35 heures : la loi et ce qu’elle cachait15/11/20172017Journal/medias/journalnumero/images/2017/11/2572.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Leur société

35 heures : la loi et ce qu’elle cachait

Le 10 octobre 1997 le « sommet social » réunissant gouvernement, syndicats et patronat se concluait par une annonce de Lionel Jospin, Premier ministre du gouvernement de la Gauche plurielle, composée des socialistes, du PCF et des Verts. Celui-ci annonçait une loi ramenant la durée légale du travail de 39 à 35 heures.

L’annonce provoqua alors la colère de Jean Gandois, alors président du CNPF, le syndicat du patronat français, qui déclarait : « J’ai été berné. » Gandois s’en prenait à la ministre du Travail Martine Aubry, déclarant : « Mon ancienne chef du personnel s’était engagée vis-à-vis de moi à ce qu’il n’y ait que des mesures incitatives. » Gandois, qui allait démissionner de son poste pour laisser la place à Antoine Seillières, avait tort de ne pas se fier à Jospin, Aubry et à leurs ministres. Car ceux-ci allaient montrer comment on peut transformer une revendication ouvrière en cadeau au patronat, et encore plus grave, déconsidérer une revendication de base du mouvement ouvrier et faire reculer la conscience des travailleurs.

Cette annonce allait se traduire au final par plusieurs lois votées à partir de 1998, étalées sur plusieurs années. Ces lois Aubry allaient entraîner une multitude d’accords d’entreprises qui, dans bien des cas, comporteraient une aggravation des conditions de travail.

Car si la loi a bien fait passer la durée légale du travail à 35 heures, cela n’a eu d’effet général que sur le déclenchement du paiement des heures supplémentaires, et encore, avec des exceptions importantes. Pour le reste, ce fut une autre histoire dont les travailleurs continuent à payer les conséquences.

La loi sur les 35 heures ouvrait la possibilité dans chaque entreprise, dans chaque établissement, de conclure des accords inférieurs à la loi et aux conventions collectives, remettant en cause toute une partie des avancées que les travailleurs avaient pu obtenir dans le passé. Cette possibilité d’accord inférieur à la loi avait été ouverte dès janvier 1982, dans les ordonnances promulguées par le nouveau gouvernement de l’Union de la gauche, présidé par Mitterrand, avec le PS et les ministres communistes. Les grèves du début 1982 avaient fait ranger cette disposition, pour un temps, dans les armoires.

Avec les lois Aubry, on a vu fleurir une multitude de négociations décentralisées, où la classe ouvrière morcelée a dû faire face au rapport de force local et à la soumission plus ou moins grande de tous les syndicats ou d’une partie d’entre eux. Il en est résulté des accords, parfois minoritaires, qui pour être combattus ont nécessité la réaction des travailleurs, mais isolés par entreprise ou par secteur. Alors l’application a pu comporter le renforcement de la flexibilité avec des semaines qui n’étaient pas ramenées à 35 heures mais pouvaient dépasser allégrement les 40 heures. Le calcul des heures de travail sur un an, voire plus, a rendu possible le non-paiement des heures supplémentaires. La diminution du temps de travail a servi à faire financer par les travailleurs eux-mêmes un chômage partiel qui ne disait pas son nom en période de sous-activité. À cela pouvait s’ajouter l’exclusion des pauses du temps de travail, la généralisation du travail de nuit à tous, etc. Tout cela s’est accompagné du gel des salaires sous prétexte de permettre au patronat de récupérer « l’avantage » qu’il avait concédé à ses salariés.

Aubry-Jospin et le gouvernement ont par ailleurs largement indemnisé le patronat en lui accordant des dégrèvements de cotisations sociales par milliards. Non seulement ces 35 heures n’ont rien coûté aux patrons, mais au contraire leur ont permis de renforcer leur trésorerie et leurs bénéfices. Cela ne les a évidemment pas empêchés de se plaindre et d’en réclamer plus.

Ainsi la loi sur la diminution du temps de travail sans perte de salaire, qui avait été une revendication pour vivre mieux et se libérer un tant soit peu de l’exploitation quotidienne, a pu être perçue comme un recul par bien des travailleurs, que le fait de pouvoir bénéficier de jours de congé en « RTT » n’a pas compensé. Leur ressentiment pour ce recul survenu en lieu et place d’une avancée sociale promise, a laissé la voie libre au patronat pour se servir des 35 heures comme excuse pour imposer une série d’autres reculs. D’une certaine façon, ce que le gouvernement dit “de gauche” a fait à cette occasion a ouvert la voie à l’offensive actuelle contre le monde du travail.

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