La Ligue Communiste Révolutionnaire dans le sillage du gouvernement de gauche03/11/19811981Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1981/11/88.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

La Ligue Communiste Révolutionnaire dans le sillage du gouvernement de gauche

Après six mois de gouvernement de gauche, les mêmes divergences qui nous opposaient auparavant aux positions politiques de la LCR trouvent un relief encore plus net du fait que le Parti Socialiste, aidé du Parti Communiste, assume maintenant la responsabilité du pouvoir gouvernemental.

Dans une brochure qu'elle vient d'écrire, la LCR résume sa politique. Le titre de la brochure pose une question : « Comment en finir avec le chômage et la vie chère ? » La réponse que la LCR apporte à cette question se trouve dans la brochure, bien sûr, mais aussi au dos de la couverture, condensée dans une formule que la Ligue a reprise en affiche : « PS-PC : vous êtes majoritaires, faites payer le CNPF ! »

Lorsque la LCR retrace, dans les premières pages de sa brochure, le bilan des premiers mois du gouvernement Mitterrand-Mauroy, elle écrit : « En deux mois (juillet-août), les prix ont augmenté de 3 %, soit un rythme de 18 % par an. Depuis le 10 mai, le nombre de chômeurs officiellement reconnus augmente à la vitesse de un par minute : il dépasse maintenant 1 800 000 » . Et, plus loin, « leur politique » (celle des partis au gouvernement NDLR) « a beaucoup plus cherché à rassurer les patrons qu'à s'attaquer à leurs profits. Aucune des décisions prises n'apporte véritablement de solutions au problème du chômage ou de l'inflation » .

Et effectivement, depuis que la gauche est au gouvernement, la quasi-totalité des mesures qu'elle a prises convergent vers un même but : continuer à défendre, en cette période de crise, les intérêts des capitalistes.

Seulement, à partir d'un constat semblable, les politiques défendues par Lutte Ouvrière et la Ligue Communiste Révolutionnaire divergent fortement.

Dans la préface de sa brochure, la LCR, après avoir rappelé qu'elle a « mobilisé toutes ses forces pour surmonter la division des rangs ouvriers et assurer la défaite de Giscard » , affirme certes : « nous ne sommes d'accord ni avec la composition du gouvernement Mauroy, ni avec son programme, ni avec sa politique » .

Mais c'est pour ajouter aussitôt : « Mais nous savons que des millions de travailleurs font confiance au PS et au PC et considèrent le gouvernement actuel comme leur gouvernement. Et nous ne passerons pas notre temps à jouer les oiseaux de mauvais augure. Nous ne resterons pas confortablement enfermés dans notre tour d'ivoire, en leur répétant : « Vous allez voir, ça va échouer ». Nous ferons tout au contraire pour que « ça n'échoue pas »... Nous ne voulons pas être frustrés des fruits de notre victoire » .

Qui est donc ce « ça » qui ne doit pas échouer ? Les travailleurs pour imposer leurs revendications ? Ou le gouvernement pour mener sa politique ?

Parce que ce n'est pas du tout la même chose.

Pour imposer leurs revendications, les travailleurs se heurteront inévitablement à la volonté politique du gouvernement. C'est cette évidence-là que les ambiguïtés de formulation de la LCR masquent.

« Le PS et le PC n'ont aucun prétexte pour reculer devant les exigences du patronat » affirme la LCR dans sa brochure « ils peuvent voter autant de lois, prendre autant de décrets qu'ils veulent. Qu'ils le fassent pour satisfaire les revendications des travailleurs. Qu'ils s'attaquent aux profits des patrons, au lieu de chercher à les amadouer » . Ces formulations obéissent peut-être à un souci que la LCR a l'habitude de qualifier de pédagogique. Possible. Mais c'est tout de même une façon de laisser croire aux travailleurs que le gouvernement Mauroy est autre chose - ou pourrait être autre chose - que ce qu'il est.

Alors qu'il est nécessaire de montrer aux travailleurs, concrètement, qu'il ne faut pas qu'ils comptent sur le gouvernement parce que c'est un gouvernement qui n'est pas à leur service, mais à celui de la bourgeoisie, la LCR se propose d'aiguillonner le gouvernement. Sa politique consiste en dernier ressort à donner au gouvernement des conseils sur l'art et la manière d'être le plus anti-capitaliste possible.

Mais quels que soient les conseils prodigués, on ne fera jamais donner du lait à un bouc. Les meilleurs conseils de la Ligue ne feront pas d'un gouvernement de la bourgeoisie un gouvernement qui défend les intérêts des travailleurs.

Cela, la LCR le sait probablement. C'est sans doute là encore une attitude « pédagogique ». Seulement, cette pédagogie-là consiste, encore et toujours, à dire aux travailleurs qu'ils ont quelque chose à attendre du gouvernement.

De toute évidence, la LCR n'entend pas se situer dans l'opposition claire et nette et sans équivoque par rapport au gouvernement et sa majorité. Oh, elle est « critique ». Mais elle l'est en quelque sorte du dedans, en organisation solidaire du PC et du PS, y compris par rapport au rôle gouvernemental de ces deux partis.

Gouvernement et patronat

Pour n'avoir pas à s'en prendre directement au gouvernement, la LCR non seulement opère une distinction entre la politique du gouvernement d'un côté, et celle du patronat de l'autre, mais elle laisse entendre qu'elles s'opposent dans une large mesure.

Dans son hebdomadaire, Rouge, daté du 3 juillet, la Ligue titrait : « Les patrons sabotent ! PS-PC : il faut les mettre à la raison ». Ou encore dans un tract récemment distribué à l'EGF, la LCR s'en prend à la direction de cette entreprise qui continue « d'appliquer la même politique non plus directement aux ordres de Giscard mais aux ordres du CNPF, le syndicat des patrons qui mène aujourd'hui une campagne de sabotage et de lutte contre les travailleurs et le gouvernement » .

Le même reproche d'obéir au CNPF au lieu d'obéir au gouvernement de gauche, se retrouve apparemment formulé à l'encontre d'autres directions d'entreprises, celle de Renault par exemple. Voilà donc la LCR qui reprend à son compte l'attitude du PC, et presque dans les mêmes termes que ce dernier, pour rappeler à l'ordre les patrons récalcitrants, ceux qui n'ont pas encore réalisé qu'il y a un changement.

Oh, pour sûr, le patronat continue à tout faire pour maintenir, voire augmenter ses profits ! Il entend conserver toute liberté dans la fixation des prix. Il entend pouvoir licencier quand il le juge nécessaire, ne pas augmenter les salaires plus qu'il ne le désirerait ou encore intensifier les cadences. Et puis, les capitalistes veulent aussi que les coffres de l'État leur soient accessibles. Enfin ils exigent que toute la politique économique et sociale soit conçue et appliquée en fonction de leurs seuls intérêts.

Mais le moins qu'on puisse dire, c'est que l'État, même dirigé par la gauche, ne s'oppose pas à tout cela. Il en est même un des instruments principaux. Le nouveau gouvernement est toujours le conseil d'administration des affaires de la bourgeoisie. Même si le patronat, qui préfère tout de même la droite au gouvernement, ne lui fait pas de cadeaux. Alors la subtile distinction entre le gouvernement et le patronat, en tous les cas dans les domaines essentiels, est dérisoire. Son utilité n'est guère évidente, hormis pour permettre à la LCR de soutenir le premier en attaquant le second.

L'attitude politique générale de la LCR telle qu'elle apparaît dans la brochure prend dans les interventions dans les entreprises une forme caricaturale.

Prenons par exemple l'intervention de la Ligue lors de la grève des OS de chez Renault-Billancourt. Bien sûr, la LCR soutenait les grévistes et leurs revendications. Mais elle a éprouvé le besoin d'intervenir sur le thème « oui, il faut chasser la direction giscardienne de la Régie » (sous-titre d'un tract de la LCR du 12 octobre), ou encore « PS-PC, vous êtes majoritaires, chassez la direction » (en gros titre cette fois d'un tract daté également du 12 octobre, édité au nom des « cellules Renault » ).

On pourrait être tenté de dire aujourd'hui en exagérant à peine : voe exaucé, Vernier Palliez est parti - encore que le terme chassé ne convienne sûrement pas pour sa nomination d'ambassadeur à Washington - , Hanon est arrivé.

Il ne reste plus à la Ligue qu'à mettre à jour son mot d'ordre et revendiquer cette fois le départ de Hanon...

Mais pourquoi la LCR a-t-elle repris cette « revendication » déjà mise en avant par le PC, mais dont les OS grévistes se moquaient bien évidemment et à juste titre.

Est-ce parce que la direction estime qu'avec une direction conforme à la coloration politique de l'actuel gouvernement, les choses iraient bien mieux pour les travailleurs ? Ou simplement pour avoir l'air radical, tout en restant dans le sillage politique du gouvernement ?

Mieux qu'en 1936 !

Parmi les arguments de la Ligue Communiste Révolutionnaire pour tenter de démontrer que le gouvernement a les moyens « pour faire payer le CNPF » ', il en est un, surprenant, qui doit être relevé.

« Jamais, écrit la LCR, les partis qui se réclament des travailleurs, n'ont eu autant d'atouts en mains... ils ont infiniment plus de moyens qu'en 1936.

Rappelons-nous qu'en 1936 le PS et le PC étaient minoritaires au Parlement. Ils avaient 218 députés contre 222 pour les formations ouvertement de droite et 116 pour le Parti Radical (qui se présentait comme le « parti des couches nouvelles », mais qui était en réalité un parti de la bourgeoisie).

Le PS et le PC se sont alliés avec les radicaux. Mais il a suffi que les radicaux se retournent contre eux pour que le gouvernement Blum tombe sans même qu'il y ait de nouvelles élections. C'est la même assemblée qui vota ensuite l'interdiction du Parti Communiste et les pleins pouvoirs à Pétain.

Aujourd'hui, le PS a, à lui seul, la majorité absolue au Parlement Il y a plus de trois cents députés socialistes et communistes contre moins d'une centaine pour l'UDF et le RPR » .

Et dans la conclusion de sa brochure, la LCR revient une nouvelle fois sur l'analogie avec 1936. « C'est une chance historique - écrit-elle - qui s'ouvre aujourd'hui en France pour les travailleurs. Il ne s'agit pas de « louper le coche », comme au moment du Front Populaire ou de la Libération.

Par bien des aspects, la situation est plus favorable qu'en 1936. La droite est archi-minoritaire au Parlement, la situation internationale est plus favorable et le poids de la classe ouvrière dans la société infiniment plus important

Certes - continue la LCR, et on appréciera toute la saveur de ce « certes » - les travailleurs n'ont pas occupé leurs usines, en juin 1981, comme ils l'avaient fait en juin 1936. Ils se sont mobilisés sur le terrain électoral parce que la politique des syndicats et des grands partis ne leur ouvrait pas d'autres issues ... Mais - rassure aussitôt la LCR - la victoire remportée, le 10 mai, dans les urnes, leur redonne confiance dans leurs forces » .

Voilà donc la Ligue occupée à compter et recompter la répartition des quelque cinq cents députés sur l'éventail parlementaire pour en tirer de dérisoires arguties. Pour démontrer quoi ?

Que la situation actuelle est plus favorable aux travailleurs qu'en 36 ! Et pourquoi donc ? Simplement parce que quelques dizaines de députés PS à la Delors ou Rocard occupent désormais la place des radicaux bon teint de 36 ? Cela pèse donc plus dans la balance des rapports de force entre la classe ouvrière et la bourgeoisie que la puissante vague gréviste de juin 36, que les occupations d'usine ?

Mais qu'est-ce donc que le vulgaire parlementarisme, tel que le pratiquent le PC, voire le PS, si ce n'est pas cela ?

Cela donne en tout cas l'occasion à la Ligue d'opposer la subtile distinction qui lui est chère entre le Parti Radical ou assimilé qui représenteraient les intérêts de la bourgeoisie, et les Parti Socialiste et Parti Communiste qui eux, représenteraient, même au gouvernement, autre chose.

Dire ou laisser entendre cela, aujourd'hui, est tout simplement nuisible.

Déjà, pour 36, point n'est besoin d'évoquer la présence des radicaux dans la majorité gouvernementale, pour expliquer pourquoi le Parti Socialiste, comme le Parti Communiste, ont pesé de tout leur poids, non pas pour soutenir les travailleurs qui occupaient leurs usines, mais pour arrêter la grève.

Faut-il rappeler que, dès le gouvernement de Front Populaire constitué, ses premiers actes furent des invitations aux travailleurs à cesser leurs mouvements. Roger Salengro, le ministre socialiste de l'intérieur, déclarait alors : « Que ceux qui ont pour mission de guider les organisations ouvrières fassent leur devoir : qu'ils s'empressent de mettre un terme à cette agitation injustifiée. Pour ma part, mon choix est fait : entre l'ordre et l'anarchie, je maintiendrai l'ordre envers et contre tous » .

Roger Salengro ne fut pas le seul dirigeant du Front Populaire à tenir de tels propos. Le socialiste Léon Blum, alors président du Conseil, appelait aussi les travailleurs à évacuer les usines et à reprendre le travail. Le communiste Maurice Thorez oevrait dans le même sens et affirmait : « il faut savoir terminer une grève » .

Tout cela, la Ligue Communiste Révolutionnaire l'oublie volontiers, ce qui lui permet d'entrevoir aujourd'hui un avenir bien rose du seul fait que le Parti Socialiste possède à lui seul la majorité à l'Assemblée.

Oh, ce n'est pas que la LCR ne parle pas de la nécessité pour les travailleurs de lutter. Dans nombre de textes de la LCR, comme dans sa brochure par exemple, on trouve des formules du genre « rien ne changera sans la mobilisation des travailleurs » , « face aux attaques de la bourgeoisie, la meilleure arme, aujourd'hui comme hier, reste la mobilisation des travailleurs » , etc.

Mais même le PC est capable d'en dire autant. On peut tout à la fois s'affirmer partisan des luttes ouvrières et s'aligner derrière le gouvernement. C'est ce que fait la LCR lorsqu'après avoir parlé de la nécessité de lutter, elle ajoute aussitôt : « A la différence d'hier, les travailleurs ne se battent plus contre un bloc uni patronat-gouvernement. lis se battent contre les patrons, et leur premier mouvement c'est de se tourner vers ce qu'ils considèrent comme leur gouvernement pour qu'il les aide dans leur lutte » .

Même la deuxième partie de l'affirmation n'est sans doute pas tout à fait exacte. Les travailleurs ont sans doute moins d'illusions vis-à-vis du gouvernement Mitterrand-Mauroy que ce que la Ligue leur prête. Et c'est tant mieux.

Cependant, quand bien même il y aurait autant d'illusions que ce que la LCR pense - et a fortiori dans ce cas - ce n'est certainement pas une manière de contribuer à ce que les travailleurs les perdent, que d'affirmer à l'instar de la LCR que « les travailleurs ne se battent pas contre un bloc uni patronat-gouvernement » .

En assumant les responsabilités gouvernementales, le Parti Socialiste et le Parti Communiste ne représentent en rien les intérêts des travailleurs. Ils ne sont pas un peu d'un côté, un peu de l'autre, un peu pour les patrons, un peu du côté des travailleurs.

La LCR dit vouloir faire faire aux masses l'expérience du gouvernement PC-PS. Sa démarche : les masses ont des illusions, il faut donc leur proposer quelque chose d'accessible. « Forts de leur victoire électorale - écrit-elle toujours dans sa brochure - les travailleurs chercheront à « aider » le gouvernement, à leur manière, au besoin en essayant de le pousser plus loin qu'il ne le voudrait. C'est au travers de cette mobilisation que chacun pourra faire l'expérience de la politique réelle que mèneront le PS et le PC au gouvernement » .

Peut-être. Sans doute. Mais le rôle d'une organisation révolutionnaire, ce n'est pas de reprendre à son compte les illusions réelles ou supposées, voire d'aller au-devant. C'est de dire la vérité, c'est de combattre les illusions. C'est d'être capable d'aller à contre-courant. Au demeurant, dans les circonstances actuelles, dire ce qu'il y a à dire du gouvernement ne signifie même pas tellement aller à contre-courant par rapport aux travailleurs, mais essentiellement par rapport aux militants du PS et du PC. Et même parmi ces derniers, il en est qui se sentent mal à l'aise devant la politique du gouvernement et la politique de leur propre parti.

La LCR était, bien des fois dans le passé, suiviste à l'égard du PC et du PS. Être suiviste à leur égard aujourd'hui, c'est l'être à l'égard d'un gouvernement de la bourgeoisie.

Et il ne suffit pas de déclarer : « Nous gardons notre pleine et entière indépendance par rapport à ce gouvernement. Nous n'avons pas de fil à la patte. Nous ne sommes pas liés par une quelconque solidarité ministérielle qui nous conduirait à taire ou à atténuer nos critiques » pour que cette affirmation suffise.

C'est sur sa politique que l'on peut juger la Ligue. Et force est de constater que, de par sa politique, la LCR se contente d'être l'aiguillon de gauche du gouvernement. C'est un choix politique. Ce n'est pas le nôtre.

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