L’armistice, l’état-major et les soldats15/11/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/11/2572.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Russie 1917 : la révolution au fil des semaines

L’armistice, l’état-major et les soldats

Au lendemain de la prise du pouvoir par les Soviets, le décret sur la paix proposait « à tous les peuples belligérants et à leurs gouvernements d’entamer des pourparlers immédiats en vue d’une paix juste et démocratique ». Une paix « dont a soif l’écrasante majorité des classes ouvrières et laborieuses, épuisées, harassées, martyrisées par la guerre, dans tous les pays belligérants » et qui « ne peut être qu’une paix immédiate, sans annexions (c’est-à-dire sans mainmise sur les terres étrangères, sans rattachement par la force de nationalités étrangères) et sans contributions de guerre ».

Mais pour cela, il fallait briser la résistance du Grand quartier général de l’armée tsariste – le GQG ou, en russe, la stavka – que les précédents gouvernements provisoires bourgeois avaient laissé en place. Victor Serge décrit cette étape du combat contre l’ancien appareil d’État dans son livre L’an I de la Révolution russe.

« Le 9 novembre, Lénine, Staline et Krylenko appelaient au téléphone le général Doukhonine et lui prescrivaient d’engager immédiatement avec les Austro-Allemands des négociations d’armistice. Ne recevant que des réponses évasives, ils terminaient cette conversation téléphonique en retirant à Doukhonine son commandement : “ Le sous-lieutenant Krylenko est nommé commandant en chef. ” Mais comment désarmer l’état-major ? (…) Un radio rédigé par Lénine appela la troupe à intervenir :

“ Soldats, la cause de la paix est entre vos mains. Vous ne laisserez pas les généraux contre-révolutionnaires saboter la grande œuvre de la paix, vous les placerez sous bonne surveillance afin d’empêcher des lynchages indignes de l’armée révolutionnaire et de ne pas leur permettre d’échapper au tribunal qui les attend. Vous observerez l’ordre révolutionnaire et militaire le plus strict.

Que les régiments du front élisent sur l’heure des mandataires afin d’engager avec l’ennemi des négociations formelles d’armistice. Le Conseil des commissaires du peuple vous y autorise. Informez-nous par tous les moyens du cours des négociations. Le Conseil des commissaires du peuple a seule qualité pour signer l’armistice définitif. ”

(…) Lénine précisa sa pensée : “ On ne peut vaincre Doukhonine, dit-il, qu’en s’adressant à l’initiative et au sentiment de l’organisation des masses. La paix ne sera pas faite que d’en haut, il faut l’obtenir par en bas. ” (…)

Les troupes se retournèrent contre la stavka ; le 18 novembre, au moment de fuir et de se transporter en Ukraine, l’état-major se trouva en présence des soldats. La stavka, écrit dans ses Mémoires l’émigré Stankévitch qui s’y trouvait, avait à peine commencé ses préparatifs de départ que des foules de soldats excités firent leur apparition, déclarant qu’elles ne laisseraient pas partir le GQG (…). La stavka n’avait pas un soldat pour la défendre… Doukhonine se disait surveillé par son ordonnance. ” Les officiers alliés, quelques généraux et quelques unités réactionnaires parvinrent seuls à s’échapper. À l’arrivée de Krylenko et des marins rouges, le généralissime Doukhonine, arrêté, fut massacré dans la gare de Mohilev. (…)

Tandis que Krylenko entrait à la stavka de Mohilev, l’homme du coup de force manqué de septembre, l’homme du rétablissement de la peine de mort aux armées, le dictateur rêvé naguère de la bourgeoisie russe et alliée, Kornilov, (…) se mit à la tête de son détachement et se fraya un chemin vers le Don (…). Le vieux général Alexeiev s’y consacrait depuis le début de novembre à l’organisation d’une armée de volontaires de l’ordre (…). Le général Dénikine s’exprime avec une louable précision sur la nature de ces forces de la contre-révolution. À l’appel de l’armée de volontaires répondirent “ les officiers, les junkers, la jeunesse des écoles, et très, très peu d’autres éléments (…). La nation ne se leva pas (…). Dans ces conditions de recrutement, l’armée [blanche] eut, dès sa naissance, un profond défaut organique ; elle revêtait le caractère d’une armée de classe. ” (…)

Le 18 novembre, tandis que succombait la stavka, un train spécial emportait vers Brest-Litovsk la délégation soviétique chargée de négocier l’armistice. Elle comprenait neuf personnes : A-A Ioffé, vieil immigré, ancien collaborateur de Trotsky à la Pravda viennoise ; L-B Kamenev ; L-G Mstislavski, officier socialiste-révolutionnaire de gauche et journaliste de talent ; G-I Sokolnikov, une terroriste d’hier (socialiste-révolutionnaire de gauche également), A-A Bitzenko ; un marin, un soldat, un paysan, un ouvrier. (…)

Ces négociations furent un duel. Pour la première fois dans l’histoire moderne, des hommes aussi différents, représentant non plus des États, mais des classes sociales ennemies, s’affrontaient. »

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