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- Lutte de Classe n°21
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Textes de la conférence nationale de Lutte Ouvrière - La situation internationale - La crise de l'économie capitaliste
Malgré l'euphorie de certains médias, commentant les statistiques sur les investissements ou la production, l'économie capitaliste est loin de sortir de la crise. De par sa longueur - elle a commencé il y a une quinzaine d'années - cette crise montre que ce n'est pas le boom de la période précédente, dont on voit aujourd'hui qu'elle a été de courte durée, qui est le mode d'existence « normal » de l'économie capitaliste, mais bien cette stagnation économique, avec un niveau d'investissement productif insuffisant, et ces quelque trente millions de travailleurs, condamnés en permanence au chômage, rien que dans les pays industriels développés, et constituant cette « armée industrielle de réserve » dont parlait Marx et que les défenseurs du régime capitaliste prétendaient disparue pour toujours.
La crise présente apparaît depuis ses débuts comme une alternance de reculs et de reprises momentanées de la production, sans effondrement brutal, mais sur un fond général de stagnation. Il est dans ces conditions toujours loisible de prolonger la courbe d'une reprise, à un moment ou dans un domaine donné, exercice auquel s'adonne en ce moment une partie de la grande presse, se fondant sur le fait que la production a progressé cette année dans la plupart des grands pays industriels (en ignorant au demeurant qu'elle a en revanche régressé dans bien des pays pauvres). Mais ces conclusions optimistes ne reflètent certainement pas l'opinion que les milieux dirigeants de la bourgeoisie et leurs porte-parole d'économistes eux-mêmes se font de la situation. C'est ainsi par exemple que les publications plus sérieuses de la bourgeoisie relativisent l'agitation actuelle sur « la reprise des investissements productifs » en France, en rappelant que, pendant la longue période marquée à l'échelle internationale par le recul des investissements productifs, le patronat français a été à la traîne même par rapport à ses principaux concurrents impérialistes. Le rapport entre la « formation brute de capital fixe » et « le produit intérieur brut » qui, en jargon d'économiste, donne un certain reflet des investissements productifs de la classe capitaliste, a connu un déclin pratiquement incessant depuis l973, passant de 25,2% à cette date à 19,4% en 1987. Même un accroissement momentané serait donc loin de combler le recul.
Les États impérialistes ont réussi, en réagissant vite et en conjuguant dans une certaine mesure leurs efforts sous la houlette des États-Unis, à empêcher que l'effondrement boursier d'octobre 1987 déclenche des faillites en chaîne de banques ; s'élargisse en un effondrement du système bancaire susceptible d'entraîner un effondrement de la production elle-même. Ils y sont cependant parvenus en aggravant par leurs remèdes les maux précisément qui ont abouti au krach boursier de l'année dernière : en donnant de l'argent aux banques et aux institutions financières menacées de faillite, en accroissant encore les liquidités - argent, signes monétaires, crédits - en circulation. Ce « remède » n'a d'ailleurs pas été administré en une seule intervention ponctuelle. C'est une politique générale. Les États-Unis donnent l'exemple avec le déficit considérable de leur budget. Même dans cette prétendue citadelle du « libéralisme capitaliste » que sont les États-Unis de Reagan, c'est l'État qui, de façon permanente et croissante, vient au secours de la classe capitaliste. Mais les interventions de l'État sont financées par l'accroissement à peu près universel de la dette publique, y compris et surtout dans les pays impérialistes, qui atteint des niveaux sans précédent : 40% du produit national en France et en Allemagne, 6O% aux États-Unis, 90% en Italie et au Japon. Dans le cas particulier des États-Unis, cela se traduit par ces emprunts du Trésor américain notamment - qui alimentent ensuite les circuits financiers mondiaux - et par l'émission de dollars supplémentaires.
L'argent et les crédits injectés de cette façon dans l'économie mondiale ne servent toujours que très partiellement à la production et aux investissements productifs. Ils continuent encore et toujours à aller vers les sphères financières qui, après l'effondrement des valeurs boursières d'octobre, ne savaient plus quels nouveaux « produits » inventer. Faute d'inventions convaincantes, le flux financier vers les actions, les titres de toutes sortes a repris, au point que, au bout d'une petite année, les plus-values boursières ont retrouvé, voire dépassé, leur niveau d'avant le krach (il est vrai que leurs bénéficiaires ne sont peut-être plus exactement les mêmes gros : le krach d'octobre 1987 a « élagué » un certain nombre de gogos de la petite bourgeoisie - voire, de l'aristocratie ouvrière - au profit des plus gros). Mais cela signifie que les actions en Bourse sont de nouveau surévaluées par rapport à leur valeur réelle, c'est-à-dire par rapport à la part de profit dégagé de l'activité productive à laquelle elles sont censées donner droit. La menace d'un nouveau krach boursier se dessine.
La nouvelle montée des cours des actions en Bourse est alimentée, outre la spéculation pure et simple dont font partie les tentatives de rachat d'entreprises dans le but de les revendre aussitôt, par d'autres rachats, dits « industriels », par l'intermédiaire d'Offres Publiques d'Achat (OPA) ou pas, qui concrétisent la volonté d'un certain nombre de grands monopoles capitalistes de mettre la main sur des entreprises plus petites ou plus fragiles. La stratégie des groupes capitalistes les plus puissants, engagés dans de sordides et féroces batailles pour se disputer le contrôle financier des entreprises, ne table toujours pas sur un élargissement des marchés et donc, de la production ; elle vise la conquête de parts plus grandes du marché par la prise du contrôle des entreprises existantes et qui ont fait la preuve qu'elles rapportaient un profit satisfaisant même par ces temps de crise.
Le seul domaine où les capitalistes ont des raisons d'être euphoriques, est celui des profits. La tendance des grandes entreprises à dégager des profits croissants, engagée depuis quatre ou cinq ans suivant les pays, s'est poursuivie cette année.
Mais l'accroissement de la masse des profits, alors que la production stagne ou augmente peu, continue à provenir des prélèvements sur les revenus de la classe ouvrière. La dégradation des conditions d'existence de la classe ouvrière continue d'être universelle, même si dans sa forme et dans sa gravité, des différences sensibles apparaissent entre pays ou catégories de pays.
Les dirigeants de certains pays impérialistes - les États-Unis et dans une certaine mesure, la Grande-Bretagne - annoncent fièrement avoir fait reculer le chômage en créant plus d'emplois qu'il n'en disparaît. Mais les emplois créés le sont avec des salaires très nettement inférieurs et pour l'essentiel, dans les secteurs socialement les moins utiles. Malgré le recul du chômage aux États-Unis, la part de la classe ouvrière dans le revenu national a continué de baisser, et le fossé de s'accroître entre la bourgeoisie et les couches les plus mal loties de la classe ouvrière. Dans la quasi-totalité des pays d'Europe Occidentale cependant - et en France en particulier - la part de la classe ouvrière dans le revenu national continue à baisser tout à la fois par la baisse des salaires de ceux qui travaillent et par l'accroissement du chômage.
Les prélèvements sur la classe ouvrière ne s'arrêtent pas aux frontières des deux blocs. La dégradation générale du niveau de vie des ouvriers des pays de l'Est résulte elle-même pour une large part de la crise de l'économie capitaliste ; et les économies faites sur le dos de ces travailleurs contribuent à accroître la masse globale des profits des capitalistes d'Occident, par le biais notamment des intérêts et des agios payés sur les dettes parfois importantes de ces États.
Mais c'est dans les pays pauvres que la dégradation des conditions d'existence de la classe ouvrière est la plus catastrophique et la plus scandaleuse car elle réduit un niveau déjà bas au départ.
Dans la plupart des pays pauvres, les investissements productifs, et notamment ceux effectués par le grand capital occidental, ont chuté dans des proportions bien plus catastrophiques que dans les pays impérialistes eux-mêmes. Cela n'empêche pas l'exploitation directe des masses ouvrières de ces pays de se poursuivre, dans des entreprises et sur des machines de plus en plus obsolètes, dans des mines aux conditions de sécurité de plus en plus précaires, ou sur des plantations où les conditions de travail ne sont pas loin de redevenir celles du temps de l'esclavage.
Mais les prêts consentis aux États de ces pays pauvres pendant la période précédente, quelquefois pour financer des équipements utiles, mais bien plus souvent, pour financer des dépenses de prestige des classes dirigeantes de ces pays ou plus généralement encore, leurs dépenses d'armements - et quand les sommes prêtées n'ont pas purement et simplement disparu dans les caisses personnelles d'un Duvalier - et qui ont conduit à un endettement considérable des États des pays pauvres, ont fourni aux banques occidentales un moyen supplémentaire d'exploiter les masses ouvrières et paysannes de ces pays. C'est pour assurer le paiement des services de leurs dettes que les États des pays pauvres réduisent le niveau de vie déjà insupportable de leurs classes exploitées au travers de toutes sortes de plans d'austérité.
Le mécanisme du remboursement de la dette est devenu un des principaux moyens de transformer en profit pour le compte de la bourgeoisie impérialiste, la plus-value prélevée sur le prolétariat de ces pays. Les bourgeoisies nationales de ces pays - qui continuent cependant à prélever leur prébende au passage - et leurs États, apparaissent de plus en plus ouvertement comme de simples huissiers chargés par la bourgeoisie impérialiste de l'encaissement et du transfert en Occident de cette plus-value. Et le prolétariat des pays pauvres continue à contribuer, dans des proportions importantes, au maintien des profits de la bourgeoisie mondiale.
Le rétablissement du taux de profit par une exploitation accrue de la classe ouvrière, et l'élagage des secteurs les moins rentables de l'économie capitaliste, constituaient dans les crises cycliques de l'économie capitaliste du passé plus lointain, deux des principales conditions du redémarrage d'un nouveau cycle. Le taux de profit de nouveau élevé indiquait en quelque sorte à chaque capitaliste qu'il était redevenu rentable de procéder à de nouveaux investissements productifs. Mais les conditions concrètes du développement de la crise en cours depuis quinze ans ; les « remèdes » trouvés pour l'empêcher de s'approfondir, ont conduit à une hypertrophie croissante du secteur financier par rapport à la production. Si l'accroissement de la masse du profit se réalise nécessairement là où le profit naît, c'est-à-dire dans les entreprises qui produisent et par l'exploitation de ses travailleurs, les opérations financières ont pris une importance capitale dans la répartition de cette masse de profits entre capitalistes. Malgré la chaude alerte d'octobre 1987, les opérations financières continuent à apparaître comme des opérations plus intéressantes, plus « rentables » que l'activité industrielle. Les entreprises capitalistes les plus importantes, y compris celles dont la raison d'être est l'industrie, continuent à consacrer une partie importante de leurs profits à des opérations financières (même celles qui n'auraient l'intention ni de spéculer, ni d'utiliser leurs profits au rachat d'autres entreprises déjà existantes, sont souvent entraînées sur cette voie par la logique de la situation : ne serait-ce que de façon défensive, pour empêcher que d'autres les rachètent).
Les ajustements ou les rattrapages dans tel secteur ou dans tel autre ne doivent pas cacher la stagnation globale des investissements productifs.
Il en résulte que, malgré les « canards » optimistes de certains journaux, rien n'indique que même si une reprise momentanée était confirmée, ce serait le premier pas vers la fin de la crise. D'autant moins que les capitalistes n'ont guère de raison de faire des anticipations optimistes sur l'évolution future des marchés. Malgré tous les « dopages », comme l'encouragement des multiples formes de crédit ou la substitution croissante des États à la clientèle privée, tous les moyens utilisés pour préserver la masse des profits contribuent en même temps à restreindre à terme les marchés. Il en va ainsi de l'abaissement global du pouvoir d'achat des classes ouvrières des pays impérialistes. Les pays pauvres, écrasés par la dette, sont en régression tant pour des achats de biens d'équipement que pour l'achat d'articles de consommation. Même les pays de l'Est, sur lesquels les capitalistes occidentaux ont compté et comptent encore pour stimuler le marché mondial, sont de moins en moins en situation de le faire.
Le problème pour la classe ouvrière n'est donc pas d'attendre un hypothétique redémarrage de l'économie. L'évolution de la crise, en particulier au cours de cette décennie des années quatre-vingt qui a vu l'aggravation des conditions d'existence de la classe ouvrière et l'amélioration concomitante du profit bourgeois, a amplement montré que ni l'un, ni l'autre ne suffisent pour que redémarrent les investissements productifs en particulier et l'économie en général, quoi qu'en aient dit les politiciens de la bourgeoisie, de toutes les couleurs politiques et dans tous les pays du monde sans exception.
Le problème de la classe ouvrière, c'est de retrouver la combativité lui permettant de se défendre et, au travers des luttes, d'accéder à la conscience et à l'organisation nécessaires pour opposer ses propres perspectives de transformation révolutionnaire des fondements même de l'économie et de la société à une économie capitaliste en crise qui fait payer cher sa pérennité à toute l'humanité. Et le mieux que l'on puisse espérer de l'optimisme, réel ou feint, d'une partie de l'opinion publique bourgeoise en tout cas en France, concernant l'évolution de la situation économique, c'est qu'elle donne conscience à la classe ouvrière de son bon droit et l'encourage à la lutte.