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Dans le monde
Corée du Sud
l’ombre de la dictature
Mardi 3 décembre à 22 h 20, le président sud-coréen Yoon Seok-yeol a décrété la loi martiale. Vers 4 h 30 du matin, il devait reconnaître l’échec de son initiative et annuler lui-même sa décision. Mais cet événement, qui a bouleversé la population sud-coréenne, montre quel danger peut venir du côté du pouvoir.
Le président sud-coréen est un politicien de droite dure qui a brisé, il y a un peu plus d’un an, une grève massive organisée par le syndicat des camionneurs, en la rendant « hors la loi ». Il avait aussi fait emprisonner, un peu après, des représentants du syndicat du bâtiment. Mais les dernières élections législatives, en avril dernier, ont été une défaite pour son parti, donnant presque une majorité des deux tiers à l’opposition. C’est exaspéré par cette opposition qui lui tenait tête au Parlement sur le vote du budget, que Yoon Seok-yeol a tenté son coup de force. Il a déclaré qu’il instaurait la loi martiale pour « éradiquer les forces pro nord-coréennes et protéger l’ordre démocratique constitutionnel ». Comme au bon vieux temps de la dictature militaire en Corée du Sud, la menace du Nord a servi de prétexte, comme pour rappeler à tous ceux qui l’avaient oublié, qu’en Corée, il n’y a pas qu’au Nord qu’il y a eu des dictateurs.
Yoon et son ministre de la Défense ont mis en place un état-major de circonstance comprenant certains officiers supérieurs, dont le commandant de la première brigade des forces spéciales. Pendant quelques heures, en pleine nuit, des troupes ont été placées dans la capitale, Séoul, et ont investi plusieurs bâtiments publics dont l’Assemblée nationale. Plusieurs personnes ont été arrêtées, notamment des syndicalistes dont le président de la confédération syndicale coréenne (KCTU).
L’annonce faite en direct à la télévision a glacé une grande partie de la population coréenne. « Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai hurlé. Je n’ai pas dormi. J’ai regardé les infos sur YouTube car je n’avais aucune confiance dans la télévision », a déclaré une manifestante contre la loi martiale. « J’étais dans le métro quand je l’ai apprise. J’ai tout de suite pensé à Gwangju. J’ai imaginé les chars et les soldats dans la rue », a dit une autre.
La dernière fois que le pouvoir sud-coréen avait mis en place la loi martiale, c’était en pleine dictature militaire, en mars 1980, pour réprimer les mouvements de contestation, dont la révolte de la population de la ville de Gwangju, dans le Sud du pays. Dans cette ville, après que l’armée eut tiré sur une foule qui manifestait, la population avait pillé des commissariats pour s’armer, organisé des milices et tenu la ville pendant quelques jours jusqu’à ce que l’armée y rentre à nouveau et y commette un bain de sang.
On comprend donc que 40 ans après, des milliers de Coréens aient réagi spontanément, en pleine nuit, et soient allés manifester devant l’Assemblée nationale tenue par les militaires comme cet homme qui déclarait à propos de Yoon : « Il veut plonger le pays dans les ténèbres. Comme avec les précédentes dictatures. On ne laissera pas la jeunesse de notre pays tomber sous ses coups. » Samedi 7 décembre, ils étaient des centaines de milliers, un million selon les organisateurs, à manifester pour réclamer la destitution du président.
Mais en quelques jours, celui-ci et son parti ont repris du poil de la bête. Après avoir reculé et annoncé la fin de la loi martiale, Yoon Seok-yeol a dit : « Je m’excuse », comme si de rien n’était ! Et son parti, qui avait sur le coup dénoncé la loi martiale, a finalement refusé de voter la destitution de son chef.
Le secrétaire d’État adjoint des États-Unis a, lui, qualifié la loi martiale de « grave erreur d’appréciation ». Comprenez : « On ne tente pas un coup d’État à la légère et sans préparation suffisante ». Les États- Unis ont plusieurs bases militaires dans le pays et un général américain est même à la tête de l’armée sud-coréenne. Car depuis la Guerre de Corée, celle-ci fait partie des forces militaires « alliées » contre la Corée du Nord et est sous tutelle américaine. Si les États-Unis affirment ne pas avoir été mis au courant des intentions du président, ils semblent en tout cas vouloir le ménager et lui trouver une sortie honorable. Car cet État sud-coréen et son armée sont le garant de leurs intérêts politiques et économiques dans ce pays et un pilier de leur présence dans cette région du monde.
Les médias ont montré les députés de l’opposition affrontant les militaires et les ont présentés comme le rempart ayant empêché le coup d’État. C’est une tromperie. Si le coup de Yoon Seok-yeol peut passer pour une mascarade, c’est parce qu’il est l’initiative d’un individu ayant des rêves de dictature et de ses comparses, qui n’ont pas réussi à entraîner le gros des dirigeants de l’armée. Mais ce n’est certes pas la résistance des députés qui aurait pu l’empêcher.
Cet événement soudain a montré que l’état-major de l’armée a le doigt sur la gâchette et qu’une partie des dirigeants politiques de ce pays sont prêts à choisir la dictature militaire. Tout cela, en dernier ressort, sous la protection du gouvernement des États-Unis.
La dictature en Corée du Sud a une longue histoire. Ce n’est qu’à la fin des années 1980 que le régime s’est entouré d’une façade démocratique, notamment après que la classe ouvrière se fut mobilisée dans des grèves explosives et durables, touchant tout le pays, et entraînant des millions de travailleurs.
On voit qu’en fait l’appareil de la dictature est toujours là et prêt à refaire surface.