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La guerre du Liban et les visées des dirigeants sionistes
Quatre mois après le début de la guerre déclenchée au Liban par les dirigeants israéliens, les objectifs affirmés de ceux-ci sont plus que largement atteints. Ils ont mis fin à toute présence militaire et politique de l'Organisation de Libération de la Palestine dans le sud-Liban et à Beyrouth. Un nouveau gouvernement a été mis en place au Liban, sous la présidence du phalangiste Amine Gemayel, remplaçant son frère Bechir Gemayel assassiné le 14 septembre. II n'en faut pas plus pour que, prenant leurs désirs pour des réalités, bon nombre de commentateurs de la presse en concluent que, d'un mal sortant un bien, l'affreuse guerre du Liban pourrait avoir pour conséquence la restauration durable d'un pouvoir d'État dans ce pays et, qui sait même, le début d'un processus de paix au Moyen-Orient.
Ce type de commentaire, qui prend pour argent comptant les déclarations apaisantes dont sont prodigues les dirigeants impérialistes, de Reagan à Mitterrand, néglige pourtant un facteur essentiel: les intentions des dirigeants israéliens. Et rien n'indique jusqu'à présent qu'ils soient prêts à s'engager dans un processus de paix, ni même dans un début de négociation avec leurs adversaires pour parvenir à un règlement au Moyen-Orient. Rien n'indique non plus jusqu'à présent que les dirigeants de l'impérialisme américain soient décidés à exercer sur leur allié israélien les pressions nécessaires pour qu'il s'oriente dans une telle voie.
C'est pourtant essentiellement de ces deux facteurs - les intentions des dirigeants israéliens et celles des dirigeants impérialistes - que dépend dans l'immédiat l'évolution de la situation au Liban, mais aussi en Israël, dans les territoires qu'il occupe et dans tout le Moyen-Orient.
Les dirigeants israéliens ont-ils atteint leurs objectifs ?
D'après les déclarations de Menahem Begin, premier ministre israélien, et de son ministre de la Défense Ariel Sharon, le but de l'opération déclenchée le 4 juin 1982 et baptisée alors « Paix en Galilée » était uniquement d'assurer « la sécurité » à la frontière nord d'Israël, sécurité menacée selon eux par la présence des troupes de l'OLP, l'Organisation de Libération de la Palestine, au sud-Liban.
Cette sécurité n'était en fait pas menacée puisque, depuis juin 1981, un accord de cessez-le-feu, conclu par l'intermédiaire du représentant américain Philip Habib, était en vigueur sur le front libanais entre les forces israéliennes et celles de l'OLP. Celles-ci respectaient d'ailleurs ce cessez-le-feu bien plus que ne le faisaient les forces israéliennes. Mais les dirigeants israéliens n'en déclenchèrent pas moins la bataille contre l'OLP, en prenant pour prétexte, faute de mieux, un attentat commis contre leur ambassadeur à Londres... par un groupe n'ayant aucun rapport avec l'OLP 1
Dans un premier temps, Begin et Sharon parlèrent de la nécessité de créer au sud-Liban une « bande de sécurité » de 40 kilomètres de large ou leur armée empêcherait toute activité qui lui soit hostile. Cette distance de 40 kilomètres fut rapidement atteinte. L'armée israélienne n'en continua pas moins sa marche jusqu'à encercler Beyrouth-Ouest, la partie de la capitale libanaise où se trouvaient les troupes et les bureaux de l'OLP, ainsi que les milices de la gauche libanaise et des troupes syriennes.
D'autres objectifs se firent alors jour dans les discours officiels israéliens. L'un était de mettre carrément fin à toute existence organisée de l'OLP sur le territoire libanais. L'autre était de remettre en selle, selon les mots de Begin, un Liban « fort et indépendant dans son intégrité territoriale » , en obtenant le départ du Liban de toutes les « troupes étrangères », c'est-à-dire selon lui, essentiellement les troupes syriennes et celles de l'OLP. Selon les dirigeants israéliens, le départ de toutes ces troupes devait permettre de mettre fin à la situation de partage de fait qui était celle du Liban depuis la guerre civile de 1976 et l'intervention israélienne de 1978 : partage entre des zones tenues par la droite chrétienne phalangiste, les troupes syriennes, celles de l'OLP et de la gauche libanaise, et les troupes pro-israéliennes du major Saad Haddad le long de la frontière avec Israël.
A l'appui de ces objectifs affirmés, les dirigeants israéliens mirent en branle d'énormes moyens. L'invasion militaire du Liban, le siège et le bombardement de Beyrouth, prirent le caractère d'une guerre extrêmement dévastatrice et meurtrière. Malgré leurs dénégations, il était évident que les dirigeants israéliens visaient délibérément à provoquer les destructions les plus massives, et à frapper le plus durement possible la population civile, libanaise et palestinienne.
Le « Plan Habib », conclu en août sous l'égide des États-Unis, et qui prévoyait les modalités de l'évacuation des combattants de l'OLP de Beyrouth, apporta la caution des puissances occidentales à l'élimination de l'OLP en tant que force militaire. Fin août, sous la protection de l'armée israélienne, le chef des Phalanges chrétiennes libanaises, Bechir Gemayel, fut élu Président de la République. Enfin, début septembre, le sommet de Fès, réunissant la plupart des dirigeants arabes, proposa une reconnaissance réciproque des États arabes et d'Israël. Les dirigeants syriens acceptèrent, quant à eux, le principe d'un départ de « toutes les troupes étrangères » - y compris donc les leurs - du Liban.
Les objectifs proclamés par les dirigeants israéliens étaient donc largement atteints : l'OLP était éloignée du Liban, les conditions créées pour l'installation dans le pays d'un gouvernement « fort et indépendant », favorable en fait à Israël, et même pour engager les négociations en vue de cette reconnaissance réciproque israélo-arabe que les dirigeants israéliens réclament depuis toujours.
Les dirigeants israéliens ont pourtant opposé de sèches fins de non-recevoir aux « plans de règlement » proposés, qu'ils émanent du sommet arabe de Fès ou du président américain Reagan lui-même. Plus même, ils profitèrent de la première occasion - l'assassinat, le 14 septembre, du nouveau président libanais Bechir Gemayel - pour pousser encore leur avantage militaire et occuper Beyrouth-Ouest, piétinant le « plan Habib » qui prévoyait l'arrêt de l'avance des troupes israéliennes. Deux jours plus tard, c'était le massacre de la population des camps palestiniens de Sabra et Chatila, par des troupes dont on ne sait pas encore si elles étaient phalangistes ou si c'étaient celles du major pro-israélien Haddad, mais qui étaient de toute façon arrivées là avec la protection de l'armée israélienne.
Pour expliquer cette occupation de Beyrouth-Ouest, à laquelle il a dû renoncer à contre-coeur du fait de l'envoi sur place d'une nouvelle « force d'interposition » américano-franco-italienne, le général Sharon a invoqué la nécessité de « prévenir des troubles » et de traquer dans les
camps palestiniens « 2 000 terroristes » qui seraient restés là selon lui au mépris des accords conclus, mais que personne n'a jamais rencontrés. En fait ce comportement provocant de l'armée israélienne montre surtout qu'elle tend à occuper sur place le plus possible de terrain, que les objectifs réels poursuivis par les dirigeants israéliens sont peut-être tout autres que ceux qu'ils proclament et enfin, que leur armée n'est peut-être pas près d'évacuer le Liban, comme elle devrait le faire s'ils estimaient que tous leurs objectifs sont bien atteints.
Cette obstination de l'armée israélienne à rester au Liban peut s'expliquer, bien sûr, de bien des façons, et notamment par le fait que les dirigeants israéliens voudraient s'assurer le maximum d'atouts dans une négociation à venir, ou faire payer le plus cher possible leur retrait. Leur acharnement à détruire et à quadriller le plus possible le terrain occupé peut s'expliquer par le souci de rendre le plus difficile possible le retour de l'OLP à une activité organisée, en frappant de terreur Libanais et Palestiniens du Liban.
Tout se passe pourtant comme si les dirigeants israéliens se préparaient à une occupation prolongée du Liban ou d'une partie de celui-ci, en faisant place nette devant leur armée et en brisant toute velléité de résistance dans la population. Et l'occupation du Liban est peut-être tout simplement une nouvelle manifestation de cet expansionnisme foncier de l'État israélien, expansionnisme qui fait que, quinze ans après la guerre de 1967, il contrôle toujours les territoires conquis alors - exception faite du Sinaï - ayant annexé le Golan et préparant l'annexion de la Cisjordanie et de Gaza.
L'expansionnisme israélien
L'expansionnisme qui transparaît dans le comportement des dirigeants israéliens résulte en fait de toute la situation du pays. Les dirigeants israéliens ont depuis longtemps spécialisé leur État dans le rôle de bras armé de l'impérialisme au Moyen-Orient. Leurs interventions contre l'Égypte et la Syrie notamment ont répondu à plusieurs reprises au désir de l'impérialisme de frapper les régimes de ces pays pour limiter leurs velléités d'indépendance. L'armée israélienne a rendu bien des services aux impérialismes français, anglais mais surtout américain qui n'a pas besoin d'envoyer se battre des citoyens américains, avec tous les problèmes politiques que cela pourrait comporter pour lui : ce sont les juifs israéliens qui se battent, croyant le faire pour leur défense et leur survie parce que la politique sioniste, justement, les a placés en situation de population assiégée et entourée de l'hostilité des peuples arabes.
Les dirigeants américains, bien conscients de cela, comblent en échange, régulièrement, l'énorme déficit que le budget d'armement crée dans les finances de l'État d'Israël. Celui-ci se comporte ainsi comme un gendarme de l'impérialisme américain, agissant dans ses intérêts et pour ainsi dire salarié par lui. Mais ce gendarme ne se contente pas d'obéir aux ordres. II cherche aussi à jouer son propre jeu.
L'économie israélienne est une création artificielle, entretenue par des apports massifs de capitaux occidentaux, mais avec un débouché local limité. C'est en grande partie, une économie de guerre, dans laquelle le budget du Ministère de la Défense tient une très grande place. L'industrie militaire, vivant de ses commandes, est l'une des branches les plus rentables pour la bourgeoisie israélienne, celle où elle montre le plus de savoir faire industriel et où elle trouve le plus de débouchés à l'exportation. Mais cette économie ne vit que grâce aux apports permanents d'argent américain. L'étroite dépendance extérieure se traduit par une inflation permanente dont le rythme dépasse les 100 % annuels, et qui crée de nombreux problèmes sociaux.
La bourgeoisie israélienne ne se satisfait pas de cette situation de dépendance par nature fragile. Et elle s'inquiète pour son avenir, surtout dans le contexte d'une crise économique mondiale dont elle sait qu'elle peut entraîner des bouleversements dans les rapports internationaux.
C'est d'abord un besoin politique pour la bourgeoisie israélienne de maintenir sa puissance et sa force de frappe militaire, et aussi de saisir toutes les occasions possibles pour affaiblir ses voisins, afin d'affirmer l'hégémonie régionale d'Israël.
Mais ce besoin politique d'affirmer son hégémonie sur la région en rejoint un second,
celui de sortir de l'isolement dans lequel se trouve l'économie israélienne par rapport à ses voisins. Car à quoi sert à la bourgeoisie israélienne d'avoir l'État le plus puissant de la région si les frontières voisines restent irrémédiablement fermées à ses produits, à ses marchandises, à ses capitaux, limitant inexorablement ses perspectives économiques au marché intérieur bien étroit d'un pays de trois millions d'habitants ? Pour les dirigeants d'Israël, la tentation existe d'ouvrir par la force les marchés de ses voisins arabes aux marchandises, aux industries et aux capitaux israéliens.
Sans doute, ces tentations expansionnistes de la bourgeoisie israélienne ne sont pas nouvelles. Elles étaient même impliquées, au fond, dans le projet sioniste lui-même qui consistait à créer de toutes pièces au coeur du monde arabe, un État avec une population, des capitaux, des industries importées de l'Occident impérialiste. Ajoutons qu'elles se marient fort bien avec cette idéologie sioniste qui s'appuie sur ce qu'elle croit savoir des frontières du temps de la Bible pour justifier les théories du « Grand Israël », c'est-à-dire les projets d'annexion de divers territoires à population arabe. La défense des traditions bibliques fournit ainsi une couverture commode à des appétits qui sont bien, eux, ceux de capitalistes du 20e siècle. Or ces tentations expansionnistes sont devenues plus aiguës avec l'aggravation de la crise économique israélienne, qui est un fait depuis plusieurs années. C'est cette crise aussi qui explique pour une bonne part la poussée à droite qui s'est produite dans le pays et qui a amené au pouvoir, depuis 1977, avec Begin et Sharon, une des fractions les plus à droite, les plus agressives, parmi les hommes politiques sionistes. C'est cette crise qui explique aussi en partie l'émergence de courants ouvertement fascistes et racistes prônant eux aussi l'expansion territoriale par la conquête militaire et la soumission des peuples arabes, à commencer par celui des territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza.
Les visées possibles d'israël au liban
C'est tout ce contexte qui laisse penser que l'agression israélienne au Liban, que Begin et Sharon ont justifié par le désir d'abattre l'OLP et de restaurer un État « fort et indépendant », pourrait bien ne pas s'arrêter à ces deux points.
II faut d'abord rappeler que, depuis toujours, les dirigeants sionistes contestent le tracé de la frontière israélo-libanaise qui, dans son tracé actuel, a été fixée en 1920 par la France et la Grande-Bretagne, pour délimiter la Palestine alors sous mandat britannique et le Liban alors sous mandat français. Depuis toujours, dans leur projet de création d'un État juif en Palestine, les dirigeants sionistes ont inclus une partie de l'actuel territoire libanais : la zone située au sud du fleuve Litani, que le président de l'organisation sioniste Haïm Weizmann considérait, dans une lettre adressée en 1920 au Ministre des Affaires Étrangères britannique, Lord Balfour, comme « un facteur économique colossal ». Le bassin du fleuve Litani était alors inclus dans la définition géographique que l'organisation sioniste donnait de la « Terre d'Israël », c'est-à-dire du territoire de l'État juif qu'elle cherchait à créer.
Aujourd'hui, cet intérêt pour le Litani n'est pas seulement nourri par la tradition sioniste, mais aussi par des préoccupations économiques immédiates. L'économie israélienne souffre d'une pénurie d'eau. Selon les hydrologues israéliens, les sources d'approvisionnement situées dans les territoires occupés de Cisjordanie, du Golan et de Gaza sont maintenant totalement exploitées. Orle captage des eaux du Litani fournirait à Israël l'équivalent de 50 % de sa consommation actuelle d'eau douce (1 700 millions de mètres cubes par an). Mais, pour des raisons de relief, ce captage ne serait possible qu'au niveau du lac Karaoun, à 40 kilomètres au nord de l'actuelle frontière libano-israélienne, et impliquerait pour Israël de contrôler plus de la moitié du sud-Liban. C'est pourquoi le général Dayan préconisait en son temps, une stratégie comprenant le dépeuplement des zones irriguées par le Litani et cultivées par les fermiers libanais, comme prélude à une occupation militaire de la région ; stratégie qui a été appliquée puisque, depuis plusieurs années, les bombardements israéliens systématiques sur le sud-Liban ont abouti à en chasser une partie de la population paysanne, partie se réfugier dans les faubourgs de Beyrouth. (Cité par Eurabia - Bulletin de coordination des Associations d'Amitié avec le monde arabe septembre 1982) L'actuelle occupation du sud-Liban apparaît, tout simplement, comme la continuation de cette entreprise.
L'intérêt économique d'Israël pour le Liban ne s'arrête sans doute pas là. Le Liban peut être, pour la bourgeoisie israélienne, un de ces débouchés qu'elle recherche tant. Et de ce point de vue, elle n'a pas perdu de temps : dans le sillage de l'armée israélienne, les banques israéliennes ont ouvert des guichets dans le pays tandis que les fruits et légumes israéliens envahissaient le marché libanais, et que les industriels de la construction mettaient sur pied des plans de reconstruction des zones dévastées. En un mois, le Liban aurait importé 4 millions de dollars de produits israéliens ( Le Monde, 7 août 1982).
Ces éléments pourraient bien être parmi les raisons - sinon la raison fondamentale - de l'intervention israélienne au Liban et du peu d'empressement de l'armée israélienne à évacuer les zones occupées. Les dirigeants israéliens sont des coutumiers du « fait accompli », tactique qui consiste à occuper des territoires, à y créer des implantations humaines et des infrastructures économiques, puis à réclamer l'annexion de ces territoires à Israël au nom de ces implantations et de ces infrastructures qui les en rendraient inséparables. Cette tactique a été largement utilisée dans les territoires occupés de Cisjordanie, de Gaza et du Golan. Les implantations juives dans ces territoires, l'exploitation de leurs ressources économiques et notamment hydrauliques, sont aujourd'hui autant d'arguments utilisés par les dirigeants israéliens à l'appui de leurs projets d'annexion. Et il reste le fait que la conquête du marché cisjordanien, après la guerre de 1967, s'est traduite par un boom économique pour les industries israéliennes, et par contre, par une lente asphyxie économique pour l'industrie de cette région, soumise à la concurrence inégale des industries israéliennes.
Ajoutons que, en ce qui concerne le Sinaï, le seul des territoires occupés en 1967 qu'Israël ait accepté d'évacuer à la suite de la paix de Camp David conclue sous l'égide du président américain Carter, cette tactique du « fait accompli » a été aussi pratiquée, mais d'une façon un peu particulière ; les dirigeant israéliens ont procédé de façon large à l'évaluation des frais qu'entraînait pour eux le déménagement du Sinaï de tous les « faits accomplis » créés en quinze ans d'occupation : implantations civiles, militaires, industrielles qu'après tout, Israël aurait bien pu laisser à l'Égypte en dédommagement de la perte d'une fraction de son territoire pour toute une période. Puis, ils ont présenté la facture de ce déménagement aux dirigeants américains, menaçant de ne pas évacuer le Sinaï s'ils ne la payaient pas... et ont obtenu ce qu'ils demandaient !
Autant d'expériences, en tous cas, qui ne peuvent qu'inciter les dirigeants israéliens à procéder à la création au Liban de quelques « faits accomplis » de ce genre, qui pourraient ainsi devenir soit des arguments pour l'annexion d'une partie du Liban à Israël ou le maintien d'une présence militaire, soit au moins, une monnaie d'échange dans une négociation. Et l'entrée au Liban, dans le sillage de l'armée, des banquiers, commerçants, industriels, entrepreneurs israéliens semble bien annoncer des initiatives de ce genre qui impliqueraient alors la prolongation de la présence israélienne.
Quel « état indépendant » libanais ?
C'est d'ailleurs bien parce que cet expansionnisme était de toute évidence un des éléments de l'agression israélienne au Liban que des frictions sont vite apparues entre les dirigeants israéliens et les hommes politiques libanais, à commencer par ceux-là même que l'action israélienne avait porté au pouvoir, et en premier lieu Bechir Gemayel.
Begin voulait mettre en place, selon ses dires, au Liban, un « État fort et indépendant ». Son armée s'employa à aider à l'élection à la présidence de la République libanaise de Bechir Gemayel, homme fort de la droite chrétienne, lui faisant ainsi cadeau de la victoire que la droite libanaise n'avait pas réussi à remporter dans la guerre civile de 1975-1976 . Mais, bien sûr, dans la bouche de Begin, un tel « État fort et indépendant » devait s'entendre comme étant l'allié privilégié d'Israël, voire même son vassal.
Or, Bechir Gemayel, tout chef de milice d'extrême-droite qu'il fût, tint à marquer ses distances d'avec l'occupant israélien. II se fit le champion d'une apparence de « réconciliation nationale » libanaise.
De sa part, cette attitude procédait bien sûr, non d'un regret quelconque pour ses actions passées, mais d'une certaine conception des intérêts de la bourgeoisie libanaise et de l'État qu'il s'agit de mettre en place aujourd'hui. La bourgeoisie libanaise a tiré sa richesse du rôle privilégié qu'elle a su acquérir au Moyen-Orient. Beyrouth est la principale place financière de la région, et ses banques tirent leur prospérité de l'abondance des dépôts en provenance du monde arabe, notamment des États pétroliers, et des importantes transactions commerciales qui se font par leur intermédiaire entre les pays arabes, les pays occidentaux et même l'URSS et les pays de l'Est européen.
C'est le souci de sauvegarder ces intérêts qui explique les efforts d'un Bechir Gemayel pour sauvegarder au moins une apparence d'indépendance à l'égard de son allié israélien. C'est le sens qu'il faut donner aussi aux déclarations d'Amine Gemayel, élu Président de la République après l'assassinat de son frère Bechir et qui, plus nettement encore que celui-ci, a affirmé « l'arabité » du Liban : la bourgeoisie libanaise veut bien être pro-occidentale. Elle veut bien se satisfaire d'un État mis en place avec l'appui de l'armée israélienne et ayant procédé à la répression sanglante des Palestiniens et de la gauche libanaise. Mais elle veut sauvegarder ses relations avec les autres bourgeoisies arabes et pour cela, disposer d'un pouvoir d'État qui soit le sien, et non un pur et simple vassal de la bourgeoisie et de l'armée israéliennes.
Et si un rôle des services secrets israéliens dans l'assassinat de Bechir Gemayel a pu être envisagé, c'est parce que dans l'état des relations entre les dirigeants israéliens et les dirigeants libanais, cela est au moins du domaine du possible.
Les visées stratégiques des dirigeants israéliens
Mais il y a également des raisons de prêter aux dirigeants israéliens, ou à une partie d'entre eux, des visées stratégiques de plus grande envergure, dans le cadre desquelles il faudrait resituer leur intervention au Liban.
Sans doute, les dirigeants israéliens sont sur ces points relativement discrets... à l'exception du Ministre de la Défense Ariel Sharon qui, dans un discours célèbre sur « les défis d'Israël dans les années 1980 », a déclaré que « la sphère d'intérêt militaire d'Israël s'étend dans les années 80 au-delà du monde arabe, et englobera des pays tels que la Turquie, l'Iran, le Pakistan et jusqu'à l'Afrique du Nord et l'Afrique Centrale » .
Une telle déclaration a sa logique et dans la période d'aggravation de la crise économique et de tensions internationales que nous connaissons, les stratèges israéliens sont conduits à échafauder des hypothèses, les plans des interventions possibles au-delà de leurs frontières en fonction des diverses situations de conflit qu'ils peuvent imaginer. Pour eux, pour parler comme Ariel Sharon, « la sphère des intérêts militaires d'Israël » s'étend au-delà de ses frontières, et au-delà du sud-Liban, de Beyrouth-Ouest ou des territoires occupés de Cisjordanie et de Gaza.
Israël Shaéiak, Président de la Ligue israélienne des Droits de l'Homme, a attiré l'attention sur un article publié, en février 1982, par le Journal of Judaism and Sionism, journal proche des vues de l'Organisation sioniste mondiale, et dans lequel le journaliste Oded Yinon, homme bien informé sur les vues des milieux dirigeants israéliens explicitait ce que pouvaient être, selon lui, les grandes lignes de la « stratégie sioniste pour les années 1980 ».
L'auteur, après avoir observé qu'Israël se trouve au milieu d'une « confrontation globale » entre l'URSS et l'Occident, confrontation dans laquelle il situe, bien sûr, Israël aux avant-postes de l'Occident, affirme que dans les années à venir « l'existence, la prospérité et la sécurité de l'État juif dépendront de sa capacité à s'adapter à ces données nouvelles » . Oded Yinon pronostique l'éclatement de nombreux États sous la pression des rivalités ethniques et des explosions sociales, et conclut
« Le panorama ainsi créé, du Maroc à l'Inde et de la Somalie à la Turquie est caractérisé par un manque de stabilité et un phénomène de dégénérescence rapide » (...) « La situation qui prévaut dans l'environnement d'Israël représente pour lui un défi. Elle présente pour nous des problèmes et des risques, mais aussi des possibilités que nous n'avions jamais connues depuis 1967 » (...) « Nous nous trouvons brusquement en mesure de transformer la situation de fond en comble : c'est la tâche qui nous incombe dans les années qui viennent, sous peine de disparaître en tant qu'État » .
Ainsi, selon l'auteur, Israël doit intervenir activement pour remodeler à son profit le visage du Moyen-Orient. Il cite, au nombre des objectifs à atteindre
« La reconquête du Sinaï avec ses ressources actuelles et potentielles » , déplorant « le malheureux accord (de Camp David prévoyant l'évacuation de l'armée israélienne du Sinaï) signé avec Sadate en 1979 » ; « la partition du Liban en cinq provinces » ; « la division de l'Égypte en provinces géographiques distinctes » ; « la formation d'un État copte en Haute-Égypte » , « la destruction de la puissance militaire » de la Syrie et de l'Irak grâce à leur « éclatement en régions déterminées sur la base de critères ethniques ou religieux » .
Pour ce journaliste, proche des milieux dirigeants sionistes, « la Jordanie est un objectif stratégique dans l'immédiat. Elle ne constituera plus une menace pour nous après sa dissolution, la fin du règne de Hussein et le transfert du pouvoir aux mains de la majorité palestinienne. (...)Ce changement signifiera la solution du problème de la rive occidentale, à forte densité de population arabe. L'émigration de ces Arabes à l'Est - dans des conditions pacifiques ou à la suite d'une guerre - et le gel de leur croissance économique et démographique, sont la garantie des transformations à venir » (...) « les Arabes israéliens doivent comprendre qu'ils ne pourront avoir de patrie qu'en Jordanie... et ne connaîtront de sécurité qu'en reconnaissant la souveraineté juive entre la mer et le Jourdain ».
Ce texte reflète sans doute assez bien le type d'hypothèses et de spéculations stratégiques qui peuvent avoir cours dans les milieux dirigeants israéliens. Un certain nombre des projets qu'il explicite sont défendus ouvertement par les actuels gouvernements d'Israël. C'est le cas de « l'option jordanienne » consistant à chasser les Arabes de Cisjordanie en Transjordanie « dans des conditions pacifiques ou à la suite d'une guerre » . Quant à l'invasion du Liban par l'armée israélienne, elle ressemble à bien des égards à une tentative de réalisation de ce type de « plan ».
LE LIBAN UN BANC D'ESSAI POUR LE MILITARISME ISRAÉLIEN
Dans le cadre de telles visées stratégiques, l'intervention au Liban, avec son caractère délibérément meurtrier et destructeur peut servir aussi aux dirigeants israéliens à préparer leur armée et leur peuple, à saisir les « occasions » qui pourraient se présenter dans les années à venir au cas où l'aggravation de la crise grandirait encore le rôle possible d'un État muni d'une armée très équipée et efficace comme l'est l'armée israélienne.
Car les villes du Liban, la population palestinienne et libanaise ont fourni durant ces quatre mois un banc d'essai pour la mise au point des armements et de l'armée d'Israël, en vue sans doute d'autres exploits. l'utilisation des bombardements massifs sur le sud-Liban et sur Beyrouth, destinés à préparer aux moindres frais pour l'armée conquérante, l'arrivée de l'infanterie, l'occupation et le quadrillage du pays, pourraient servir à tester l'efficacité de techniques militaires permettant à une armée de soumettre et d'occuper, le plus rapidement possible, des territoires entiers, mêmes habités par une population hostile.
Les massacres de population, dont ceux des Palestiniens de Sabra et Chatila sont les plus connus mais n'ont certainement pas été les seuls - que sont devenus les Palestiniens des villes de Tyr, de Saïda, occupées dès le mois de juin ? - répondent aussi au même but : créer la panique, la terreur, dans les populations civiles que l'on veut soumettre. Et là aussi, il est certain que les massacres découlent d'une décision délibérée des dirigeants israéliens.
Mais la guerre du Liban a sans doute aussi été, pour les stratèges israéliens, un banc d'essai d'un autre point de vue ; elle leur a fourni l'occasion de tester les réactions à une telle guerre de la population israélienne, y compris la fraction de cette population mobilisée dans l'armée.
Les objectifs d'israël et ceux de l'impérialisme
L'armée israélienne va-t-elle rester au Liban ? S'il fallait s'en tenir aux désirs des dirigeants israéliens, leurs objectifs expansionnistes sont assez clairs, de même que leurs espoirs de pouvoir continuer à contrôler au moins une partie du territoire libanais, voire même d'y constituer un État vassal. Mais ils ne sont pas les seuls à décider en la matière, et ils doivent tenir compte des désirs des dirigeants impérialistes.
II est évident que ceux-ci étaient favorables jusqu'à présent à l'action israélienne au Liban. Les quatre mois de la guerre ont fourni un assez bon exemple de la façon dont les dirigeants impérialistes américains, mais aussi plus accessoirement français et italiens, pouvaient apporter leur couverture à une telle opération, tout en faisant semblant de la déplorer et d'agir pour la « paix ». L'intervention du contingent américano-franco-italien en août pour assurer l'évacuation de l'OLP de Beyrouth a abouti, par exemple, sous couvert d'une opération « pacifique », à entériner l'intervention israélienne à Beyrouth et au Liban et l'écrasement de l'OLP.
Mais autant les dirigeants impérialistes pouvaient approuver l'intervention israélienne au Liban, comme le seul moyen pour eux de créer les conditions d'une restauration d'un pouvoir d'État solide et pro-occidental, autant il n'est pas sûr qu'ils voient d'un bon oeil, une fois ce pouvoir d'État remis en place, le maintien de la présence israélienne, voire le partage du Liban et l'annexion d'une partie du pays par Israël. L'impérialisme français, qui a des liens anciens avec le Liban et en a d'ailleurs tracé les frontières en 1920, est de toute évidence partisan du maintien d'un Liban unitaire et appuie les efforts de la bourgeoisie libanaise pour échapper à la tutelle de son encombrant allié israélien. L'impérialisme français n'a, sans doute, guère les moyens d'imposer ses vues. Mais il n'est pas dit non plus que les dirigeants américains voient d'un oeil favorable le maintien d'Israël au Liban : la seconde intervention de la « force multinationale d'interposition » américano-franco-italienne, décidée après les massacres de Sabra et Chatila et qui a abouti au retrait des troupes israéliennes de Beyrouth-Ouest tend peut-être à l'indiquer.
L'avenir de la présence israélienne au Liban dépend en grande partie de l'attitude que décideront d'adopter les dirigeants impérialistes. Bien sûr, les dirigeants israéliens sont passés maîtres dans l'art de forcer la main à leurs tuteurs américains, en décidant tous seuls d'interventions que ceux-ci entérinent ensuite. De ce point de vue, Sharon et Begin peuvent encore prendre bien des initiatives du type de celle qu'ils ont prise en occupant Beyrouth-Ouest. II n'est pas exclu en particulier, qu'ils prennent l'initiative de déclencher un conflit avec les forces syriennes et palestiniennes qui stationnent encore dans le nord du Liban, étendant ainsi la présence de l'armée israélienne dans de nouvelles zones. Avec peut-être dans ce cas, l'aval des dirigeants US. Mais il est possible aussi que ceux-ci leur imposent des limites à ne pas franchir pour l'instant, voire même un retrait partiel de leurs forces. L'attitude du dirigeant travailliste israélien Shimon Peres tendrait à prouver qu'une fraction des dirigeants sionistes mise sur le fait que l'impérialisme américain pourrait s'opposer à une nouvelle extension de la domination israélienne, s'opposer à la politique de Begin et Sharon et favoriser la venue au pouvoir d'une nouvelle équipe, à Jerusalem.
Les conséquences pour les peuples libanais et palestiniens
Sans doute, dans tous les cas, que l'armée israélienne reste ou non au Liban, que celui-ci reste ou non dans ses frontières actuelles, les peuples libanais et palestinien ont à subir aujourd'hui les conséquences d'une dure défaite, d'une dure répression. D'ores et déjà, le nouvel État libanais, mis en place avec l'aide de l'armée israélienne, a profité de la situation pour procéder à la répression contre les organisations de la gauche libanaise. Qu'il soit ou non sous le contrôle d'Israël, le nouvel État libanais se profile déjà comme un régime particulièrement répressif à l'égard des masses libanaises et des Palestiniens du Liban. Il répond ainsi aux objectifs qui étaient ceux de la bourgeoisie libanaise depuis le déclenchement de la guerre civile de 1975-76, objectifs qu'elle n'avait pas totalement atteints jusqu'à présent.
Cependant, la longue résistance militaire que l'OLP et les milices de la gauche libanaise ont pu opposer à l'avance des troupes israéliennes a permis à l'OLP de sauvegarder une partie de ses forces, et notamment son existence politique. De plus, les dirigeants israéliens n'ont nullement mis fin à l'existence et à l'audience de l'OLP parmi le peuple palestinien des territoires occupés et du Liban, ce qui était pourtant au nombre de leurs objectifs, en vue de préparer l'annexion de la Cisjordanie et de Gaza à Israël.
De ce point de vue, en augmentant l'étendue des territoires qu'ils contrôlent, les dirigeants israéliens ont peut-être accru encore les contradictions qui existent sous leur puissance politique et militaire. Ils ont déjà, et depuis longtemps, à faire face à la révolte des Palestiniens d'Israël, de Cisjordanie, de Gaza et des habitants du Golan. Mais ils pourraient dans l'avenir avoir affaire, en plus, à l'opposition d'une partie de la population libanaise.
LA POPULATION D'ISRAËL ET LA GUERRE DU LIBAN
Plus même, les dirigeants israéliens ont déjà à faire face, en Israël même, à des difficultés politiques croissantes.
La population israélienne a montré qu'elle est loin d'accepter sans murmure la politique de guerre. Tout au long de celle-ci, des soldats, des officiers, ont protesté, allant jusqu'à démissionner de l'armée. D'importantes manifestations ont eu lieu en Israël. Et encore faut-il tenir compte du fait que, durant tout le conflit, les informations en provenance du Liban ont été soigneusement filtrées, aboutissant à donner dans la presse et les médias israéliens l'image d'un conflit aseptisé, où les soldats israéliens seraient accueillis en libérateurs par une population libanaise satisfaite d'être « libérée des terroristes ».
Or, il y a eu des ratés dans ce système de désinformation : l'affaire des camps de Sabra et de Chatila en fournit l'exemple. Une partie des jeunes officiers israéliens, révoltés par ce qui se
produisait, ont réussi à alerter leurs connaissances en Israël. La télévision israélienne a finalement montré les images des massacres de Sabra et Chatila. Et on a assisté à un important mouvement d'opinion dans une population qui reste marquée par le souvenir de l'holocauste nazi et a été choquée de découvrir soudain que sa propre armée se livrait à un véritable carnage au Liban.
Cette réaction démontre une chose : c'est que la population israélienne n'est pas embrigadable à merci, n'est pas encore résignée à vivre la vie d'un peuple soldat guerroyant contre tous ses voisins. En particulier, la liberté de la presse, la liberté d'expression qui subsistent aujourd'hui pour la population juive d'Israël, deviennent des inconvénients pour les dirigeants sionistes. La démocratie parlementaire qui fait que Begin et Sharon ont dû finalement accepter, sous la pression de leur propre majorité, de créer une commission d'enquête sur les massacres de Sabra et Chatila, a montré aussi ses inconvénients.
L'ensemble de ces réactions démontrent en tout cas que, à continuer leurs offensives militaires ou simplement à maintenir longtemps la mobilisation de leur armée, Begin et Sharon peuvent craindre une évolution « à la vietnamienne » analogue à celle qui s'est produite dans l'armée et la jeunesse américaine à la fin de l'intervention US au Vietnam : la lassitude de la guerre s'est alors traduite par une hostilité de plus en plus grande à la politique vietnamienne des dirigeants US.
Or c'est là une situation relativement nouvelle en Israël. La force du régime sioniste réside justement dans le fait que la population juive israélienne, immigrée dans le pays à la suite des persécutions antisémites ou parce qu'elle en craignait d'autres, accepte du coup, de bon gré, de participer à l'effort militaire. Celui-ci était vu jusqu'à présent non comme le résultat d'une politique guerrière, mais comme la simple défense d'une communauté entourée d'ennemis. D'autant plus que jusqu'à présent, les dirigeants sionistes ont pris grand soin de présenter leurs agressions comme des guerres défensives.
C'est ce consensus que la politique sioniste trouve dans la population israélienne qui fait d'ailleurs en partie la force de l'armée. C'est ce qui donne encore aujourd'hui à cette armée, baptisée « Tsahal » des initiales hébraïques de « Armée de Défense d'Israël », un caractère relativement populaire et proche de la population. Mais sur le plan politique, c'est aussi cette situation qui permettait jusqu'à présent au régime israélien de garder un caractère très démocratique pour la très grande majorité de la population juive tout en étant en même temps, un régime de dictature pour la population arabe d'Israël et des territoires occupés.
Mais, de ce point de vue, la guerre du Liban a été différente des précédentes. Les dirigeants israéliens n'ont pas réussi à la faire apparaître comme une guerre défensive, et il leur sera d'ailleurs sans doute de plus en plus difficile de justifier aux yeux de la population israélienne, le maintien de l'armée au Liban, voire de nouvelles aventures guerrières, dans la mesure où il devient évident que c'est l'armée israélienne qui se comporte en armée conquérante alors que personne ne la menace.
Si les dirigeants israéliens veulent poursuivre effectivement une politique d'escalade guerrière, cette fissure entre une fraction du peuple israélien d'une part, le gouvernement et l'armée d'autre part, peut continuer à s'élargir. Les dirigeants israéliens peuvent ne plus disposer du même soutien à leurs buts de guerre. Alors, pour les faire accepter, ils devraient avoir recours à des formes de gouvernement plus autoritaires, par exemple, à un contrôle étroit de la presse, à la suppression des libertés d'expression et des formes démocratiques, qui constituent autant de canaux par lesquels les informations, les protestations contre la guerre peuvent passer et passent effectivement pour l'instant. Autrement dit, la poursuite de cette politique pourrait alors impliquer à terme la mise en place d'une dictature, militaire ou civile, sous la direction d'un Sharon, d'un Begin ou d'un autre.
Mais la récente crise politique ouverte en Israël par les massacres de Sabra et Chatila démontre au moins que la mise en place d'une telle dictature ne serait pas si simple et risquerait de se heurter à la mobilisation d'une partie de la population israélienne.
C'est dire que la poursuite des buts de guerre et des projets de Sharon et Begin implique sans doute l'aggravation de la crise politique en Israël, des affrontements dont le résultat n'est pas acquis d'avance, et dans lesquels les travailleurs, la jeunesse d'Israël ont encore largement les possibilités de se battre pour ne pas se laisser enchaîner, sans possibilité de retour, aux objectifs guerriers des dirigeants.
La guerre menée par Israël au Liban est peut-être depuis la fin de la Seconde guerre mondiale le premier exemple de la façon dont une bourgeoisie, pariant sur l'aggravation de la crise mondiale, peut tenter de se lancer et de lancer son peuple dans une aventure guerrière. Mais elle peut aussi fournir le premier exemple des réactions possibles à une telle politique.