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- Lutte de Classe n°116
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Rassembler une force anti-capitaliste (Ligue Communiste Révolutionnaire)
Les camarades de Lutte Ouvrière ne partagent pas notre appréciation selon laquelle il est nécessaire, aujourd'hui, de travailler à regrouper les militants et travailleurs qui veulent s'opposer à la politique gouvernementale et à la droite. «A ce niveau, disent-ils, nous avons, vous et nous, une divergence d'appréciation, et de la période, et des rapports actuels entre le mouvement ouvrier organisé et la classe ouvrière».
Ce désaccord n'est pas sans conséquences immédiates. Il empêche que nous pesions, militants de LO et de la LCR, dans le même sens, qu'additionnant nos efforts nous multiplions leurs effets. C'est pourquoi nous devons en débattre.
Il convient d'abord d'écarter une interprétation qui relève du malentendu. Les camarades de LO écrivent en effet : « Nous ne pensons pas que ce qui manque au mouvement ouvrier, c'est-à-dire aux militants syndicalistes, à ceux du Parti communiste ou du Parti socialiste, ce soit une « alternative » sous la forme d'idées, de plans, de mots d'ordre, etc. Ceux qui recherchent quelque chose recherchent une force à laquelle se rallier, et non pas des idées. » Nous sommes bien d'accord : ce à quoi il faut s'atteler, ce n'est pas la construction d'une « alternative d'idées », mais bien d'une « force », capable d'agir.
Le débat ne porte donc pas sur l'objectif, mais sur la possibilité de viser un tel objectif et les moyens à mettre en œuvre en ce sens.
Comment avancer
Les camarades de LO expliquent : « il faudrait que nos organisations remportent, au nom de ces idées, des succès concrets dans des secteurs déterminants de la classe ouvrière pour que nous ayons la moindre chance de regrouper même une petite fraction de l'avantgarde autour de nous ». Et aussi : « Nous n'influencerons pas une partie déterminante de militants ouvriers tant que des grèves telles que celles de Talbot, ou de Renault Sandouville, Douai ou Le Mans n'auront pas été réellement dirigées par des militants de chez nous (LCR ou LO), en opposition ouverte, et visible, avec la politique des appareils. »
On ne peut que partager un tel pronostic. Il est vrai que le parti révolutionnaire dont la classe ouvrière a besoin s'affirmera à travers les capacités des militants révolutionnaires à diriger effectivement les luttes et grèves de la classe ouvrière. Il est non moins vrai que nous sommes loin d'une telle situation. Mais toute la question est de savoir ce qu'il faut faire pour modifier cette même situation.
Nous serons bien d'accord pour dire en commun qu'il faut le travail patient et acharné des organisations et des militants, en défense des intérêts des travailleurs, pour gagner la confiance de ces derniers, consolider des positions, et s'efforcer de faire ses preuves dans la conduite des luttes.
Mais les avancées vers le Parti révolutionnaire s'appuieront aussi sur des interventions visant à convaincre les travailleurs de la validité de l'orientation révolutionnaire, de l'utilité concrète des organisations porteuses de celle-ci et de la nécessité de les rejoindre.
Les camarades de LO ne nous démentiront pas sur ce point, eux qui, comme nous, ont été conduits ces dernières années à consacrer beaucoup d'énergie à l'affirmation de leur organisation lors des élections. Afin de faire entendre la voix des révolutionnaires à l'occasion de ces échéances, même si celles-ci sont loin de constituer le terrain d'intervention privilégié de ces derniers.
Il est donc possible de sérier la discussion et les désaccords concernant l'initiative politique que nous proposons sous les termes « affirmer une alternative anticapitaliste ».
Deux mauvaises raisons d'un vrai désaccord
Le désaccord de base porte bien sur l'appréciation de la situation de ce point de vue. « C'est donc peu dire, écrivent les camarades, que nous ne voyons nulle part un courant « parmi les militants ouvriers, les syndicalistes, les travailleurs », qui ne demanderait qu'à être « aidé » pour « s'exprimer et agir », pour lesquels il ne s'agit que de « stimuler la recherche d'une politique de rechange », et au « service desquels » il nous suffirait de mettre nos forces. Nous croyons que vous vous trompez si vous croyez que ce courant existe ou si vous croyez que les courants qui existent représentent cela. «
Le mouvement ouvrier français connaît une expérience décisive : les partis de gauche pratiquant au gouvernement, avec le soutien des directions syndicales, une politique ouverte de collaboration de classes. Peut-on sérieusement penser que, sur les militants et les travailleurs, une telle expérience reste sans effets ? Nous savons bien que beaucoup de travailleurs, loin de céder au seul écœurement réfléchissent, que des discussions politiques importantes ont lieu, en des termes qui n'auraient pas été possibles hier. Nous savons bien aussi que les organisations ouvrières, syndicales en particulier, sont profondément secouées et que, là aussi, les interrogations fleurissent. Cela ne se produit pas sous les formes que nous attendions, ni par une poussée en direction de nos organisations ? Sans doute ! Mais attention à ne pas passer, pour autant, à côté d'un mouvement qui, malgré sa diversité, ses hésitations et ses confusions, traduit la recherche plus ou moins consciente d'une issue par rapport au piège de la collaboration de classes.
Ecartons le terme de « courant », qui peut prêter à de fausses compréhensions. Mais peut-on nier que ces travailleurs déçus, inquiets, sont, pour une part d'entre eux, potentiellement disponibles pour une « autre politique » ? Peut on nier qu'ils existent bien ?
Les camarades de LO disent que chercher à rassembler ces travailleurs, « c'est tentant mais illusoire ». Illusoire à un double point de vue.
D'abord parce que, même en cas de réussite, nous ne pourrions rassembler que « quelques centaines » de militants tout au plus. Outre qu'il est bien audacieux de prétendre chiffrer en ce domaine, disons que ne serait-ce que « quelques milliers », voire « quelques centaines », de militants de cette espèce, dans la situation, ce n'est pas une réalité qu'on peut traiter par le mépris.
Les camarades avancent une seconde raison, qui a d'autres implications, selon laquelle nous ne pourrions « gagner entièrement » ces militants, qu'il faudra donc « composer avec ce qu'ils sont ». Si nous parlons de « démarche unitaire » c'est bien que nous pensons en effet qu'il y a, malgré les divergences, possibilité d'agir en commun avec ces militants et groupes. Que vis-à-vis d'eux, le problème ne se réduit pas aux efforts que nous devons faire pour les convaincre de construire avec nous le parti révolutionnaire.
Est-ce négligeable de rassembler, dans la situation actuelle, des travailleurs qui, même s'ils ne sont pas prêts actuellement à construire le parti révolutionnaire, sont décidés à se battre dans l'unité contre la politique gouvernementale d'austérité, contre le racisme et le fascisme, contre l'impérialisme, qui se prononcent contre la droite et la collaboration de classes ? Nous ne le pensons pas ! Et nous considérons que la concrétisation d'une telle force unitaire, même limitée dans ses positions et son ampleur, constituerait un pas en avant important et positif dans la situation. Nous sommes convaincus que cela redonnerait confiance à beaucoup de travailleurs qui, même s'ils ne sont pas prêts à nous rejoindre, sont disponibles pour agir dans un cadre unitaire.
Cela dit, nous ne prétendons pas que la réussite de la démarche que nous préconisons est assurée. Loin de là ! Mais, à partir du moment où l'on pense que ces travailleurs et militants dont nous parlons existent, il est nécessaire d'avancer les propositions susceptibles de répondre à leur attente. Et c'est notre devoir en tant que révolutionnaires. Parce que notre rôle n'est pas « d'attendre » que des « courants » sur des bases lutte de classes s'affirment, il est aussi de favoriser, dans la mesure du possible, l'apparition de ceux-ci.
Nul doute que si les camarades de LO partageaient avec nous cette préoccupation, ces efforts seraient plus significatifs.
Francis SITEL (LCR)