Cuba : engagement en Afrique, discussions avec les USA deux volets d'une même politique01/07/19781978Lutte de Classe/medias/mensuelnumero/images/1978/07/55_0.jpg.484x700_q85_box-27%2C0%2C2451%2C3504_crop_detail.jpg

Cuba : engagement en Afrique, discussions avec les USA deux volets d'une même politique

Accusé par Carter d'avoir été à l'origine des troubles au Shaba, Castro s'est défendu en affirmant qu'il n'était pas favorable à l'opération menée en mai dernier par le FNLC contre le Shaba et en ajoutant, pour preuve de son innocence, qu'il avait lui-même averti la Maison Blanche de ce projet qu'il désapprouvait. Aucun démenti de Washington n'a infirmé ces faits.

Le ton conciliant de Castro dans cette affaire, ses gestes destinés à le blanchir aux yeux de Washington peuvent paraître contradictoires avec son attitude plus offensive et ses propos plus combatifs lors de son intervention en Angola en 1975-76, et plus récemment à propos de la Rhodésie et de l'Afrique du Sud.

Mais il faudrait bien se garder de conclure qu'à un Castro fervent anti-impérialiste d'hier succéderait aujourd'hui un Castro disposé à n'importe quel compromis avec l'impérialisme. La contradiction entre certaines attitudes conciliantes de Castro ces derniers mois et le ton agressif qu'il a su adopter à plusieurs reprises dans le passé n'est qu'apparente.

Les objectifs des dirigeants castristes n'ont pas changé depuis les premières années de la révolution cubaine : ils cherchent un compromis avec l'impérialisme américain, un compromis qui assure à long terme l'existence de Cuba. Ce compromis, ils l'envisagent depuis toujours, mais ils ont choisi de ne pas s'en laisser dicter les conditions sans rien dire mais au contraire de tenter d'imposer les leurs. Ils ont choisi, quitte à passer par de rudes épreuves, de se donner les moyens de négocier sur la base d'un rapport de forces le plus favorable possible à Cuba. Et sur ces points essentiels, la politique de Castro est aujourd'hui fondamentalement la même qu'il y a dix ans, ou dix-neuf ans. S'il y a eu changement, c'est du côté des États-Unis qu'il faut le chercher, des États-Unis qui depuis quelques années ne rejettent plus l'idée d'une « normalisation » de leurs relations avec Cuba.

Trouver un compromis avec les usa : un objectif depuis toujours pour castro

Quand, en 1959, Castro et les dirigeants de la révolution cubaine prirent le pouvoir, ils ne souhaitaient pas rompre avec les États-Unis. Mais les exigences de l'impérialisme américain, son intransigeance, furent telles qu'elles placèrent les dirigeants cubains devant une alternative cruciale. Ou bien ils renonçaient à leur programme et aux acquis de la révolution, et un compromis était possible tout de suite, ou bien ils tenaient tête, prenant le risque de subir des représailles de la part des USA qui essayèrent de faire céder les dirigeants cubains en organisant l'isolement de cette île sous-développée, incapable de survivre longtemps sans relations économiques avec d'autres pays.

Castro choisit de tenir tête. Il refusa de céder sur la réforme agraire, la nationalisation des entreprises sucrières et pétrolières américaines. Il répondit aux menaces américaines par des mesures chaque fois plus radicales. Plutôt que de trahir les espoirs et les aspirations à la dignité de la population cubaine qui s'était mobilisée derrière lui, Castro préféra s'appuyer sur celle-ci pour résister à la pression de l'impérialisme américain.

Les dirigeants cubains faisaient ainsi la démonstration, à la face du monde, qu'un petit peuple décidé pouvait défier la plus grande puissance impérialiste. Et cette audace et cette détermination révolutionnaires expliquent que Cuba soit devenue un temps, pour de nombreux opprimés, un espoir et un drapeau.

Mais ce radicalisme ne voulait pas dire que Castro entendait prendre la tête de la lutte des opprimés du monde entier contre les exploiteurs, et qu'il voulait renverser l'impérialisme.

Castro et les dirigeants cubains ont toujours été des révolutionnaires se situant sur le terrain de la bourgeoisie. Leur programme était - et est toujours - un programme nationaliste bourgeois visant à secouer l'oppression nationale qui pesait sur Cuba et sortir le pays du sous-développement. Ceux qui ont cru que Cuba se donnait comme objectifs la révolution socialiste et le renversement de l'impérialisme ont peut-être été déçus de voir Castro souvent prêt à des compromis, mais ils ont tout simplement été victimes de leurs illusions passées.

Toute la politique extérieure des dirigeants cubains depuis les années 60 a pour objectif de trouver à Cuba des alliés pour survivre, et de créer un rapport de force lui permettant de faire valoir ses droits auprès de l'impérialisme américain.

Cela n'avait rien à voir avec la mise en place d'une internationale prolétarienne, état-major de la révolution socialiste l'échelle du monde. Les références à l'internationalisme prolétarien, fréquentes dans la bouche de Castro et qui lui ont servi à justifier son intervention en Angola en 1975 ou, plus récemment, son soutien au chef de l'État éthiopien Mengistu Haïlé Mariam, n'ont rien à voir avec la politique internationaliste des bolcheviks dans les premières années du régime soviétique ; ni rien à voir non plus avec celle qu'aurait menée un État ouvrier dans la situation de Cuba. Mais le léninisme de Castro n'a jamais abusé que ceux que cela arrangeait de se laisser abuser.

La politique extérieure de Castro n'avait, et n'a rien à voir non plus avec la mise en place d'une politique visant à harceler sans répit l'impérialisme et à susciter partout de par le monde la révolte des opprimés (fût-ce sur des bases nationalistes). On trouverait sans doute dans les discours de Castro maintes déclarations allant dans ce sens. Mais en fait la politique de Castro a toujours été beaucoup plus sage et calculée que ne le laissaient paraître ses généreux et lyriques discours que trop de rêveurs tiers-mondistes préférèrent prendre au pied de la lettre.

Le radicalisme de Castro, ses liens avec le camp soviétique, son engagement aux côtés de tel ou tel gouvernement ou État du Tiers-Monde n'ont jamais été le résultat de choix faits au nom des principes révolutionnaires, mais bien de choix tactiques, plus ou moins imposés par les circonstances. Et finalement, s'il s'est toujours défendu avec audace, Castro s'est néanmoins toujours montré relativement responsable vis-à-vis de l'impérialisme américain.

L'alliance entre cuba et l'urss : mariage force qui n'hypothèque pas l'avenir

Les liens qui se sont établis entre Cuba et l'URSS, le fait que Cuba fasse la plupart de ses échanges commerciaux avec celle-ci ou les pays dits socialistes, le fait que la politique étrangère de Cuba, notamment en Afrique, soit calquée sur celle des Soviétiques, n'est nullement incompatible avec la perspective qu'ont les dirigeants cubains depuis toujours d'aboutir à un compromis avec les USA.

Le choix de se tourner vers l'Union Soviétique plutôt que de capituler devant l'impérialisme américain qui organisait le blocus de Cuba au début des années soixante, n'impliquait pas pour les dirigeants cubains (ni pour les dirigeants soviétiques d'ailleurs) que Cuba intégrait définitivement le camp dit socialiste.

Cuba trouva du côté de l'Union Soviétique un appui militaire et des débouchés économiques sans lesquels elle n'aurait pas survécu. Quant aux dirigeants cubains, ils savaient bien qu'ils n'étaient pas si indispensables à l'Union Soviétique qu'ils puissent se permettre de ne pas se plier à ses conditions sur plus d'un point ; mais cela ne voulait pas dire qu'ils s'engageaient définitivement dans cette vole.

Devant la faillite du programme d'industrialisation (en 60-63) Cuba concentra ses forces sur le développement de la culture de la canne à sucre dont la plus grande partie devait être exportée vers l'URSS à un prix garanti, indépendant des fluctuations du cours mondial, et qui devait devenir rapidement supérieur à celui-ci.

L'URSS en échange approvisionnait Cuba en pétrole, en matériel agricole et en denrées de toutes sortes. Castro n'avait pas d'autre choix que d'accepter les conditions de Moscou. D'autant plus que la production de la canne à sucre n'atteignant jamais les quotas fixés (jamais Cuba n'a produit les 10 millions de tonnes promis pour la « gran zafra » de 1970), la dette de Cuba vis-à-vis de l'URSS n'a cessé de s'accroître, endettement aggravé encore par les multiples emprunts à long terme, remboursables pour la plupart en nature, que Cuba dut contracter pour tenir.

Cette dépendance économique ne pouvait manquer d'entraîner une forte dépendance politique.

Sur le plan intérieur Castro a mis en place un régime ressemblant, du moins extérieurement, à celui des Démocraties Populaires avec, comme parti unique, un Parti Communiste tout-puissant et des institutions d'appellation socialiste.

Sur le plan de sa politique extérieure, Castro résista avant d'épouser les causes soviétiques. Ainsi, en 1966, lors de la Conférence Tricontinentale qui se tenait à la Havane, Castro, qui impulsa la création de l'OLAS (Organisation Latino-Américaine de Solidarité) afficha des positions très critiques vis-à-vis de Moscou et des partis communistes latino-américains. Cela suffit à faire de Castro pour une partie de l'extrême-gauche le pionnier du communisme non-stalinien. Mais telles n'étaient pas ses ambitions. En 67-68, l'URSS usa de pressions économiques (retards de livraisons de pétrole, demandes de remboursement de prêts) et ne tarda pas à ramener Cuba à de meilleurs sentiments : Castro cautionna officiellement l'intervention soviétique en Tchécoslovaquie en 1968. En 1972 Cuba entra dans l'organisme économique international dominé par l'URSS, le COMECON. Mais tout cela n'empêcha pas Castro de garder et d'afficher une certaine indépendance vis-à-vis du camp soviétique et de tenir à se ranger dans les « pays non-alignés », à participer à ces conférences, même s'il devait s'y faire reprocher, comme en 1973, lors de la Conférence des pays non-alignés à Alger, ses liens avec l'Union Soviétique.

Depuis plusieurs années, on voit Cuba emboîter systématiquement le pas à l'URSS en Afrique, et soutenir les mêmes mouvements et les mêmes États que celle-ci : Guinée Bissau, Angola, Mozambique, etc... Et cela, quitte à changer de camp à la traîne de l'URSS si besoin est : ainsi, après avoir épousé la cause de la Somalie, baptisée un temps « socialiste », l'URSS se rabattit sur l'Éthiopie, quitte à se dresser contre le mouvement d'indépendance de l'Érythrée qu'elle soutenait jusque là, et Castro suivit.

Il est bien certain que cette étroite collaboration sur le continent africain ne vient pas du fait qu'à chaque moment les intérêts nationaux de l'URSS coïncident avec ceux de Cuba. C'est l'URSS qui impose sans doute ses choix à Cuba. Et il est vraisemblable que les dirigeants soviétiques, qui hésitent à engager des hommes dans des aventures africaines hasardeuses et risquées où, de plus, ils ne veulent pas s'affronter de face à l'impérialisme américain, préfèrent voir des soldats cubains engagés en première ligne aux côtés de tel ou tel régime et se limiter, dans la mesure du possible, à fournir des armes. Aussi n'est-il pas faux de dire que les troupes cubaines combattent en Afrique pour défendre les intérêts de Moscou. Mais cela n'est vrai qu'en partie, car, dans cette opération, les dirigeants soviétiques donnent au régime cubain non seulement l'occasion de lier des relations économiques et politiques avec divers pays africains, mais aussi, et peut-être surtout, l'occasion de démontrer que Cuba dispose d'une force militaire capable d'intervenir, ce qui constitue pour les dirigeants cubains un atout pour une éventuelle négociation.

Selon le Département d'État américain, il y aurait actuellement quelque 38 000 civils et militaires cubains présents dans environ quinze États africains. L'Angola compterait à elle seule environ 4 000 techniciens et 19 000 militaires tandis que 10 000 Cubains seraient actuellement en Éthiopie, engagés aux côtés du régime de Mengistu Haïlé Mariam. Ces « coopérants » civils et militaires dont Castro se dit fier sont incontestablement, d'une certaine façon, des atouts entre les mains de Castro vis-à-vis même de l'impérialisme. Et l'engagement en Afrique aux côtés de l'URSS n'hypothèque pas les perspectives de normalisation entre Cuba et les USA, ni du point de vue de Cuba, ni du point de vue de l'URSS, ni, semble-t-il, du point de vue des USA.

Un rapprochement dans lequel cuba a peu d'initiative et peu de marge de manoeuvre

Quels que soient les désirs de Castro de renouer avec les USA et les pays impérialistes, ces aspirations ne pouvaient trouver un embryon de réalisation tant que l'impérialisme américain s'y refusait.

Il a fallu attendre la fin de la guerre du Vietnam et l'adoption par les USA d'une politique de « détente » pour que, quatorze ans après la révolution cubaine, ceux-ci envisagent une politique plus souple vis-à-vis de Cuba.

Au début de 1973, des personnalités du Congrès menèrent campagne auprès de Nixon en faveur d'une normalisation des rapports avec Cuba. Cuba est devenue une gêne mineure, affirment-ils, les mouvements de guerilla ont été écrasés ou se sont tus d'eux-mêmes, le blocus ne correspond plus aux nécessités de l'époque. Des accords concernant les prisonniers américains sont alors signés entre La Havane et Washington. La pression américaine se desserrant, le Pérou (en 1972), puis l'Argentine (1973), Panama et le Venezuela (1974), la Colombie (1975), renouent avec Cuba. L'Organisation des États Américains (I'OEA) sanctionne cet état de fait en levant l'interdiction (décidée en 1964) faite à tous les pays membres d'avoir des relations avec le régime cubain. Seuls le Canada, le Mexique et, de 1970 à 1973, le Chili d'Allende étaient passés outre.

En février 1975, Edward Kennedy affirma qu'il était pour sa part favorable à la levée de l'embargo tandis que Castro, quelques mois plus tard, déclarait qu'il était prêt, en cas de levée du blocus, à négocier avec les USA l'indemnisation des propriétés américaines nationalisées.

Une telle évolution devait réjouir Castro. Mais cette porte entrebaillée ne voulait pas dire que la partie était gagnée. Et il n'est pas étonnant que, malgré cette reprise de contact, Castro se soit engagé à cette période en Angola, contre des forces soutenues par les USA.

Les dirigeants cubains savent que dans leurs relations avec les USA ils n'ont pas l'initiative. Le rythme de l'évolution d'un rapprochement désormais possible entre ces deux pays dépend en premier lieu de la bonne volonté de l'impérialisme américain, et aussi, pour le moment, du consentement de l'Union Soviétique, du moins tant que Castro ne prend pas l'initiative d'un éloignement ou d'une rupture avec Moscou. L'URSS paraissait se réjouir de la nouvelle orientation de l'impérialisme américain, du moins a ses débuts. Mais il n'en reste pas moins que Cuba est un élément important dans les relations entre les USA et l'URSS, et que les aléas de celles-ci risquent d'imprimer un cours fort sinueux à la marche vers la « normalisation » des rapports entre Cuba et les USA.

Après un temps de pause, depuis la victoire de Carter, le gouvernement américain a réouvert la porte. Tandis que Castro vante les mérites de la nouvelle équipe Carter, Cyrus Vance précisait en 1977 que les interventions cubaines en Afrique n'étaient pas un obstacle aux discussions entre les USA et Cuba. En 1977 toujours, un accord est signé, des diplomates seront échangés entre les deux pays ; d'autre part un règlement concernant la pêche et la circulation maritime est établi. Toujours en 1977, une liaison directe est établie avec la présence à la Havane d'une section des intérêts américains avec statut diplomatique. Dans les entretiens avec les hommes d'affaires américains, on discuterait de plus en plus des domaines où les échanges économiques sont possibles : des ventes possibles de soja américain à Cuba, des possibles participations des multinationales à l'exploitation du nickel cubain, de l'extension de la première centrale nucléaire construite par les Soviétiques, des technologies agricoles américaines importables à Cuba. Autant de gestes qui montrent qu'un rapprochement avec les USA est possible, rapprochement auquel les dirigeants cubains peuvent penser qu'ils ont beaucoup à gagner.

Il n' y a pas de contradiction de fond entre le fait que Cuba veuille s'engager plus avant dans la voie d'un règlement négocié à long terme avec les USA et le fait qu'elle continue de s'engager en Afrique. Comme il n'y a pas de contradiction de fond entre le fait que Castro se soit disculpé de toute responsabilité dans l'affaire du Shaba et le fait que demain peut-être, Cuba accroisse son aide à tel mouvement ou tel régimeafricain hostileaux USA.

Prêt à négocier sa place au soleil, dans le cadre d'un monde dominé par l'impérialisme, le régime cubain l'est depuis toujours. Mais pour avoir cette place, les dirigeants cubains ont fait le choix de se battre. Disposant d'une marge de manoeuvre très étroite, ils ont joué, autant qu'ils le pouvaient, toutes les cartes dont ils disposaient, en répondant au jour le jour aux problèmes qui se posaient, même si ces cartes pouvaient paraître contradictoires.

Alors les dirigeants cubains ne sont sûrement pas prêts à sacrifier moindrement le rapport de forces qu'ils ont su créer pour hâter les négociations ; ils ne sont d'ailleurs pas assez naïfs pour croire que cela pourrait être efficace. Et, surtout, cela ne correspond pas au choix politique qu'ils ont fait.

L'actuel changement d'attitude de l'impérialisme américain à l'égard de Cuba n'est pas le résultat de ce rapport de forces, Castro le sait bien, mais d'une autre orientation de l'impérialisme américain. Mais il sait aussi que le contenu des accords possibles dépend de ses atouts et le poids qu'il peut acquérir en Afrique lui en paraît un, même s'il fournit aux USA des prétextes pour retarder la « normalisation » dont ils parlent désormais.

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