Décembre 1920 : la naissance du Parti communiste29/12/20202020Journal/medias/journalnumero/images/2021/01/2735.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a cent ans

Décembre 1920 : la naissance du Parti communiste

Fin décembre 1920 à Tours, le congrès du Parti socialiste décidait par 3 028 mandats contre 1 022 l’adhésion à la IIIe Internationale créée en mars 1919 à l’initiative des bolcheviks. La majorité formait alors la Section française de l’internationale communiste (SFIC), qui prit peu de temps après le nom de Parti communiste, tandis que la minorité scissionnait et continuait l’ancienne SFIO.

L’Internationale communiste et sa section française étaient nées de la vague révolutionnaire commencée dans les tranchées et les usines de l’Europe en guerre, concrétisée en octobre 1917 par la victoire des ouvriers en Russie et prolongée par une série de révolutions prolétariennes embrasant l’Europe. Pour les révolutionnaires russes, ses initiateurs, elle devait être le parti mondial de la révolution. Mais, même en période de révolution, la constitution d’un parti révolutionnaire n’est pas chose facile, notamment parce que, en France comme ailleurs, la voie était obstruée par les appareils des vieilles organisations faillies, la SFIO et la CGT.

Lors de la déclaration de guerre en août 1914, comme la plupart des représentants de la Deuxième Internationale, les dirigeants du Parti socialiste SFIO et ceux de la CGT avaient sombré dans le patriotisme et l’Union sacrée, reniant tous les engagements pris lors des congrès internationaux.

Fernand Loriot et Louise Saumoneau avaient incarné le courant internationaliste dans le Parti socialiste au déclenchement de la guerre. Mais l’âme en fut le noyau de militants syndicalistes révolutionnaires de la CGT regroupés autour de Pierre Monatte et Alfred Rosmer, qui éditaient La Vie ouvrière.

Ces militants ouvriers furent les propagandistes des conférences de Zimmerwald et de Kienthal, qui avaient réuni en Suisse des opposants à la guerre. Ils mirent sur pied, avec l’aide de Trotsky alors exilé en France, le Comité pour la reprise des relations internationales (CRRI).

Au sein de la SFIO, sentant monter l’opposition à la guerre, certains sociaux-chauvins comme Longuet firent mine de réclamer la paix tout en continuant de voter les crédits de guerre. Fin 1916, au congrès de la SFlO, trois courants étaient représentés : les zimmerwaldiens avec Loriot étaient très minoritaires. Quatre ans plus tard, lors du congrès de Tours, le rapport de force était totalement inversé.

En France comme ailleurs, l’année 1917 vit éclater les mutineries sur le front et de nombreuses grèves à l’arrière. La fin de la guerre ne mit pas fin à l’agitation, bien au contraire. La montée révolutionnaire en Europe toucha la France. La CGT voyait ses effectifs atteindre 1,2 million d’adhérents, quatre fois plus qu’en 1913. Des soldats révoltés par la guerre adhéraient en masse à la SFIO, parti traditionnel de la classe ouvrière et le seul dans lequel une opposition à la guerre et à ses conséquences se manifestait. Des groupes enthousiastes de grévistes et de militants des organisations ouvrières se formaient dans tout le pays.

Dans ces circonstances, Trotsky et la nouvelle Internationale pressaient les révolutionnaires de constituer immédiatement un parti communiste. Il s’agissait, écrivait celui-ci en novembre 1919, « de construire une organisation pratiquement toute neuve en assurant simultanément la direction du mouvement de grève », de « faire preuve d’indépendance devant les masses ». Il ajoutait que défendre l’unité du Parti socialiste équivalait à trahir la révolution. Trotsky militait pour que le noyau syndicaliste révolutionnaire formé autour de Monatte et Rosmer, renforcé par les quelques révolutionnaires authentiques venus des rangs de la SFIO, se constitue en parti, afin en particulier d’attirer à lui les militants ouvriers à l’avant-garde des grèves.

Les années 1919 et 1920 virent en effet exploser une vague de grèves d’une ampleur alors inconnue. La direction réformiste de la CGT réussit à manœuvrer et à saboter le mouvement gréviste, en particulier la grande grève des cheminots de 1920 à l’issue de laquelle 18 000 d’entre eux furent révoqués. Le gouvernement fit emprisonner Monatte, Loriot et Souvarine pendant neuf mois. Le comité de la IIIe Internationale (C3I), successeur en 1919 du CRRI, n’en continuait pas moins à s’élargir, comptant déjà 10 000 membres en octobre 1919 et obtenant 43 % des voix au congrès de la SFIO à Strasbourg en février 1920. Mais il ne se distinguait toujours pas clairement ni de la vieille SFIO ni de la direction confédérale de la CGT. L’attachement au maintien de l’unité favorisait toutes les manœuvres des bureaucrates. En effet, devant la poussée à gauche, une grande partie de l’appareil de la SFIO n’écartait pas la possibilité d’une adhésion à la IIIe Internationale afin de conserver sa mainmise sur le parti. Mais pour cette fraction, il s’agissait tout au plus de changer d’enseigne en conservant le même appareil.

Ainsi Marcel Cachin avait été, durant toute la guerre, un social-patriote acharné, mais il choisit par calcul, avec Louis-Oscar Frossard, de se ranger dans le camp des révolutionnaires lorsque le congrès extraordinaire fut organisé à Tours. Ils endossèrent la motion d’adhésion à l’IC rédigée par Souvarine et ­Loriot depuis leur prison. Longuet lui-même louvoyait, présentant une « motion d’adhésion avec réserves » au vote des militants.

À l’issue du congrès, le jeune Parti communiste rassemblait 110 000 des 170 000 adhérents, donc la majorité, de l’ancienne SFIO. Mais il restait du chemin à faire pour qu’il devienne un véritable parti révolutionnaire. À côté des éléments réellement révolutionnaires, il pouvait offrir un cadre pour le recyclage d’éléments du vieux Parti socialiste compromis dans l’Union sacrée et les manœuvres politiciennes. Un certain nombre de syndicalistes révolutionnaires, Rosmer au premier chef, entrèrent malgré tout au PC pour travailler à le transformer. Trotsky eut bien des difficultés à convaincre ­Monatte de prendre place à sa direction en 1923, après que le parti eut exclu ses carriéristes les plus voyants. Cette direction révolutionnaire de 1923, avec Rosmer, ­Monatte et Souvarine, fut de courte durée : dès l’année suivante, avec le reflux de la vague révolutionnaire, la réaction stalinienne se renforçait en URSS et transformait l’Internationale Communiste en outil servile de la bureaucratie soviétique. Les cadres révolutionnaires en furent chassés en France comme ailleurs et les staliniens en herbe surent parfaitement s’appuyer sur les vieux réformistes usés par les compromissions. En tant que parti révolutionnaire du prolétariat le Parti communiste devait ainsi mourir avant d’avoir vraiment vécu.

Cent ans après il reste le programme, le drapeau, les leçons de la vague révolutionnaire et de la naissance de l’État ouvrier russe, les conseils de l’Internationale sur « la nécessaire indépendance devant les masses » même pour un groupe minoritaire. Ce patrimoine politique, seuls des militants trotskystes ont pu le conserver et pourront le transmettre pour construire les partis communistes et l’internationale, aujourd’hui plus que jamais nécessaires.

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