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France - Non à leur projet de Constitution
Peu importent les raisons politiciennes qui ont poussé Chirac à soumettre l'approbation du projet de Constitution européenne à référendum, plutôt que d'en passer prudemment par un Parlement entièrement à sa botte! Il faut dire qu'à l'époque où il a fait ce choix, le "oui" était donné majoritaire à deux tiers dans les sondages et il pouvait espérer tirer un bénéfice politique du résultat du référendum.
Il est dans la logique des choses, maintenant que les sondages donnent plutôt le "non" vainqueur, qu'il prenne la pose de l'homme politique qui n'a pas choisi la facilité et qui a tenu à soumettre cette question à tous les électeurs par pure préoccupation démocratique.
Le fait est, en tout cas, que l'on demande aux électeurs de cautionner par leur vote ce projet de Constitution.
L'électorat populaire n'a aucune raison de le faire.
Le simple fait que cette Constitution se situe entièrement sur le terrain de la propriété privée, du capitalisme, de la concurrence, de l'économie de marché, de la recherche du profit, nous suffirait, en ce qui nous concerne, pour refuser de l'approuver. Sous cet angle, le projet de Constitution européenne est comme toutes les Constitutions qui existent dans les pays où il en existe une. La société étant partout dominée par la bourgeoisie, les textes constitutionnels consacrent partout cette domination et la plupart des lois sont faites pour réglementer juridiquement le fonctionnement de l'économie capitaliste.
Nous n'énumérerons pas tous les articles du pensum qui reflètent sa nature de classe car, en réalité, il faudrait les citer tous. S'il intègre bien la Charte des droits de l'homme, les généralités qu'il énumère figurent dans toutes les Constitutions, avec le résultat que l'on sait. Le fait que la Constitution française, par exemple, reconnaisse l'égalité entre les femmes et les hommes ne l'impose pas dans la réalité.
Y a-t-il au moins, dans cette Constitution, des droits et des libertés qui représenteraient un avantage, un progrès pour tous les peuples, ne serait-ce que dans les pays où la législation ou les pratiques nationales sont particulièrement rétrogrades? Même pas.
La Constitution affirme hypocritement le droit au mariage, mais se garde d'affirmer le droit au divorce.
Elle ne parle pas du droit à la contraception, et à plus forte raison du droit à l'avortement. Elle n'impose même pas, dans les pays où l'IVG est légale, aux médecins de ne mettre aucun obstacle à sa pratique.
Il n'est pas question de salaire minimum.
Cette Constitution n'impose pas une durée du travail hebdomadaire compatible avec la santé des travailleurs. Dans les discussions qui se déroulent au moment même où se prépare le référendum, il est question de 48 ou 56 heures, ou même de 65 heures!
Il y a le droit de chercher du travail -ce qui est un minimum- mais pas l'assurance d'en trouver, c'est-à-dire qu'il n'y a rien pour les chômeurs, même pas des indemnités communes.
Donc pour tout ce qui concerne directement la population, cette Constitution est muette et renvoie aux juridictions nationales, y compris les plus réactionnaires.
Donc, de ce point de vue-là, elle n'ajoute rien à ce qu'est l'Union européenne. Elle n'offrirait pas plus de liberté qu'avec les traités précédents.
Elle n'offre pas, dans les pays où la législation est particulièrement rétrograde, un point d'appui à celles ou ceux qui se battraient pour l'améliorer sur tel ou tel aspect.
Cette Constitution a pour seul objectif de régler des procédures d'arbitrage en cas de différend économique entre les gouvernements qui dirigent l'Europe, et surtout de permettre aux pays les plus industrialisés de l'Ouest européen, d'avoir la primauté sur les autres pays qui constituent l'Europe.
Jusqu'à présent, pendant près d'un demi-siècle tout de même, la construction européenne s'est passée d'une Constitution. Le fonctionnement du Marché commun, puis la mise en place progressive des institutions européennes, de la zone euro, etc., ont été réglés par des traités internationaux, ce qui souligne le fait qu'il ne s'agissait pas d'une fédération comme les États-Unis, ni d'une confédération comme la Suisse, mais d'une association d'États indépendants, chacun tenant à ses prérogatives. L'Union européenne n'est pas une entité politique, avec un appareil d'État centralisé, un gouvernement, etc., mais un conglomérat d'États.
D'ailleurs, maintenant que le "non" monte dans les sondages, pour se défendre contre l'argument selon lequel la Constitution, une fois adoptée, ne pourra pratiquement plus être changée, les défenseurs du "oui" glissent de plus en plus souvent du mot "Constitution" vers l'expression "traité constitutionnel".
En la circonstance, ce subtil glissement est passablement hypocrite et motivé par la préoccupation électorale de ménager non seulement les "souverainistes", en général à droite, mais aussi tous ceux qui ont le sentiment que l'État national les protège. Mais il est vrai que les différentes bourgeoisies d'Europe se sont engagées dans un processus d'unification comme l'âne qui recule, contraintes et forcées par des nécessités économiques autrement plus puissantes que le "souverainisme" de leurs dirigeants politiques. Et ce processus d'unification a été, pendant longtemps, uniquement économique -voire purement douanier- et l'unification politique, engagée tardivement, est aujourd'hui encore très limitée.
Cela fait plus d'un siècle, au bas mot, que le morcellement de l'Europe entre États nationaux, dont certains sont minuscules, est un anachronisme étant donné l'internationalisation des liens économiques. Et c'est un handicap pour les puissances impérialistes d'Europe, une des raisons de leur retard par rapport aux États-Unis, qui s'est aggravé tout au long du XXe siècle.
La Grande-Bretagne et la France avaient encore leurs empires coloniaux pour compenser, dans une certaine mesure, l'étroitesse de leur marché national. L'impérialisme allemand, privé de colonies, était plus agressif, poussé par l'impérieuse nécessité d'élargir la sphère d'action de son grand capital.
La rivalité impérialiste en Europe entraîna la planète dans deux guerres mondiales. Il aura fallu la Deuxième Guerre mondiale et l'échec d'Hitler à unifier l'Europe sous les bottes de l'impérialisme allemand pour que les dirigeants politiques tirent la conclusion de l'impossibilité, pour l'une ou l'autre des grandes puissances impérialistes, d'unifier par les armes le continent à son seul profit.
Par la suite, il aura fallu plus d'un demi-siècle de marchandages pour que l'Allemagne, la France et la Grande-Bretagne surmontent leurs rivalités et parviennent, en entraînant les autres pays impérialistes d'Europe occidentale, à mettre en place l'Union européenne actuelle, qui n'est qu'une unification a minima.
De plus, même pour la Grande-Bretagne et la France -et, à plus forte raison, pour les impérialismes italien, hollandais, belge, espagnol, voire portugais, plus chétifs- la décolonisation a sonné le glas des empires coloniaux. La création d'un marché à l'échelle européenne est devenue une question de vie ou de mort pour le grand capital d'Europe.
Cela fait plus d'un siècle que les États-nations représentent le passé et que seuls des pays à l'échelle d'un continent, comme les États-Unis, la Russie et, peut-être, demain, la Chine ou l'Inde, jouent ou joueront un rôle sur la scène internationale.
Même aujourd'hui, malgré les progrès dont se flattent les partisans de l'unification bourgeoise de l'Europe, leur Europe à 25 est loin de constituer une entité comparable à l'union des 50 États américains. Bien des États d'Europe sont ridiculement petits par rapport aux États qui composent les États-Unis. Même élargie à 25, l'Union européenne laisse de côté quatorze États du continent, parmi lesquels le plus grand par sa superficie comme par sa population, la Russie.
Et, surtout, malgré les progrès poussifs de l'Europe politique, l'Union européenne reste un conglomérat d'États, toujours rivaux entre eux tout en étant absolument obligés par les contraintes même de la vie économique mondiale de s'entendre face à leurs rivaux extérieurs, autrement plus puissants. Trotsky avait naguère utilisé l'expression "bandits enchaînés par les mêmes chaînes".
L'idée de créer un Marché commun à l'échelle de l'Europe, sans barrières douanières, était une nécessité qui s'était imposée à toutes les bourgeoisies d'Europe occidentale (les États de l'Est de l'Europe, pendant longtemps sous le contrôle de la bureaucratie soviétique, n'étant pas maîtres de leurs décisions). Ce n'est pas pour rien que c'est sous la forme d'un Marché commun que la construction de l'Europe s'est engagée. Faut-il rappeler que les États-Unis eux-mêmes ont été de chauds partisans du Marché commun pour une raison extrêmement simple: ils possédaient eux-mêmes de grands trusts sur le sol européen (Ford, General Motors, pour ne citer que l'automobile). Et abolir les barrières douanières leur permettait de produire à grande échelle dans l'un ou l'autre des pays d'Europe occidentale et de vendre partout, sans se heurter à des douanes intérieures.
C'est par rapport à l'émergence d'une Europe politique que les États-Unis ont été plus réticents -et c'est un doux euphémisme. Autant la création d'un marché unifié va dans le sens de l'intérêt de leurs trusts, autant un grand État impérialiste à l'échelle de l'Europe menacerait de devenir un rival de poids dans la compétition internationale.
Les États-Unis ne courent cependant pas un grand risque pour le moment, malgré ce début d'unification politique que représente l'Union européenne. Les positions divergentes des États d'Europe à l'égard de l'intervention armée en Irak en ont fourni l'illustration la plus spectaculaire. Mais il y en a bien d'autres, même dans le domaine de l'économie qui fonde pourtant l'unité de l'Europe capitaliste, tant il est vrai que politique et économie s'entremêlent. À commencer par la monnaie commune -une des grandes réalisations pourtant de l'Europe capitaliste- que la Grande-Bretagne et quelques autres États n'ont toujours pas adoptée.
À six, voire à dix, on pouvait marchander ensemble toutes les décisions et arriver à une position commune. À vingt-cinq, c'est bien plus difficile. Le projet concocté par la convention dirigée par Giscard reçut le nom pompeux de "Constitution". La magie du verbe ne remplace pourtant pas l'inexistence d'un État unifié. Le droit, même constitutionnel, n'est pas grand-chose sans la force d'un État pour le faire appliquer. Les grandes puissances impérialistes d'Europe, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la France, et, dans une certaine mesure, l'Italie et l'Espagne, continueront à régler entre elles l'avenir de l'Union par des tractations, en fonction du rapport des forces du moment. Aucun État "supranational" n'existe pour imposer sa loi contre une grande puissance récalcitrante. La France et l'Allemagne viennent d'ailleurs d'en fournir l'illustration en marchant sur leurs propres décisions concernant les fameux "critères de Maastricht" en matière de déficit budgétaire.
Mais il y a les autres pays, surtout les nouveaux venus, pour qui le mot "Constitution" sonne en effet comme une loi supérieure, non négociable.
L'élargissement de 15 à 25 a impliqué des pays plus pauvres, non impérialistes, notamment ces pays de l'ex-glacis soviétique qui, après la fin de l'emprise de Moscou, sont redevenus des semi-colonies du grand capital d'Europe occidentale, ce qu'ils étaient avant la Deuxième Guerre mondiale. Il y a deux autres pays à venir, la Roumanie et la Bulgarie. Et, peut-être d'autres plus tard, issus de la dislocation de la Yougoslavie ou de l'Union soviétique, sans parler de la Turquie. Pour eux, les règles du jeu sont à prendre ou à laisser et le mot "Constitution" aura toute la charge politique de sa grandiloquence.
Dans la discussion autour du projet de Constitution, ce qui était en jeu ce n'étaient pas les multiples articles destinés à assurer les conditions d'une concurrence sans entrave, la liberté de circulation des marchandises et des capitaux, le libre investissement de ces derniers. Encore moins ce qui a trait au fonctionnement de l'économie capitaliste car, là-dessus, ils étaient tous d'accord. Que cela eût été consacré par une Constitution ou pas n'aurait d'ailleurs rien changé à la réalité.
Ne comptaient pas plus toutes ces "grandes valeurs", dont s'est flatté Chirac pour tenter de vendre le "oui" aux jeunes à la télévision.
On était entre représentants de la bourgeoisie qui savaient tous que ces mots sur la "liberté" ou l'"égalité" n'étaient que des mots creux destinés à la population.
La seule chose qui comptait réellement, c'est que les règles de fonctionnement entre gouvernements ne soient pas telles que les petits États puissent y trouver un point d'appui pour s'opposer un tant soit peu à la domination des groupes capitalistes des grandes puissances occidentales. Réduit à ses seules forces, aucun petit État n'aurait pu de toute façon le faire. Mais il ne fallait pas qu'une association entre États pauvres sur telle ou telle question puisse leur donner un poids dans les décisions qui dépasse leur poids économique.
En réalité, les seules vraies discussions, les seules qui ont frisé la rupture, ont été celles qui tournaient autour de la pondération des voix de chaque pays au Conseil ou à la Commission et, accessoirement, au Parlement européen. Et la Constitution concoctée est en effet telle que, si les trois grandes puissances d'Europe s'entendent et sont soutenues par un ou deux autres pays, elles peuvent imposer leur loi, au moins rejeter toute décision qui leur déplairait.
La Constitution assurera politiquement ce qui est déjà la domination économique des pays de l'Ouest européen.
Certains partisans du "oui" dramatisent les conséquences d'un éventuel rejet de la Constitution en décrivant sous des couleurs cataclysmiques ce qu'il adviendrait et de l'Europe, et de la place de la France dans l'Union européenne. Il en est parmi les partisans du "non" également qui, en quelque sorte symétriquement, laissent espérer d'une victoire du "non" des changements majeurs. Le référendum et son résultat quel qu'il soit ne méritent certes ni cet excès d'honneur ni cet excès d'indignité.
Fabius, ancien Premier ministre, est un homme politique trop responsable à l'égard de la bourgeoisie pour choisir le "non" au référendum en sachant que cela risquerait de créer une situation préjudiciable à la bourgeoisie.
Si la Constitution est rejetée, ce sera un coup pour Chirac, initiateur du référendum. Mais il a d'ores et déjà annoncé qu'il n'a nullement l'intention de suivre l'exemple de De Gaulle en 1969 et qu'il n'est pas question qu'il démissionne en cas d'échec. Une victoire du "non" serait aussi, bien sûr, un coup pour Hollande qui perdrait sans doute ses chances dans la course à l'investiture du Parti socialiste pour l'élection présidentielle de 2007. Il n'y a pas lieu de pleurer sur le sort ni de l'un ni de l'autre -mais leur sort politique n'est pas un souci majeur pour la bourgeoisie.
En cas de victoire du "non", la construction de "l'Europe politique" serait peut-être quelque peu retardée. Encore qu'il n'est pas exclu que les dirigeants des États d'Europe et ceux de Bruxelles qui ont tous soutenu ce projet de Constitution trouvent un subterfuge pour contourner les résultats d'un "non" de la France.
À ce qu'il paraît, les hauts fonctionnaires européens planchent déjà sur des plans de rechange au cas où le "non" l'emporterait en France, voire dans d'autres pays où des référendums seront organisés. Cela consisterait, par exemple, à appliquer les différents points de ce "règlement de copropriétaires" qu'est la Constitution, mais article par article, en commençant par les aspects qui, à leurs yeux en tout cas, font consensus. Ils enlèveraient sans doute certains articles qui fâchent mais dont, en réalité, ils se moquent en essayant en revanche de ne pas toucher à ce qui, à leurs yeux, est essentiel: les pondérations des voix par État laborieusement marchandées au Conseil ou la représentation des États à la Commission de Bruxelles ou au Parlement européen. Comme ils essaieraient de sauver ce qui donne un semblant d'unité et de stabilité politiques à l'Europe : une présidence stable au Conseil, un ministre des Affaires étrangères de l'Union. Ils essaieraient de ne pas revenir en arrière sur la suppression de la décision à l'unanimité dans les domaines où cela figure dans le projet de Constitution.
Et puis, ils ajouteraient à tout cela la "Charte des droits fondamentaux" car ils sont sûrs que cela plaira, et puis ça ne mange pas de pain!
S'ils choisissaient d'abandonner pour le moment le mot de "Constitution", ce serait présenté par les plus "fédéralistes" des partisans de l'Union européenne comme un recul sur le chemin d'une évolution vers la mise en place d'institutions politiques capables de représenter l'Europe. Mais l'Europe politique, au sens de la constitution d'un État fédéral européen du genre des États-Unis, se heurte à bien d'autres obstacles que le résultat de ce référendum. Dans l'état actuel des choses, aucune des bourgeoisies impérialistes ne s'en déclare partisan -même s'il y a des forces politiques qui en défendent l'idée- et certaines, à commencer par la Grande-Bretagne, expriment en permanence leur hostilité.
Alors, même si, finalement, le projet de Constitution européenne doit passer à la trappe, en tout cas pour l'avenir immédiat, l'Europe économique continuera, ne serait-ce que sous la forme de cette union économique et douanière qu'était le Marché commun, complétée par les traités qui s'en sont suivis, notamment celui de Maastricht qui a décidé la mise en place de l'euro ou, encore, celui de Nice, toujours en vigueur.
Les décisions des institutions européennes seront peut-être rendues plus difficiles. Mais, comme jusqu'à présent, les plus forts imposeront leur loi. En particulier pour ce qui est des rapports de domination des pays industriels d'Europe occidentale sur les pays pauvres d'Europe de l'Est, les grands trusts continueront à dominer l'économie de ces pays, comme ils le font déjà sans Constitution, comme ils ont commencé à le faire avant même que l'adhésion des pays de l'Est à l'Union ait été sur les rails.
Et, à bien plus forte raison, les groupes industriels et financiers savent, eux, qu'il n'y a pas besoin que leur mainmise sur l'économie soit "gravée" dans on ne sait quel marbre. Cette mainmise repose sur des fondements autrement plus solides que le papier d'une Constitution, fût-elle longue de 500 ou 800 pages. Ils savent aussi qu'il n'y a pas besoin de Constitution pour que les gouvernements d'Europe mènent cette politique "ultralibérale" que tout le monde fait mine de dénoncer, même Chirac, d'autant plus que personne ne sait au juste quelle en est la signification. Si, cependant, la signification de ce mot est une politique d'attaques contre les travailleurs, d'économies sur les retraites et sur la Sécurité sociale; une politique de privatisations, de réduction de crédits aux hôpitaux et aux écoles; une politique d'austérité pour la majorité de la société afin d'augmenter le profit d'une minorité capitaliste; la politique, en somme, de Chirac-Raffarin; eh bien, les gouvernements d'Europe n'ont pas besoin de la Constitution pour la mener. Ils la mènent tous, sans exception, ou l'ont menée, y compris les "socialistes" Blair ou Schroeder aujourd'hui, ou Jospin hier.
Alors, si le "non" l'emporte, il y aura lieu de se réjouir tout simplement parce que le projet de Constitution est rejeté. Ceux qui nous gouvernent sauront au moins qu'ils ne peuvent pas faire cautionner par les électeurs tout et n'importe quoi. Nombre d'électeurs en tireront la satisfaction d'avoir embêté Chirac, Raffarin et compagnie, ceux qui assument depuis trois ans la politique rétrograde que l'on sait.
Que Hollande, Strauss-Kahn, Lang et compagnie se soient mis dans le même lot ajoutera une satisfaction supplémentaire pour beaucoup. Qu'il ne soit pas dit que l'électorat socialiste lui-même pardonnera chaque fois aux dirigeants de son parti de se mettre à la remorque de Chirac, Raffarin et Sarkozy. Pour une fois, les dirigeants du Parti socialiste paieront pour avoir proposé, en guise de "politique de gauche", rigoureusement la même que ce que propose la droite.
Bien sûr, en cas de victoire du "non", Raffarin risque d'y laisser sa place, à moins qu'il soit écarté d'ici là à titre préventif. Mais, bien entendu, la victoire du "non" n'empêchera pas un seul patron de licencier, pas plus qu'elle n'en incitera un seul à augmenter les salaires! Et le successeur éventuel de Raffarin, quel qu'il soit, ne reviendra sur aucune des mesures réactionnaires prises par le Premier ministre actuel.
Sur toutes les questions vitales pour la classe ouvrière, il n'y a rien à attendre de ce qui sortira des urnes le soir du 29 mai. Les urnes n'ont jamais remplacé la lutte des classes, mais c'est un autre problème, et autrement plus vital que le jeu politique autour du référendum.
Bien au-delà de la Constitution cependant et de ses avatars, bien au-delà même de la construction européenne telle qu'elle se mène aujourd'hui en fonction des seuls intérêts de la bourgeoisie, l'Europe c'est l'avenir.
L'avenir pour le prolétariat de ce pays et, plus généralement pour celui de la partie riche du continent, n'est certainement pas de chercher à se protéger contre les prolétaires de la partie pauvre. L'avenir n'est pas dans le protectionnisme, dans le repliement des travailleurs derrière une protection spécifique, nationale. Toute politique de ce genre divise les travailleurs entre eux et met les prolétaires d'un pays donné à la remorque de leur bourgeoisie.
L'avenir est, au contraire, dans la prise de conscience que le prolétariat d'Europe constitue un seul et même prolétariat dont les intérêts sont identiques par delà bien sûr sa composition interne dans chaque pays, comme par delà les frontières des États.
Bien avant que la bourgeoisie d'Europe ne se pose le problème de l'unité du continent, le prolétariat se l'était déjà posé. Et pas seulement ses dirigeants politiques, Marx, Rosa Luxembourg, Lénine ou Trotsky, pour qui une transformation fondamentale de l'ordre économique et social ne pouvait pas se concevoir dans un cadre national. La grande vague révolutionnaire, qui a mobilisé des millions, des dizaines de millions de prolétaires, celle des années 1917-1918, était déjà européenne. Elle n'a pas respecté les barrières nationales dressées par la bourgeoisie, elle a su faire sauter les barbelés, aussi bien ceux dans les têtes que ceux, bien réels, qui séparaient en 1917, en pleine guerre mondiale, les prolétaires russes et allemands sur le front.
À infiniment plus forte raison, il en sera ainsi dans l'avenir. Lorsque se produira un mouvement de grève réellement important, mobilisant réellement de grandes masses de prolétaires, ne serait-ce que comme celui de 1936, il est inconcevable qu'il s'arrête aux frontières nationales. Les combats décisifs du prolétariat auront un caractère au moins européen, et sans doute bien au-delà. À dire vrai, aujourd'hui, avec l'interdépendance totale des économies à l'échelle du monde, avec les formidables moyens de transport et de communication qui se jouent des distances et du temps, même des entités à l'échelle de continents sont dépassées.
Le règne de la bourgeoisie représente le passé, y compris dans ce domaine. Précisément parce qu'il représente l'avenir, seul le prolétariat peut et doit incarner de façon conséquente et sans réserve l'internationalisme.
18 avril 2005