Iran, février 1979 : la chute de la dictature du chah13/02/20192019Journal/medias/journalnumero/images/2019/02/2637.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 40 ans

Iran, février 1979 : la chute de la dictature du chah

Le 11 février 1979 en Iran, la dictature du chah Mohammed Reza Pahlavi s’effondrait après des mois de soulèvement populaire. Ce pouvoir soutenu par l’impérialisme américain depuis des décennies apparaissait pourtant comme un des plus solides piliers de l’ordre impérialiste dans la région du Moyen-Orient.

Le chah était arrivé au pouvoir en 1941, poussé par les dirigeants britanniques et américains. Un moment écarté par le Premier ministre Mossadegh qui avait nationalisé le pétrole iranien, il avait rétabli son pouvoir au lendemain du coup d’État du 19 août 1953, réalisé avec l’aide de la CIA et des services secrets britanniques.

Les États-Unis, qui avaient profité de l’occasion pour prendre le contrôle du pétrole iranien, aidèrent dès lors le chah à consolider sa dictature en mettant sur pied un instrument de répression durable. Avec l’aide de la CIA, une police politique fut créée en 1957, la Savak, qui inspira la terreur en pratiquant systématiquement la torture. Les officiers de l’armée iranienne furent envoyés se former aux États-Unis, mais aussi en Israël, afin de bénéficier de l’expérience du Mossad, son service de renseignement. Le budget de cette armée d’un demi-million d’hommes représentait plus de 30 % des dépenses de l’État. Le corps des officiers iraniens était non seulement loyal au chah, mais aussi étroitement lié à l’impérialisme américain.

Une dictature féroce

Le chah s’employa à museler toute opposition, dès le lendemain du coup d’État de 1953. Le Front national, coalition regroupant des politiciens hostiles au chah, des marchands du Bazar et la petite bourgeoisie des villes, avait été interdit. La répression qui s’abattit sur le Parti communiste, le Toudeh, fut impitoyable : arrestations par milliers, tortures, exécutions. Au début des années 1960 cependant, cette opposition au régime se manifesta de nouveau. Elle commença également à s’organiser parmi le clergé musulman chiite. L’arrestation de l’ayatollah Khomeiny en juin 1963 déclencha des émeutes, réprimées dans le sang. Khomeiny dut s’exiler, mais les religieux chiites continuèrent à s’organiser, dans la clandestinité et au travers de diverses associations islamiques.

La hausse du prix du pétrole des années 1970 enrichit une partie de la bourgeoisie, mais pas la population. Les hauts fonctionnaires et les sommets de l’armée profitèrent aussi largement de la manne pétrolière. Quant à la famille du chah, elle amassa une fortune colossale.

De la crise économique aux révoltes populaires

Quand survint la crise économique, les conséquences furent catastrophiques pour la population. De 1975 à 1977, le coût de la vie augmenta de 200 %. La pauvreté et le mal-logement refoulaient des milliers de gens dans des zones insalubres des villes où déjà des milliers d’émigrés des campagnes s’entassaient depuis des années. Le chah rognait sur les dépenses sociales, tout en étalant avec arrogance sa richesse lors de grandes festivités. Cela ne pouvait que révolter les ouvriers, la population pauvre des villes, sans travail ni logement. À ce mécontentement tout prêt à exploser s’ajouta celui des commerçants du Bazar. Ceux-ci, rendus responsables de la hausse des prix par le chah, durent en effet subir amendes et peines de prison. Quant aux milieux religieux chiites, la décision prise par le chah de réduire les subventions destinées à l’entretien des mosquées et des écoles coraniques et l’arrestation de plusieurs de leurs chefs poussèrent la plus grande partie à agir pour le renversement du chah.

Un article injurieux contre Khomeiny, paru le 7 janvier 1978, mit le feu aux poudres. Dix mille élèves de l’école de théologie de Qom descendirent dans la rue et furent mitraillés par l’armée. Quarante jours plus tard, à l’occasion de la commémoration des martyrs de Qom, les manifestations secouèrent cette fois plusieurs autres villes. À Tabriz, l’armée tira, faisant encore 100 morts et plusieurs centaines de blessés.

Ces émeutes populaires furent le signal d’une agitation qui gagna la plupart des villes du pays et grossit durant toute l’année 1978. Fin juillet, les révoltes étaient presque quotidiennes. À partir de la mi-août, la population de la plupart des villes du pays descendit dans la rue, aux cris de « À bas le chah ! » et « À mort le chah ! » La répression du Vendredi noir du 8 septembre 1978 fit près de 4 000 morts mais elle n’arrêta pas plus l’incendie. Malgré la violence de la répression, le mouvement était déterminé à obtenir le départ du chah.

Les travailleurs commencèrent à se mettre en grève dès le mois d’août. À la mi-octobre, la grève touchait les trente mille ouvriers de l’aciérie d’Ispahan, ceux de l’usine de tracteurs de Tabriz, ou des mines de charbon. Le 18 octobre 1978, la plus grande raffinerie d’Iran, celle d’Abadan, cessait ses activités. Pratiquement toute l’économie du pays finit par être paralysée.

La révolution enchaînée par les religieux

Le pouvoir tenta de faire quelques concessions. Des gouvernements de coalition furent mis en place. Le chah choisit une personnalité de l’opposition, nommant Premier ministre le 31 décembre 1978 Chapour Bakhtiar. Mais rien n’y fit. Les hommes politiques qui acceptèrent de collaborer à ces tentatives furent à chaque fois désavoués par les religieux. L’intransigeance de ces derniers leur fit gagner le crédit nécessaire pour garder le contrôle du mouvement. Khomeiny ne cessa de gagner en popularité. Tous les partis d’opposition, y compris le Parti communiste, finirent par se ranger derrière lui. Et si la classe ouvrière montrait sa force en entrant massivement en lutte, aucun parti politique ne lui proposait une politique lui permettant de prendre la tête de la révolution.

Le 16 janvier 1979, le chah quittait le pays, « pour des vacances à l’étranger », départ annoncé par les dirigeants américains qui dans les coulisses cherchaient une solution politique pour tenter de rétablir une autorité leur restant liée. Le 1er février, Khomeiny, de retour après quatorze ans d’exil, était accueilli à Téhéran par des millions de manifestants. Puis, les 9, 10 et 11 février 1979, Téhéran fut le théâtre d’une véritable insurrection qui porta le dernier coup au régime. Le 12 février, la monarchie était abolie. Il avait fallu pour cela des mois de soulèvement mobilisant des millions de personnes dans les classes populaires.

Cependant, comme dans bien des révolutions du passé, ce n’étaient pas les masses révolutionnaires qui s’installaient au pouvoir. Le régime qui se mettait en place était dominé par les religieux chiites, avec l’assentiment de l’état-major. Les mollahs, appuyés par la petite bourgeoisie commerçante et nationaliste, ne souhaitaient pas être soumis aux exigences des masses populaires mobilisées. Très rapidement le pouvoir de Khomeiny allait s’en prendre à toutes les forces politiques de gauche ou révolutionnaires qui pouvaient représenter pour lui un danger. Pour mettre la bourgeoisie à l’abri des aspirations de la population, le nouveau régime allait être une république islamique extrêmement répressive, imposant à tous, et surtout aux femmes, un mode de vie archaïque au nom de la religion.

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