portion plus importante de la plus-value nationale, dont la part du lion revient encore à l'impérialisme. En fait tous les problèmes posés par le développement combiné restent entiers. La question nationale mise à part, partiellement résolue au prix d'antagonismes nouveaux par certains de ces pays, ces sociétés sont soumises aux mêmes tensions qu'auparavant. Ils ne parviennent une stabilité précaire qu'en mettant en place des régimes bonapartistes. Ainsi la bourgeoisie nationale, le pouvoir politique à peine conquis, est obligée de l'abandonner au profit d'une bureaucratie militaro-policière.

Ces bureaucraties militaro-policières, menant une politique de balance entre l'impérialisme et les masses de leurs pays, entre les deux blocs, peuvent être amenées à cause de la faiblesse de leur bourgeoisie nationale incapable de prendre la relève économique des impérialistes, à prendre certaines mesures de nationalisations.

Cela suffit pour que certains « trotskystes » y trouvent des « tendances socialistes » ou une forme particulière de la « révolution permanente ». En fait ces régimes restent dans le cadre local, le principal obstacle à tout développement révolutionnaire, mettant en cause le mécanisme de la révolution permanente. Quant aux « tendances socialistes, passons...

Parmi les bouleversements plus ou moins importants qui ont secoué les pays sous-développés depuis la guerre, l'expérience de la Chine, de Cuba et de la Yougoslavie a quelque chose d'original qu'il convient d'étudier à part. Il n'est pas question pour nous d'aborder ici ce problème dans son ensemble et dans toute sa complexité. La « révolution cubaine » et dans une plus forte mesure la « révolution chinoise » ont cependant donné lieu et donnent encore lieu à de tels errements théoriques de la part de la quasi-totalité des organisations trotskystes, même de celles qui formellement ont rompu avec le pabliste, qu'il est nécessaire de s'y arrêter. Considérons donc plus particulièrement le cas chinois.

Il est incontestable que la dynamique des luttes sociales et nationales en Chine a été infiniment plus puissante que dans la plupart des pays sous-développés. Il en résulte que le processus de la lutte, tant en lui-même que de par ses résultats a de nombreux traits originaux.

On l'a vu, pour la grande majorité des pays arriérés, ce qu'on a appelé la « révolution coloniale » s'est limité à un marchandage où la bourgeoisie nationale a monnayé un mouvement de masse encore embryonnaire contre une certaine indépendance vis-à-vis de la métropole. Pour un nombre déjà plus faible de pays, cette même « révolution coloniale » s'est certes concrétisée par une mobilisation des masses, mais celle-ci fut limitée, canalisée et si elle permit à la bourgeoisie nationale de se hisser au pouvoir, elle n'a que peu ou pas entamé les structures anciennes.

En Chine par contre la lutte d'émancipation fut menée par la mobilisation radicale des masses paysannes. L'accès au pouvoir de la bourgeoisie nationale indienne par exemple non seulement n'a pas ouvert la voie du développent capitaliste à « l'Occidentale », mais n'a même pas touché aux entraves féodales, au système des castes, et à tout le lourd fardeau des rapports sociaux, habitudes, traditions archaïques, à la dépendance vis-à-vis de l'impérialisme et à la conséquence de tout cela : la famine.

L'armée paysanne en Chine a par contre balayé les vestiges féodaux, a transformé le visage de la campagne chinoise, a fait « place nette. La Chine a rompu avec l'impérialisme d'une manière plus complète, plus radicale qu'aucun autre pays sous-développé.

Tels sont les faits, tels sont les résultats. Quelle est la dynamique du processus qui conduit de la Chine de Tchang Kaï Chek à celle de Mao ? Ce processus est-il celui de la révolution permanente, comporte-t-il donc la même perspective ?

En Chine c'est la variante la moins vraisemblable de l'évolution - toutefois envisagée dans le Programme de Transition - qui s'est réalisée. Un parti petit-bourgeois stalinien est allé suffisamment loin dans la rupture avec la bourgeoisie, pour prendre résolument 1a tête du mouvement paysan. Le caractère aigu du problème agraire, ainsi que du problème national sous l'occupation japonaise, ont rendu l'explosion paysanne nécessaire. L'existence d'un parti indépendant de la bourgeoisie compradore, capable de prendre la tête du mouvement paysan et de l'organiser, l'a rendu possible.

Trotsky a analysé en 1932 l'armée de Mao Tsé Toung comme « paysanne par son contenu et petite-bourgeoise par sa direction ».

Devant les masses paysannes en lutte, il ne s'ouvrait point d'autres voies que celle vers le prolétariat ou celle vers la bourgeoisie. Envisageant les deux hypothèses d'évolution du mouvement paysan découlant de ces deux voies possibles Trotsky attirait à l'époque l'attention sur le fait que :

« le pont entre la paysannerie et la bourgeoisie est constitué par la moyenne bourgeoisie citadine, principalement par les intellectuels qui interviennent sous le drapeau du socialisme et même du communisme ».

(Ecrits, Tome I, p. 315).

Si, tant du fait de la politique de sa direction petite-bourgeoise (et l'étiquette stalinienne n'y change rien) que du fait de la faiblesse de la classe ouvrière souffrant encore de la défaite de 1927, le mouvement paysan n'a pas trouvé la voie vers le prolétariat, il a trouvé tout naturellement la voie vers la bourgeoisie nationale. Et c'est au nom des intérêts de la bourgeoisie nationale, se plaçant entièrement sur le terrain de celle-ci, que les armées paysannes conquerront les villes en 1948-1949.

Malgré sa faiblesse extrême la bourgeoisie embryonnaire et timorée s'est trouvée jetée à l'avant-scène de la société chinoise comme la seule classe historiquement capable de bénéficier des résultats, du mouvement paysan et de les capitaliser pour le compte de l'ensemble du pays, en l'absence du prolétariat. Nous verrons que, dans les conditions de la Chine, comme dans celles de tout pays sous-développé au XXe siècle cette « capacité historique » se réduit à zéro. Mais cela ne change rien au fait qu'en l'absence d'une direction prolétarienne le mouvement paysan ne pouvait s'orienter sur une autre voie que celle de la bourgeoisie.

Ainsi, le mouvement paysans, mu par l'antagonisme entre la paysannerie et les land-lords, profitant de circonstances exceptionnelles, telles la guerre, l'extrême pourrissement du régime de Tchang Kaï Chek, une direction radicale a réussi sinon la révolution démocratique bourgeoise, du moins une des conditions fondamentales de celle-ci : faire place nette, détruire les anciennes structures.

C'est en cela que réside le caractère original de la révolution chinoise. et aussi son caractère exceptionnel.

La capacité de ce mouvement « paysan par son contenu et petit-bourgeois par sa direction » de détruire l'archaïsme précapitaliste et de réaliser la réforme agraire est depuis son origine une source d'étonnement et aussi de divagation théorique pour la quasi-totalité des organisations trotskystes. Interprétant d'une façon mécanique la « révolution permanente », et comme une des hypothèses de celle-ci fut d'écarter la vraisemblance de la réalisation de la réforme agraire sans que le prolétariat prenne la tête du mouvement paysan, elles croient résoudre la contradiction apparente entre les hypothèses stratégiques et la réalité, en introduisant en quelque sorte le prolétariat par la petite porte, en attribuant une partie des capacités du prolétariat à Mao Tsé Toung et à son parti. Ce qui les amène en fin de compte, pour ne pas reconnaître à l'armée paysanne la capacité de réaliser la reforme agraire, à lui attribuer la capacité de construire un État ouvrier ! Belle logique en vérité !

La théorie mal digérée semble sauve, mais en effectuant cette « légère » tricherie avec la réalité concrète du déroulement de la révolution chinoise (à laquelle le prolétariat n'a pas participé directement, les faits l'attestent, et ne pouvait pas participer par procuration en faveur de Mao, le marxisme le plus élémentaire l'affirme) ces camarades remplacent la dynamique vivante et réelle de la révolution par une dynamique imaginaire qui aujourd'hui encore, contraint certains d'entre eux à soutenir les gardes rouges en train de massacrer les ouvriers chinois.

Pour expliquer le processus du déroulement de la révolution chinoise, l'on nous sert un ersatz de la révolution permanente. Selon cet ersatz, le moteur principal de ce processus aurait été l'antagonisme entre la « direction de Mao » (avant la prise du pouvoir) ou « le régime de Mao » (après la prise du pouvoir) et les capitalistes alliés aux seigneurs terriens. Comme on le voit la « direction » ou « le régime de Mao » est censé servir de substitut à la direction prolétarienne. L'OCI, dans le numéro 528 de « La Vérité », sous le titre « le caractère permanent de la révolution chinoise » (titre révélateur en soi) en vient à paraphraser le texte de Trotsky (Révolution Permanente - Thèses) pour affirmer que « le gouvernement chinois dut entreprendre des incursions de plus en plus profondes dans le domaine de la propriété privé et, pour ce faire, mobiliser contre la bourgeoisie nationale les travailleurs des villes... etc... ». Et tout ceci pour prouver quoi d'autre, sinon que sous la pression d'inflexibles nécessités la Chine de Mao s'engage sur le chemin de la révolution permanente ! On est bel et bien revenu à la théorie du processus automatique cher à Pablo, servie il est vrai avec plus de précautions.

Faut-il répéter que si, pour Trotsky, de telles nécessités inflexibles existent, elles ne peuvent trouver une réponse qu'avec l'intervention consciente du prolétariat, et c'est cette intervention seulement qui peut ouvrir la voie du déroulement de la révolution permanente, c'est-à-dire d'une révolution capable de se transformer de bourgeoise en socialiste, de nationale en internationale.

Il ne s'agit point de cela en Chine. La révolution n'y est nullement « permanente ».

Si le régime chinois est contraint de faire des incursions dans le domaine de la propriété privée, ce n'est point sous les coups de fouet des masses prolétariennes et en se plaçant sur le terrain de celles-ci, mais poussé par l'antagonisme entre les intérêts de l'État national de nature bourgeoise et l'impérialisme et dans l'intérêt même de la possibilité d'une évolution bourgeoise, qui nécessite l'existence d'un État indépendant de l'impérialisme, alors même que la bourgeoisie est trop faible pour assurer le fonctionnement de l'économie. D'autres États, tels le Mexique, l'avaient déjà fait dans le passé, en nationalisant les pétroles américains par exemple, tout on s'appuyant sur le prolétariat et les bureaucraties ouvrières. Trotsky ne parlait pas en ces occasions de « révolution permanente » mais de bonapartiste.

C'est une dynamique toute différente de celle de la révolution permanente. Elle mène la Chine sur une voie de garage. Car, bien que la révolte paysanne ait fait place nette, ait nettoyé le terrain pour une évolution bourgeoise, tard venue sur la scène historique, rachitique, la bourgeoisie chinoise n'est plus et ne sera jamais plus capable de bénéficier de l'aubaine que lui a apportée le mouvement paysan. Même la destruction du carcan de l'ancien système n'a pas rendu possible le développement vertigineux de L'Economie à l'occidentale, l'éclosion d'une démocratie bourgeoise à l'occidentale avec toutes les possibilités qu'elle laisse à l'activité et à l'organisation du prolétariat. Loin d'avoir des caractères socialiste, loin d'avoir dépassé le stade bourgeois pour s'enrager dans la voie socialiste, la révolution chinoise n'a même pas pu réaliser entièrement les objectifs de la révolution démocratique bourgeoise.

Le régime chinois n'ouvre aucune perspective. Il constitue une impasse historique au même titre que celui de Nasser. Malgré ses acquis indéniables, à l'échelle historique et dans la perspective socialiste, il n'a rien de progressif. Il n'a pas fait avancer d'un pouce la révolution prolétarienne mondiale, pis même, il place le prolétariat chinois dans des conditions plus difficiles pour intervenir sur le plan national et international et en fin de compte il renforce à l'échelle mondiale le camp des forces hostiles au prolétariat. Il a désamorcé l'explosif problème agraire qui aurait permis au prolétariat chinois de lier son combat à celui de la paysannerie, sans pour autant permettre le développement du prolétariat dans un cadre capitaliste avancé, avec la dynamique de lutte que cela implique. Le prolétariat chinois sera contraint de payer cher la défaite que lui a infligée la politique criminelle du Komintern en 1927, alors qu'il aurait pu conquérir le pouvoir à la tête du mouvement paysan. Ce même mouvement qui, dix ans plus tard, s'est rangé sous la bannière de la direction petite-bourgeoise de Mao. La « révolution culturelle » montre qu'il est déjà en train de payer un prix sanglant.

La théorie de la révolution permanente y trouve malheureusement là encore par la négative, une confirmation éclatante. En Chine pas plus qu'ailleurs, il n'y a de raccourci historique. La dictature du prolétariat seule peut résoudre complètement les tâches démocratiques bourgeoises et les garantir, en cela même qu'elle ouvre la perspective de la révolution socialiste mondiale.

 

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