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Objectifs et limites de l'offensive de la CGT et du PCF
Dès le mois de juin, c'est-à-dire moins de trois mois après les élections et la défaite électorale de la gauche, à quelques semaines à peine de la grande coupure des vacances, on a assisté à la multiplication des conflits sociaux et à une remontée spectaculaire de la combativité ouvrière. Plus spectaculaire encore a été le changement de ton et de langage des directions syndicales et tout particulièrement de lu CGT.
L'ouverture, une porte entrouverte et aussitôt refermée
Il faut dire qu'après les élections, la gauche, partis et syndicats, avait accusé sérieusement les effets de la défaite au point d'aller au-devant des offres d'ouverture politique et sociales formulées par Giscard d'Estaing. On avait vu Mitterrand et Marchais, qui avaient toujours refusé jusque-là de se rendre à l'Élysée, accepter l'invitation du chef de l'État. Comme on avait vu Maire et Séguy emboîter le pas à Bergeron pour rencontrer le Premier ministre puis le ministre du Travail. A l'époque, la lutte n'était pas à l'ordre du jour. La défaite électorale avait laissé partis de gauche et syndicats sans politique de rechange. Durant toute la période précédente, ils avaient tout misé sur la victoire électorale et un changement de gouvernement. En perdant les élections, ils avaient du même coup perdu toute perspective. Sans compter que le découragement consécutif à la défaite électorale et à la persistance de la querelle au sein de la gauche pesait sur tous les travailleurs et plus particulièrement sur les militants politiques et syndicaux. En se rendant à l'Élysée puis à Matignon, les dirigeants ouvriers disaient en clair : puisque nous n'avons gagné les élections, il nous faut bien accepter des compromis.
Or des compromis, il n'y en a pas eu. Et c'est sans doute ce qui explique d'abord la différence d'attitude et de langage des directions politiques et syndicales. L'ouverture politique s'est limitée à une place pour le PS dans la délégation accompagnant Giscard à l'ONU et à quelques phrases, pour l'instant sans effet, sur le droit de réponse à la télévision. L'ouverture sociale, elle, s'est réduite à rien du tout, car ni Barre au nom du gouvernement, ni Ceyrac ou nom du patronat n'étaient disposés à lâcher quoi que ce soit. La droite avait gagné les élections, elle ne se sentait nullement concernée par les belles phrases de Giscard, elle n'était pas prête à la moindre concession sur le plan économique et social.
Non seulement il n'y avait rien dans les négociations en cours, mais dans le même temps, gouvernement et patronat se lançaient dans une offensive de grande envergure contre le niveau de vie des travailleurs et de la population laborieuse.
Cette offensive était prévue. On savait depuis longtemps que la bourgeoisie attendait impatiemment la fin de l'interminable campagne électorale pour présenter au gouvernement quel qu'il soit la liste des mesures destinées à lui permettre de ne pas payer la crise. On savait qu'elle voulait revenir à la liberté des prix, qu'elle voulait remettre en question l'indemnisation à 90 % des chômeurs licenciés pour cause économique, on savait aussi qu'un certain nombre de mesures de licenciements et de fermetures d'usines prévues avaient été suspendues afin de ne pas faire mauvaise impression sur les électeurs mais qu'elles seraient ensuite appliquées. Mais avec un gouvernement de gauche, la bourgeoisie aurait dû mettre quelques formes, et lâcher quelques concessions rattrapées ensuite par le jeu de l'inflation. Là, dans l'euphorie de la victoire de la droite, une victoire dont elle avait un temps douté, la bourgeoisie a attaqué avec une arrogance et un mépris qui frisent la provocation.
C'est le gouvernement qui a donné l'exemple avec la hausse des tarifs publics qui a précédé la libération des prix industriels. Il a reconduit les cadeaux au patronat que représente le fameux plan d'embauche des jeunes. Il a affirmé publiquement qu'il fallait que les profits des entreprises augmentent aux dépens de la part salariale. Barre a annoncé qu' « il n'y aura pas d'augmentation du pouvoir d'achat » ce qui, l'expérience l'a prouvé, signifie qu'il y aura diminution du pouvoir d'achat, les salaires ayant déjà pris un retard important sur les prix. Il y a eu enfin l'augmentation du chômage, le gouvernement ayant cessé de soutenir, selon la délicate expression du Premier ministre, « les canards boiteux de l'économie ». De toute évidence, dans la lancée de sa victoire électorale, la bourgeoisie et le gouvernement à son service veulent accélérer ce qu'ils appellent l'assainissement de l'économie capitaliste sur le dos de la classe ouvrière.
Telle est la situation pour les travailleurs. Mais telle est aussi la situation pour les syndicats et les partis de gauche qui ne peuvent, et c'est manifeste, rien espérer aujourd'hui de la négociation. Quant aux perspectives politiques, elles sont tout aussi barrées. La prochaine échéance électorale - l'élection à la présidence de la République - n'aura lieu que dans trois ans. Et si le problème agite certainement dès maintenant les états-majors des partis de gauche, il est tout aussi certain qu'ils ne peuvent dès aujourd'hui le présenter comme une perspective aux travailleurs.
Une riposte limitée...
Or, face à l'offensive patronale, face aussi à la concurrence du Parti Socialiste, la CGT et le Parti Communiste ne peuvent pas rester inactifs, sans rien proposer à la classe ouvrière. Reste donc la lutte, plutôt les luttes.
C'est dans ce contexte que l'on a vu la CGT durcir le ton et les initiatives. Cela a commencé par des mouvements dans le secteur public, chez les cheminots, à l'EDF, puis dans les bus parisiens. Et puis, il y a eu la grève qui a démarré plus ou moins spontanément à Flins, à l'atelier des grosses presses, puis à Cléon. Cette montée de la combativité ouvrière a permis à la CGT d'accentuer la radicalisation de son langage et de s'engager résolument dans une politique plus offensive.
En fait, il s'est agi bel et bien d'un tournant. La CGT a pu le prendre sans trop de remous car même au moment où elle rencontrait Barre, elle était restée ferme dans le ton et réservée dans les propos. Mais avec la déclaration de Georges Séguy du 6 juin : « Nous obtiendrons par la lutte ce que nous n'avons pas pu avoir par les élections », la CGT donnait le signal du changement et décidait de se porter au-devant des luttes là où elles éclataient.
Cette résolution a sans doute pris à contre-pied un certain nombre de militants engagés ça et là dans des discussions et des négociations - comme à Cléon par exemple. Elle a pu déconcerter ceux qui étaient restés sur la ligne antérieure infiniment plus prudente, mais les premiers moments de flottement passés, les militants de la CGT se sont portés à la tête des mouvements et s'y sont maintenus, aussi bien à Renault, Cléon et Flins, qu'à Moulinex ou dans les arsenaux.
La CFDT a suivi, avec un temps de retard et, semble-t-il, certaines réticences. Il faut dire qu'après la défaite électorale, la centrale CFDT s'était engagée dans le cours inverse. Maire parlait d'autocritique et semblait devoir prendre au sérieux les discussions en cours ; il ne condamnait pas formellement la politique de Barre, lui faisant crédit de quelques mois pour apprécier son efficacité et ses intentions ; il ne repoussait pas d'emblée la proposition patronale de revenir sur les 90 % d'indemnisation du chômage. Le changement de la CGT et la montée de la combativité ouvrière dans certains secteurs l'ont donc pris à contre-courant. Après quelques jours d'hésitation, la CFDT s'est résolue elle aussi à une politique plus offensive. Et elle participe avec la CGT à la direction des luttes.
FO, elle-même, s'est trouvée ça et là entraînée dans le mouvement, notamment dans les arsenaux, et le langage de Bergeron est celui d'un habitué des négociations que l'intransigeance patronale contraint à agiter la menace d'une grève inévitable.
Et l'on a pu voir les directions syndicales conduire fermement les luttes, on a pu les voir proposer comme chez Renault des actions de solidarité dans toutes les usines du groupe. On a pu les voir pousser délibérément à la généralisation dans les arsenaux.
Manifestement, le virage était bien pris.
Le changement de tactique, pris à l'initiative de la CGT, répond aussi à d'autres nécessités. La CGT et le PCF doivent en effet regagner le terrain perdu dans la classe ouvrière. Terrain perdu avant les élections, on l'avait vu dans les élections professionnelles où la CGT perdait des voix au profit de FO. Terrain perdu dans les élections législatives où l'on a vu le PCF limiter tout juste les dégâts et perdre des voix en pourcentage. Terrain perdu surtout après la défaite électorale, car la grande majorité des travailleurs déçus reprochaient à la gauche et surtout au PCF d'avoir en alimentant la querelle entraîné la défaite électorale de la gauche.
Regagner tout leur crédit auprès des travailleurs, refaire l'unité des militants, tel était le problème de la CGT et du PCF. Si cela avait pu se faire grâce à des négociations apportant quelques avantages aux travailleurs, si l'ouverture politique avait été plus substantielle, peut-être n'aurait-on pas vu la combativité actuelle des centrales. Mais c'est le contraire qui s'est passé.
Et dans la situation politique actuelle, aussi bien pour le PCF que pour la CGT, seule une politique combative peut leur permettre de reconquérir leurs positions dans la classe ouvrière. Le PCF l'a dit à sa manière dans son Comité Central du 14 juin par la voix de Poperen : « Il s'agit pour les organisations du parti de ne prendre aucun retard dans le soutien aux luttes légitimes des travailleurs, dans la contribution au développement et au succès des luttes des différentes couches de la population laborieuse pour obtenir dans l'immédiat tous les résultats positifs qui peuvent être obtenus » .
Mais si le PCF adopte une ligne plus offensive, il prend soin dans le même Comité Central de définir les limites de cette offensive, en insistant sur la nécessité pour les militants de mettre en avant des objectifs Jimités, concrets, réalistes ».
C'est dire qu'en réponse à l'attaque patronale et gouvernementale contre les travailleurs, le PCF et avec lui la CGT ne proposent aucune perspective de lutte nationale sur des objectifs importants qui pourraient seuls dans la période actuelle éviter aux travailleurs defaire les frais de la crise. Ils donnent aux luttes des objectifs « limités, concrets, réalistes ». Et pour mieux expliquer ce qu'il faut entendre par là, Poperen précise : « Engager la lutte pour des objectifs limités et réalistes, cela ne signifie pas s'en tenir exclusivement (souligné par nous - NDLR) des objectifs minimaux. Il s'agit de prendre toujours mieux en compte la diversité des besoins et aspirations des travailleurs de notre peuple » .
Autrement dit, dans la situation politique actuelle, le PCF et la CGT ont intérêt à la multiplication des grèves mais aussi à leur diversification. L'offensive sociale, telle qu'elle existe aujourd'hui, est une façon pour eux d'exister politiquement, un moyen de resserrer les rangs, de faire sentir leur poids et leur influence aussi bien au concurrent PS qu'à la bourgeoisie, une façon de dire qu'il faut compter avec le PCF sans quoi il n'y aura pas de paix sociale.
Mais c'est aussi une offensive à laquelle le PCF et la CGT entendent fixer des objectifs limités et diversifiés.
...et sans perspectives
Or la situation aujourd'hui exige une riposte et une contre-offensive générale des travailleurs. La bourgeoisie s'apprête à imposer une diminution draconienne du niveau de vie des travailleurs ; de tous les travailleurs, ceux qui sont au chômage comme ceux qui sont en activité. A cause des élections, le patronat se sent dans une position de force, il veut aller vite et le plus loin possible. La classe ouvrière ne peut résister qu'en engageant un combat qui peut déboucher sur une épreuve de force de grande envergure. Il s'agit non seulement de faire sauter le verrou du plan Barre et d'obtenir une augmentation générale des salaires, mais il s'agit surtout de se protéger contre l'inflation qui reprendrait immanquablement ce que la lutte aurait arraché, par une véritable échelle mobile des salaires. Il s'agit de se protéger contre le chômage par l'échelle mobile des heures de travail. Si les travailleurs ne veulent pas être écrasés économiquement par la bourgeoisie, ils devront gagner l'épreuve de force et imposer à la bourgeoisie de payer la note de la crise économique.
Mais cela, ni les syndicats ni les partis ouvriers ne sont prêts à le faire. L'épreuve de force, ils ne la souhaitent pas, ils ne la préparent pas. Ils se portent à la tête des luttes qui existent, ils tentent même dans certains endroits de les élargir, mais ils ne font rien pour préparer l'ensemble de la classe ouvrière au combat qu'elle devra mener. Ils n'ont volontairement aucun plan de mobilisation, aucune perspective à offrir aux travailleurs. Il est vrai qu'on ne fait pas la grève générale en appuyant sur un bouton, mais on peut la préparer. Or les centrales n'ont rien fait pour lier les luttes en cours, ils n'ont dégagé aucune revendication unifiante, générale, ils n'ont tracé aucune des étapes d'une éventuelle mobilisation de tous les travailleurs. Au contraire même, en fixant des objectifs limités, ils tournent le dos à cette nécessité.
Cela ne veut pas dire que les centrales syndicales ne sont pas prêtes à affronter une grève générale si celle-ci se propageait spontanément en dehors d'elle. Elles en ont connu d'autres, ne serait-ce que la grève générale de Mai 68 qui n'a été possible que parce que la CGT a lâché les freins. Mais elles ne font rien pour la préparer.
Et même une grève générale, dirigée par les centrales syndicales, pourrait ne déboucher sur rien de décisif pour la classe ouvrière. On l'a bien vu justement en Mai 68, où les revendications sont restées bien en-deçà de la combativité des travailleurs et où, pressées d'en finir avec la grève, les centrales syndicales ont accepté de signer les accords de Grenelle qui étaient eux-mêmes bien en-decà des revendications. Ce n'est pas seulement face à la grève générale qu'il faut juger la politique des syndicats, c'est aussi et surtout face aux revendications et aux possibilités de la grève elle-même.
L'expérience l'a montré : les centrales syndicales sont tout à fait capables de limiter la portée et les résultats d'une grève générale, et de dévoyer la combativité des travailleurs vers des objectifs minimaux.
Les tâches des révolutionnaires
Dans cette situation, quelle peut être la tâche des révolutionnaires ?
La tâche des révolutionnaires est d'abord de comprendre la situation, le changement de politique des syndicats et ses limites, elle est surtout de connaÎtre le plus exactement possible le niveau de conscience des travailleurs.
Dans l'état actuel des choses, les syndicats, dans la mesure même où ils ont, au moins provisoirement, choisi l'offensive, représentent pour l'immense majorité des travai eurs la direction naturelle de leurs luttes.
Les révolutionnaires doivent le savoir, comme ils doivent savoir que les syndicats peuvent aller loin dans un conflit donné. Rappelons-nous les commandos contre les camions du Parisien Libéré et les incendies de kiosques. Il ne s'agit pas pour les révolutionnaires de se livrer à une surenchère gauchiste. Il s'agit d'être avec les travailleurs et de préparer les plus conscients d'entre eux à ce qui peut se passer. Il s'agit de leur dire jusqu'où iront les syndicats et jusqu'où ils n'iront pas. Il faut savoir et faire savoir que si les grandes centrales, c'est-à-dire essentiellement la CGT et la CFDT, prennent peut. être aujourd'hui le risque de voir se développer en dehors d'elles une généralisation des luttes, elles ne feront rien pour la favoriser, au contraire. Il faut savoir et faire savoir que les grandes centrales se contentent tout à fait des luttes dispersées actuelles, même si cette dispersion et cet isolement risquent de conduire à la défaite. Non pas que les syndicats souhaitent la défaite, ils ont au contraire besoin, ne serait-ce que pour leur crédit auprès des travailleurs, de résultats positifs. Mais en tournant le dos à la mobilisation méthodique des travailleurs, en refusant de donner une perspective d'ensemble aux luttes en cours, ils contribuent à les isoler et donc à les rendre vulnérables.
Et le résultat peut être d'user la combativité des plus déterminés, d'épuiser l'avant-garde qui se bat seule aujourd'hui et qui risque d'être démobilisée demain.
Dans ce contexte, les militants révolutionnaires d'entreprise doivent être extrêmement attentifs, d'autant que si le climat dans la classe ouvrière n'est pas aujourd'hui à la généralisation, cela peut changer très vite. Aussi n'est-il pas forcément juste d'engager aujourd'hui systématiquement les plus déterminés dans la lutte. Bien entendu, là où des grèves éclatent, les militants révolutionnaires doivent être les premiers dans la lutte et à tous les niveaux ; ils doivent militer pour que les travailleurs participent activement et directement à la conduite et à la direction de leur grève. Mais il faut surtout qu'ils leur expliquent la situation et préparent avec eux dans la grève les prochaines étapes de la mobilisation ouvrière.
Car les militants révolutionnaires doivent dire ce que les syndicats ne disent pas : que le patronat ne cédera que contraint et forcé, et il ne sera contraint et forcé que par un mouvement d'ensemble des travailleurs. Que même une victoire partielle des travailleurs dans telle ou telle entreprise ne changera pas fondamentalement la situation des travailleurs. Que pour se défendre contre l'offensive patronale, il faudra inévitablement se battre et se battre durement. Que face à la crise, il n'y a pas d'autre solution pour la classe ouvrière.
Dans la situation actuelle, les révolutionnaires ne peuvent évidemment pas dépasser le niveau de conscience et de combativité des travailleurs, mais leur rôle est de préparer l'autre situation, celle où justement, déterminée à ne plus subir la crise, la classe ouvrière se lancerait dans le mouvement avec la volonté de faire plier le patronat.