Janvier 1918 : la révolution ouvrière finlandaise24/01/20182018Journal/medias/journalnumero/images/2018/01/2582.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

il y a 100 ans

Janvier 1918 : la révolution ouvrière finlandaise

Le 28 janvier 1918, quelques mois après la prise du pouvoir par les ouvriers en Russie, une révolution ouvrière avait lieu en Finlande. Une sanglante contre-révolution allait lui succéder.

Le grand-duché de Finlande faisait partie de l’Empire russe depuis 1809. Suite à la révolution de 1905, le tsar fut contraint de lui accorder une certaine autonomie. Un Parlement fut instauré, élu au suffrage universel. La Finlande fut même un des premiers pays au monde à accorder le droit de vote aux femmes. Ce régime parlementaire restait sous contrôle étroit, puisque les lois votées par l’Assemblée devaient être ratifiées par le tsar. De même, le gouvernement et les forces armées lui étaient subordonnés.

Sur le plan économique, comme Victor Serge l’écrivait dans L’An I de la Révolution russe, « si la Russie était l’un des pays les plus arriérés de l’Europe, la Finlande était un des pays les plus avancés du monde ». La classe ouvrière était proportionnellement importante, employée en particulier dans l’industrie du papier et du bois, dans la métallurgie et le textile. Et, à la campagne, les paysans sans terre, les journaliers, les valets et servantes de ferme formaient un prolétariat agricole très important.

Des travailleurs organisés

Dans ce jeune prolétariat, les idées socialistes avaient connu un essor extraordinaire. Dès les premières élections, en 1906, le parti des rouges, le Parti social-démocrate, devint le premier parti de Finlande avec 40 % des voix. En 1916, il devint même majoritaire à lui seul, en voix et en sièges. Les Maisons du peuple existaient dans toutes les villes, les syndicats se formaient un peu partout, le Parti social-démocrate possédait sa banque et ses coopératives. Dans certaines villes du Sud, la quasi-totalité des ouvriers et des ouvrières étaient membres du parti.

Victor Serge résumait ainsi le point de vue de ses dirigeants : « Ils entendaient établir, sans expropriation des classes riches ni dictature du travail, une démocratie parlementaire au sein de laquelle le prolétariat eût été la classe politiquement dirigeante. » Les dirigeants sociaux-démocrates affirmaient qu’il serait possible de passer pacifiquement au socialisme.

Mais la guerre et la révolution russe de Février 1917 précipitèrent les événements. En Finlande aussi, le pouvoir tsariste s’écroula, et son appareil policier disparut. Le gouvernement provisoire russe n’eut plus aucune prise. Le parti bourgeois des blancs forma rapidement des milices bourgeoises dites civiques, armées et encadrées par des officiers tsaristes, afin de rétablir l’ordre et de briser par les armes le mouvement ouvrier. Dans toute la Finlande, des heurts armés commencèrent à opposer les milices civiques aux milices ouvrières nouvellement créées, les gardes rouges.

Du côté des ouvriers, la révolution d’Octobre 1917 en Russie suscita un immense espoir. Dans toutes les villes du Sud, les ouvriers s’organisèrent, s’armèrent et renforcèrent les gardes rouges pour se protéger des blancs. La base du parti poussait de plus en plus pour la prise du pouvoir.

Comme en Russie ?

Le 14 novembre 1917, une grève générale fut lancée, et la Finlande s’arrêta. Les gardes rouges prirent le contrôle de plusieurs villes. Le surlendemain, le conseil de la grève générale d’Helsinki vota la prise de pouvoir. Mais le parti tergiversa… et recula. Le 6 décembre 1917, les blancs, misant sur le sentiment nationaliste antirusse existant après un siècle de domination tsariste, prirent l’initiative de proclamer l’indépendance de la Finlande et formèrent un gouvernement. Celui-ci constitua une force armée à partir des gardes civiques et d’anciens officiers tsaristes, mais aussi de volontaires nationalistes faisant partie de l’armée allemande, et demanda l’évacuation des troupes russes

Ce n’est que le 28 janvier 1918, face aux multiples provocations des blancs, face à l’évidence que la voie parlementaire était bouchée, que le Parti social-démocrate décida de prendre la direction du mouvement populaire et de lancer l’insurrection. Pour les dirigeants sociaux-démocrates, ce n’était qu’une initiative défensive et ils promettaient de « suivre les règles du jeu démocratique ». Cependant les gardes rouges prenaient le pouvoir dans toutes les villes ouvrières du sud de la Finlande. Les anciens tribunaux étaient abolis, les pouvoirs de police confiés aux gardes rouges et à la population en armes. La peine de mort fut abolie et, malgré la guerre civile qui faisait rage, l’accès à l’école donné à tous les enfants. Certains secteurs de l’économie furent confiés à la collectivité, pour régler le problème crucial du ravitaillement. L’ancienne bureaucratie d’État était balayée.

Cependant les blancs continuaient de contrôler une grande partie du territoire. Tout en s’appuyant sur les grands possédants et l’ancienne bureaucratie tsariste qui leur était entièrement dévouée, ils réussirent à entraîner derrière eux les petits paysans propriétaires, nombreux en Finlande.

Répression meurtrière

L’armée blanche, dirigée par le général Mannerheim, ancien officier tsariste, lança rapidement une offensive. La guerre civile commença, opposant pendant quatre mois l’armée des gardes rouges, pleine d’allant et d’enthousiasme révolutionnaire, commandée par des officiers élus, mais à l’armement très sommaire, à une armée blanche commandée par des officiers de métier expérimentés. Celle-ci reçut l’appui décisif de troupes allemandes qui, débarquant dans le sud de la Finlande, prirent les rouges à revers. La signature de la paix de Brest-Litovsk en mars acheva de faire basculer le rapport de force en faveur des blancs en imposant aux soldats révolutionnaires russes d’évacuer la Finlande.

Après de nombreuses batailles où tour à tour les rouges et les blancs prirent l’avantage, le 6 avril, l’armée blanche investit la ville ouvrière de Tampere après des combats de rue et des bombardements inouïs. Le 13 avril, Helsinki tomba, puis ce fut le tour, une à une, de toutes les villes rouges. Les gardes rouges, malgré le découragement, le manque de ravitaillement et d’armes et leur infériorité en nombre, résistèrent jusqu’au 14 mai 1918.

Les combats furent très meurtriers. Mais, surtout, la victoire des blancs déchaîna de la part des vainqueurs des tueries, des fusillades sommaires et un désir de vengeance sans limite. La guerre terminée, la répression commença. Début mai 1918, 64 camps de concentration regroupaient déjà 81 000 prisonniers, soit environ 6 % de la population adulte. L’hygiène déplorable, la malnutrition, les épidémies provoquèrent le décès de 12 500 prisonniers. Le gouvernement des blancs instruisit 75 500 affaires. 67 800 hommes et femmes furent déclarés coupables et condamnés à de l’emprisonnement, dont 1 100 mineurs. 555 furent condamnés à mort. En quelques mois, un ouvrier finlandais sur dix fut tué.

Comme l’écrivit Victor Serge : « La bourgeoisie victorieuse d’un petit pays qui compte parmi les plus éclairés de l’Europe rappelle [...] que malheur aux vaincus est la loi des guerres sociales. »

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