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Parti Communiste internationaliste : Vers quel parti des travailleurs ?
Dans une interview accordée récemment au journal Le Monde, à l'occasion des élections européennes, l'un des dirigeants du Parti Communiste Internationaliste, Marc Gauquelin, qui conduisait la liste « Pour un Parti des travailleurs », exposait de la façon suivante sa politique :
« Nous pensons le moment venu de se regrouper pour construire un authentique parti des travailleurs. Nous pensons que de nombreux militants du PS, du PCF et des gens qui ne se sont pas affiliés jusqu'à maintenant à un parti politique y sont prêts, pour faire prévaloir les intérêts des travailleurs et exiger le respect de la démocratie » .
La « démocratie » serait la « ligne » du regroupement pour un parti des travailleurs.
« Il y a trois ans » , peut-on lire dans la profession de foi de la liste conduite par le PCI, « nous avons voté pour François Mitterrand, contre Giscard représentant des capitalistes et des grands propriétaires fonciers.
Il y a trois ans nous avons voté pour une majorité nouvelle, la majorité PS-PCF à l'Assemblée nationale, pour conquérir une vie meilleure, pour une meilleure organisation de la société.
Nous constatons que le gouvernement Mitterrand-Mauroy-Fiterman distribue par milliards des cadeaux pour aider les capitalistes... Ces milliards ne servent ni à investir, ni à embaucher, mais à spéculer, à licencier... Les députés du PS et du PCF n'ont pas été élus pour satisfaire les besoins des travailleurs. Il s'agit là du respect de la démocratie » .
Alors, le PCI propose aux partisans de cette démocratie de se regrouper dans un « authentique parti des travailleurs, un parti qui se prononce et agit pour que s'exerce la souveraineté du peuple. Un parti loyal, honnête, un parti dont la conduite ne soit dictée que par les intérêts de la classe ouvrière et du peuple », comme on peut le lire dans un tract du 12 juin.
Respect de la « souveraineté du peuple », « respect du mandat » , « démocratie », « parti honnête et loyal » ... Le moins qu'on puisse dire est qu'on est loin de la révolution... à moins qu'il ne s'agisse de celle de 1789. Et encore, car le PCI n'explique pas aux travailleurs qu'il leur faudra marcher, en armes, sur l'Assemblée nationale, déclarer dans l'hémicycle qu'ils sont là par la volonté du peuple ouvrier et n'en sortiront que par la force des baïonnettes. Le PCI en est seulement à conseiller des suppliques, à faire rédiger des cahiers de doléances.
Même les revendications que les partisans du Parti des travailleurs mettent en avant sont semblables à tous ces catalogues revendicatifs des partis réformistes : « service national à six mois » , « réduction des loyers pour tous les foyers à faibles ressources », etc. Une ou deux revendications seulement présentent un caractère un peu radical : « confiscation des milliards acquis par la spéculation et des milliards d'aides aux capitalistes dont ils se servent pour licencier » ou encore « confiscation des milliards du budget militaire... » .
L'entreprise du regroupement des partisans de la « démocratie » dans un parti « honnête et loyal » ne semble pas très subversive. Mais le PCI veut recruter large et cherche une base politique à l'avenant. Il propose aussi une forme d'organisation facile : l'adhésion - tout juste un formulaire à remplir - et l'engagement de participer à une réunion mensuelle. Du moins est-ce la marche à suivre pour l'adhésion aux « sections pour un Parti des travailleurs ». Là encore, foin des canons du bolchevisme, les méthodes social-démocrates sont substituées aux traditions communistes. Petit détail, quand l'hebdomadaire du PCI, Informations Ouvrières, explique à ses lecteurs en quoi les campagnes électorales sont des étapes nécessaires dans la construction d'un parti, il puise ses exemples historiques chez Guesde, Jaurès, dans les traditions des Première et Deuxième Internationales. Aucune référence à la Troisième Internationale, communiste, de Lénine. Parce que les démocrates socialisants qui pourraient être tentés par l'adhésion au « Parti des travailleurs » seraient plus « sécurisés » par la filiation avec Jaurès qu'avec les bolcheviks ?
Alors, on peut se demander où vont les camarades du PCI avec cette entreprise engagée il y a quelques mois.
On comprend qu'ils cherchent des solutions aux difficultés du recrutement dans la période actuelle. On comprend qu'ils veuillent que leur organisation grandisse. Ils l'ont baptisée « parti » il y a deux ans déjà. Et puis, ils ont décidé qu'il serait le « parti des 10 000 » sans parvenir à dépasser les 6 000, selon leurs propres chiffres. Et puis maintenant, ils s'orientent vers un « Parti des travailleurs », un parti qui se voudrait grand, large, et du coup, ce sont les portes qu'on ouvre toutes grandes, et le programme qu'on ramène au plus petit dénominateur commun réformiste acceptable.
Ce « Parti des travailleurs » n'existe pas encore. Ses partisans ont recueilli 1 % des suffrages aux élections européennes et ils devaient se réunir en une nouvelle « Convention » pour faire le point. Nous ne savons pas si le parti sera proclamé, ni quand, si les 15 000 adhérents aux 269 sections réunies dans 66 départements différents décideront ou pas qu'ils ont la représentativité d'un parti. Mais si nous ne savons pas si l'embryon atteindra le stade de l'organisme vivant, nous savons que le patrimoine génétique dont l'ont chargé et la période de recul du mouvement ouvrier et le programme politique proposé aujourd'hui par le PCI peuvent en faire au mieux un organisme de l'espèce du PSU, ou du plus ancien PSOP d'avant la Seconde Guerre mondiale, mais en aucun cas une organisation transitoire qui soit une étape vers le parti révolutionnaire.
Une nécessaire étape transitoire vers le parti révolutionnaire
Les camarades du PCI fondent leur projet de créer un parti des travailleurs sur une situation générale qu'ils apprécient comme une radicalisation, sociale et politique. Cette radicalisation offrirait des possibilités nouvelles. Des travailleurs ou des militants, jusqu'alors liés aux grandes organisations politiques et syndicales, prendraient conscience de la trahison de celles-ci au gouvernement et chercheraient une autre issue politique. La situation serait grosse de « dislocations » dans le PS ou de « destructurations » dans le PCF. Et pour ne pas laisser le champ libre à une quelconque organisation centriste, les révolutionnaires devraient répondre présents, immédiatement ; offrir un cadre à des militants, voire à des pans entiers du PS ou du PC en quête d'une politique et d'une organisation plus conformes aux intérêts fondamentaux de leur classe.
Comme ces travailleurs, ces militants issus des partis réformistes n'adhéreraient pas du jour au lendemain à une petite organisation révolutionnaire et à l'intégralité de son programme, il serait indispensable de créer une structure transitoire, fondée sur un programme minimum qui serait en quelque sorte une organisation de front unique de classe.
C'est à cette exigence que répondrait le « Parti des travailleurs ». Et la « ligne de la démocratie », malgré les apparences, serait quasi-révolutionnaire. Ce serait une plate-forme politique transitoire. Car la bourgeoisie sénile, et ses représentants politiques de gauche comme de droite, s'agrippant aux institutions bonapartistes de la Ve République gaulliste, toute lutte pour la « démocratie », prendrait objectivement un contenu subversif. Ce serait « l'enveloppe dans laquelle se concentre toute la politique de rupture avec la bourgeoisie » , dit la résolution générale du dernier congrès du PCI. En fait depuis longtemps, pour ne pas dire depuis toujours, l'OCI (devenue en décembre 1981 le PCI) a la même stratégie de recrutement et de construction du parti, stratégie destinée à répondre à une situation qui ne serait pas encore révolutionnaire mais qui serait sur le point de le devenir ; une situation de montée ouvrière, de mobilisation croissante, de confrontation en puissance entre les masses populaires, prêtes au combat, et les appareils politiques syndicaux réformistes.
Cette stratégie dite de la « Ligue Ouvrière Révolutionnaire » avait été mise noir sur blanc en 1966 comme « une possibilité théorique de construction du parti révolutionnaire en France au travers de la constitution d'une organisation transitoire (...) perspective théorique destinée à offrir aux cadres militants contrôlés par les vieilles directions et qui s'efforcent de faire pression sur elles pour les amener à répondre aux aspirations des masses une forme d'organisation au niveau de leur propre expérience » (résolution du XIVe congrès du groupe Lambert).
Dans le « Manifeste de l'Organisation Communiste Internationaliste » écrit en décembre 1967 et publié dans le numéro de La Vérité d'avril-mai 1968, les camarades de l'OCI réexposaient ainsi leur perspective politique et organisationnelle : « L'édification des partis révolutionnaires nationaux, sections de la IVesuper0 Internationale, est la tâche centrale de l'époque de transition ...
...D'une part, les mots d'ordre et la politique des trotskystes trouvent un large écho dans la classe ouvrière, la jeunesse et dans l'avant-garde ; des couches importantes parmi les cadres organisateurs de la classe ouvrière manifestent leur accord à ces mots d'ordre, même sils n'ont aucun lien organisé avec l'OCI, voire ignorent son existence, parce que ces mots d'ordre correspondent aux besoins objectifs de la lutte de classe du prolétariat.
D'autre part, ces militants, dans leur majorité, ne sont pas prêts à rejoindre dans l'immédiat les rangs de l'OCI, parce qu'ils ne comprennent pas qu'il leur serait possible de développer leur activité de militants ouvriers en dehors des organisations traditionnelles, avant tout du parti communiste français, même lorsqu'ils sont conscients, à des degrés divers, que la politique de ces organisations ne correspond pas aux intérêts de leur classe. Cependant, du fait de la politique contre-révolutionnaire de leurs dirigeants, il leur devient de plus en plus difficile de garder le sentiment d'agir, dans le cadre de ces organisations, en conformité avec les aspirations des travailleurs. Ils sont ainsi plongés dans une crise de conscience qui va en s'aggravant.
Dans ces conditions, les trotskystes, en même temps qu'ils démontrent, par le caractère exemplaire de leur activité, qu'il est effectivement possible de rester fidèles à notre classe, à la classe ouvrière, en dehors des rangs du PCF, et que c'est même la seule possibilité, estiment indispensable de promouvoir les modalités organisationnelles les plus souples au regroupement révolutionnaire de l'avant-garde. Ils militent pour la constitution, à chaque étape de la lutte des classes, d'organismes regroupant pour la lutte au coude à coude sur des mots d'ordre et des objectifs communs, les trotskystes avec ces militants d'avant-garde...
Conscients que la crise des organisations s traditionnelles dégagera, à divers stades de son développement, des courants et groupes de militants qui cherchent une issue politique, et résolus à offrir à ces militants toutes les possibilités de se convaincre par l'expérience de la lutte en commun de la justesse du programme de la IVesuper0 Internationale, les trotskystes ouvrent la perspective de construire, avec ces militants, une Ligue Ouvrière révolutionnaire, comme étape sur la voie de la construction du Parti révolutionnaire. ».
1968 : l'occasion manquée ?
Un groupe révolutionnaire qui milite pour la construction d'un parti ouvrier révolutionnaire peut évidemment faire l'hypothèse de l'étape transitoire nécessaire d'un regroupement des travailleurs et militants combatifs issus des organisations réformistes traditionnelles dans une période de radicalisation et de montée des luttes. Il est possible que la construction du parti passe par là.
En 1968, seule période de relative radicalisation que la France ait connue depuis la fin de la guerre, l'opportunité d'un tel regroupement s'est présentée aux révolutionnaires. Nous l'avons sérieusement envisagée, pour notre part.
Pour reprendre et plagier les termes du Manifeste de l'OCI cités auparavant, « les mots d'ordre et la politique des trotskystes trouvèrent un large écho dans la classe ouvrière, la jeunesse et l'avant-garde ; des couches importantes parmi les cadres organisateurs de la classe ouvrière manifestèrent leur accord avec ces mots d'ordre, même s'ils n'avaient aucun lien organisé avec les petits groupes trotskystes ». Eh oui, une « organisation transitoire », « prenant l'avant-garde et la jeunesse telles qu'elles étaient » auraient pu être un pas en avant. Mais à cette époque, le petit groupe « Voix Ouvrière », puis « Lutte Ouvrière » fut le seul à proposer un tel regroupement. Il n'aurait certes pas encore été le parti révolutionnaire, mais - toujours pour plagier le Manifeste de l'OCI et ses formules - nous « posions le problème de la construction du parti révolutionnaire, non comme une catégorie abstraite, figée, mais comme relevant du caractère transitoire de la lutte des classes à notre époque » !
Nous avons donc milité en quelque sorte dans cette perspective qui, pour quelques semaines ou quelques mois, n'était pas seulement théorique. Des milliers de jeunes, intellectuels ou ouvriers, de militants plus aguerris mais profondément déçus par la tiédeur pour ne pas dire la trahison de leurs dirigeants, auraient peut-être alors rejoint les rangs d'un regroupement révolutionnaire. Mais aucun des groupes trotskystes n'a considéré alors qu'une opportunité était à saisir. Et pas plus l'OCI que les autres : parce que derrière les grandes phrases du Manifeste de l'OCI... il n'y avait qu'irresponsabilité et sectarisme.
Des tentatives innombrables
Ce n'est que bien après, quand les possibilités de la période avaient disparu, que l'OCI a cherché à nouveau à donner un corps à l'âme de la « Ligue Ouvrière Révolutionnaire ». Elle a refait alors, inlassablement, l'analyse d'une montée ouvrière au mépris des faits. Elle parlait même d'une potentielle crise révolutionnaire pour ce qui n'était au mieux, malgré une certaine combativité de la classe ouvrière, qu'une période de montée des illusions électoralistes, d'attente si ce n'est d'espoir qu'une victoire électorale des grands partis réformistes pourrait permettre l'économie de réelles luttes de classe.
Mais du coup, les structures à vocation large, mises en place par l'OCI et destinées à prendre « l'avant-garde militante » ne pouvaient prendre que ce qu'il y avait... c'est-à-dire, dans le contexte politique, accueillir au mieux les plus fervents partisans de l'unité du PC et du PS et d'une victoire électorale qui leur donnerait une chance d'accéder au gouvernement de la bourgeoisie, les plus illusionnés des illusionnés dans la classe ouvrière, entre autres ceux qui mettaient sur le compte d'un parti communiste sectaire et anti-unitaire les déboires ou les échecs électoraux - en 1978 - de la gauche. En absence de mouvement de masse et de radicalisation, les structures d'accueil larges de l'OCI ne se donnaient peu à peu pour vocation que d'héberger les plus sociaux-démocrates et, pour tout dire, les moins révolutionnaires.
L'histoire de l'OCI-PCI fut ainsi ponctuée, de 1968 à1981, d'une multitude de tentatives de regroupement.
Sans prétendre être exhaustif, on peut énumérer (en citant les chiffres donnés par le PCI dans ses publications) :
juin 1970 : congrès de « l'Alliance Ouvrière » - congrès ouvrier qui a réuni 452 délégués, à raison d'un pour dix.
février 1972 : « Conférence nationale pour le gouvernement ouvrier », qui a réuni 800 délégues, représentant 10 000 travailleurs et jeunes.
décembre 1974 : 878 délégués réunis, représentant 19 000 travailleurs.
avril 1975 : 13 000 travailleurs et jeunes réunis.
mai 1976 : 861 délégués, représentant 380 comités unitaires de base.
décembre 1976 : 450 délégués, représentant 349 comités unitaires de base.
Notons au passage, certes pas pour nous en réjouir, qu'en décembre 1974, l'OCI disait regrouper 19 000 travailleurs, soit quelques milliers de plus que l'ébauche actuelle du « Parti des travailleurs ».
Une période de recul... repeinte en rose
Depuis mai 1981, la même politique a continué. Dans un contexte différent, il est vrai : pas davantage dans une situation de montée, mais dans une situation de recul de la classe ouvrière.
Le PCI, cependant, considère que tous ceux qui, jusque-là votaient à gauche et se sont abstenus aux élections européennes ne représentent pas une masse des électeurs populaires déçus, écœurés, démobilisés, mais en quelque sorte un grand parti des abstentionnistes et Informations Ouvrières de se féliciter qu'ici ou là, les abstentions aient « gagné » tel ou tel pourcentage.
Certes, ces abstentionnistes n'ont pas encore adhéré au futur parti des travailleurs, car « on ne change pas de parti comme on change de chemise » , mais le PCI considère néanmoins le phénomène des abstentions comme un phénomène positif, l'événement majeur à vrai dire de ces élections. Et l'on peut lire dans le numéro 1163 de Informations Ouvrières, qui analyse des résultats des européennes : « Répétons-le, dans leur masse, les abstentions sont des abstentions ouvrières (PS et encore plus PCF). Ces abstentions ne sont pas « passives » ; elles sont l'expression politique encore incomplète d'un rejet de la politique de soumission à la bourgeoisie. Elles sont un élément de radicalisation ... L'électorat PCF qui s'est abstenu a compris instinctivement que la direction du PCF manifestait la volonté farouche de confiner sa politique dans le cadre du soutien aux institutions réactionnaires » . Informations Ouvrières, parle encore de « polarisation à gauche que traduisent les abstentions de l'électorat ouvrier », pour affirmer que « l'un des aspects le plus important de la polarisation est que par la force des choses la polarisation se traduira sur d'autres terrains que sur le seul terrain électoral ».
Bref, « toute la situation pousse à des affrontements majeurs ... Loin de marquer un affaiblissement ou une désagrégation des forces de la classe ouvrière, ces élections en France comme dans d'autres pays de la Communauté ont manifesté le fait que la classe ouvrière, à l'échelle de l'Europe comme dans chaque pays, se prépare aux plus grands combats... » .
Les gains de FO, entre autres aux élections à la Sécurité sociale auraient exprimé « la tendance à la restructuration du mouvement de la classe ouvrière sur un nouvel axe et à la recherche d'émancipation de l'emprise et du contrôle par le principal facteur contre-révolutionnaire que, constitue l'appareil stalinien » .
Alors, l'indépendance de FO vis-à-vis du gouvernement, sa résistance à l'intégration à l'État étant considérées comme positives, et ses gains comme un élément de radicalisation, le PCI persévère à militer, de façon privilégiée pour ne pas dire systématique au sein de cette centrale, jusques et y compris bon nombre de ses militants enseignants qui, récemment, ont quitté la FEN pour FO.
Et sur le plan politique aussi, la situation se radicaliserait.
Au XXVlle congrès du PCI, en 1982, ses dirigeants pronostiquaient que « l'année 1983 sera une année de combats majeurs » ... Entre autres « le combat majeur pour que la majorité de députés du PS et du PCF, rompant avec la politique actuelle menée au seul bénéfice du CNPF, se déclare souveraine, chasse Delors, et gouverne dans le sens des intérêts populaires » . Comment s'est manifestée, et où, une telle volonté politique dans la population laborieuse ? On se le demande.
Dans quel monde, sur quelle planète, vivent les camarades du PCI pour voir dans la situation sociale une « marche à la grève générale » là au contraire où la grande masse des travailleurs acceptent les licenciements, acceptent la stagnation des salaires, même s'ils sont écœurés et amers devant des dirigeants syndicaux qui ne font rien, n'organisent rien. Le climat général est à la résignation même si le mécontentement, voire la colère rentrée, existent.
Et comme la classe ouvrière, dans cette période de crise, ne se défend pas, elle le paie sur le plan économique mais aussi sur le plan moral. On le constate depuis plusieurs mois, voire deux ou trois années, et cela se traduit, entre autres, par une désaffection pour les syndicats. CGT et CFDT perdent des militants, des adhérents parce que leurs dirigeants sont considérés comme les plus liés au gouvernement de gauche. FO, ici ou là, gagne un peu de terrain, quelques pourcentages de voix aux élections professionnelles. Pas seulement parce que Bergeron affiche en paroles une plus grande indépendance vis-à-vis du gouvernement, mais parce que certains petits cadres ou petits chefs, hostiles à la gauche, ou franchement de droite, se sentent tout d'un coup vocation de militants et viennent grossir les rangs de certaines sections, ou parce que de façon plus générale, ceux qui dans les entreprises se sentent le cœur à droite votent plus facilement pour FO que pour la CGT et la CFDT marquées à gauche.
Mais cela non plus, les militants du PCI ne le voient pas. Au contraire, là encore, ils en tirent argument pour prouver que la radicalisation existe.
Ce recul, le PCI ne veut pas le voir. Mai 1981 aurait été une « victoire des masses » à laquelle le PCI se flatte d'avoir contribué en appelant à voter dès le premier tour des élections pour Mitterrand.
Depuis mai 1981, même si le gouvernement dit de « Front Populaire » porté au pouvoir par le « mouvement des masses » mène une politique « dictée par le CNPF », les dirigeants du PCI ne constatent autour d'eux aucune démoralisation, aucun écœurement, aucune démobilisation dans la classe ouvrière. Au contraire, de mois en mois, de congrès en congrès, ils continuent à prédire que la période à venir sera celle de « combats majeurs ».
Dans la résolution générale du dernier congrès d'avril 1984 on peut lire : « Nous ne devons pas perdre de vue que les masses conservent toutes leurs capacités intactes. Le fait que le gouvernement et les partis ouvriers cherchent à étouffer totalement la voix des travailleurs, le fait que la volonté exprimée en 1981 ait été bafouée, le fait que ce viol de la démocratie soit réalisé au nom du respect des institutions, ce fait prépare un gigantesque affrontement politique qui, centré sur la question de la démocratie, de son respect, matérialisera la victoire politique des masses » . On peut lire aussi que « la lutte de classe (est) marquée par la marche à la grève générale dont les éléments s'accumulent. Ce qui ressort de toute la situation, c'est que les capacités des masses qui ont remporté en 1981 une victoire contre la bourgeoisie et ses partis sont inentamées. Les choses mûrissent. Tout commence... » .
La situation, malheureusement, n'est pas celle-là. Des travailleurs en grand nombre, des travailleurs combatifs, conscients que leurs organisations traditionnelles les trahissent au gouvernement, n'en sont pas aujourd'hui, ni à recourir à leurs propres forces, aux grèves ou aux manifestations de rue, ni à chercher une issue politique nouvelle et une nouvelle organisation qui la représenterait.
Il est moins facile de gagner des militants communistes...
Évidemment, cela ne signifie pas qu'il n'y ait plus de grèves dans le pays.
Cela ne signifie pas non plus qu'il n'y ait plus de travailleurs combatifs, prêts à en découdre avec les possédants capitalistes et les socialistes gouvernementaux qui font payer la crise à leur classe. Mais ceux-là, pour la plupart, sont encore au Parti communiste et tout laisse penser que ce ne sont pas eux, même en cas de crise grave dans le Parti Communiste, qui en partiront les premiers.
Dans ces dernières années, ceux qui ont quitté le Parti Communiste pour tenter de créer autre chose, d'animer un courant critique, ou « différent » comme Fiszbin, ou de rallier purement et simplement le Parti Socialiste, de cœur, comme Robrieux ou Ellenstein, ne sont pas des militants d'entreprise. Ce sont des intellectuels petits-bourgeois ou des hommes de l'appareil qui ne conservent plus grand chose de leurs origines ouvrières quand ils en ont. Ce sont des gens qui ont les moyens de se faire entendre. Pour des raisons sociales, parce qu'ils appartiennent à des milieux qui savent ou ont l'habitude d'écrire, de publier, de parler, et où ils ont tout un tissu de relations qui transmet et amplifie leurs états d'âme. Mais pour des raisons politiques aussi, car tous autant qu'ils sont ont quitté le Parti Communiste sur sa droite, pour se rapprocher de la social-démocratie.
Des militants ouvriers d'entreprise combatifs, le Parti Communiste, même ce vieux Parti Communiste usé de 1984 qui n'a pas gardé grand chose de ses origines, en compte encore probablement des milliers, voire des dizaines de milliers dans ses rangs. Parce qu'ils partagent le sort quotidien de la classe ouvrière, de la classe populaire, la plus durement touchée par la crise, leur mécontentement est probablement plus profond, plus senti que celui des petits-bourgeois intellectuels déçus par la « république des profs », mais encore choyés par elle.
Mais ces militants ouvriers du Parti Communiste ne quitteront pas facilement leur parti, pas aujourd'hui en tout cas. Ils ne sont pas de la race de ceux qui quittent le navire dès qu'il commence à prendre l'eau. Ils sont plutôt de la race des capitaines qui cherchent à le sauver, à le défendre au moins. Leur militantisme dans la classe ouvrière est toujours allé de pair avec la fidélité à leur parti. Et pour ceux-là, qui pensent que leur parti a tort de participer au gouvernement à l'ombre des socialistes, à une politique de droite, anti-ouvrière, il n'est pas question évidemment de quitter le PC ou le PS. Il n'y pas pour eux l'attrait d'une grande formation qui pourrait leur sembler plus efficace que leur parti. Car, sur la gauche du PC, il n'existe que de très petits groupes, trotskystes pour les moins petits d'entre eux, mais qui n'ont ni la taille, ni la crédibilité militante pour représenter un pôle.
Dans la période actuelle, dans cette période de recul, ceux qui pourraient constituer les rangs ou les cadres d'un parti révolutionnaire resteront probablement dans le PC ou autour. Les révolutionnaires peuvent au mieux tisser des liens fraternels avec eux, leur montrer sur le terrain des entreprises qu'ils sont dans le même camp, qu'ils sont du même futur grand parti des travailleurs. Mais les révolutionnaires ne pourront probablement pas faire plus ; ils ne pourront pas les gagner en grand nombre, ni individuellement, ni encore moins par pans entiers.
Et le PCI par le truchement de son potentiel « Parti des travailleurs » se donne probablement moins de chances de le faire que les autres, car ce n'est pas avec un programme socialisant, « honnête », en appelant Jaurès à la rescousse, qu'on peut gagner des communistes !
Alors, ou bien le « Parti des travailleurs » a toutes les chances et tous les risques d'être une nouvelle tentative sans lendemain ; ou bien sa réussite peut emporter, de gré ou de force, ses initiateurs révolutionnaires vers la dérive social-démocrate .
...que des notables sociaux-démocrates
Évidemment, au sein du Parti Communiste comme du Parti Socialiste, il y a des mécontents.
Parmi ceux qui seraient déjà partie prenante du futur parti des travailleurs, il y a des militants d'entreprise, syndicalistes pour la plupart ; il y a aussi des conseillers municipaux, adjoints au maire... Le PCI semble se flatter d'avoir rallié des « personnalités » ex-communistes et plus souvent ex-socialistes.
En admettant que le PCI ne bluffe pas, et ne fasse pas passer pour militants socialistes ou communistes des gens qui ont depuis longtemps quitté ces grands partis et militent depuis longtemps dans la petite mouvance des trotskystes du PCI, il est significatif que ces militants ralliés à l'initiative du « Parti des travailleurs » soient des « notables », des petits probablement, mais des notables quand même.
On peut faire l'hypothèse en tout cas, que si mécontents il y a dans le PS et le PC, ils peuvent se recruter en effet parmi les notables : maires, conseillers municipaux, bureaucrates syndicaux. Chez tous ceux-là, au rythme où vont les choses, à la rapidité avec laquelle la gauche se discrédite et devient minoritaire, électoralement, dans le pays, la crainte peut grandir : pour ceux qui n'ont encore rien, de ne jamais rien obtenir, et pour ceux qui ont quelque chose de le perdre ; de ne jamais être député, maire ou conseiller municipal s'ils ne le sont pas déjà, de ne bientôt plus l'être s'ils le sont.
C'est surtout sur les notables du Parti Socialiste d'une formation bien moins cohérente et solidaire que le Parti Communiste que les forces centrifuges peuvent s'exercer. Un certain nombre d'entre eux, sous couvert de raisons politiques, évidemment, sous prétexte que la gauche au gouvernement aurait une politique anti-ouvrière et anti-populaire, pourraient préférer quitter leur formation s'ils estimaient pouvoir y gagner ou ne pas perdre quelque chose pour eux-mêmes. Car chez tous ces gens-là, la politique est toujours un tantinet intéressée ! Ce sont probablement de telles considérations qui avaient fait récemment se désapparenter du groupe parlementaire socialiste quelques députés de la Lorraine. Rester solidaires d'une politique anti-ouvrière, d'une politique qui frappe de plein fouet ses propres électeurs est évidemment suicidaire !
Cela dit, quitter le PS, un grand parti somme toute qui offre encore aux siens pas mal de sinécures, n'est pas non plus un bon calcul si c'est pour se retrouver seul ! Alors, s'il existait, à côté du PS ou du PC, un parti qui se dise de gauche, qui se dise partisan de la « démocratie », qui se dise « honnête et loyal » et offre une structure qui sauvegarde les postes avec l'honorabilité, pourquoi pas ?
Le Parti Communiste Internationaliste, avec sa petite force de frappe de quelques milliers de militants, pourrait offrir un cadre à ces transfuges ; il pourrait apporter les troupes à un futur parti, les jambes en quelque sorte, tandis que les « cadres », les « notables » en seraient la tête.
Pour l'heure, aucun « notable » suffisamment notable, député ou maire socialiste de quelque petit renom ne semble avoir la tentation de jouer le jeu et de donner quelque consistance à l'entreprise. Et c'est peut-être pour cette raison, et pas seulement parce qu'ils estimeraient n'être encore pas assez nombreux, que les responsables du PCI ne sont pas encore partisans de la proclamation d'un « Parti des travailleurs ». Pour la réussite de leur entreprise, ils ont besoin de « noms » !
A l'inverse, pour l'heure, les notables qui pourraient être tentés par l'expérience ne sont-ils peut-être pas encore convaincus de la capacité du PCI à leur rassembler suffisamment de troupes, et des troupes suffisamment soumises, suffisamment « honnêtes et loyales », suffisamment « démocrates ». Car le PCI garde quand même la réputation d'un groupe révolutionnaire, et c'est un handicap.
Certes, en affichant d'ores et déjà la volonté de créer un « Parti des travailleurs » au programme on ne peut plus vague, on ne peut plus inodore et sans saveur, peut-être cherche-t-il à donner à l'avance des gages qu'il est capable d'abandonner, s'il le faut, toute référence à la révolution et au trostkysme. Mais il en faut peut-être plus aux notables socialisants qui chercheraient une petite bouée de sauvetage.
Cela dit, des processus similaires ont eu lieu dans le passé. En 1947, les cadres sociaux-démocrates et anticommunistes de l'appareil de Force Ouvrière n'ont pas craint de se servir de troupes, d'une base militante, dans les entreprises, qui était bien plus à gauche qu'elle. A la base, il y avait des militants ouvriers trotskystes, anarcho-syndicalistes, mais à la tête il y avait Jouhaux.
Alors, la période à venir verra-t-elle naître un « Parti des travailleurs » avec à sa tête quelques transfuges de la social-démocratie en déroute, quelques députés qui voudraient garder leurs sièges en 1986, ou quelques maires qui voudraient garder leurs mairies et, à la base, comme fantassins, comme force militante, quelques milliers de trotskystes ou ex-trotskystes ?
Nous n'en savons rien. Nous pouvons seulement faire des hypothèses : dans la situation actuelle de recul du mouvement ouvrier et sur les bases politiques proposées « pour le Parti des travailleurs », ou bien ce dernier ne voit pas le jour, ou bien il devient une petite formation social-démocrate dont les camarades du PCI seront tenus d'effacer toute référence au trotskysme... ce dont ils ont largement pris les devants !
Pour « un parti dans tous les sens du terme »
Les camarades du PCI se disent préoccupés d'aborder une période de montée ouvrière avec un parti. Ils voudraient ne pas connaître les difficultés et les déboires de leurs prédécesseurs. « Ce n'est rien retirer au combat héroïque des militants trotskystes que de constater que dans chaque période de Front Populaire dans le passé (1936 en France et en Espagne, Chili) » écrivent-ils dans leurs textes de congrès, « en quelques mois, ils étaient marginalisés. Ils se trouvaient ainsi dans l'impossibilité de trouver la voie des masses » .
Les militants du PCI voudraient aborder la période décisive « avec un parti dans tous les sens du terme ». Soit. Mais précisément, le terme a beaucoup de sens. Et la question est de savoir si le « Parti des travailleurs » tel qu'il est conçu, si ce projet politique rapproche vraiment du parti révolutionnaire.
Nous pensons pour notre part qu'il en éloigne. « Ne pas s'adapter aux illusions, mais combattre les illusions sur le terrain des illusions » , disent les camarades du PCI, pour justifier leur orientation politique « démocratique » ! La formule sybilline caractérise la démarche : construire quelque chose sur le terrain des illusions ! Ce faisant, le PCI regroupera de tout, et peut-être beaucoup de monde, mais pas des révolutionnaires.
Alors, les révolutionnaires voudraient grandir, et le créer, ce parti qui, depuis des décennies, manque cruellement à la classe ouvrière ? Évidemment, et le PCI n'est pas le seul à militer pour cela. Mais ce n'est pas aujourd'hui, dans une période générale de recul du mouvement ouvrier, qu'un tel parti peut voir le jour.
Cela ne veut pas dire que les révolutionnaires doivent se démoraliser, ou qu'il n'y ait rien à faire. Les révolutionnaires peuvent préparer et cela dès aujourd'hui, les conditions de la cristallisation d'un parti ouvrier révolutionnaire pour la prochaine période de montée. Ils le peuvent s'ils parviennent à être quelques milliers, voire quelques centaines seulement, de militants dans les entreprises ; et si ces militants jouent un rôle dirigeant dans les luttes partielles et défensives que la classe ouvrière mènera, même démoralisée.
Paradoxalement, la période de recul, de reflux actuel, ne nous est pas défavorable. Relativement, les grands partis réformistes perdent plus en influence que les petites organisations révolutionnaires. Et le rapport de forces évolue en notre faveur, même s'il reste du chemin à parcourir.
Alors, ce qu'il faut aujourd'hui, ce sont justement des militants sans illusion aucune ; des militants profondément révolutionnaires, conscients que si le présent et plus encore les lendemains seront durs, les surlendemains, s'ils savent les préparer, donneront leur chance à la classe ouvrière et à la révolution.
Ce qu'il faut aujourd'hui, ce sont des militants pour l'avenir, pas des réformistes dont on cultive les illusions, mais de vrais révolutionnaires, des gens capables de militer même s'ils sont minoritaires, même s'ils le font à contre-courant et qui acquièrent du crédit dans la classe ouvrière pour être reconnus d'elle comme des dirigeants au moment de la prochaine montée.
Et si les organisations trotskystes actuelles réussissaient à forger dès aujourd'hui ce type de militant, alors oui, elles ne seraient pas demain, dans les épreuves décisives, marginalisées. Et c'est autour de leurs militants qu'un regroupement pourrait se faire, attirant ce que la classe ouvrière compte de meilleur dans les rangs actuels du PC et du PS. La construction du parti révolutionnaire, c'est dans une période de montée qu'elle se fera, à condition de savoir la préparer dès maintenant.
L'important dans la période qui vient n'est pas de rassembler sur la base d'illusions quelque dix mille, vingt mille ou cinquante mille réformistes. L'important est plutôt de former, à l'épreuve des luttes, quelque mille, deux mille ou cinq mille militants ouvriers révolutionnaires. Et ce n'est probablement pas plus difficile !