Le mouvement palestinien : plusieurs organisations pour une politique similaire01/07/19781978Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1978/07/55_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Le mouvement palestinien : plusieurs organisations pour une politique similaire

Les accrochages qui se sont produits au Liban, entre des groupes de palestiniens et des contingents de la FINUL (Force Intérimaire des Nations Unies au Liban), ont une nouvelle fois attiré l'attention sur les politiques divergentes qui s'affrontent au sein du mouvement nationaliste palestinien. En effet, la majorité de l'OLP (Organisation de Libération de la Palestine) de Yasser Arafat se déclarait prête à coopérer avec la FINUL tandis que les éléments proches du Front du Refus, quant à eux, se montraient prêts à engager le fer avec elle.

La division du mouvement palestinien en tout un éventail de tendances politiques n'est pas chose nouvelle. Mais aujourd'hui, après dix ans de luttes intenses et de difficultés tragiques pour le mouvement palestinien, il est possible de tirer un bilan des différentes politiques qui se sont affrontées en son sein. Et ce bilan, c'est d'abord que si la politique suivie par la direction de l'OLP avec Yasser Arafat n'a pas évité au peuple palestinien de subir des revers graves, ceux qui se présentaient comme la gauche, ou même comme l'aile révolutionnaire du mouvement, n'ont à aucun moment ouvert une réelle alternative à la politique de la direction de l'OLP. Au point qu'aujourd'hui d'ailleurs, malgré les difficultés diplomatiques et militaires, la tendance modérée de l'OLP semble se sentir en position de force par rapport à l'aile gauche. Ainsi, on a pu voir la direction de I'OLP s'engager à pratiquer elle-même la répression contre les « éléments indisciplinés » palestiniens qui chercheraient à s'opposer aux Casques Bleus de l'ONU.

Pour tirer ce bilan, il est nécessaire de rappeler quelles épreuves le peuple palestinien a rencontrées ces dernières années, et comment les diverses tendances les ont affrontées.

L'éventail politique palestinien

Au sein du mouvement nationaliste palestinien, le Fatah, le mouvement de Yasser Arafat, est très largement majoritaire. Le Fatah (Mouvement de Libération National de la Palestine) plaçant au premier plan la libération de la Palestine, considère que toutes les autres questions sont subordonnées à celle-là. En particulier, le Fatah a pour principe de ne pas prendre position sur les autres questions politiques qui divisent le monde arabe, et de ne pas distinguer, par exemple, entre les gouvernements arabes réactionnaires et les gouvernements arabes « progressistes ». Il recherche indistinctement leur soutien et ne juge que leur plus ou moins grand appui au mouvement palestinien.

Outre le Fatah, différents mouvements se réclament d'un nationalisme palestinien plus ou moins radical, comme la Saïka (liée aux dirigeants syriens), ou d'autres mouvements de moindre importance. Mais d'autres mouvements aussi, à la gauche du Fatah, se réclament en outre du marxisme. Les plus connus sont le FPLP de Georges Habache (Front Populaire de Libération de la Palestine) et le FDLP (Front Démocratique de Libération de la Palestine) de Nayef Hawatmeh, précédemment appelé FDPLP (Front Démocratique et Populaire de Libération de la Palestine), et qui est une scission du premier.

Le FPLP est la principale organisation qui compose aujourd'hui le Front du Refus. Il est issu du MNA (Mouvement National Arabe), organisation nationaliste fondée en 1951, adhérant à l'idéologie du nationalisme panarabe, incarnée un moment par Nasser. C'est en 1966-67 que le MNA a donné naissance au FPLP, celui-ci se réclamant du marxisme léninisme.

Le FPLP proclame son engagement total dans la « résistance populaire armée ». Il proclame que « la lutte du peuple de Palestine est organiquement liée au combat des forces révolutionnaires dans le monde arabe ». Il distingue, entre les différents gouvernements des pays arabes, « les forces arabes réactionnaires et les régimes qui les représentent », d'une part, et, d'autre part, « des régimes nationaux où la petite bourgeoisie se trouve au pouvoir », visant ainsi les pays arabes qualifiés de « progressistes » comme la Syrie, l'Irak ou il y a quelques années l'Égypte. Enfin, faisant référence à la lutte de classe, il déclare que « la force principale de la révolution palestinienne est formée de la classe des ouvriers et des paysans », qui doivent cependant s'unir à « la petite bourgeoisie palestinienne ». Il dénonce, comme ennemis du peuple palestinien, « le sionisme, l'impérialisme mondial et la réaction arabe ».

Le FDLP de Nayef Hawatmeh s'est séparé, lui, en 1969, du FPLP qu'il ne considérait pas comme suffisamment marxiste. Il proclame que « la petite bourgeoisie n'est pas qualifiée pour diriger le mouvement de libération nationale et réaliser ses objectifs. Cette mission ne peut revenir qu'à la classe des ouvriers et des paysans pauvres ». Il affirme que la lutte des Palestiniens ne peut être victorieuse que si elle devient une guerre populaire, s'appuyant sur la mobilisation des classes populaires au sein de la population palestinienne, et qu'elle doit s'appuyer également sur les alliés « progressistes » qu'elle peut trouver au sein des autres pays arabes, et même d'Israël.

Dix ans de répression contre les palestiniens

Mais les dix années qui viennent de s'écouler ont largement montré que la gauche du mouvement, malgré sa phraséologie marxiste, n'offrait pas au peuple palestinien de mener une politique réellement différente de celle du Fatah, ni en tout cas une politique montrant plus clairement au peuple palestinien où sont ses véritables alliés, et où sont ses vrais ennemis.

Ces dix années sont pourtant jalonnées de graves difficultés pour le peuple et pour le mouvement palestiniens. Dans les années 1968-69, ce dernier se trouvait à son apogée. A la suite de l'occupation israélienne de la Cisjordanie, de Gaza et du Sinaï pendant la guerre israélo-arabe de juin 1967, un courant irrésistible entraînait la population palestinienne à soutenir activement les organisations de résistance. Les effectifs des feddayines membres des organisations militaires étaient, en quelques années, multipliés par dix. De plus, les Palestiniens capitalisaient la sympathie d'une grande partie de la population des autres pays arabes, en Jordanie et au Liban notamment.

Mais c'est ensuite un cruel processus de répression qui s'est déroulé au Moyen Orient. Les gouvernements arabes ont mené la principale part de cette entreprise de répression contre les Palestiniens : le gouvernement jordanien d'abord, en septembre 1970, en noyant dans le sang les mouvements de guérilla implantés dans les camps de Palestiniens de Jordanie. Les autres gouvernements arabes ont alors officiellement déploré la répression menée par Hussein. Mais ils ont ensuite mené une politique analogue.

Ainsi, le gouvernement syrien, dit « progressiste », s'employa à réglementer sévèrement les activités palestiniennes sur son sol, en ne les tolérant que si elles se situaient dans le cadre de la Saïka, l'organisation palestinienne contrôlée étroitement par le gouvernement syrien, et ne constituant en fait rien d'autre qu'une force supplétive de l'armée syrienne.

Le gouvernement égyptien, lui, n'ayant que peu de Palestiniens sur son sol, pouvait se permettre de proclamer plus fort sa solidarité avec eux. Mais cela ne l'empêcha pas, lui aussi, de contrôler étroitement la presse palestinienne paraissant en Egypte et de fermer à plusieurs reprises les radios palestiniennes émettant du Caire.

Enfin, la dernière entreprise de « normalisation » en date a été celle du Liban, dernier pays où les guérillas palestiniennes disposaient d'une certaine liberté d'action. C'était l'un des enjeux de la guerre civile libanaise, commencée en avril 1975. Et, l'extrême-droite et l'armée libanaises se montrant finalement incapables de vaincre militairement les Palestiniens, c'est cette fois l'armée de la Syrie « progressiste » qui est intervenue contre eux, d'abord en tant que telle, puis sous la dénomination de Force Arabe de Dissuasion, c'est-à-dire avec la caution officielle des pays de la Ligue Arabe.

Dans cette entreprise de répression menée par les gouvernements arabes contre les Palestiniens, il est significatif que les gouvernements arabes qui leur ont le plus longtemps affirmé leur solidarité soient ceux qui sont le plus éloignés du théâtre des opérations, et qui n'ont pratiquement pas de Palestiniens sur leur sol, comme l'Algérie, la Lybie et l'Irak. C'est dire à quel point la solidarité affirmée des gouvernements arabes était formelle et cachait - bien mal - une hostilité de fond au mouvement palestinien.

A première vue pourtant, les organisations palestiniennes étaient un allié important pour les dirigeants arabes, dans leurs démêlés diplomatiques et militaires avec Israël et avec l'impérialisme ; et, de plus, un allié dont il semble qu'ils n'avaient rien à craindre, puisque ses objectifs se limitaient au nationalisme palestinien.

Pourtant, c'est pour des raisons de fond que les dirigeants arabes les combattaient. Car ces organisations s'appuyaient sur un peuple palestinien disséminé dans les différents pays arabes et qui faisait confiance non au gouvernement de ces pays, mais à l'autorité de l'OLP. Du coup, même à son corps défendant, l'OLP constituait à l'échelle des pays arabes une sorte de force supranationale concurrente des différents États de la région. Elle pouvait constituer un pôle de référence pour les oppositions, pour les mécontentements et les espoirs des populations de ces États, surtout vu le caractère antidémocratique des régimes en place. Aux yeux des masses populaires des pays arabes, les Palestiniens tendaient à incarner l'aspiration nationaliste arabe, dépassant le nationalisme égyptien, syrien, irakien, lybien ou autre.

C'est parce qu'ils incarnaient cette possibilité d'une mobilisation populaire s'appuyant sur le sentiment nationaliste panarabe et dépassant les dirigeants des États arabes, que ceux-ci ont combattu les Palestiniens ; même et surtout si ces dirigeants, comme un Nasser ou un Kadhafi, ne dédaignaient pas eux-mêmes de se réclamer d'un anti-impérialisme panarabe. Car le panarabisme en question n'était pour ces dirigeants qu'une couverture commode pour leur ambition de prendre la direction du monde arabe, en envisageant certes de « l'unifier »... mais en fait sous la forme d'une extension de leur propre État.

Si ce fait était la principale raison de l'hostilité des États arabes aux Palestiniens et à l'OLP, il pouvait être aussi pour celle-ci une source de force, en lui assurant le soutien profond des peuples des États arabes. Mais, pour qu'elle s'assure systématiquement ce soutien, il aurait fallu qu'elle choisisse consciemment de brandir le drapeau du panarabisme, en se comportant en quelque sorte comme le parti jacobin de la « nation arabe », combattant tout à la fois pour son émancipation nationale et pour son unification. Cela impliquait, bien sûr, un affrontement avec les gouvernements arabes en place. Mais cet affrontement, l'OLP ne l'avait-elle pas de toute façon ?

Ce choix politique, la majorité de l'OLP ne l'a pas fait. La direction de l'OLP a refusé de combattre ces gouvernements qui la combattaient. Elle a au contraire choisi, à chaque étape, de leur donner des gages, de composer avec eux, puis de reculer devant leurs coups pour tenter de sauvegarder ce que tous nommaient la « solidarité » inter-arabe. Mais cela n'empêchait pas ces gouvernements, dès qu'ils se sentaient plus forts, de lui porter de nouveaux coups.

Il est significatif que, à ces différentes étapes, tragiques pour le peuple palestinien, la gauche palestinienne n'ait pas fait, en réalité, de choix différent. En effet, pas plus que la majorité de l'OLP, elle ne s'est en fait solidarisée avec les masses populaires des pays arabes et n'a proclamé la nécessité de s'allier avec elles contre leur gouvernement.

Le mouvement palestinien et les états arabes

Le FPLP et le FDLP proclamaient pourtant la nécessité de s'allier aux « éléments progressistes » des pays arabes, contre les éléments réactionnaires.

Mais, derrière la phraséologie radicale, gisait une politique tout à fait analogue à celle du reste de l'OLP. Ce que proposaient le FPLP ou le FDLP, c'était en fait de prendre, par exemple, le parti de tel régime arabe réputé « progressiste » et de rechercher son soutien de façon privilégiée, quitte à s'aliéner tel régime réputé réactionnaire. C'est ainsi que l'on vit le FPLP établir des liens privilégiés avec l'Irak, tandis que le FDLP, lui, se rapprochait de la Syrie.

Or, les régimes dits progressistes de Syrie ou d'Irak, ou les pays arabes dits « durs » comme l'Algérie ou la Lybie, n'avaient de « progressistes » que le nom. L'engagement de la Syrie aux côtés de la droite libanaise devait d'ailleurs le démontrer spectaculairement. Le « progressisme » en question n'était qu'un argument démagogique employé dans les rivalités nationales avec les autres pays arabes ou pour rechercher, par périodes, l'appui de l'URSS contre l'impérialisme dans la région. Mais ces régimes étaient tout aussi bourgeois, tout aussi dictatoriaux, tout aussi irréductiblement opposés aux masses populaires de leur pays ; et tout aussi opposés, pour les mêmes raisons que les autres, à l'existence de mouvements palestiniens sur leur sol... sauf bien sûr quand, comme dans le cas de l'Algérie et de la Lybie, ceux-ci ne s'y trouvaient pas !

L'orientation du Fatah et de la majorité de l'OLP était de ne pas se lier prioritairement avec tel ou tel des États arabes, mais de jouer le jeu avec tous ceux qui se montraient prêts à l'aider ou à la tolérer, en leur donnant des gages, en s'engageant à ne pas s'ingérer dans leurs affaires intérieures. Et un de ces gages, justement, c'était de se garder de tout engagement trop précis sur le plan international au côté de tel ou tel groupe d'États ; c'était de montrer l'orientation indépendante d'une OLP uniquement préoccupée de l'avenir de la Palestine. C'était de ne jamais laisser croire à un gouvernement que l'OLP pourrait par exemple prendre le parti de son rival.

Car les dirigeants majoritaires de l'OLP savaient qu'ils avaient à louvoyer s'ils voulaient tenter malgré tout de se faire accepter par les gouvernements arabes. Il s'agissait pour eux de tout faire pour laisser subsister, entre les États arabes, Israël et l'impérialisme, une marge d'existence pour le mouvement palestinien.

Si cette marge était étroite, et est allée en se rétrécissant, ce n'était pas le fait de l'OLP, mais le fait du rapport des forces sur le plan militaire et sur le plan diplomatique. L'objectif de la direction de l'OLP était alors de tenter de sauvegarder à tout prix la possibilité que, à une étape ou à une autre du règlement diplomatique au Moyen Orient, on ait recours à elle. Pour cela, il lui fallait négocier son existence avec les gouvernements en place, laisser entendre qu'elle était prête à des concessions, ménager ses relations diplomatiques avec tous ses partenaires arabes. En même temps, elle devait faire reconnaître sa représentativité tout à la fois en menant des actions militaires contre Israël et en se montrant capable de les contrôler et d'imposer son autorité aux « éléments indisciplinés » des Palestiniens. Bref, il s'agissait pour l'OLP de se faire reconnaître comme un pouvoir d'État possible sur un éventuel territoire palestinien, et finalement comme un des meilleurs possibles. Et c'est aux États arabes, à l'impérialisme et même à Israël que la direction de l'OLP voulait donner cette démonstration.

Ainsi, ces choix politiques de l'OLP se plaçaient en fait à l'intérieur d'une logique de classe. A aucun prix, la direction de l'OLP ne voulait sembler offrir, aux masses populaires des pays arabes, un drapeau derrière lequel combattre l'État de leurs oppresseurs.

L'OLP incarnait les aspirations de la petite bourgeoisie palestinienne à avoir son propre État et ne voulait incarner que cela. Elle n'organisait et ne disciplinait les masses palestiniennes que dans la mesure où elle en gardait l'étroit contrôle politique, dans le cadre de ces objectifs. Et si, entre les gouvernements bourgeois ou même féodaux des pays arabes, et les masses populaires de ces pays, elle ne voulait à aucun prix choisir les masses populaires, c'était un choix de classe, et aussi son intérêt propre face aux masses palestiniennes. Dans la perspective de la création d'un État palestinien, l'OLP, devenue gouvernement palestinien, aurait eu à son tour à faire régner l'ordre et à discipliner les masses. Elle le fait d'ailleurs déjà en partie dans les camps de réfugiés, où elle joue à bien des égards le rôle d'un pouvoir d'État.

Mais la politique que proposait la gauche du mouvement palestinien se plaçait, en fait, à l'intérieur de la même logique politique de classe. Lorsqu'elle parlait de s'allier aux « éléments progressistes » des autres pays arabes, elle parlait seulement de s'aligner sur tel ou tel parti nationaliste, ou sur tel ou tel État. Cela revenait seulement à choisir de se lier prioritairement à l'intérieur des États arabes au camp des États dits « progressistes », ou « durs », ou même « socialistes ». Mais, pas plus que les dirigeants de l'OLP, la gauche n'acceptait de prendre le parti des masses populaires contre ces gouvernements. La coloration plus « gauche » du FPLP, du FDLP et de quelques autres, reflétait finalement seulement la coloration « gauche » que se donnait, par périodes, la politique d'États comme la Syrie, la Libye ou l'Algérie.

La guerre civile libanaise

La politique menée par les différentes tendances palestiniennes au cours de la guerre civile libanaise, malgré les apparences, ne contredit nullement ces choix politiques habituels. Et pourtant, pour la première fois, le mouvement palestinien semblait se ranger dans un pays du côté des masses populaires contre les forces réactionnaires. On voyait en effet s'affronter d'une part les milices chrétiennes, sous la direction de l'extrême-droite libanaise, d'autre part la gauche libanaise de plus en plus alliée aux Palestiniens.

Mais l'engagement palestinien dans la guerre civile libanaise ne s'explique que par le fait qu'il a été contraint et forcé. C'est l'extrême-droite libanaise qui, en déclenchant la guerre civile, s'en est prise aussi bien aux milices palestiniennes qu'à celles de la gauche libanaise. Les dirigeants de l'OLP, à plusieurs reprises, ont cherché à retirer leur épingle du jeu, et à jouer par exemple un rôle d'arbitre impartial, cherchant à empêcher les affrontements entre les milices de la droite et celles de la gauche.

Et surtout, si les mouvements palestiniens, ou du moins une grande partie d'entre eux, se sont battus finalement aux côtés des milices de la gauche libanaise et leur ont même apporté l'essentiel de leur force militaire, cela ne représentait pas un choix de classe différent de celui fait jusqu'alors. La « gauche libanaise », avec son principal dirigeant Kamal Joumblatt, était certes appuyée par les masses pauvres, en particulier musulmanes, du pays. Mais, sur le plan politique, elle exprimait seulement les aspirations de la petite bourgeoisie musulmane, alliée à la grande bourgeoisie musulmane, à secouer la tutelle étouffante que la grande bourgeoisie chrétienne maronite faisait régner sur le pays. Et il est significatif que, dans les zones qui étaient sous leur autorité, les revendications des masses populaires aient été totalement ignorées des dirigeants de la gauche libanaise, pour qui le seul objectif politique de la guerre civile était une vague réforme démocratique de l'État libanais. Les dirigeants de la gauche, bourgeois et petits bourgeois ou même grands féodaux musulmans, étaient en fait hostiles à toute irruption autonome des masses populaires libanaises sur la scène politique. Et, dans les zones contrôlées par la gauche libanaise, celle-ci se garda de toute réforme sociale ou politique, et même de toute organisation des masses, ne serait-ce que pour assurer leur vie dans les conditions de la guerre civile.

En fait, si les dirigeants de l'OLP et ceux de la gauche libanaise se rejoignaient, c'était non seulement en tant qu'adversaires communs de la droite chrétienne ; c'était aussi dans une même hostilité à l'organisation des masses populaires.

Là aussi, l'occasion existait pour la gauche du mouvement palestinien, et pour la gauche de la « gauche libanaise » d'ailleurs, de défendre une autre politique, de prendre le parti des masses populaires. Mais, du côté libanais, le Parti Communiste Libanais ne défendit pas une politique différente de celle de Kamal Joumblatt. Et, du côté palestinien, le radicalisme de la gauche palestinienne se manifesta seulement par une certaine surenchère militaire. La gauche palestinienne affirma aussi plus nettement la nécessité pour les Palestiniens de s'allier à la gauche libanaise. Alors que le Fatah et Yasser Arafat cherchaient encore à éviter de s'engager dans le conflit, la gauche palestinienne prônait l'alliance de principe avec les partis « progressistes » libanais.

En fait, le pseudo radicalisme de la gauche palestinienne cachait non pas un radicalisme social, mais seulement une propension plus grande à prendre à l'intérieur des États arabes, le parti de tel ou tel groupement ou de tel ou tel État qualifié de « progressiste » : la propension à choisir le camp de la petite bourgeoisie radicale en somme, mais jamais, celui de la classe ouvrière et des masses populaires.

La surenchère militaire

Ne choisissant pas d'incarner un radicalisme social plus grand que la direction de l'OLP, la gauche palestinienne plaça, le plus souvent son radicalisme sur le terrain de la surenchère militaire. A plusieurs reprises, elle s'opposa aux concessions faites sur le plan diplomatique par la direction de l'OLP, et les dénonça comme des concessions inadmissibles.

C'est ainsi que, au lendemain de la guerre israélo-arabe de 1973, la perspective de la création d'un État palestinien en Cisjordanie et à Gaza devint une des possibilités envisagées sur le plan diplomatique. Cela impliquait que l'OLP abandonnât au moins provisoirement la perspective inscrite dans son programme de la constitution d'un État palestinien incluant le territoire israélien. Une scission profonde coupa alors en deux le mouvement. D'un côté, ceux qui acceptaient cette perspective : le Fatah, la Saïka pro-syrienne, auxquels se joignit le FDLP. De l'autre côté, le Front du Refus, qui regroupa le FPLP, le FPLP Commandement Général de Ahmed Jibril, qui est issu du premier, et d'autres organisations de moindre importance. Le Front du Refus s'opposa à ce qu'il considérait comme une capitulation. C'est ainsi aussi que, plus récemment, le Front du Refus, auquel s'est joint cette fois le FDLP, s'est inquiété de l'acceptation, par la direction de l'OLP, de la présence des troupes de l'ONU au sud-Liban.

Mais là encore, la gauche palestinienne ne proposait pas une politique de rechange. Elle proposait de continuer les opérations militaires contre Israël lorsque la direction de l'OLP estimait plus raisonnable de les stopper. Elle proposait d'avoir recours à des détournements d'avions ou à des prises d'otages alors que la direction de l'OLP estimait que ceux-ci n'amélioraient guère leur position internationale. La surenchère militaire était impuissante à changer le rapport de forces sur le terrain. Mais par contre, les opérations telles que les détournements d'avions auxquelles de nombreux groupes palestiniens eurent recours, et dont le FPLP a été l'initiateur en 1970, ont vite montré qu'elles se retournaient en fait contre les Palestiniens.

La gauche palestinienne fut d'ailleurs loin d'avoir le monopole de cette surenchère. C'est ainsi que, en 1972-1973, un certain nombre d'organisations clandestines - dont la plus connue fut Septembre Noir - organisèrent détournements d'avions et prises d'otages, dont celle des athlètes israéliens aux jeux olympiques de Munich. Elles témoignaient, sans doute, du désespoir politique d'une partie de la jeunesse palestinienne. Mais elles montraient surtout, en la poussant jusqu'à l'extrême, l'absurdité et l'absence de perspectives de cette surenchère militaire.

Quelle issue ?

Aujourd'hui, au terme de dix ans de répression contre les Palestiniens, il est encore impossible de prévoir si, dans un avenir proche, un règlement diplomatique interviendra, et en particulier si sous une forme ou sous une autre il donnera naissance à un État palestinien. Mais la situation dessine exactement les contours politiques d'un tel État, au cas où il verrait le jour.

Sans doute, malgré toutes les épreuves, tous les massacres qu'il a subis, le peuple palestinien a montré qu'il continue de se battre et de donner vie à des organisations nationalistes dont la représentativité n'est pas contestable. Et en dernière analyse, c'est ce qui a permis à l'OLP de préserver la possibilité que, à une étape ou à une autre du règlement diplomatique, l'impérialisme, les États arabes et même Israël acceptent de lui concéder un pouvoir d'État sur une portion du territoire qu'elle revendique.

Mais cela indique aussi toutes les limites de ce que la création d'un État palestinien, sur la base de l'accord avec l'impérialisme et les États arabes recherché par l'OLP, apporterait aux Palestiniens : un État certes, mais un État croupion, sévèrement contrôlé par les armées israélienne, syrienne, et autres, et au sein duquel l'OLP, devenue gouvernement palestinien, veillerait elle-même à faire accepter au peuple palestinien sa situation de misère, à peine améliorée.

Quant à la politique de la gauche de l'OLP, ou celle suivie par des groupes terroristes désespérés comme Septembre Noir ou d'autres, elle a montré qu'elle n'était pas fondamentalement différente de celle suivie par la direction de l'OLP, et qu'elle n'ouvrait en tout cas pas d'autre perspective susceptible de sortir le peuple palestinien de l'impasse tragique où il se trouvait. Elle a montré que les dirigeants de la gauche palestinienne avaient, tout autant que ceux de la majorité de l'OLP, peur de la mobilisation des masses palestiniennes et arabes pour leurs propres intérêts, fût-ce même au nom du nationalisme arabe.

Ils redoutaient, eux aussi, en menant une autre politique, de tendre à unir la révolte de tous les exploités du Moyen Orient contre les dirigeants sionistes et impérialistes bien sûr, mais aussi contre les dirigeants des États arabes.

Cette voie-là est pourtant possible. Mais seule une politique prolétarienne, de classe, peut y conduire. C'est la seule politique qui puisse ouvrir aux masses palestiniennes, mais aussi aux masses israéliennes et à celles des pays arabes, une autre perspective que des guerres et des répressions sans fin, la misère et la dictature, et de temps en temps des règlements diplomatiques boiteux sur la base du maintien du statu quo impérialiste dans la région.

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