Dans le monde

Russie : crise et appauvrissement brutal

Les autorités de grandes villes russes ont dit qu’elles risquaient de manquer de pain pour le Nouvel An, tant la demande explose. De nombreux consommateurs compensent ainsi les fruits et légumes, le sucre et la viande dont ils doivent se passer, les prix de ces denrées ayant parfois doublé, triplé, voire plus, en quelques mois. Cela sur fond de chute brutale des revenus.

Les autorités russes chiffrent à 4 % la baisse du pouvoir d’achat sur un an. En réalité, c’est bien plus, alors que 30 % des Russes, selon les sondages, disent se retrouver dans la pauvreté.

Poutine a voulu paraître s’en indigner lors d’un talk-show télévisé récent. Il en a rejeté la responsabilité sur les maires et gouverneurs, qui sont les fusibles préposés à cet effet. Il leur a ordonné de sauvegarder le pouvoir d’achat de la population, en plafonnant les prix de certaines denrées. La conséquence en est, par exemple, que le sucre à prix régulé a disparu des magasins, où l’on ne trouve plus que du sucre de canne ou de qualité supérieure, à un coût bien supérieur car non réglementé. Cela rappelle les « defitsits », ces introuvables produits de base que l’on présentait comme une spécificité du régime soviétique.

À la télévision, Poutine n’a rien dit d’un autre effet de la crise : la dépréciation accélérée du rouble, qui renchérit les produits importés, sans que les salaires suivent.

La crise mondiale frappe de façon visible la Russie : baisse continue de la production industrielle, recul des exportations de pétrole et de gaz naturel… En quelques mois, des millions de travailleurs de l’industrie et des services se sont retrouvés au chômage partiel avec de dérisoires compensations salariales. Beaucoup d’autres ont carrément perdu leur travail. Et la perte des revenus qui allaient avec a fait glisser dans la pauvreté des pans entiers de la classe ouvrière, ainsi que de la petite bourgeoisie : petit commerce, professions indépendantes, etc.

C’est dans ce cadre que se multiplient des grèves pour des hausses de salaires, ou pour le simple paiement des salaires, comme cela avait été le cas dans les années 1990, après l’effondrement de l’URSS.

Sur dix jours de décembre, pour ne citer que de grandes villes et de grosses sociétés, cela a provoqué la grève des ouvriers d’une usine automobile à Novokouznetsk (6 millions de roubles d’arriérés de salaires), d’un combinat de papier carton sur l’Oussouri (quatre mois de salaires impayés, la justice ayant, chose rare, ouvert une enquête criminelle contre l’employeur), des employés des transports en commun de Rybinsk, celle des ouvriers d’un site d’extraction pétrolière de Rosneft, des soignants de Vladimir, du Samu de diverses villes…

Pour faire oublier l’aggravation de la situation sociale, le pouvoir russe se gargarise d’avoir été le premier en Europe à lancer, le 4 décembre, une campagne vaccinale avec son propre vaccin, le Spoutnik V.

Outre que l’efficacité de ce dernier – refusé même par l’allié et obligé biélorusse Loukachenko – suscite toujours des interrogations, la population sait qu’elle a été laissée sans aides face au virus, ballotée entre les ordres et les contre-ordres des employeurs et des autorités durant des mois. L’épidémie continue de flamber, au point que les hôpitaux, saturés en province mais aussi dans la région la plus riche, à Moscou avec ses 12 millions d’habitants, ne peuvent souvent plus accueillir de malades. Des ambulanciers, des soignants le dénoncent… et parfois sont eux aussi en lutte pour leurs emplois et leurs salaires.

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