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La société en crise
Sanofi : priorité aux profits
Paul Hudson, le directeur général de Sanofi, a déclenché un tollé en annonçant que si un vaccin contre le Covid-19 était mis au point, il serait prioritairement commercialisé aux États-Unis, car l’État américain a « pris un risque avant les autres pour financer les recherches. » En clair, il a versé d’avance 400 millions d’euros au groupe pharmaceutique.
Si ses origines sont en partie françaises, Sanofi est aujourd’hui une multinationale, qui répartit sa production dans 32 pays. Sur les 100 000 salariés du groupe, 25 000 travaillent en France, et 12 000 aux États-Unis. Quant aux onze usines prévues pour produire le futur vaccin, trois seulement sont en France.
Comme l’avaient déjà montré les rivalités entre les États pour acquérir masques et tests, dans la jungle capitaliste, la lutte contre la pandémie est une occasion supplémentaire de faire monter les enchères et de vendre au plus offrant. Sa taille permet à Sanofi de mettre en concurrence les États : qui paye le plus aura davantage de chances d’obtenir le futur vaccin le premier, voire de l’obtenir tout court. La petite phrase du directeur général de Sanofi est donc une façon de demander à la France et à l’Union Européenne de mettre encore une fois la main à la poche, s’ils veulent jouer dans la même cour que les États-Unis. Les capitalistes du médicament et les autres spéculent ainsi sur la vie de millions d’êtres humains. Qu’importe si la maladie fait des ravages pourvu qu’ils y trouvent leur compte.
La découverte d’un nouveau vaccin promet de rapporter gros et exacerbe d’autant plus la concurrence entre les groupes pharmaceutiques que les investissements de départ sont lourds. Raison de plus pour Sanofi et ses pairs de les faire prendre en charge par les États qui le veulent bien, et donc de renforcer leur pression sur ces derniers.
Concernant la lutte contre une pandémie mortelle, c’est évidemment scandaleux, d’autant que Sanofi a perçu en dix ans plus de 1,5 milliard d’euros de l’État français, et que 80 % de son chiffre d’affaires dans le pays vient des remboursements de l’Assurance maladie. Cela ne l’a d’ailleurs jamais empêché de supprimer des milliers d’emplois et ce avec le soutien de tous les gouvernements.
Fustiger pour autant la « trahison » de ce fleuron de l’industrie française que serait Sanofi et estimer, comme Xavier Bertrand, « impensable qu’une entreprise qui a son siège en France et qui bénéficie du crédit impôt recherche délivre un vaccin aux États-Unis avant nous », n’en relève pas moins d’un chauvinisme imbécile. Sans compter que c’est d’une tartuferie sans nom. Comme si les médicaments n’étaient pas fabriqués, comme toutes les productions industrielles, d’abord et avant tout pour être vendus.
Produire un vaccin contre le Covid-19 serait nécessaire à toute l’humanité. Le réserver prioritairement aux États qui peuvent l’acheter est criminel, quand bien même l’État prioritaire serait la France.
Et qui aura la priorité ? Aux États-Unis, les premiers vaccinés ne seront certainement pas les millions de sans-abri que la pandémie met encore davantage en danger, mais ceux qui auront les moyens de payer, cher, le vaccin. Pour les autres, il faudra attendre, sans doute longtemps, que l’État américain daigne, ou pas, s’occuper d’eux. Ce ne sera pas vraiment différent en France, même si les vaccins seront vraisemblablement davantage remboursés. Quant aux populations des pays pauvres qui, bien souvent, ne peuvent déjà pas accéder aux vaccins existants, elles devront continuer à vivre, et à mourir, avec le Covid-19.
Le lendemain de la petite phrase de Paul Hudson, le président de Sanofi, Serge Weinberg, nuançait ses propos à la télévision française et affirmait à ceux qui voulaient bien le croire, que Sanofi faisait tout pour que les vaccins soient un « bien commun accessible à la majorité de la population »… tout en écartant l’idée même de les rendre gratuits. Il ne va tout de même pas tuer la poule aux œufs d’or avant même qu’elle ne commence à pondre.