18 mars 1871, le prolétariat parisien au pouvoir17/03/20212021Journal/medias/journalnumero/images/2021/03/2746.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Il y a 150 ans, la commune

18 mars 1871, le prolétariat parisien au pouvoir

Il y a 150 ans, le 18 mars 1871, commençait la Commune de Paris. Pendant deux mois et demi, les travailleurs allaient, pour la première fois dans l’histoire, exercer eux-mêmes le pouvoir à l’échelle d’une ville de deux millions d’habitants. Noyée dans le sang au bout de ces quelques semaines, la Commune allait rester comme la première expérience et comme l’exemple de ce que pourra être le pouvoir de la classe ouvrière.

Depuis 1851, la république massacreuse des ouvriers en juin 1848 avait laissé place au second Empire de Napoléon III. Ce régime policier avait permis un enrichissement éhonté et crapuleux des classes possédantes contrastant avec la misère des classes populaires.

Face à l’ébullition ouvrière qui se manifestait à la fin des années 1860, Napoléon III crut conjurer le péril intérieur en déclenchant la guerre contre la Prusse le 19 juillet 1870.

La guerre ne fit que précipiter la chute de Napoléon III : fait prisonnier, il capitulait à Sedan le 2 septembre. Deux jours plus tard, le 4 septembre, l’Empire s’effondrait et les ouvriers, à Paris comme dans d’autres villes, imposaient la proclamation de la république. En pleine guerre, alors que l’armée prussienne arrivait aux portes de Paris, l’affrontement de classe revenait au premier rang.

Les ouvriers étaient la force agissante mais, comme en février 1848, des politiciens sans vergogne, monarchistes ou républicains, Favre ou Ferry, se hâtèrent de s’emparer du pouvoir politique pour sauver la bourgeoisie. Ils proclamèrent un Gouvernement de défense nationale, avec à sa tête le général Trochu. En réalité, leur priorité était de faire face au danger représenté par la classe ouvrière et ses aspirations révolutionnaires, nourries des expériences de 1830 et de 1848.

Loin d’accepter l’union nationale et de s’en remettre à un gouvernement bourgeois dont ces deux expériences avaient montré qu’il n’y avait à en attendre que de la mitraille, les prolétaires parisiens s’armèrent massivement et s’organisèrent, en particulier au travers de la Garde nationale. Cette milice, de composition habituellement bourgeoise, vit ses effectifs passer entre août et septembre de 24 000 à 300 000 combattants, essentiellement issus des quartiers populaires. Hormis le général en chef, nommé par le gouvernement, les officiers et sous-officiers étaient élus par les gardes nationaux. C’est ainsi que beaucoup de révolutionnaires tels que Gustave Flourens, Adolphe Assi et Eugène Varlin s’y firent élire.

Craignant avant tout cette classe ouvrière en armes, le Gouvernement provisoire sabota dans les faits la défense de Paris assiégé par les Prussiens. Face à la menace croissante de masses mobilisées et déterminées qui se manifestait également dans les villes de province, il voulait avant tout sauver son pouvoir et celui de la bourgeoisie. Les six mois séparant le 4 septembre du 18 mars virent le fossé s’agrandir entre le gouvernement et le prolétariat parisien. Dès le 31 octobre 1870, à l’annonce d’un possible armistice, une foule importante criait « À bas Trochu » et des gardes nationaux séquestrèrent temporairement le gouvernement, certains réclamant un gouvernement Flourens-Blanqui.

En janvier 1871, selon Lissagaray, révolutionnaire témoin et auteur d’une histoire de la Commune, « les faubourgs (les quartiers ouvriers) n’appelaient plus les hommes de la Défense que la bande à Judas ». Le 22 janvier, le gouvernement réprimait la foule, venue manifester à l’Hôtel de Ville face aux annonces de capitulation. Celle-ci fut effective le 28, décuplant la rage des prolétaires parisiens. Pour eux, il était clair que le gouvernement cherchait à se débarrasser du danger qu’ils représentaient, en les livrant tout simplement à l’armée prussienne.

Fin février, de puissants cortèges de bataillons de la Garde nationale et de soldats, tambours et drapeaux en tête, défilèrent vers la Bastille. Les troupes envoyées pour arrêter les manifestants fraternisèrent avec eux. Un comité central de la Garde nationale fut mis sur pied. Composé de délégués, élus sans distinction de grade et révocables à tout moment, il joua un rôle majeur à l’approche du 18 mars.

À l’annonce de l’entrée des Prussiens dans Paris, il fit déplacer les canons et mitrailleuses dans les quartiers populaires, à Montmartre, Belleville, La Villette. Ces canons avaient été financés par souscription populaire et étaient propriété de la Garde nationale.

Le séjour des Prussiens du 1er au 3 mars dans une ville déserte et hostile, et dont les quartiers populaires étaient protégés par des barricades, n’entama en rien les forces ouvrières. L’armée prussienne, même victorieuse, ne pouvait régler le problème politique qui se posait à la bourgeoisie française. Thiers, un ancien ministre de Louis-Philippe, désigné chef de l’exécutif par la nouvelle Assemblée nationale réactionnaire, élue le 8 février, siégeant à Bordeaux, prépara donc l’épreuve de force.

Multipliant les provocations, Thiers ôta à Paris le statut de capitale pour établir l’Assemblée nationale à Versailles, la ville royale. Il priva de solde les gardes nationaux, contraints à demander l’aumône gouvernementale. Il décréta que les échéances commerciales, dont le paiement était suspendu depuis l’entrée en guerre, seraient désormais exigibles. De la même façon, il rendit exigibles les loyers en retard. Trois cent mille ouvriers, petits commerçants et fabricants étaient ainsi jetés à la merci du propriétaire ou contraints à la faillite. Cependant toutes ces mesures n’aboutirent qu’à souder un peu plus la petite bourgeoisie au prolétariat parisien.

Thiers interdit six journaux républicains, fit condamner à mort par contumace Flourens et Blanqui et menaça d’arrêter le comité central de la Garde nationale. Il n’avait cependant aucun pouvoir réel. Ses 8 000 soldats ramenés de la Loire et du Nord, erraient dans les rues, mal nourris, ravitaillés en soupe et couvertures par des Parisiennes. Cela n’empêcha pas Thiers, indifférent aux avertissements et méprisant les combattants ouvriers, d’ordonner pour le 18 mars la reprise des 150 canons de la garde nationale.

Le 18 mars, à trois heures du matin, 15 000 soldats furent donc envoyés dans les quartiers ouvriers de Paris. 4 000 d’entre eux montèrent sur la butte Montmartre. À cinq heures du matin, ils commencèrent à évacuer les canons, mais les attelages pour les traîner tardaient à arriver, alors que la population du quartier se réveillait. Lissagaray décrit : « Celles (les femmes) du 18 mars n’attendent pas leurs hommes. Elles entourent les mitrailleuses, interpellent les chefs de pièce. “C’est indigne ! Qu’est-ce que tu fais là ?” » Le général Lecomte ayant donné l’ordre de tirer sur la foule, ses hommes mirent crosse en l’air. Dans l’après-midi, il fut exécuté par ses propres soldats, ainsi qu’un autre général, Clément Thomas.

Partout, la scène se répéta : aux Buttes-Chaumont, à Belleville, au Luxembourg. Dans l’après-midi, les insurgés prirent possession sans résistance des lieux de pouvoir : casernes, Hôtel de Ville, préfecture de police, Imprimerie nationale, ministères et la plupart des mairies. Du côté de la bourgeoisie, ce fut la panique. Thiers, qui avait déjà fait placarder des affiches annonçant le succès de son coup de force, se sauva par un escalier dérobé, et Jules Ferry par la fenêtre. Dans la nuit, les derniers régiments s’enfuirent par les portes du sud de la capitale vers Versailles.

Paris était désormais aux mains des insurgés. Le drapeau rouge flottait sur l’Hôtel de Ville. Le Journal officiel annonça : « Les prolétaires de la capitale, au milieu des défaillances et des trahisons des classes gouvernantes, ont compris que l’heure était arrivée pour eux de sauver la situation en prenant en main la direction des affaires publiques. » La première expérience de pouvoir ouvrier, la Commune de Paris, commençait.

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