Hongrie, août 1919 : l’écrasement du pouvoir ouvrier13/08/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/08/2663.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 100 ans

Hongrie, août 1919 : l’écrasement du pouvoir ouvrier

Début août 1919, la République des conseils de Hongrie, qui avait été proclamée 133 jours plus tôt, était écrasée dans Budapest. Un an et demi après la victoire de la révolution en Russie, accueillie avec ferveur par la classe ouvrière de tous les pays, les travailleurs hongrois avaient pris le pouvoir et mis en place à leur tour leurs soviets.

Depuis 1867, la Hongrie était un royaume associé à l’Autriche, dont l’empereur était aussi roi de Hongrie. Le soutien à ce régime permettait à l’aristocratie hongroise d’opprimer les populations des provinces de Croatie, Slovaquie, Transylvanie, du Banat, et toutes les minorités nationales de l’est de l’empire austro-hongrois.

La Hongrie à la veille de la révolution

La société hongroise était caractérisée par cette mosaïque de nationalités et par des rapports sociaux encore à demi féodaux. Le pouvoir était concentré dans les mains d’une minorité de riches nobles. 5 % de la population possédaient 85 % des terres. Le servage avait été aboli, mais les grands domaines étaient cultivés par des « travailleurs domaniaux », dont la condition n’en différait que très peu. Les trois quarts des paysans étaient des paysans très pauvres – soit 2,5 à 4 millions de personnes. Une minorité possédaient de petits lots de terre, mais ne pouvant en vivre, ils devaient se louer ailleurs.

Une industrie moderne était apparue à partir des années 1880, soutenue par les investissements de capitalistes étrangers, autrichiens, allemands, français, anglais et américains. La bourgeoisie hongroise, peu développée, restait sous la coupe de l’aristocratie foncière. A Budapest et dans ses environs, une industrie à grande échelle s’était développée. En 1910, plus de 50 % de l’industrie se concentrait dans cette zone et 51,3 % des ouvriers de Budapest travaillaient dans des usines de plus de 100 salariés. Depuis les années 1890, cette classe ouvrière s’organisait au sein de syndicats – 30 % des ouvriers de la capitale étaient syndiqués – et du Parti social-démocrate. Ce parti s’implantait aussi dans les campagnes, contribuant à éveiller les consciences de nombreux petits paysans et ouvriers agricoles. Le réformisme gangrenait cependant le parti hongrois, comme toute la IIe Internationale et, lors du déclenchement de la guerre, ses dirigeants applaudirent à la guerre impérialiste.

La victoire de la révolution russe encouragea partout en Europe les classes populaires à s’insurger contre la guerre et la misère. En Hongrie, le 18 janvier 1918, une grève générale paralysa Budapest, suivie de manifestations de masse auxquelles de nombreux soldats participèrent.

La montée révolutionnaire dans le sillage de la révolution russe

À l’automne 1918, avec l’effondrement du front bulgare, la vague de désertions s’amplifia jusqu’à submerger le pays. Des soulèvements et des mutineries éclatèrent dans l’armée et la marine. Quand il devint évident que les puissances centrales avaient perdu la guerre, ces mutineries se généralisèrent. Fin octobre, l’insurrection gagna les usines à Budapest, puis tout le pays. Des conseils d’ouvriers et d’ouvriers agricoles se formaient partout sur le modèle russe, exerçant de fait le pouvoir, appuyés par les soldats démobilisés qui avaient conservé leurs armes et formé leurs propres conseils.

La république fut proclamée le 16 novembre 1918. Le gouvernement qui se mit en place, sous la pression révolutionnaire, était dirigé par le comte Karolyi, chef de file de l’opposition libérale et partisan de l’indépendance de la Hongrie. Mais Karolyi se retrouvait pris en tenaille entre l’insurrection et les exigences des puissances victorieuses. Celles-ci, États-Unis, Grande-Bretagne et France, voulaient amputer la Hongrie des deux tiers de son territoire. Le 20 mars 1919, refusant cette dernière exigence, Karolyi démissionna et fit appel à ces mêmes communistes hongrois qu’il avait fait emprisonner. Dans un appel daté du 28 mars, l’Internationale communiste, créée depuis peu, constatait : « Redoutant la colère populaire, la bourgeoisie hongroise n’a pu se résoudre à s’incliner devant l’ultimatum des impérialistes. Elle a dû, serrant les dents de dépit, céder le pouvoir aux ouvriers. »

Le jour même, les dirigeants du Parti social-démocrate qui avaient approuvé la boucherie impérialiste, tenté à maintes reprises de s’opposer aux grèves ouvrières, soutenu les gouvernements, participé à celui de Karolyi, proposèrent au jeune Parti communiste l’unification des partis ouvriers dans un Parti socialiste unifié.

Inexpérimenté, peu nombreux, le Parti communiste de Hongrie (PCH), était né depuis quatre mois. Il regroupait la minorité la plus radicale de la classe ouvrière, des militants gagnés aux idées bolcheviques lorsqu’ils étaient prisonniers de guerre en Russie, comme leur dirigeant, Béla Kun. Le PCH accepta la proposition de fusion des dirigeants socialistes sur la base du programme. C’était sous-estimer l’influence et le pouvoir de nuisance des réformistes, tout en croyant, et faisant croire, qu’ils pourraient se sentir engagés par l’acceptation de formulations, même radicales.

Les 133 jours du pouvoir ouvrier

Le 21 mars 1919, la République des conseils était proclamée. Comme dans les soviets russes, le pouvoir y appartenait à des élus de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre, contrôlés par la base et révocables par elle à tout moment. L’âge du vote y était abaissé de 24 à 18 ans, les femmes appelées à voter pour la première fois. La police et la gendarmerie furent remplacées par la garde rouge et l’État devenait laïque. L’école devenait gratuite et l’enseignement religieux fut supprimé. Les droits des minorités nationales étaient reconnus. Les propriétaires des grands domaines fonciers étaient expropriés, ainsi que de nombreux industriels. La socialisation des moyens de production se mit en place avec l’aide des syndicats et des conseils ouvriers. L’obligation du travail fut étendue à la bourgeoisie.

Les dirigeants communistes manquaient cependant d’expérience et leurs erreurs allaient fragiliser le pouvoir ouvrier. Ainsi, si la paysannerie soutenait l’expropriation de grands domaines, elle refusait leur transformation en de grandes exploitations collectives que le parti voulait à tout prix mettre en place. Cela ne répondait pas aux attentes de millions de paysans : avoir enfin la terre. La fusion au sein du Parti socialiste unifié se révéla être un piège. Dès le début, les dirigeants réformistes mirent tout en œuvre afin de saboter le pouvoir de l’intérieur, pour finir par s’entendre avec les forces de la contre-révolution.

Comme ils le firent contre le pouvoir soviétique en Russie, les dirigeants des pays impérialistes lancèrent contre les conseils hongrois les armées qu’ils pouvaient mobiliser. Les travailleurs et les militants communistes hongrois durent dès le début défendre leur République des conseils les armes à la main. Mais les armées des puissances impérialistes, menées par le général Franchet d’Espèrey et pilotées par l’état-major français, finirent par écraser celle-ci dans le sang. Les 3 et 4 août, elles entraient dans Budapest, marquant le début de la période de la terreur blanche qui allait ouvrir la voie à la dictature féroce de l’amiral Horthy.

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