Attentat contre une association kurde : une folie bien encouragée28/12/20222022Journal/medias/journalarticle/images/2022/12/P3-1_Manifestation_Place_de_la_Republique_le_24_decembre_2_C_Serge_dIgnazio.jpg.420x236_q85_box-0%2C42%2C800%2C491_crop_detail.jpg

Leur société

Attentat contre une association kurde : une folie bien encouragée

À Paris, le 23 décembre, trois militants kurdes ont été assassinés et trois autres personnes blessées. L’auteur de la tuerie, qui venait une dizaine de jours plus tôt d’être libéré d’une détention provisoire, n’en était pas à son coup d’essai.

Illustration - une folie bien encouragée

Il avait en particulier, le 8 décembre 2021, attaqué au sabre un campement de migrants du parc de Bercy, dans le 12e arrondissement parisien, blessant deux ­réfugiés. À la suite de cette agression, la police avait ­arrêté quatre des victimes, qui avaient été gardées à vue pour « violence en bande organisée », avant d’être libérées, l’un des réfugiés néanmoins nanti d’une OQTF.

Cette fois, ce sont trois militants du mouvement nationaliste kurde qui ont été tués, dont une responsable politique et un chanteur réfugié, auparavant emprisonné en Turquie pour ses chansons en langue kurde et son opposition au régime. Deux des victimes ont été atteintes dans les locaux du centre culturel kurde de la rue d’Enghien, l’autre dans le restaurant situé en face.

Après avoir été stoppé dans un salon de coiffure proche, l’assassin présumé, selon la formule, a été arrêté et, avant d’être mis en garde à vue le 25 décembre, confié à l’infirmerie psychiatrique de la préfecture de police. Il se serait en effet déclaré « pathologiquement raciste » et en voudrait aux migrants, qu’il rendrait tous responsables d’un cambriolage commis chez lui.

Arrivé sur les lieux de l’attentat, le ministre de l’Intérieur a finement analysé que le tueur « a voulu manifestement s’en prendre à des étrangers ». Il était difficile de le nier. Darmanin a jugé bon, pour appuyer l’hypothèse de l’acte d’un dément isolé, de préciser que celui-ci « n’était pas fiché comme étant quelqu’un d’ultra-droite ou extrémiste qui participerait à des organisations illicites ». Macron, s’il n’a pu qu’admettre que la cible de l’attaque était des Kurdes, n’a pas manqué l’occasion de rendre hommage « à [ses] forces de l’ordre pour leur courage et leur sang-froid ». Sans surprise, l’extrême droite, de Ciotti à Zemmour, en passant par Le Pen, y a vu « une démonstration du laxisme judiciaire » et même un « ensauvagement généralisé ».

Quoi qu’ils en disent, même s’ils n’en sont pas à approuver ouvertement le geste du tueur, c’est précisément ce climat malsain généré par la propagande raciste de l’extrême droite, et surtout par la politique anti-migrants du gouvernement, qui entretient un terrain favorable à ce genre de passage à l’acte.

Mais l’explication des faits comme le geste d’un psychopathe raciste, mais isolé, a du mal à convaincre, et ne convainc pas les associations kurdes en particulier. Les étrangers que son délire le poussait à cibler par hasard se sont trouvés être précisément ceux du centre culturel kurde. Les victimes étaient connues pour leur militantisme au sein du Parti des travailleurs kurdes, le PKK, violemment combattu en Turquie et ailleurs par le président turc Erdogan. L’assassin est intervenu juste à l’heure où devait se tenir, dans les locaux du centre, une réunion préparatoire à la commémoration de l’assassinat, dix ans plus tôt, de trois autres militantes nationalistes kurdes, dans un autre centre du même quartier.

Selon L’Humanité, cet assassin, opportunément sorti de prison, aurait même été déposé par une voiture, après un périple à Saint-Denis, juste devant le centre de la rue d’Enghien, où il a tué précisément des militants. Trop de coïncidences effaçant le hasard, on ne peut que citer un porte-parole du Conseil démocratique kurde de France (CDKF) : « Que personne n’essaie de nous faire croire qu’il s’agit d’un simple attentat orchestré par l’extrême droite. […] Le fait que nos associations soient prises pour cible relève d’un caractère terroriste et politique. »

Et en effet, si l’assassin est sans doute un psychopathe, ce ne serait pas la première fois qu’un tel personnage aurait pu être manipulé, en l’occurrence par les services d’Erdogan.

Ceux-ci se sont d’ailleurs manifestés de leur côté puisque, à Ankara, l’ambassadeur de France a été convoqué le 26 décembre pour se voir signifier le mécontentement du pouvoir turc face à ce qu’il considère comme de la propagande anti-Turquie lancée « par les cercles du PKK ». Cela sonne comme un avertissement aux autorités françaises pour qu’elles ne poussent pas trop loin les investigations sur les motivations ou les éventuels incitateurs du tueur, sachant qu’elles ne se feront pas trop prier pour classer l’affaire comme l’acte d’un fou.

Les associations kurdes s’étonnent en tout cas, et on les comprend, que cet attentat n’ait pas été qualifié d’entreprise terroriste, comme il l’aurait été à coup sûr s’il était venu d’un musulman. Et l’émotion n’est pas près de retomber, comme l’ont montré, les 24 et 26 décembre à Paris et dans d’autres villes, des centaines de manifestants. Ils voulaient protester contre cette nouvelle attaque et contre l’impunité dont bénéficient les responsables des meurtres de janvier 2013, dont le dossier reste classé secret défense. La police était bien sûr présente avec ses matraques.

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