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Nos orientations pour une année qui ne sera peut-être pas qu'électorale (texte de la minorité)
Texte présenté par la minorité
Depuis un an et demi et le référendum sur la constitution européenne, l'ensemble de la classe politique française est en campagne en vue des élections de 2007. Le référendum lui-même était déjà le premier épisode de cette campagne, initié comme tel par Jacques Chirac, même si sa manoeuvre a été un échec. Et il a bien été reçu comme tel à gauche comme à droite où les prises de positions, pour le oui ou pour le non, se sont faites moins en fonction de l'Europe ou du contenu du projet de constitution que des calculs sur les compétitions, les alliances et les ruptures à venir.
L'année s'est évidemment écoulée dans la même atmosphère. Chacun des événements qui l'ont composée, dramatiques ou minables, de la révolte des banlieues à l'affaire Clearstream, fut d'abord l'occasion d'observer le spectacle de partis et politiciens à la manoeuvre électorale et politicienne. A droite, les trois principaux leaders de l'équipe au pouvoir, Jacques Chirac, Dominique de Villepin et Nicolas Sarkozy ne laissent pas passer une occasion de se désavouer les uns les autres, de démentir le lendemain ce que l'autre a déclaré la veille ou de se mettre mutuellement sur le dos les fiasco de cette législature, quand ils ne se livrent pas à la simple et pure magouille destinée à s'éliminer politiquement. A gauche, le PS déchiré par les ambitions personnelles a cru bon d'en faire une série télévisée qui a souligné le vide de son programme, de ses débats et de ses leaders.
La gauche de la gauche elle-même aura finalement passé l'année à organiser une course de lenteur visant, paraît-il, à sélectionner son candidat. A ce jeu qui a occupé tous ces mois, de congrès des uns en conférence nationale des autres et collectifs de tous, et dont les principaux protagonistes étaient la LCR et le PCF, c'est celui-ci qui a gagné la première étape (même si maintenant Marie-George Buffet a encore à se débarrasser de José Bové avant de pouvoir se dire la candidate de la gauche anti-libérale et non du seul PCF). Fort de ce qui reste de notables dans ses rangs, en particulier municipaux, pour lui apporter leur parrainage, le PCF pouvait tranquillement attendre que la LCR craque la première, alors que lui-même n'a pas plus l'intention d'accepter une décision des «collectifs» qui ne lui serait pas favorable.
Lutte Ouvrière a annoncé longtemps en avance qu'elle présenterait Arlette Laguiller. En mettant ainsi cartes sur table, cela nous donnait le temps et les chances de recueillir le nombre nécessaire de signatures d'élus. Mais cela nous permettait aussi d'affirmer la nécessité pour l'extrême gauche de maintenir une distinction politique radicale d'avec tous les partis et courants qui ne se situent pas sur le terrain de la lutte de classe mais se donnent au contraire l'objectif de participer au gouvernement et à la gestion de cette société. En effet, la négociation du programme ou des objectifs des communistes révolutionnaires, par tactique, opportunisme ou conviction, sous prétexte que l'heure ne serait pas favorable à leur apparition indépendante, est toujours une erreur. Et plus encore dans des élections à la participation desquelles il n'y a d'autre intérêt que de défendre ce programme et ces objectifs, immédiats ou à long terme.
Quelle campagne ?
La teneur de la campagne doit logiquement se situer dans le droit fil de cette déclaration de candidature : dénonciation des patrons, bourgeois et capitalistes en tous genres, de leur exploitation, de leur régimeet de leurs affaires ; sans concession envers la droite ; sans concession non plus envers la gauche.
La plupart des travailleurs n'ont en fait guère d'illusions sur la gauche. Et ils ne mettent pas grand espoir dans ce qu'elle pourrait leur apporter, en tout cas dans ce que pourrait apporter un président ou une majorité de députés de gauche (en ce qui concerne les municipalités c'est, peut-être, ici ou là, un peu différent, mais les élections municipales n'auront lieu qu'en 2008, même si elles sont déjà dans le collimateur et entrent dans les calculs des hommes et partis politiques).
Certes, nombre de salariés, par tradition plus que par enthousiasme, penchent toujours plutôt vers la gauche. Mais pas tous, loin de là, et pas tout le temps. Certains habitants des quartiers populaires sont sensibles à la démagogie de Sarkozy qui prétend combattre pour leur sécurité, tout en le désapprouvant par ailleurs. D'autres, sensibles depuis longtemps aux diatribes anti-immigrés de Le Pen ne lui ont récemment apporté leurs suffrages que par ras-le-bol de ceux, gauche comprise, pour qui ils avaient voté quand même jusque-là. D'autres encore expriment une sympathie nouvelle pour l'extrême gauche. D'ailleurs les abstentions en proportion croissante au fil des élections, les fluctuations des résultats lors des derniers scrutins, les transferts des votes d'électeurs du PCF... au FN par exemple, montrent que la notion d'un électorat indéfectiblement attaché à tel ou tel parti, à droite, à gauche ou à l'extrême gauche, est sujette à caution.
Le peu d'intérêt manifesté par les milieux populaires pour les primaires socialistes témoigne de ce désabusement actuel. Le show médiatique était destiné à mettre sur orbite la campagne du PS et sur le devant de la scène la candidate ou le candidat qui sera finalement sélectionné. En dehors des médias et des adhérents (et encore !), cela n'a pas soulevé les foules et le populaire. Et ce n'est pas seulement à cause de la personnalité politique des trois concurrents. C'est plus simplement que pour le moment la population ne voit pas trop en quoi ça la concerne. C'est là une bonne mesure des espoirs ou des illusions que suscite la gauche.
Parmi les travailleurs écoeurés par la politique de la droite le sentiment qu'on rencontre est le plus souvent que peut-être la gauche serait moins pire. Mais il est souvent aussi accompagné de bien des doutes. Et pour l'heure beaucoup, quand ils prêtent attention à ces questions, rangent tous les politiques dans le même panier, gauche et droite confondues, parmi tous ceux qui nous font manger de la vache enragée.
Mais même s'il en était autrement, si un renouveau de ferveur se manifestait envers la gauche, cela ne rendrait que plus nécessaire de mettre en garde contre elle. Et de faire de cette mise en garde un volet essentiel de la campagne qui s'annonce. Quitte à être un moment à contre-courant, mais cela ne nous a jamais nui dans le long terme, bien au contraire. Et le long terme maintenant c'est déjà l'après élection, le retour éventuel d'un gouvernement de gauche et le moment inévitable où le monde du travail devra affronter ce gouvernement, exactement comme il devra affronter un gouvernement de droite si celle-ci remporte malgré tout les élections.
Nous devons donc éviter pour ces élections de reprendre à notre compte des formulations, que nous avons su refuser par le passé, comme «battre la droite» ou encore «chasser la droite», éviter même par leur emploi ambigu de laisser entendre, même involontairement, que nous les reprenons à notre compte.
On ne battra pas la droite, et encore moins sa politique, dans les urnes. On ne la chassera même pas en élisant un président (ou une majorité de députés) de gauche. Entre 1981 et 2002, la gauche a été 19 ans au pouvoir, à la présidence ou au gouvernement, à la suite d'élections présidentielles ou législatives victorieuses. Neuf de ces dix-neuf années, la moitié, ont été aussi des années de cohabitation, c'est-à-dire de partage du pouvoir entre la gauche etla droite, quatre durant lesquelles cette droite était au gouvernement tandis que François Mitterrand occupait la présidence, cinq durant lesquelles Chirac a présidé avec Lionel Jospin comme premier ministre. Elire à la présidence un Dominique Strauss-Kahn ou un Laurent Fabius, qui furent tous deux ministres d'un de ces gouvernements de cohabitation, ne serait rien moins qu'une garantie de chasser la droite, même seulement formellement, au sens de renvoyer dans l'opposition son personnel politique. Et pas plus une Ségolène Royal, qui fut aussi ministre de Jospin et dont le modèle est Tony Blair, l'inventeur du recentrage à droite d'une social-démocratie qui n'était déjà plus à gauche.
Et quant à la chasser réellement, au sens de se débarrasser d'une politique anti-ouvrière et anti-populaire (ce que veulent et comprennent les électeurs qui sont sensibles à la formule ou l'emploient) il en sera encore moins question, même si en juin 2007 nous avons et un président et une majorité parlementaire de gauche. Quatorze années de présidence Mitterrand et cinq de gouvernement Jospin ont encore montré que la gauche au pouvoir est comme la droite au service de la bourgeoisie. Les discours et les programmes (ou plutôt l'absence de programmes) de ceux qui prétendent à la succession montrent qu'il n'y a pas à en attendre autre chose.
Nous devrons certes nous adresser aux travailleurs qui préféreraient, délibérémentou à contrecoeur, voir la gauche remplacer la droite. Nous devons leur donner des raisons de donner un avertissement à cette gauche qu'ils veulent voir revenir et de voter au premier tour pour nous. Mais nous ne devons en aucun cas laisser entendre que nous partageons peu ou prou leurs préjugés ou leurs illusions. La gauche au gouvernement ne fera pas autre chose pour eux que la droite. Avec elle comme avec la droite, ils n'obtiendront des patrons que ce qu'ils arracheront par les luttes.
Ce n'est d'ailleurs qu'à cette condition que nous pourrons faire comprendre desquelles de leurs aspirations nous sommes solidaires : changer le sort des classes laborieuses, nous défaire de ceux qui l'aggravent chaque jour, mais certainement pas compter le faire en portant au pouvoir les doublures gouvernementales de gauche des Chirac ou Sarkozy. C'est à cette condition que, dans une situation qui n'est absolument pas celle d'aujourd'hui (les illusions sur la gauche sont moins grandes et les souvenirs de sa politique au pouvoir plus clairs dans la mémoire de tous), alors que LO et sa politique étaient méconnues et la droite au pouvoir depuis seize ou vingt-trois ans, nous avons pu nous risquer à appeler à voter Mitterrand au deuxième tour en 1974 ou 1981. Et encore, en accompagnant cet appel de quelle mise en garde !
Les voix qui se porteront sur le nom d'Arlette Laguiller (ou sur les candidats d'extrême gauche en général), si elles étaient suffisamment nombreuses, pourraient être un avertissement aux futurs élus, de droite comme de gauche. Elles pourraient faire pression sur eux et les amener à faire attention en tout cas à la forme et la présentation de leur politique (les voix qui se sont portées précédemment sur Le Pen ont bien amené la droite... et la gauche à durcir leurs discours, sinon leur politique, sur l'immigration !). Mais ce ne peut être qu'à la marge, et à condition que ces élus soient persuadés que la menace esquissée dans les urnes pourrait se concrétiser dans une agitation, des mouvements, la grève ou la rue.
Cela revient à dire, d'avance et pendant la campagne, que pas plus avec un gouvernement de gauche qu'un gouvernement de droite, les travailleurs ne feront l'économie de la lutte. Ce serait là d'ailleurs la vraie conséquence positive d'un score important d'Arlette Laguiller oude l'extrême gauche : renforcer le moral des travailleurs, pour affronter et la droite... et la gauche.
Une politique vis-à-vis de la LCR
Depuis sa campagne pour le référendum la LCR, renonçant à l'alliance avec LO, est revenue à la tentative de regrouper la «gauche de la gauche», la «gauche du non» ou encore la «gauche anti-libérale». Au vu de cette politique, il ne pouvait certainement pas être question d'une candidature commune pour ces présidentielles. Lorsque deux partis, même tous deux d'extrême gauche, ont deux politiques différentes, voire opposées, ce n'est pas un drame mais une chose normale qu'ils aillent devant les électeurs séparément (nous ne sommes après tout ni pour l'unité à tout prix, ni pour le parti unique, même pas le parti révolutionnaire unique...). Cela ne les rend pas ennemis. Cela ne doit pas leur faire oublier ce qu'ils ont toujours en commun, dont leurs vrais ennemis justement.
Vis-à-vis de la LCR dans cette campagne nous devons donc nous en tenir à l'attitude définie par Arlette Laguiller dans son meeting de lancement de pré-campagne : rappeler nos désaccords qui sont la raison des deux candidatures, mais en rappelant aussi que nous sommes, et qu'on nous met, dans le même camp de l'extrême gauche ; et éviter d'apparaître avant tout soucieux de nous distinguer de la LCR aux yeux de l'immense majorité des électeurs... dont ce n'est pas le souci justement. C'est pourtant le travers dans lequel la campagne d'affiches avec le seul slogan «qui d'autre peut sincèrement se dire dans le camp des travailleurs» risque fort de nous faire tomber. Ce slogan ne peut être compris, par ceux qui y prêteront attention, que comme la volonté de se distinguer avant tout de la gauche, et même plus précisément de la gauche de la gauche. Marie-George Buffet et Olivier Besancenot plus que Ségolène Royal (mais pas du tout Sarkozy), le PCF et la LCR plus que le PS (mais pas du tout l'UMP) sont ceux qui peuvent se dire dans le camp des travailleurs (en tout cas aux yeux des travailleurs). C'est donc la sincérité de Besancenot et de Buffet (même pas celle de Royal) qu'on met en cause... sans dire mot (dans cette affiche) des mensonges des Sarkozy, Bayrou et autres. C'est de plus contradictoire avec une volonté d'axer nos attaques d'abord contre ceux actuellement au pouvoir : qui peut voir une mise en cause de Chirac ou de Villepin dans cette affiche ?
S'il est juste, vu la politique de la LCR, de se présenter cette fois-ci séparément aux présidentielles, il n'en sera pas forcément de même aux législatives. Certes celles-ci surviennent dans la foulée de celles-là. Mais du coup leur contexte politique va dépendre, en partie au moins, des résultats du premier tour des présidentielles : les nôtres, mais aussi ceux de la LCR, du PCF et même du PS.
Si ces divers résultats confortent la LCR dans l'idée qu'il y a une perspective à court terme de constituer le regroupement de la gauche de la gauche pour lequel elle milite présentement, elle aura toutes les raisons de poursuivre sur sa lancée actuelle, de chercher à présenter aux législatives des candidats «gauche de la gauche» et de continuer à tourner le dos à l'alliance du camp révolutionnaire. Si ce n'est pas le cas, en revanche, alors se présentera peut-être l'opportunité pour LO de développer une politique vis-à-vis de la LCR et de lui proposer à nouveau une alliance électorale sur nos bases de lutte de classe. LO l'a fait à plusieurs reprises depuis 1999 (même si ce n'a pas été toujours avec la constance qui aurait été utile et nécessaire, comme en 2002 quand nous avons repoussé la proposition de la LCR de faire d'Arlette Laguiller la candidate commune).
La LCR avait accepté l'alliance proposée par LO en 1999 parce que celle-ci avait eu un succès notable aux précédentes élections présidentielles de 1995 et par désespoir de trouver des alliés à la gauche de la gauche. Elle a tourné le dos à cette alliance à la suite des résultats, jugés mauvais, des listes communes aux européennes et aux régionales de 2004 et parce que le référendum de 2005 semblait lui offrir de nouveaux alliés sur sa droite. Aujourd'hui la gauche de la gauche est en passe de faire à nouveau faux bond à la LCR qui, malgré tous ses efforts, va aller seule aux présidentielles. Des résultats qu'obtiendront Arlette Laguiller, Olivier Besancenot, Marie-George Buffet ou éventuellement José Bové dépend donc que la LCR soit attirée d'un côté ou de l'autre. Et si la balance penchait de nouveau du côté des révolutionnaires, il dépendra de nous de saisir l'occasion et de proposer une politique qui puisse conforter au sein de la LCR les partisans de l'alliance avec LO plutôt qu'avec le PCF ou les anti-libéraux de tous poils.
Les élections ne doivent pas cacher la lutte de classe
Ni les élections ni les campagnes électorales ne vont masquer ni faire oublier, en tout cas aux travailleurs eux-mêmes, les vrais problèmes : les conditions de vie et de travail du plus grand nombre. Croissance ou non au rendez-vous, les inégalités sociales vont continuer à grandir en France comme dans le monde.
Même si le nombre officiel des chômeurs dans ce pays continue à décroître durant ces six prochains mois (phénomène statistique courant à l'approche des scrutins importants !), le chômage lui va continuer, comme la précarité, qui est un autre mot pour la même condition, petits boulots, temps partiels, intérimaires, intermittents étant tous membres permanents de l'armée de réserve du travail à la disposition absolue du capital. Les profits qui battent leurs records année après année vont continuer à grimper en proportion de celui des suppressions d'emploi. On sait que les actions montent à chaque fois que dans une entreprise l'emploi diminue. Ce 30 octobre, L'Humanité a pu dresser la liste, probablement non exhaustive, des 143 petites entreprises ou sites des plus grandes, dans 53 départements (ce qui signifie la précarité à l'échelle de villes ou de régions entières), dans lesquels la suppression de 25000 emplois est déjà programmée et celle de 20000 autres projetée (sans compter les 15000 départs non remplacés dans la fonction publique et les 20000 suppressions que pourrait entraîner la fusion GDF-Suez).
Corollairement les salaires réels et le pouvoir d'achat des familles ouvrières vont continuer à baisser et constituer le souci croissant de la majorité des salariés. La vie dans les quartiers populaires et les banlieues va se faire de plus en plus incertaine et l'insécurité de plus en plus sûre, non pas tant à cause des jeunes voyous ou inconscients qui brûlent des voitures ou des bus, mais bien plus à cause des logements de plus en plus difficiles à trouver à des prix abordables (le nombre de SDF qui ont un emploi ne fait que grandir... comme celui des expulsions de squatters et de locataires, et pas seulement immigrés ou sans-papiers) et de la dégradation des services publics, transports, école, santé, énergie, eau, qu'ils soient déjà privatisés ou encore propriété de l'État ou des collectivités municipales ou régionales. Et les plans de rénovation de Jean-Louis Borloo n'y changeront rien... quand ils ne l'aggraveront pas, les destructions des tours et barres vétustes ou insalubres allant plus rapidement que la construction des immeubles supposés les remplacer. Enfin, comme à chaque fois qu'il y a eu régularisation de quelques immigrés sans papiers, après la parodie que Sarkozy a été forcé d'organiser cet été (pour répondre à la pression qu'exerçaient depuis des mois les militants du Réseau éducation sans frontières et l'émotion et la mobilisation qu'ils ont su créer pour défendre les écoliers menacés d'expulsion), le sort et la vie quotidienne de ceux qui ne sont pas régularisés, des dizaines de milliers de travailleurs, mais aussi de jeunes, de lycéens, d'étudiants, va encore empirer.
Le capitalisme se porte bien, à l'échelle du monde comme à celle de la France (malgré les jérémiades des patrons) et la vie est belle pour ceux d'en haut, même pas très, très haut. Pas pour ceux d'en bas, même pas très, très bas. Car le fossé des inégalités, entre plus ou moins riches et plus ou moins pauvres ne fait que s'aggraver avec l'accroissement de la richesse globale. Une réaction massive du monde du travail, un mouvement d'ensemble, une grève générale, la mobilisation de millions de salariés et de leurs alliés des couches populaires, et leur organisation dans la lutte pour maintenir la pression et leur permettre de contrôler et leurs luttes et le résultat de leurs luttes, restent donc la seule voie possible pour ouvrir une perspective de changement. C'est pourquoi l'agitation pour un programme de revendications et de mobilisation (qu'on reprenne ou non le terme de «plan d'urgence» popularisé par AL en 1995, mais qui définisse quelques objectifs essentiels qui sont communs à l'ensemble des travailleurs et pourraient donc être ceux des luttes et d'un mouvement d'ensemble) garde toute sa pertinence et sa nécessité, dans la campagne électorale, comme après celle-ci.
Pour préparer, impulser ou même appuyer réellement ce mouvement d'ensemble il est inutile de compter sur la gauche, et pas plus sur les confédérations syndicales, qu'elles soient liées à cette gauche ou qu'elles se veuillent indépendantes.
Certes on peut assister dans les mois qui viennent à une certaine agitation sociale, même si dans ces périodes, c'est en général (pas toujours cependant, ainsi en 1995 les grèves à Renault et dans quelques autres entreprises du privé) plutôt des secteurs de la petite bourgeoisie que des travailleurs qui tentent de parler haut et de se faire entendre. L'idée de choisir ce moment pour se manifester afin que les futurs élus ne nous oublient pas, est plus répandue parmi les restaurateurs, les paysans ou même certaines catégories de professions libérales. Et leurs organisations corporatistes, souvent liées à la droite, voire l'extrême droite, peuvent faire preuve d'un radicalisme (ces dernières décennies des émeutes en France furent déclenchées par des pêcheurs, camionneurs, paysans ou vignerons plus que par des salariés) devant lequel les syndicats de salariés, se voulant plus responsables, hésitent.
Nous n'avons donc pas à attendre que les confédérations syndicales fassent en période électorale ce qu'elles n'ont pas fait en d'autre temps et tentent d'impulser une lutte d'ensemble sur des revendications d'ensemble. Au mieux elles libèreront la vapeur, s'il y a vapeur, par les voies habituelles de journées d'action symboliques et dispersées, en fractionnant l'agitation par secteurs ou limitant les mouvements qu'elles ne peuvent empêcher aux catégories alors les plus remuantes : privé contre public, un jour les cheminots, la semaine suivante les postiers, chaque entreprise en lutte contre sa direction pour tenter d'améliorer son «plan de sauvegarde de l'emploi», etc.
Le pire n'est pourtant pas toujours sûr. L'année écoulée a montré que les directions syndicales peuvent être bousculées, forcées de faire des pas qu'elles ne voulaient pas faire, et un jour donc, on peut l'espérer, dépassées.
La gauche comme les confédérations syndicales avaient laissé passer le CNE sans proposer autre chose que les rituelles protestations que tout le monde attend et dont tout le monde se moque. De Villepin (preuve du dérisoire de la «victoire du non») avait annoncé ce nouveau mauvais coup pratiquement à sa prise de fonction ministérielle, dès juin, et pris les décrets en juillet. Au prétexte que, en vacances, les travailleurs n'étaient pas prêts à réagir, les confédérations avaient attendu... le début octobre pour proposer une journée d'action. Puis, celle-ci au moins à moitié réussie, elles n'avaient proposé aucune suite.
De Villepin pouvait donc se croire assuré quand en janvier il a annoncé un nouveau volet de la démolition du code du travail : le CPE. Les premières réactions de la gauche et des syndicats lui donnaient raison : décision du PS de porter la lutte au plan du parlement où la majorité de droite rendait donc l'affaire pliée d'avance (François Hollande confiant à des journalistes, qu'il n'y avait aucune chance de gagner sur le CPE... avant 2007 et à condition que la gauche soit réélue) ; annonce par les confédérations qu'elles se préparaient à la sempiternelle journée d'action de protestation.
Las pour tout ce beau monde, la jeunesse étudiante, puis lycéenne, a brouillé un jeu si bien rodé. Fac après fac la mobilisation s'est peu à peu construite, minoritaire au début, y compris dans les établissements en lutte, mais tenant bon malgré les vacances, grossissant même malgré tout semaine après semaine, se donnant une organisation à l'échelon local comme général avec les coordinations nationales, gagnant consciemment la sympathie d'une large partie des salariés, obligeant les syndicats à donner pour une fois une suite à leurs premières journées de manifestation, sans trop de précipitation au début, davantage au fur et à mesure que la pression montait dans la jeunesse mais aussi le pays.
Bref, la jeunesse, sur un problème qui concernait non seulement sa partie populaire mais l'ensemble des travailleurs, a fait marcher la gauche et les confédérations syndicales l'épée dans les reins et les a forcées à aller sinon plus loin qu'elles ne le voulaient, en tout cas bien plus loin qu'elles ne l'avaient prévu. Et le gouvernement, pour la première fois après quatre années d'attaques réussies contre les couches populaires a dû remballer son projet. Contrairement à ce dont Hollande aurait bien voulu persuader la jeunesse, il n'y a eu nul besoin d'attendre le retour de la gauche et les élections pour cela. La mobilisation et la lutte ont pu faire échec au mauvais coup du gouvernement aujourd'hui de droite. Et donc si demain, il est de gauche...
Ce succès n'a eu lieu que parce que dans le milieu étudiant quelques petits noyaux militants, syndicalistes étudiants (on sait leurs limites en forces comme en influence) ou membres d'organisations politiques de gauche et d'extrême gauche (en forces et en influence encore plus réduites) ne sont pas restés l'arme au pied en attendant l'éventuelle intervention des directions des partis de gauche ou des centrales syndicales.
Au début très minoritaires ou isolés par rapport à la grande masse des étudiants, ils ont tout de même tenté de s'adresser à elle, commencé l'agitation en son sein, entamé le travail d'organiser ceux qui se joignaient à la lutte. Et, dans cette circonstance où des courants très différents partageaient quand même un même objectif immédiat, certains au moins (particulièrement au sein de l'extrême gauche) ont su proposer l'action commune et surmonter les clivages, en tout cas à certains moments clés du mouvement, et notamment quand il fallait lui donner des formes d'organisations démocratiques et représentatives, assemblées générales, comités de lutte, coordinations.
Il n'empêche que les premiers comités anti-CPE formés des seuls représentants de diverses organisations, ont été de première importance pour donner l'impulsion initiale. Sans doute celle-ci n'a eu d'impact que parce qu'elle a rencontré l'autre ingrédient essentiel à un tel mouvement : la colère d'une large fraction de la jeunesse. Mais celle-ci serait restée impuissante s'il n'y avait eu la poignée de gens pour lui proposer une voix, un but et une forme, et permettre au succès du mouvement étudiant d'être ressenti aussi comme un succès - malgré toutes les limites qu'on a pu lui voir - pour et par les travailleurs.
Les conditions qui ont permis le mouvement anti-CPE ne sont pas réunies à tout bout de champ. Personne ne peut prévoir quand et où elles le seront à nouveau et si ce sera avant les prochaines élections ou après. Mais quels que soient ce moment et ce lieu, les leçons que nous pouvons tirer à nouveau de ce dernier mouvement nous confortent dans les orientations défenduesdéjà à d'autres occasions : chaque fois que nous pouvons estimer qu'une question est susceptible de mobiliser tout ou partie des couches populaires, nous devons tenter de nous adresser directement à celles-ci pour leur proposer de réagir et s'organiser sans compter sur ni attendre les directions des organisations politiques ou syndicales, tout en proposant dans le même temps d'intervenir en commun aux militants et aux organisations susceptibles de se retrouver sur les objectifs immédiats, en premier lieu la LCR et l'extrême gauche évidemment, mais aussi la gauche politique et syndicale.
Nos forces (et celles de nos alliés potentiels) nous permettront sans doute rarement d'aller au-delà de la simple agitation, et seulement parfois de dépasser ce stade, comme dans le cas du mouvement CPE. Néanmoins, cette faiblesse ne doit pas servir de prétexte à garder une attitude attentiste qui, elle, est la plus sûre garantie de ne pas saisir les opportunités d'aller plus loin quand elles se présenteront.
Le mouvement d'ensemble et l'explosion sociale que nous appelons de nos voeux, naîtront forcément du feu allumé par quelqu'un quelque part. Il est important que les révolutionnaires, seuls ou avec d'autres, fassent tout pour être à l'origine de l'étincelle... et par là se mettent dès le début dans la meilleure position pour jouer un rôle dans l'organisation et la direction de l'éventuel mouvement.
5 novembre 2006