Dans le monde

Italie : Meloni, la nouvelle tête de la réaction

C’est la chute du gouvernement Draghi qui a conduit à l’organisation d’élections sénatoriales et législatives en Italie le 25 septembre. Avec plus de 40 % des voix, la coalition dite de centre droit, en réalité marquée par l’extrême droite, remporte la victoire.

Le parti Fratelli d’Italia, héritier du parti fasciste MSI, sort largement en tête et sa dirigeante, Giorgia Meloni, est la mieux placée pour prendre la tête du futur gouvernement.

Ces quatre dernières années, Fratelli d’Italia (Frères d’Italie), s’est soigneusement tenu à l’écart de toutes les combinaisons qui se sont succédé au pouvoir, y compris l’unité nationale derrière Draghi. Le parti a bénéficié de cette politique d’opposition constante, qui lui a valu de mordre sur l’électorat de La Ligue de Salvini, et de passer de 4 % des voix en 2018 à 26 % aujourd’hui. À l’inverse, son principal concurrent sur le terrain nationaliste et xénophobe, la Ligue de Salvini, paie le prix de ses participations gouvernementales. Le troisième visage de cette coalition est celui de l’inamovible Berlusconi, dont le parti, Forza Italia, soutenait le dernier gouvernement Draghi. Ayant survécu à la chirurgie esthétique et à tous les scandales financiers, politiques et sexuels qui ont ponctué son parcours, le milliardaire de 85 ans vise la présidence du Sénat, dont il avait été exclu, il y a neuf ans, pour fraude électorale. Sa caution était nécessaire à Meloni, non seulement sur le plan politique vis-à-vis de l’Europe, mais parce que c’est le fait de constituer une coalition qui permet aux trois partis de droite et d’extrême droite de bénéficier d’une prime majoritaire et, avec 43 % des voix, d’avoir la majorité absolue au Parlement.

Si, alors qu’elle était toute jeune conseillère régionale à Rome, Meloni confiait sans fard son admiration pour Mussolini aux journalistes qui l’interrogeaient, elle a modifié son discours en même temps qu’elle fondait son parti, Fratelli d’Italia. Il s’agissait pour elle de garder la fraction de son appareil, de ses élus et de son électorat qui est nostalgique du fascisme, tout en donnant des gages de respectabilité à la classe politique, et surtout à la bourgeoisie italienne. Elle a donc fait profession de fidélité à la démocratie et à ses institutions, sans jamais condamner directement le fascisme, mais plutôt les « totalitarismes » à savoir « le nazisme et le communisme ». Une pirouette d’autant plus facile qu’elle correspond à la présentation actuelle de cette période de l’histoire, mettant allègrement dans le même sac des « extrémismes », les fascistes et leurs opposants communistes.

Tout en multipliant les propos réactionnaires sur le terrain de la xénophobie, « les migrants servent à transporter de la drogue », ou des droits des femmes, « nous donnerons aux femmes le droit de ne pas avorter », Meloni a su rassurer ceux qui comptent vraiment. Le 4 septembre, au Forum Ambrosetti, qui regroupe le gratin du patronat italien, des ministres, des journalistes et autres économistes du monde entier, Meloni est venue montrer patte blanche. Elle a assuré qu’il n’était question ni de quitter la zone euro, ni de tourner le dos à l’Union européenne et aux milliards du plan de relance et d’investissement que son prédécesseur Mario Draghi, a su obtenir pour le patronat italien.

Le plus difficile pour elle sera maintenant de composer son futur gouvernement en conciliant les intérêts de son propre parti, les appétits des alliés dont elle ne peut se passer pour avoir une majorité et les exigences de la bourgeoisie. S’il paraît facile de satisfaire aux exigences de sa caution pro-européenne Berlusconi, Salvini obtiendra-t-il le ministère de l’Intérieur ? Et qui aura celui de l’Économie ?

La victoire électorale traduit sans doute en partie le basculement de l’électorat populaire, y compris d’une fraction ouvrière de celui-ci, vers le vote pour Fratelli d’Italia. Mais une forte abstention a également marqué le scrutin. Seuls 64 % des électeurs se sont déplacés, 10 % de moins qu’en 2018, et dans certaines régions parmi les plus pauvres, comme la Campanie, le niveau d’abstention frôle même les 50 %. Dans d’autres régions par contre, au nord ou au centre du pays, Fratelli d’Italia a enregistré des résultats en forte progression. Ces régions étaient certes des « régions rouges », au temps lointain où le Parti communiste ne s’était pas sabordé, mais le centre gauche y avait déjà perdu toute une partie de son électorat, au profit de La Ligue de Salvini d’abord, de Fratelli d’Italia maintenant.

Un autre parti avait également mordu sur l’électorat de gauche, y compris dans la classe ouvrière : le Mouvement 5 étoiles (M5S), créé par l’ancien comique Beppe Grillo, qui se voulait « antiparti » et « antisystème » et promettait de redonner le pouvoir aux citoyens. Il a fini par devenir un parti de gouvernement comme les autres, l’un des piliers des gouvernements de coalition de ces cinq dernières années et l’a payé en passant de 33 % des voix en 2018 à 15,5 % aujourd’hui. Il a limité la casse grâce à de bons résultats dans le sud du pays. Dans ces régions les plus pauvres et les plus touchées par le chômage, il a fait campagne pour le maintien du revenu de citoyenneté (équivalent du RSA) et la création d’infrastructures, et s’est même déclaré « progressiste ».

Avec l’abstention, les succès de ces différents partis se proclamant antisystème reflètent le dégoût et la désorientation politique des travailleurs et des classes populaires. La politique des partis dits de gauche, à commencer par le plus important d’entre eux, le Parti démocrate (PD), en est largement responsable. Chaque fois qu’il a gouverné, une nouvelle attaque contre les travailleurs est passée. Durant cette campagne éclair de deux mois, le seul argument de campagne du PD a d’ailleurs été de s’ériger en rempart contre le danger fasciste tout en soutenant le bilan du gouvernement Draghi auquel il participait.

Considéré comme le maillon faible de l’économie européenne, l’Italie voit le poids de la dette de l’État s’alourdir. Pour continuer à financer sa bourgeoisie et ne pas s’attirer les foudres des institutions financières mondiales, le gouvernement de Meloni, quelle que soit l’issue des marchandages politiciens actuels, mènera la même politique d’attaque contre les travailleurs que ses prédécesseurs, en y ajoutant sa couche de crasse xénophobe et réactionnaire.

Partager