- Accueil
- Lutte de Classe n°75
- L'altermondialisme d'ATTAC : une contestation respectueuse et réformiste
L'altermondialisme d'ATTAC : une contestation respectueuse et réformiste
"Un autre monde est possible", tel est le slogan qui, depuis quelques années, rassemble les "altermondialistes", qui dénoncent maints méfaits de ce qu'ils appellent la mondialisation libérale. Ce cri de ralliement trouve un écho certain parmi des jeunes et des moins jeunes choqués de voir le monde s'enfoncer dans la misère et les guerres. Les manifestations altermondialistes de Seattle à Cancun, en passant par Genève, Prague, Porto Alegre, Gênes, Florence, Barcelone, etc., regroupent des dizaines parfois des centaines de milliers de personnes dont les revendications sont fort diverses mais qui aspirent à faire changer les choses. Il s'agit de la prise de conscience et de la dénonciation des innombrables effets nuisibles du capitalisme et l'affirmation de la volonté de ne pas laisser faire.
Mais ce mouvement peut-il tenir ce qu'il semble promettre et parvenir à débarrasser la société capitaliste de son anarchie, de ses crises et des inégalités que son fonctionnement reproduit et aggrave en permanence? én France, Attac est le principal représentant de ce mouvement.
Les "Fondateurs"
Attac est née en 1998 à la suite d'un éditorial d'Ignacio Ramonet dans Le Monde diplomatique de décembre 1997 proposant de "créer à l'échelle planétaire, une organisation non gouvernementale "Action pour une taxe Tobin d'aide aux citoyens" (Attac). En liaison avec les syndicats et les associations à finalité culturelle, sociale ou écologique, elle pourrait agir comme un formidable groupe de pression civique auprès des gouvernements pour les pousser à réclamer, enfin, la mise en oeuvre effective de cet impôt mondial de solidarité".
L'association s'est donc construite au départ sur un objectif modeste: obtenir qu'une taxe de 0,1% soit appliquée aux mouvements spéculatifs sur le marché des monnaies (c'est-à-dire aux spéculations sur le taux de change des monnaies, mais pas aux spéculations sur les valeurs boursières) en voulant exercer une pression sur les gouvernements afin qu'ils adoptent cette mesure.
Proposée en 1976 par James Tobin, économiste américain, devenu quelque temps après conseiller du président américain Jimmy Carter et prix Nobel d'économie en 1981, la taxe en question ne saurait même constituer ces "grains de sable dans ces mouvements de capitaux dévastateurs" que disait souhaiter Ramonet, tant son montant est modique. D'ailleurs Tobin lui-même y avait renoncé depuis longtemps.
Sur un programme aussi minimum, Le Monde Diplomatique a pu réunir d'autres titres de presse, des syndicats, des associations, des personnalités qui ont constitué un "collège des fondateurs" et qui ont créé en juin 1998 l'association, rédigé ses statuts et élu son conseil d'administration avec pour président Bernard Cassen du Monde Diplomatique, ancien conseiller ministériel de Jean-Pierre Chevènement. Puis les adhésions individuelles ou collectives de syndicats et d'associations ont été admises. Attac a grossi rapidement: 10000 adhérents annoncés dès la première année. Lors de la première assemblée générale du mouvement en octobre 1999, près d'une trentaine de municipalités avait adhéré et un inter-groupe Attac s'était créé à l'Assemblée nationale. Il y aurait maintenant près de 30000 adhérents, dont 10 à 15% soit 3000 à 4500 seraient militants d'après la direction d'Attac, quelque 250 comités Attac, des dizaines de municipalités adhérentes, etc.
Cette croissance de l'association a posé un problème aux dirigeants d'Attac. Ils ont tout fait pour "se prémunir contre toute tentative d'entrisme politique dans la direction d'Attac", en fait contre toute tentative de cette base trop large à leur goût. Ils se sont donc donné les moyens statutaires de ne pas se laisser déposséder de leur rôle dirigeant. C'est le Collège des membres fondateurs (qui peut être élargi mais par cooptation) qui élit la majorité des membres de la direction nationale, c'est-à-dire du conseild'administration.
Le Collège des fondateurs qui a la haute main sur l'organisation est constitué, à côté du Monde Diplomatique, de représentants d'organes de presse comme Charlie hebdo, Politis, Témoignage chrétien; de personnalités comme René Passet, Jacques Nikonoff, Gisèle Halimi, José Bové, Susan George, Viviane Forrester, Philippe Val (rédacteur en chef de Charlie Hebdo), Manu Chao; des associations comme le MRAP, AC! , l'APéIS, la Confédération paysanne, le MODéF, le Syndicat de la Magistrature, les Artisans du Monde, la confédération des SCOP (des coopératives), les Familles laïques, les MJC; des organisations syndicales comme l'UGICT-CGT, la fédération CGT des Finances, la fédération CFDT des Banques, le SNUI, le SNUIPP, Sud -PTT, le groupe des Dix, le SNésup, le SNéS, la FSU, l'UNéF. La liste des membres fondateurs est loin d'être exhaustive puisqu'elle comprend plus d'une soixantaine de noms et de sigles.
Sur les trente membres du conseil d'administraton, le Collège des fondateurs en élit dix-huit. Les adhérents ratifient la liste des 18 mais ne peuvent élire eux-mêmes que douze membres. Le conseil d'administration a un mandat pour trois ans. Son président ne peut être choisi que parmi les membres fondateurs. Après Bernard Cassen du Monde diplomatique, c'est aujourd'hui Jacques Nikonoff qui en est le président. Ancien ouvrier syndicaliste, il est diplômé de sciences-po et de l'éNA et fut administrateur et représentant aux États-Unis de la Caisse des dépôts et consignations; il fut membre de la direction du PCF de 2000 à 2001.
Le conseil d'administration désigne les membres et le président du Conseil scientifique (universitaires, syndicalistes, membres d'associations) qui cautionne les analyses et études "scientifiques" d'Attac.
Une structure très hiérarchisée
Les Comités Attac sont l'objet d'une défiance toute particulière de la part de la direction. Le Conseil d'administration leur accorde le label mais ils ne font pas partie en tant que tels de l'association. Ils sont autonomes. "Cette double structure empêche tout "entrisme" et toute instrumentalisation à des fins partisanes: si telle ou telle tentative de ce type n'est pas à exclure au niveau local où elle serait évidemment combattue, elle resterait de toute manière sans conséquence au niveau national puisque la pérennité des objectifs d'Attac est garantie par le pluralisme des fondateurs qui sont majoritaires au CA et qui, dans leurs diversités, sont unanimes pour veiller à l'indépendance de l'association" (Rapport d'activité 2000). Dans le même texte, Attac regrettait néanmoins "le manque de liaison entre élus nationaux et comités locaux", problème qu'elle pallia en autorisant les comités locaux à tenir trois fois par an une Conférence nationale des comités locaux, à raison d'un délégué par comité (quel que soit le nombre de ses adhérents), dont l'ordre du jour comme les propositions doivent être approuvés par le Conseil d'administration qui garde la haute main sur cette assemblée. Mais la direction d'Attac promet chaque année d'améliorer la démocratie au sein du mouvement. Dès le début, des voix s'étaient élevées au sein d'Attac pour réclamer un fonctionnement plus démocratique. Un groupe de travail avait même été mis en place suite aux assises de 2000 pour "analyser l'opportunité d'une réforme des statuts et d'une manière plus large de réfléchir à l'amélioration de la vie et des processus démocratiques au sein de l'association Attac". En janvier 2002, Le Monde citait l'une des membres du Conseil d'administration, Annie Pourre: "C'est curieux de parler en permanence de démocratie participative et de ne pas commencer à l'appliquer à nous-mêmes". Et cette année encore, le rapport d'activité du Conseil d'administration reconnaît que "l'hyper concentration de responsabilités aboutit à des dysfonctionnements qui peuvent être majeurs et remettre en cause notre capacité à travailler ensemble. Ce besoin de requalification de nos pratiques - à la fois de démocratie et d'efficience - a été largement pris en compte par la commission du collège des fondateurs, dite "groupe des sages" (...) Ses propositions s'inscrivent d'ailleurs dans la lignée d'une évolution largement entamée au travers d'une amélioration de nos fonctionnements démocratiques par la généralisation des collectifs de travail ou d'intervention spécifiques". Mais les statuts, eux, restent inchangés.
D'autres organismes sont rattachés au conseil d'administration: la coordination des élus (parlementaires ou autres) membres d'Attac, députés, sénateurs, membres du Parlement européen; le réseau des collectivités locales comprenant le Conseil régional du Limousin, dont le président est au Parti socialiste, le Conseil général de Seine- Saint-Denis, dont le président est au Parti communiste, et plusieurs dizaines de municipalités de gauche dont Argenteuil, Montreuil, Clichy-la-Garenne, Dunkerque, Cherbourg-Octeville, Marmande, Bonneuil, Villejuif, Bagnolet, Malakoff, etc.
én 2002, la direction se plaignait de ne toucher "finalement que de façon très marginale les citoyens qui aujourd'hui en auraient le plus besoin" et veut élargir sa base "vers les ouvriers, les employés, les chômeurs". Aux assises de La Rochelle, en novembre 2002, l'association déclarait près de 29000 adhérents, dont 5000 participèrent aux votes.
La nature même de cette association hétéroclite de chrétiens sociaux, de souverainistes, de réformistes sociaux-démocrates, saupoudrés de militants d'extrême gauche, l'amène à défendre un programme plus que minimum qui ne fâche personne. Le plus petit dénominateur qui leur est commun est d'autant plus réduit que la palette des opinions est plus large. Et c'est ce petit minimum que la direction d'Attac, armée d'un pouvoir absolu, se donne pour tâche de préserver. Elle s'est consciemment donné les moyens d'empêcher que les idées défendues au nom d'Attac ne dépassent un cadre limité à l'extrême. Les membres ont tout loisir de discuter et de débattre entre eux ou de bavarder sur le net mais c'est la direction qui fait le tri de ce qui est admissible ou pas. Quant aux militants révolutionnaires qui s'y trouvent, ils se contentent au mieux d'exprimer leurs idées, réduites au strict minimum (quand ils ne défendent pas carrément celles de la direction d'Attac) afin d'être tolérés au sein de l'organisation et si possible d'accéder à des postes de responsabilités. D'ailleurs s'ils voulaient déclencher une contestation politique au sein d'Attac, ils en seraient rejetés.
Un programme qui ne veut rien bouleverser
Si Attac a élargi ses objectifs au delà de la mise en place d'une taxe type Tobin, ses propositions dites "alternatives", c'est-à-dire des propositions qu'on peut opposer au fonctionnement actuel de l'économie mondiale, restent d'une portée extrêmement limitée. Elle a adopté le nom plus général "Association pour une Taxation des Transactions financières pour l'aide aux Citoyens" et a ciblé ses attaques contre "la mondialisation financière qui aggrave l'insécurité économique et les inégalités sociales".
La plate-forme d'Attac affirme que la "mondialisation libérale", c'est-à-dire les échanges économiques mondiaux sans réglementation, c'est-à-dire sans droits de douane, sans quotas et sans mesures restrictives, "contourne et rabaisse les choix des peuples, les institutions démocratiques et les États souverains en charge de l'intérêt général". Elle affirme qu'il "est urgent d'enrayer ce processus en créant de nouveaux instruments de régulation et de contrôle au niveau national, européen et international" et ajoute "les gouvernements ne le feront pas sans qu'on les y incite". Sans qu'on les "incite" est un aphorisme et une double illusion, car c'est sans qu'on les y oblige qu'on devrait dire, mais obliger est un mot banni par Attac.
La plate-forme internationale d'Attac résume ainsi les objectifs du mouvement:
- reconquérir les espaces perdus par la démocratie au profit de la sphère financière;
C'est joliment dit mais quand donc et à quelle époque la "démocratie" a-t-elle reculé devant la "sphère financière"?
De tels propos occultent le fait que c'est, depuis toujours, au moins depuis le début du 19e siècle que la "sphère financière" a imposé sa dictature dans tous les pays occidentaux et, par leur intermédiaire, à tous les pays colonisés, c'est-à-dire au monde entier et cela grâce à l'aide des États et à leurs armées.
- s'opposer à tout nouvel abandon de souveraineté des États au nom du prétendu "droit" des investisseurs et des marchands;
Cela c'est ignorer, ou plus exactement oublier volontairement que ce sont les "États souverains", bourgeois s'entend, qui défendent depuis toujours les "droits" et les intérêts des investisseurs et des marchands face à leur propre population et face à leurs concurrents étrangers.
- créer au niveau mondial un espace démocratique.
C'est encore une jolie phrase, mais un "espace démocratique" au niveau mondial, ce serait quoi? ét pour qui? Pour les États? Pour les citoyens? Une république mondiale, des États-Unis à l'échelle mondiale avec la même constitution? Mais que devient alors la souveraineté des États?
D'autre part, ce n'est pas le mode de production capitaliste qu'Attac met en cause mais la répartition inégalitaire des richesses.
Lorsque René Passet, président du conseil scientifique d'Attac, membre du collège des fondateurs, écrit: "Quelle est la rationalité d'une économie qui sait produire mais qui ne sait pas répartir?", il donne quitus au système de production capitaliste mais demande une répartition plus humaine. En somme, il faudrait garder le capitalisme mais plus partageux!
Cependant le marché capitaliste ne peut être isolé de la production capitaliste. Pour produire dans le système capitaliste, il faut vendre. Et pour vendre, il faut des acheteurs solvables et lorsqu'un industriel ou un gros producteur doit vendre, il ne peut attendre d'avoir accompli sa vente pour retrouver sa mise avec profit. Il lui faut donc des acheteurs tampons, des intermédiaires qui raccourcissent les circuits de distribution dont le système bancaire fait partie par ses prêts qui mettent de l'huile dans les engrenages de ces circuits. Tout le monde sait que dans cette économie, la régulation entre la production et la consommation, ou l'inverse, ne peuvent se faire que par les à-coups du marché capitaliste de plus en plus mondial car les capacités de production dépassent depuis longtemps la population solvable d'un seul pays.
On ne peut séparer l'un de l'autre. On ne peut humaniser le marché en respectant la libre concurrence et la propriété privée. Pour la même raison on ne peut humaniser la production, c'est-à-dire l'exploitation, plus ou moins sauvage du travail humain. La production capitaliste repose sur le salariat. Et le salariat ou l'exploitation, repose sur le partage inégal de la valeur produite, que ce soit dans les pays "riches" ou les pays sous-développés.
Attac s'affirme un lieu d'éducation populaire tourné vers l'action, mais elle éduque peu et ne contribue pas à créer une force qui pourrait agir. Attac est, quoi qu'elle en dise, un parti politique, mais un parti mou, et dans son idéologie et par ses actes. Elle n'est ferme et autocratique que par sa structure hiérarchisée. Au sommet il y a les nobles - les fondateurs -, en bas il y a la piétaille, c'est-à-dire tous les autres. Et surtout elle est largement au service de l'ex-gauche plurielle, comme le montre l'appartenance politique de ses dirigeants.
Attac prétend proposer des solutions alternatives à tous les problèmes qu'elle soulève, mesures qu'elle présente comme facilement applicables avec un peu de bonne volonté. Facilement, certes, sur le papier! Car il s'agit le plus souvent de mesures dérisoires face à l'ampleur des problèmes.
La Taxe Tobin, qui pourrait selon Attac rapporter cent à deux cents milliards de dollars par an "redonnerait des marges de manoeuvres aux citoyens et aux États et surtout signifierait que le politique reprend le dessus", dit l'association.
Ces cents à deux cents milliards de dollars, c'est-à-dire à peu près la même chose en euros, seraient bien peu de chose pour donner des "marges de manoeuvre" aux citoyens et aux États, même à ceux du tiers monde.
Si la Taxe Tobin pouvait rapporter de cent à deux cents milliards de dollars comme ils le disent, que serait-ce par rapport à deux à trois milliards d'habitants du tiers monde? Ce serait moins de 0,20 dollar par jour dans le meilleur des cas pour chacun d'eux. C'est toujours cela, dira-t-on. Mais est-ce que cela changerait réellement leur sort au point de leur donner plus de "marge de manoeuvre"? Aux dictateurs qui dominent la plupart de ces États, sans doute, mais aux peuples sûrement pas!
D'ailleurs les trois grands objectifs d'Attac qui sont réaffirmés dans le Manifeste 2002 revendiquent "la taxation de la spéculation financière, la disparition des paradis fiscaux, bancaires et judiciaires, l'annulation de la dette publique du tiers monde assortie du retour à leurs peuples des gigantesques sommes détournées..."
Mais "l'annulation de la dette du tiers-monde, assortie du retour à leurs peuples des gigantesques sommes ainsi détournées", c'est encore une jolie phrase, mais une tromperie.
Car le problème est que cette dette est constituée par les emprunts qui ont été faits par les États de pays "en développement" comme on dit hypocritement, ou par des individus de ces pays mais qui, eux, ne sont pas les plus pauvres et qui sont même parfois des représentants des grands trusts. Et ces pays sont le plus souvent des dictatures.
ét ces emprunts, à quoi ont-ils servi? À nourrir la population? À améliorer les infrastructures de ces pays? Bien sûr que non! La majeure partie a servi à augmenter la fortune personnelle de quelques dirigeants autocratiques, à entretenir une armée pléthorique pour maintenir leur pouvoir et à acheter du matériel de guerre - aux prêteurs - pour maintenir leur peuple en esclavage ou faire la guerre à certains de leurs voisins, le plus souvent sur ordre d'un impérialisme ou d'un autre.
De fausses solutions
Alors, tirer un trait sur la dette et le "service de la dette", c'est-à-dire les intérêts payés, énormes, et le remboursement chaque année d'une fraction du prêt, serait la moindre des justices. Mais cela ne changerait pas d'un iota la situation des peuples.
Attac prétend proposer des solutions alternatives à tous les problèmes qu'elle soulève, mesures qu'elle présente comme facilement applicables avec un peu de bonne volonté. Inutile de dire que même s'il s'agit de mesures dérisoires, par rapport à l'ampleur des problèmes, elles sont irréalistes dans la mesure où Attac prétend persuader les autorités nationales ou internationales de leur bien-fondé.
Ainsi Attac oppose la "souveraineté des États" à la "dictature des marchés", États qui seraient "garants de l'intérêt général".
Considérer que ce sont les accords internationaux ou la pression des grands groupes financiers étrangers qui contraignent les États industrialisés à abandonner tout ou partie de leur "souveraineté", revient à voir le monde avec un bandeau sur les yeux. Au contraire, les États utilisent leur souveraineté pour aider leurs groupes industriels et financiers nationaux à "mondialiser" de plus en plus l'économie (de fait, ce processus a débuté depuis plus d'un siècle et demi). La pression ne vient pas de l'extérieur mais de l'intérieur du pays. Contribuer à faire croire l'inverse, c'est contribuer à détourner toute opposition à cette évolution, de ses véritables causes et des véritables responsables.
Personne ne contraint les États à abandonner leur souveraineté. Les États sont principalement au service des grands groupes nationaux et accessoirement au service des intérêts généraux de l'impérialisme mondial. Ce ne sont pas on ne sait quelles pressions venues d'on ne sait où qui ont poussé la plupart des États européens à entrer dans les accords de Maastricht, d'Amsterdam, de Schengen et d'autres. L'État n'est garant que des intérêts particuliers de sa propre bourgeoisie et, au sein de celle-ci, des groupes les plus puissants, parfois au détriment des autres.
én fait, ce sont les groupes industriels et financiers français - pour parler de la France, mais c'est la même chose pour l'Allemagne, l'Angleterre, l'Italie ou l'éspagne - qui se sont servis de leurs gouvernements pour passer de tels accords, c'est-à-dire faciliter des échanges accrus d'un pays à l'autre, au niveau d'échanges correspondant aux capacités productives actuelles. Abaisser toutes les barrières pour les capitaux et pour les marchandises et même peut-être, à terme, assurer la libre circulation de la main-d'oeuvre, telle est l'évolution inéluctable de la production capitaliste. Historiquement, ce fut le cas à l'échelle des nations et cela le sera à l'échelle des continents. Aucun des grands groupes industriels, agro-alimentaires, commerciaux ou bancaires, ne peut se contenter du marché intérieur national.
Le fait qu'ils n'aient qu'une part du marché mondial à cause de la concurrence entre eux ne change rien, au contraire. S'ils possédaient, l'un ou l'autre, la totalité du marché français, cela les pousserait moins à chercher des marchés extérieurs. Mais l'industrie automobile française, allemande, japonaise ou américaine - pour ne parler que d'elles - doit vendre dans le monde entier. De même l'industrie aéronautique et l'on pourrait citer les cosmétiques avec L'Oréal, et bien d'autres. Ce sont eux que les États aident à supprimer le maximum d'entraves à la circulation de leurs produits et des capitaux, pour qu'ils puissent racheter d'autres entreprises sur d'autres marchés, c'est-à-dire dans d'autres pays. Bien sûr, en contrepartie ils le paient par une concurrence encouragée. Cela aboutit parfois à des cocasseries même si cela repose sur des drames. C'est ainsi qu'on a vu José Bové, en tant que dirigeant de la Confédération paysanne et en particulier des éleveurs de brebis du Larzac, se faire un nom en démontant un restaurant du trust McDonald's... pour que le Roquefort continue à se vendre dans les supermarchés des États-Unis.
Les grandes firmes européennes paient aussi cette "mondialisation" accrue par un mal nécessaire, c'est-à-dire la nécessité d'avoir une monnaie unique, avec l'euro, et donc de faire des sacrifices pour maintenir cette monnaie, c'est-à-dire de ne plus pouvoir mendier autant qu'elles le voudraient des protections illimitées auprès de l'État, les États étant obligés de ne plus faire marcher autant la planche à billets qu'ils l'ont fait dans le passé. Ceux qui sont le plus victimes de cette concurrence sont les producteurs les plus faibles, et de cela le grand capital et son État s'en moquent.
Pour qu'un commerce mondial existe, il faut que les rapports entre les monnaies soient les plus stables possible. Il n'est que voir les plaintes des exportateurs français devant la fragilité du dollar face à l'euro. Pour eux et pour tous ceux qui ont des productions dont le cycle est lent, par exemple construire et vendre des centrales nucléaires, ou même des avions, dont la vente intervient trois ou quatre ans après la commande, ou encore des paquebots ou de gros travaux de BTP, installations portuaires, ouvrages d'art, etc., il faut que les prix soient stables entre le moment où la commande est passée et le moment de la livraison ou de la terminaison des travaux.
Ce sont les grands groupes de chaque pays qui ont besoin de fracturer les frontières, d'équilibrer les monnaies et de faire, s'ils le peuvent, des accords commerciaux pour tenter de stabiliser le marché, mais ce sont toujours les plus puissants qui en profiteront le plus, les moins forts n'ayant que les restes. Quant aux faibles, n'en parlons pas.
L'Organisation mondiale du commerce n'a pas été une machine de guerre contre les États, c'est une tentative de la part des moins grandes puissances impérialistes industrielles comme la France, l'Angleterre, l'Allemagne, l'Italie, de négocier avec plus grand qu'elles, en particulier les États-Unis, pour mettre un peu d'ordre pour se protéger dans la jungle du marché international.
Les États n'abandonnent pas leur souveraineté, c'est grâce à leur souveraineté qu'ils font passer les intérêts des plus importants groupes capitalistes qui règnent sur leur territoire et ailleurs, avant les intérêts de la population. C'est donc les États nationaux qu'il faudrait changer fondamentalement et non se réfugier sous leur protection empoisonnée.
Il est impossible de rationaliser le marché mondial et encore moins de l'humaniser, car ce serait enrayer le développement du capitalisme dont chaque trust produit à l'échelle internationale. C'est ainsi par exemple qu'il n'y aurait au monde que moins d'une dizaine de producteurs des puces électroniques et encore moins de producteurs de machines qui fabriquent les puces alimentant toute l'électronique mondiale. En plus petit, Renault, Peugeot-Citroën, Volkswagen, Toyota ou Ford produisent pour le monde entier, directement ou indirectement, et la souveraineté des États consiste à les y aider, et pas à s'y opposer.
ét si les États des pays industrialisés le voulaient et y réussissaient s'ils en avaient les moyens, ce serait la fin du capitalisme.
Attendre cela serait attendre un suicide de la bourgeoisie.
Les forums sociaux
Prochainement, du 13 au 15 novembre 2003, doit se tenir en région parisienne, le deuxième Forum social européen où les organisateurs, surtout Attac, attendent 50000 - 60000 participants.
L'idée de ces "Forums sociaux" remonte à 2000 et a été proposée à Attac par deux personnalités brésiliennes: Oded Grajew, un ancien patron d'une entreprises de jouets éducatifs, proche du PT, le parti de Lula, président actuel du Brésil, et Francisco Whitaker, secrétaire exécutif de la Conférence épiscopale brésilienne et secrétaire exécutif de la commission Justice et Paix de cette Conférence. Whitaker raconte que Bernard Cassen, président d'Attac à l'époque, a été enthousiasmé par la proposition d'organiser un forum social mondial à Porto Alegre au Brésil, aux mêmes dates que le Forum économique mondial qui se tient chaque année à Davos entre les grands de ce monde.
Huit organisations brésiliennes ont accepté d'organiser ce premier forum social mondial en janvier 2001: l'association des ONG brésiliennes, Attac Brésil, la commission Justice et Paix de la Conférence épiscopale, Cives, la CUT, le MST, l'Institut brésilien d'analyse socio-économique, le Centre de Justice mondiale.
Des centaines d'organisations y ont participé, ONG, écologistes, organisations caritatives, centrales syndicales... Seuls les partis politiques - et les organisations militaires - ne sont pas admis à participer au forum en tant que tels.
Le Forum social mondial se donne pour but de renforcer "la capacité de résistance sociale non-violente au processus de déshumanisation que le monde est en train de vivre et à la violence utilisée par l'État." Il s'agit d'une assemblée d'organisations et d'individus qui discutent pendant trois jours de tous les problèmes qui agitent la planète, qu'ils soient sociaux, écologiques, de santé, et la liste est très longue évidemment. Il y a des assemblées plénières et des groupes de discussion restreints. Mais la "Charte des principes des forums sociaux" interdit toute déclaration finale au nom du respect de la diversité.
Le succès du premier forum a amené les organisateurs à en programmer tous les ans et à organiser également des forums sociaux au niveau continental, national ou local. Un premier Forum social européen (FSé) a eu lieu en 2002 en Italie. C'est le prochain qui doit se tenir du 13 au 15 novembre.
Les organisateurs de cette deuxième édition du FSé - quelque 150 organisations - attendent de 50000 à 60000 personnes et ont reçu l'aide des conseil généraux de Seine-Saint-Denis, du Val-de-Marne, de l'éssonne, ainsi que d'un certain nombre de villes de la région parisienne. Le gouvernement Raffarin n'a guère redouté cette contestation aux portes de la capitale puisque le Premier ministre et le ministère des Affaires étrangères ont déboursé 250000 euros chacun pour contribuer à la tenue du Forum.
Les organisateurs mesurent le succès des forums au nombre et à la variété des participants. Pour eux, plus la palette d'organisations participantes est large, plus grand est le succès. La diversité est prônée comme une vertu et une force. Mais si ces grand'messes de la contestation ne peuvent s'entendre sur une déclaration finale, il est exclu qu'elles puissent trouver un accord pour agir sur un même objectif en pesant dans le même sens, face à la concentration des pouvoirs de la bourgeoisie qui, comme les altermondialistes le reconnaissent, agit de façon convergente à l'échelle du monde.
én particulier, si leur slogan est "un autre monde est possible", ce qui est vrai, il leur est jusqu'ici impossible de dire ensemble lequel ils voudraient précisément.
Nous aurons vraisemblablement l'occasion d'en reparler lorsque nous serons nombreux à les avoir vus de près, début novembre.
10 octobre 2003