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Les révolutionnaires et les contestataires du PCF
Dans son numéro de décembre 1984, Critique Communiste, la revue mensuelle de la LCR, s'inquiétait de voir Lutte Ouvrière prendre « la défense de la direction communiste contre certains de ses opposants » . La publication par Rouge, dans son numéro du 11 janvier, d'un texte intitulé « Des voix critiques », consacré à la tribune de discussion de l'Humanité, ouverte à l'occasion de la préparation du XXVe congrès du PCF, nous donne l'occasion de cerner à ce propos les divergences qui nous séparent de nos camarades de la LCR.
« Dans la grisaille d'un débat tout entier consacré à la défense de l'orientation du « nouveau rassemblement populaire majoritaire », quelques contributions font contraste » écrit Rouge.
Rouge a retenu ainsi « trois critiques (qui) convergent sur une série de questions clés et affirment une approche en opposition à celle de la direction ».
Ces trois contributions, ce sont celles de Jean Ooghe, ancien membre du comité central du PCF, de Félix Damette, membre du comité central, et de Lucien Lanternier, maire de Gennevilliers.
Bien sûr, à aucun moment Rouge ne s'affirme en accord politique avec ces trois contributions. Rouge note même que « la nouvelle orientation (du PCF) n'est pas dénoncée frontalement » et « qu'aucune de ces contributions ne rompt le consensus général qui interdit de tirer le bilan de la participation au gouvernement ». Mais , souligne aussitôt Rouge, dans ces contributions « plusieurs questions sont soulevées qui constituent autant de coins enfoncés dans les points les plus fragiles de l'orientation nouvelle ».
Il y a donc, dans tous ces commentaires, une incontestable intention de valoriser le contenu de ces contributions, intention qui se manifeste à nouveau dans la conclusion de l'article de Rouge qui s'étonne « que, dans un tel climat, parviennent malgré tout à se faire entendre des voix qui n'hésitent pas à soulever les vraies questions » .
Voyons donc quelles sont, pour nos camarades de la LCR, les « vraies questions ».
« Un point de départ commun (à ces trois contributions) - écrit Rouge - est une caractérisation nette de la situation de crise que connaît le parti : un processus de marginalisation politique ».
Et puis, note Rouge, « Félix Damette rappelle que les clivages gauche-droite et la notion d'union ne sauraient être oubliés » . Et Rouge de citer Damette : « Il faut tenir compte du fait que la notion de gauche et la volonté d'union sont des données politiques de masse qui font partie et feront partie longtemps du mouvement populaire lui-même... En posant les luttes hors du champ politique et en définissant l'union de la gauche en termes d'accord avec le Parti Socialiste, nous faisons comme si toute possibilité de déboucher au niveau de l'État était renvoyée à un avenir lointain ».
Mais que veut donc exprimer Damette, en regrettantainsi que « toute possibilité de déboucher au niveau de l'État (soit) renvoyée à un avenir lointain » sinon sa nostalgie de la participation gouvernementale. Cela ressort d'ailleurs encore plus clairement de la suite de son texte, que Rouge ne cite malheureusement pas : « C'est précisément ce que souhaite le Parti Socialiste ; il cherche à nous faire apparaître comme des gens qui se sont mis à l'écart du combat pour le pouvoir politique ; il veut se réserver l'exclusivité de la lutte pour l'État ». Car comme personne, ni Damette, ni les rédacteurs de Rouge, ne peut considérer que les termes de « lutte pour l'État » , à propos du Parti Socialiste , puisse signifier autre chose que « participation gouvernementale », c'est bien le partage de celle-ci que réclame Damette.
Damette estime également dangereux le choix de la direction du PCF du point de vue de l'avenir électoral de celui-ci. Il s'inquiète dans sa contribution, du fait que l'orientation du « rassemblement populaire majoritaire » pourrait « nous placer en porte-à-faux électoral pour une assez longue période ».
Rouge ne cite pas non plus ce propos de Damette. Faute de place peut-être. Mais c'est bien dommage, car il montre où sont les « véritables problèmes » que se pose celui-ci.
Damette n'est d'ailleurs pas un inconnu pour les camarades de la LCR. Par exemple, le numéro de Rouge du 9 novembre écrivait : « Les Cahiers du Communisme , la revue politique du parti, livrent régulièrement leur lot d'articles de « rénovateurs officiels », têtes chercheuses théoriques patentées. A ce jeu, Félix Damette et Jacques Scheibling excellaient avant leur disgrâce. Ils ont légué la théorie de l'abandon de toute rupture avec le capitalisme ». Les camarades de la LCR ne pouvaient donc pas avoir la moindre illusion sur ce que peut signifier, pour un Damette, la « lutte pour l'État ». Et le Damette de la contribution publiée par l'Humanité est le digne continuateur de la « tête chercheuse théorique patentée » des Cahiers du Communisme. Alors, comment Rouge peut-il en arriver à écrire que ce genre de prose « pose avec clarté les vrais problèmes » ?
Mais ce n'est pas une erreur fortuite, car dans l'Humanité, Rouge a découvert un autre texte plein d'intérêt, qui « soulève lui aussi la question que veut escamoter la direction, des objectifs fixés à la lutte et au rassemblement, de leur articulation avec une stratégie politique de conquête du pouvoir ». C'est celle de Lucien Lanternier.
Voici l'extrait du texte de Lanternier que cite Rouge : « A mon sens, le problème de la conquête du pouvoir, l'investissement de l'appareil d'État par le mouvement populaire au terme d'un processus démocratique ne peut être éludé, ce qui suppose comme pour tout parti politique, et à plus forte raison pour le parti révolutionnaire, un programme proposant une large politique d'union, rejetant l'étroitesse comme toutes les formes de collaboration de classes, mais qui repose aussi et surtout sur la prise en compte des mutations. » Et cette prose suscite chez le rédacteur de Rouge ce commentaire admiratif : « Dans le cadre de l'actuel débat, ces questions, simples, apparaissent quelque peu incongrues : comme des propositions de stratégie révolutionnaire proférées au milieu d'une cuisine ! »
Mais qu'ont donc de si « révolutionnaires » les propositions de Lanternier ? Il parle certes du PCF comme d'un « parti révolutionnaire », mais au même titre que Marchais. Il parle de « conquête du pouvoir » mais c'est pour assimiler aussitôt celle-ci à « l'investissement de l'appareil d'État par le mouvement populaire au terme d'un processus démocratique », ce qui en fait de « clarté », est la manière traditionnelle des réformistes de farder d'un peu de rouge leur envie de participer à la gestion des affaires de la bourgeoisie. En réclamant une « stratégie de développement du mouvement des masses pour la conquête et la démocratisation du pouvoir d'État » Lanternier entend opposer la politique que menait le PCF avant juillet 1984 à celle d'aujourd'hui. Lanternier sait d'ailleurs choisir ses références pour qu'il n'y ait pas d'ambiguïté (sauf apparemment, pour Rouge). Contre le cours actuel du PCF de Marchais, il se réclame explicitement du « Manifeste de Champigny » de 1969 de Waldeck Rochet et de sa dénonciation des « opportunistes « de gauche » (qui) préconisent la conquête d'un pouvoir à l'usine », d'un « pouvoir à l'université », sans jamais poser la question du pouvoir politique ».
Les Damette et les Lanternier ont certes raison sur un point : le « rassemblement populaire majoritaire » n'offre certainement pas la moindre perspective politique au PCF, en dehors d'attendre d'hypothétiques jours meilleurs pour se reposer le problème de la participation gouvernementale. En réclamant que le PCF ne laisse pas au PS « l'exclusivité de la lutte pour l'État », ils sont peut-être plus conséquents, du point de vue réformiste. Mais la politique qu'ils proposent n'est en rien meilleure pour les travailleurs.
La politique actuelle du PCF n'est certes pas plus « révolutionnaire » que celle qu'il menait avant juillet 1984. Mais des milliers de militants ouvriers de ce parti en sont venus à avoir des doutes sur la politique de celui-ci, sur la confiance qu'ils pouvaient accorder à sa direction, à travers l'expérience de ces trois ans de participation gouvernementale. Et aujourd'hui, tout ce que Rouge trouve à faire, c'est de leur présenter comme des gens pleins d'intérêt les nostalgiques plus ou moins avoués de la participation gouvernementale. Ce serait cela, le rôle des trotskystes ? On croit rêver.
Mais il n'y a pas que sur le problème de la « stratégie politique » que Rouge trouve un intérêt particulier aux contributions citées. Et Rouge de citer J. Doghe, qui souhaite « débarrasser notre politique de toute complaisance à l'égard des pays socialistes, dont les acquis ne peuvent continuer à dissimuler les carences fondamentales en matière de démocratie, c'est-à-dire, en fin de compte, l'un des éléments décisifs après la suppression des rapports de production capitalistes, de l'émancipation effective des travailleurs » . Ces lignes ont d'ailleurs droit à cette appréciation flatteuse de Rouge : « ce qui, en peu de mots, est aller à l'essentiel ! » .
Eh bien non, l'essentiel, pour juger de ce que représentent les différents courants du mouvement ouvrier, n'est pas cela, faute de quoi de Blum à Mitterrand en passant par Mollet, tous les sociaux-démocrates de la planète, qui se sont débarrassés depuis longtemps « de toute complaisance à l'égard des pays socialistes », devraient avoir droit aux félicitations des révolutionnaires.
En fait, rien de ce que les Ooghe, Damette, et autres Lanternier, ont écrit dans leur contribution, ne permet de voir en eux autre chose que des représentants d'un courant social-démocrate, nostalgique de la participation gouvernementale.
D'où vient, alors, que les camarades de la LCR, qui savent lire aussi bien que nous, ne semblent pas s'en être aperçus ? C'est que la LCR est prisonnière de sa manière fausse de poser le problème de l'unité entre le PCF et le PS.
La LCR considère que cette unité est une nécessité. Bien sûr, la LCR parle de l'unité sur un programme favorable aux intérêts des travailleurs. Mais elle ne tient pas toujours compte de cette restriction dans ses raisonnements, et c'est là que cela devient dangereux.
La LCR n'a certes jamais, à notre connaissance, reproché explicitement au PCF d'avoir quitté le gouvernement. Elle s'est contenté de critiquer le cours « sectaire » qu'il avait adopté ensuite. Mais dans le numéro de Critique Communiste déjà cité, la LCR explique que « le fond de la question » qui « semble échapper à LO » , c'est que « le calcul du PC consiste à laisser le PS s'user à gérer seul l'austérité au gouvernement, et pour cela, il mise sur la victoire de la droite en 1986. »
L'idée implicite de cette phrase est que si la droite risque d'être victorieuse aux élections en 1986, c'est parce que le PCF a quitté le gouvernement, pour ne pas partager le discrédit de la politique du PS. Ce n'est pas formellement dit, mais le raisonnement est celui-là.
Or, ce qui risque de conduire à la victoire de la droite en 1986, c'est la politique anti-ouvrière décidée et conduite par les dirigeants du PS (avec la complicité des dirigeants du PCF jusqu'en juillet 1984, sans eux depuis).
Bien sûr le retrait des ministres communistes s'est fait en fonction des intérêts électoraux du PCF, qui n'ont rien à voir avec les intérêts des travailleurs. Mais les intérêts électoraux du PS non plus.
Alors, doit-on reprocher aujourd'hui aux dirigeants du PCF de se désolidariser de la politique du gouvernement ? Non, répondons-nous, car quelles que soient les raisons de Marchais, la politique de ce gouvernement est une politique anti-ouvrière. Oui, conduit à répondre la manière de voir de la LCR, qui privilégie l'unité en soi du PCF et du PS.
C'est ce type de raisonnement qui conduit à valoriser la contribution d'un Ooghe, parce qu'il se prononce « pour lutter de façon conséquente et sans à coup en faveur de l'union des forces populaires » , d'un Damette parce qu'il écrit que « la notion de gauche et la politique d'union sont des données politiques de masse » , d'un Lanternier parce qu'il réclame « un programme proposant une large politique d'union ». Et ce n'est pas un mode de raisonnement nouveau de la part de la LCR.
Au moment des élections municipales : d'Aulnay-sous-Bois, par exemple, en novembre 1983, les camarades de la LCR n'étaient pas d'accord pour s'adresser aux. électeurs communistes qui souhaitaient que le PCF quitte le gouvernement.
C'est que les camarades de la LCR tiennent formellement à considérer de la même manière PS et PC, à répartir équitablement les critiques. Et ce même numéro de Critique Communiste déjà cité écrivait : « LO a toujours considéré le PCF comme un parti authentiquement ouvrier, quoique à direction réformiste, par opposition au PS qu'elle qualifie de parti bourgeois » ajoutant que la LCR avait « toujours combattu cette appréciation fausse » .
La formulation de Critique Communiste est inexacte. Nous n'avons jamais opposé PC et PS par leur nature de classe. Nous voulons bien convenir que le PS, par son électorat sinon par son recrutement, par ce qu'il représente pour des millions de travailleurs, est un parti ouvrier. Mais là où Critique Communiste n'a pas tort, c'est de considérer que nous ne mettons pas un signe d'égalité entre PC et PS. Car dire que l'un et l'autre sont des « partis ouvriers » n'épuise pas le sujet.
Il n'y a certes pas qu'au PCF qu'il y a des militants ouvriers sincèrement dévoués aux intérêts de leur classe. Les organisations social-démocrates comptent aussi dans leurs rangs nombre de militants ouvriers honnêtes, qui sont venus à la social-démocratie parce qu'ils étaient écoeurés par le stalinisme.
Mais depuis maintenant plus de soixante ans, dans ce pays, c'est le Parti Communiste qui compte dans ses rangs le plus grand nombre d'ouvriers d'avant-garde, désireux de changer la société, dévoués à leur classe, parce qu'en dépit de toutes ses trahisons, ce parti a toujours su apparaître à leurs yeux comme le plus combatif. Et ni le Parti Socialiste, ni aucune organisation social-démocrate (comme la CFDT par exemple) ne possède cette image aux yeux des travailleurs, ni ce type de recrutement.
Pourtant, tout se passe comme si la LCR cherchait à justifier aux yeux de milieux proches de la social-démocratie, les critiques adressées à la politique du PS, par des critiques équivalentes portées au PC.
C'est que l'objectif que s'est donné la LCR depuis 1968 est en réalité de s'adresser prioritairement aux militants gauchistes qui militent au sein de la CFDT, et qui sont plus proches de la social-démocratie que du PCF. C'est cela qui l'amène à faire l'erreur d'appréciation capitale qui consiste à mettre sur le même pied le PS et le PCF et à valoriser les courants d'opposition sociaux-démocrates au sein du PCF.
Mais le PCF et la CGT représentent bien plus de militants ouvriers, et dans des secteurs bien plus exploités, plus défavorisés, plus déterminants, de la classe ouvrière française, que les militants que la vague de mai 68 a portés vers la social-démocratie, et que le reflux actuel risque d'entraîner loin du mouvement ouvrier. Et par leur politique actuelle, les camarades de la LCR font une erreur de perspective capitale qui pourrait coûter cher au développement du mouvement révolutionnaire dans les années qui viennent.
Pour la première fois depuis bien longtemps, le PCF est traversé par des débats dont les échos parviennent à l'extérieur.
Cela constitue bien sûr une situation que les révolutionnaires doivent suivre de près. Mais valoriser les propos des courants les plus sociaux-démocrates du PCF, c'est se mettre dans la plus mauvaise des situations pour tenter d'influencer les militants ouvriers combatifs de ce parti qui étaient opposés à sa participation au gouvernement, ou réticents, et qui constituent au sein du PCF, pour la première fois depuis bien longtemps, une véritable opposition de gauche, bien qu'informelle. Ces militants qui reprochaient à leur parti de soutenir la politique de Mitterrand, ne sont pas en train de pleurer après « l'union » perdue. Et il serait lamentable que. l'attitude des révolutionnaires par rapport aux problèmes que traverse aujourd'hui le PCF, amène les plus combatifs des militants de ce parti à penser que les « rénovateurs » sociaux-démocrates et les trotskystes mènent le même combat.
Il ne s'agit certes pas de ne plus critiquer Marchais. Mais il s'agit de n'être pas plus tendre avec les opposants du PCF qui se situent sur le terrain de la social-démocratie.
Nous ne désespérons cependant pas de voir nos camarades de la LCR, sous la pression des faits, réviser leur position, comme ils viennent, dans le numéro de Rouge en date du 18 janvier, de redresser leur appréciation du tournant décidé par le PCF, opéré par la CGT l'été dernier. Même avec trois mois de retard par rapport à la discussion qui nous a opposés sur ce sujet en octobre-novembre, mieux vaut tard que jamais. Mais le temps nous est tout de même compté. La crise que traverse actuellement le PCF ne deviendra un fait positif que si elle conduit, àun moment ou à un autre, des milliers de militants de ce parti à renouer avec les idées et le programme révolutionnaires. Et dans ce processus, les trotskystes ont un rôle capital à jouer, s'ils savent adopter, à temps, une attitude juste.
François DUBURG (LO)