Le rôle et la nature de l'état dans les pays sous-développés01/04/19671967Lutte de Classe/static/common/img/ldc-min.jpg

Le rôle et la nature de l'état dans les pays sous-développés

Du socialisme, on peut dire aujourd'hui ce que Blanqui disait à son époque du mot démocrate : il est devenu tellement vague que n'importe qui peut se cacher derrière. Et cela est particulièrement vrai dans les pays sous-développés où il n'existe pratiquement pas un homme d'État, du « communiste » Mao Tsé Toung à l'Altesse Royale Norodom Sihanouk, qui ne s'en réclame peu ou prou.

Or, les positions des organisations révolutionnaires, et en particulier de celles se réclamant du trotskysme, ne sont pas faites pour clarifier le problème. Car chacune d'entre elles, en développant d'ailleurs des raisonnements sinon identiques, du moins semblables, reconnaît à un nombre variable d'États la qualité d'États ouvriers, « trotskysme » oblige, déformés.

Si pour les organisations du Comité International, seuls les pays dits de « démocratie populaire » et la Chine ont droit à cette appellation non-contrôlée, pour celles du Secrétariat Unifié la liste doit comprendre en outre Cuba, l'Algérie, et quelques autres encore, et pour les posadistes elle est tellement longue qu'ils préfèrent parler de « ce qui reste de capitaliste dans le monde ».

Notons enfin en passant que les staliniens, qui ne peuvent tout de même pas inclure la Guinée ou le Mali dans le « camp socialiste », et qui n'ont pas non plus la possibilité de parler d'État ouvrier déformé, ont dû créer, pour ne mécontenter personne, l'intéressante catégorie des « pays engagés dans des voies de développement non-capitalistes » !

A la base de toutes les analyses qui visent à justifier l'appellation d'État ouvrier déformé appliquée à tel ou tel État, on retrouve toujours les deux mêmes arguments : l'un, la réforme agraire, qui ne souffre même pas la discussion, parce que pour un marxiste c'est le type même de réforme bourgeoise, l'autre qui concerne l'étendue plus ou moins importante des nationalisations dans le pays en question.

C'est d'ailleurs là que réside l'une des divergences entre les différentes fractions de la IVe Internationale sur la nature de l'État de certains de ces pays, car si on fait de l'importance des nationalisations le, ou du moins l'un des critères déterminants en ce domaine, encore faut-il nous dire à quel moment, à partir de quel pourcentage de nationalisations, s'effectuerait le bond qualitatif qui, par on ne sait quel miracle dialectique, ferait de ces États des États ouvriers plus ou moins déformés.

L'intervention de l'État dans la vie économique n'est nullement un fait « socialiste ». Il n'est aucune société de classe, depuis Sumer ou l'Égypte des pharaons, où l'État n'ait été amené à intervenir, d'une manière ou d'une autre, et si peu que ce soit, dans la vie économique.

Et si ce phénomène fut souvent accessoire, aujourd'hui, à l'époque impérialiste, dans les pays capitalistes avancés comme dans les pays sous-développés, cette intervention de l'État est un phénomène majeur, et une nécessité absolue.

Dans tous les pays impérialistes, en dehors de l'impérialisme américain, le plus riche de tous, qui a pu jusqu'ici l'éviter pour l'essentiel, l'État a été amené à prendre en charge directement, en les nationalisant, un certain nombre de secteurs-clé.

Il ne faut pas oublier qu'en France, par exemple, un travailleur sur trois est un salarié de l'État. Et Pompidou (cité par « Informations Ouvrières » du 6 mars 1967) pouvait parler à bon droit, si nationalisations signifiaient socialisme, de « l'originalité de notre système, mi-capitaliste, mi-socialiste, à la fois libéral et planifié ».

Pour les staliniens, il y a d'ailleurs bien là en quelque sorte comme un petit grain de socialisme, puisqu'il s'agit de « conquêtes ouvrières » importantes.

Mais en fait, ces nationalisations ne furent nullement imposées à la bourgeoisie. Elles répondaient pour elle à une nécessité, et elles ne visèrent pas les secteurs où les bénéfices capitalistes étaient les plus élevés, mais, bien au contraire, les secteurs déficitaires, et au lendemain de la deuxième guerre mondiale, ceux qu'il était capital pour l'ensemble de l'économie capitaliste de remettre sur pied rapidement, et où seul l'État pouvait accepter d'investir des capitaux extrêmement importants sans espoir de bénéfices proportionnels.

Aucun révolutionnaire ne songe (du moins aujourd'hui) à qualifier de telles nationalisations de socialistes. Mais il faut pourtant bien voir que c'est à un phénomène analogue auquel on assiste dans la plupart des pays sous-développés.

Et s'il a souvent lieu sur une bien plus grande échelle, cela ne tient nullement à une volonté plus ou moins socialiste de leurs dirigeants, mais à la faiblesse considérable de leurs bourgeoisies nationales.

Car il ne s'agit pas seulement dans ces pays de secteurs non rentables de l'économie. Bien souvent aucun capital privé n'y est capable d'effectuer les investissements nécessaires à la construction, ou à l'extension d'entreprises modernes. Mon seulement le développement industriel, aussi faible soit-il par rapport aux pays capitalistes avancés, ne peut être envisagé que grâce à l'intervention directe de l'État, mais il en est de même pour le simple fonctionnement de l'économie nationale.

Certes, dans les pays capitalistes avancés, la bourgeoisie a commencé à se développer en partant de capitaux qui n'étaient peut-être pas plus considérables (et elle l'a d'ailleurs fait avec l'aide de l'État). Mais elle n'avait à créer alors que des entreprises à l'échelle de son siècle et donc de ses possibilités financières.

Aujourd'hui, dans les pays sous-développés, le problème se pose d'une manière bien différente. Il ne peut pas être question de repasser par tous les stades économiques que traversèrent les pays dont l'industrie commença à se développer il y a plusieurs siècles, de construire des entreprises à l'échelle des capitaux privés dont dispose la bourgeoisie nationale.

Ces nationalisations, ou ces créations d'entreprises d'État ne sont donc nullement des transformations « socialistes ». Les États bourgeois qui y procèdent n'ont pas le choix, car il n'y a pas de choix entre la vie et la mort, et ils ne peuvent survivre indépendants qu'au prix de ces nationalisations, ou de cette industrialisation - limitée - sur des bases étatiques.

Certains trouveront sans doute aberrante l'idée de qualifier de bourgeois des États qui ont parfois nationalisé la quasi-totalité de leur industrie et de leur commerce de gros. En réalité, ce qui est aberrant, c'est de voir des gens qui se réclament du marxisme prétendre que nationalisations égalent socialisme.

Une telle conception n'a rien à voir avec le marxisme. C'est seulement le contenu que les bourgeois partisans du libéralisme économique donnent au mot socialisme quand ils polémiquent avec les tenants du « dirigisme ». C'est tout au plus la conception de certains réformistes pour qui le socialisme sera réalisé le jour, lointain, où, de nationalisation en nationalisation, toute l'économie aura été étatisée. Ce n'est nullement celle des révolutionnaires.

Le socialisme, ce n'est pas l'appropriation de toute l'économie par l'État. C'est la mise au service de la société humaine toute entière, c'est-à-dire à l'échelle mondiale, de cette économie. Et si pour parvenir à ce but, l'expropriation des classes possédantes et la prise en main de toute l'économie par l'État sont indispensables, il n'y a qu'un État ouvrier, issu d'une révolution prolétarienne, qui puisse ouvrir la voie à une telle transformation.

Et c'est la nature de classe de l'État qui détermine le caractère de ces nationalisations, et non les nationalisations qui déterminent la nature de classe de l'État.

Ce qui est aberrant, c'est d'écrire comme « IVe internationale » : « la nature de l'État sera déterminée par la forme des rapports de production que défendra la classe au pouvoir. »

L'État soviétique des premières années de la NEP, où le secteur privé était plus important sans doute qu'il ne l'est actuellement dans certains pays sous-développés, n'en était pas moins, incontestablement, un État ouvrier.

La tâche essentielle d'un tel État n'est pas de commencer la construction du socialisme en nationalisant toute l'économie. Il ne saurait être question de le construire, ne fut-ce qu'un petit peu, dans un seul pays. Le socialisme ne se détaille pas. La tache essentielle de l'État ouvrier est d'ouvrer au développement de la révolution socialiste mondiale. Et sa politique économique intérieure est affaire de circonstances et de possibilités, mais ce n'est pas elle qui permet d'affirmer sa nature de classe. Encore une fois, ce qui est déterminant, c'est de savoir quelle classe sociale a fait la révolution, quelle classe sociale reconstruit l'appareil d'État, quelle classe sociale le contrôle.

Le plus curieux, c'est que beaucoup nient le caractère bourgeois de certains États en constatant la faiblesse, voire la quasi-inexistence de la bourgeoisie, et que cela leur semble un argument suffisant pour affirmer alors la nature ouvrière de ces États.

Et comme il est évident que nulle part, pas plus en Chine ou à Cuba qu'ailleurs, la classe ouvrière n'exerce, si peu que ce soit, le pouvoir d'État, on nous parle « d'États ouvriers déformés », où le pouvoir politique serait exercé par une bureaucratie sortie on ne sait trop d'où (car il n'y a eu nulle part dégénérescence d'un État ouvrier comme ce fut le cas en URSS), qui, au contraire de la bureaucratie soviétique qui a toujours eu un rôle contre-révolutionnaire, aurait été suffisamment révolutionnaire pour diriger, en le contrôlant, le processus révolutionnaire, et qui représenterait, bien que d'une manière « déformée », les intérêts du prolétariat.

Ce dernier point est d'ailleurs particulièrement difficile à concevoir, car ces États se plaçant tous dans une optique purement nationaliste, on ne voit pas bien quels intérêts prolétariens nationaux ces bureaucraties peuvent bien défendre. Le prolétariat, faible dans ces pays mais classe internationale, ne saurait avoir en effet d'autres intérêts qu'internationaux.

Mais de toute manière, ce qu'il faut bien voir, c'est que raisonner exclusivement à partir d'une analyse, fut-elle minutieuse, de l'importance numérique des classes sociales en présence, des rapports de production existants dans le pays, est une attitude erronée, entièrement étrangère au marxisme.

Dès « l'Idéologie allemande », Marx et Engels proclamaient que le prolétariat était une classe qui ne pouvait exister qu'à l'échelle internationale. Et cette proclamation n'était pas affaire de « bons sentiments » internationalistes. Elle était à la base de leur conception de l'histoire de l'humanité, et du socialisme.

Depuis le XVIe siècle, environ, il est en effet impossible de considérer l'histoire de l'humanité autrement que comme un tout.

Certes, dans les premiers pays où elle s'est développée, la bourgeoisie est apparue comme un phénomène national, que l'on peut comprendre à la rigueur sans faire intervenir de facteurs internationaux. Mais l'apparition du capitalisme industriel, et donc du prolétariat, fut un phénomène international, même si ce capitalisme industriel, et ce prolétariat n'apparurent en premier lieu que dans un nombre restreint de pays, parce que ce ne fut possible que grâce à une accumulation primitive du capital, réalisée par la spoliation non seulement de pays, mais de continents entiers.

Depuis cette époque, il n'est pas possible de considérer le développement de quelque pays que ce soit sans tenir compte du contexte international dans lequel il est placé, et, dans le cas des pays sous-développés, c'est même ce contexte qui est déterminant pour comprendre le caractère de classe de leurs États.

Sans doute la bourgeoisie de ces pays est-elle faible. Mais serait-elle totalement inexistante, (ce qui n'est jamais le cas, et ce qui est d'ailleurs impossible, car le capitalisme international a forcément introduit des rapports bourgeois de production, et donc créé au moins un embryon de bourgeoisie nationale, ne serait-ce que comprador), que cela ne changerait rien au problème. Ce n'est pas tant de leurs liens avec leur propre bourgeoisie, que de leurs rapports avec l'impérialisme mondial que ces États tirent leur nature de classe bourgeoise.

Leurs liens avec leur propre bourgeoisie sont infiniment plus faibles en effet, que ceux qui unissent l'État à la classe qu'il représente dans les pays capitalistes avancés. C'est que la bourgeoisie des pays impérialistes possède une puissance économique qui lui permet de contrôler son appareil d'État, même lorsqu'elle est obligée, pour des raisons politiques, de le remettre entre les mains d'une bureaucratie qui lui est en grande partie étrangère, comme ce fut le cas par exemple en Allemagne nazie.

Cette indépendance relative de l'État par rapport à la bourgeoisie nationale dans les pays sous-développés permet de comprendre avec quelle facilité, dans certains d'entre eux, la quasi totalité de l'industrie a pu être nationalisée.

Beaucoup de gens considèrent que la Chine est un État ouvrier parce que Mao Tsé Toung a nationalisé la quasi totalité de l'industrie chinoise.

Mais l'Egypte nassérienne, qui ne suscite pas les mêmes appréciations, n'a pas grand-chose à envier à la Chine dans ce domaine.

Et ce qui montre bien de quelle liberté de manoeuvre l'État de ces pays peut parfois disposer vis-à-vis de sa propre bourgeoisie, c'est le fait qu'un certain nombre de gouvernements particulièrement corrompus et réactionnaires, qu'il n'est pas question bien sûr de comparer politiquement à Castro ou à Mao Tsé Toung, ont pu exproprier à leur propre profit une partie importante de la bourgeoisie, le cas le plus démonstratif étant celui de feu Trujillo qui s'était personnellement rendu possesseur de la quasi totalité des usines et des terres de la République Dominicaine.

Il est bien évident qu'un tel phénomène serait absolument inconcevable dans un pays capitaliste avancé. Mais il est possible dans un pays sous-développé.

C'est pourquoi, si l'on ne peut effectivement pas imaginer l'État d'un pays impérialiste nationalisant la plus grande partie de son économie, il n'en est pas de même pour les pays où la bourgeoisie nationale est très faible.

Dans les pays impérialistes, l'appareil d'État n'est vraiment que le serviteur à gages de la bourgeoisie, et ses membres ont tout intérêt à faire preuve de zèle et de dévouement en sa faveur.

Dans les pays sous-développés, et surtout dans les plus pauvres, dans ceux où la bourgeoisie est la plus faible, il n'en est pas de même. L'appareil d'État y est infiniment plus indépendant. Et il ne tire pas tant ses revenus des prébendes de la bourgeoisie nationale que de la corruption et du détournement pur et simple des ressources de l'État.

C'est l'un des aspects de « l'aide » aux pays sous-développés, qui est surtout une « aide » à leurs dirigeants, en même temps qu'un moyen de les contrôler.

Mais ceux-ci seraient-ils parfaitement intègres, que cela ne changerait rien à la manière dont le problème se pose.

Car si un grand nombre de dirigeants de ces pays ne sont manifestement que les valets stipendiés de l'impérialisme, lorsqu'on a affaire à des hommes qui paraissent mener, ou même qui mènent réellement une lutte « anti-impérialiste », (c'est-à-dire contre l'impérialisme particulier qui les opprime, mais non pas contre l'impérialisme en général), la nature de classe bourgeoise de l'État qu'ils dirigent n'en reste pas moins déterminée avant tout par le fait qu'ils ne peuvent échapper au monde impérialiste.

Pour tirer le maximum de profits des pays coloniaux et semi-coloniaux et pour garantir ses investissements, l'impérialisme a souvent eu recours à la violence militaire et à l'asservissement politique. Mais il faut bien comprendre que cela ne lui est nullement indispensable pour exploiter ces pays.

Le respect de « l'Égalité des droits entre les nations », ce que revendiquent les staliniens et les démocrates petits-bourgeois, ne peut en effet qu'aboutir au maintien de l'exploitation économique des pays sous-développés.

Dans le meilleur des cas, celui où les échanges commerciaux se font sur la base des cours du marché mondial, à cause de l'énorme différence d'industrialisation, et donc de productivité du travail, ils aboutissent à échanger des quantités de travail humain bien différentes, et donc à perpétuer l'exploitation des pays sous-développés par l'impérialisme.

On peut donc imaginer à la limite, mais ce n'est qu'une abstraction bien sûr, dans un pays où n'existerait aucune bourgeoisie, un État totalement indépendant politiquement de l'impérialisme, et qu'il faudrait tout de même considérer comme un État bourgeois (s'il n'était pas issu d'une révolution prolétarienne), ne serait-ce que parce qu'il permet de maintenir l'exploitation impérialiste.

Mais ce n'est pas l'unique raison, ni même la raison essentielle.

En effet, le problème de la nature de ces États ne se pose pas seulement par rapport aux liens qu'ils entretiennent aujourd'hui avec l'impérialisme, il se pose surtout par rapport au devenir historique de l'humanité, c'est-à-dire par rapport au développement de la révolution socialiste mondiale.

Les marxistes ne sont pas les historiens du présent. Ils ne veulent pas écrire l'histoire : ils veulent contribuer à la faire consciemment. La pensée théorique doit être avant tout un instrument au service de l'action militante. Et le vrai problème n'est pas de savoir quelle étiquette préexistante parait le mieux s'appliquer à tel ou tel phénomène considéré isolément, mais tout d'abord d'essayer de comprendre ce qu'il représente par rapport au développement historique de l'humanité.

C'est pourquoi, par exemple, il est ridicule de vouloir déterminer la nature de l'État chinois a partir d'une dissection plus ou moins juste, ou plus ou moins fine des rapports de force de classe en Chine, ou des rapports de production existants. Le vrai problème est de savoir si la révolution chinoise représente un pas en avant dans le développement de la révolution socialiste mondiale.

Certes, la révolution chinoise a affaibli l'impérialisme, et c'est sans aucun doute un fait positif. Mais le problème n'est pas d'affaiblir l'impérialisme, c'est de le détruire. Cela n'est bien sûr à la portée immédiate d'aucune révolution, dans aucun pays sous-développé. Mais c'est l'objectif que se fixerait tout de même une révolution prolétarienne, et qu'elle essaierait d'atteindre par une politique internationaliste conséquente.

Mais toutes les révolutions qui ont secoué depuis plus de vingt ans ce qu'on appelle improprement le « tiers monde », ont donné naissance à des États dont la politique ne mérite aucun autre qualificatif que celui de nationaliste. Et ce n'est pas une simple « erreur » de la part de leurs dirigeants. C'est ce qui nous oblige à les considérer comme des États bourgeois.

Le retard de la révolution socialiste mondiale a en effet permis à des bourgeoisies qui n'avaient aucun avenir historique de constituer des États indépendants. Le faible poids social de ces bourgeoisies a mené les appareils d'État de ces pays à revêtir des forces monstrueuses, certes bien différentes des États bourgeois des pays industrialisés. Mais ces formes ne sont nullement une préfiguration de l'avenir. Ce ne sont au contraire que des formes de survie de la vieille société.

Il n'y a en fait qu'un seul critère qui permette de juger de la rature de classe d'un État : c'est celui de sa politique internationale.

Un État ouvrier serait peut-être incapable de développer l'économie plus que les Castro ou les Mao Tsé Toung ont pu le faire. Il ne pourrait pas plus qu'eux combler le fossé qui sépare les pays sous-développés des pays industrialisés, ni même empêcher les échanges économiques de se faire à un taux avantageux pour l'impérialisme. Mais il pourrait lutter vraiment contre l'impérialisme (en général, et pas seulement contre un impérialiste particulier), lutter pour la révolution socialiste mondiale, en ayant une politique internationaliste, réelle et conséquente. C'est-à-dire en ne se contentant pas de déclarer le 1er mai, voire même un autre jour, que l'on est partisan de l'internationalisme prolétarien, mais en subordonnant toute sa politique à la lutte pour le développement de la révolution socialiste mondiale, en s'attachant en premier lieu à apporter dans tous les pays l'aide politique et matérielle maximum pour la construction de partis ouvriers révolutionnaires, en oeuvrant à la reconstruction d'une internationale révolutionnaire, en faisant de sa diplomatie un instrument de propagande révolutionnaire auprès des masses du monde entier.

Force nous est de constater qu'en dehors de l'URSS dont ce fut la politique dans les premières années qui suivirent la révolution d'octobre 1917, et qui, de ce fait, est une exception, il n'existe aucun État, dans les pays sous-développés comme ailleurs, qui ait eu, ne serait-ce que momentanément, une telle politique.

Il ne sert à rien d'essayer de se consoler en pensant que malgré l'inexistence d'une direction révolutionnaire internationale, la révolution socialiste a pu se développer, ne serait-ce que d'une manière « déformée ». Le monde a certes continué d'évoluer depuis 1917. Mais en dehors de la voie socialiste. Et les révolutions qui ont secoué les pays coloniaux et semi-coloniaux au lendemain de la seconde guerre mondiale, si elles ont pu, à court terme, résoudre certains des problèmes des masses paysannes, n'en débouchent pas moins sur une voie sans issue à long terme, c'est-à-dire à l'échelle de l'histoire de l'humanité. Le problème de la révolution socialiste reste entier. Il n'a été résolu, ne serait-ce que partiellement, ni en Chine, ni à Cuba, ni ailleurs.

Prétendre le contraire, prétendre que le prolétariat exerce quelque part, même d'une façon « déformée », le pouvoir politique, c'est se leurrer. Et c'est plus que cela encore. Car si aucune des fractions de la IVe Internationale ne possède quelque part assez d'influence pour démobiliser les masses par de telles théories, celles-ci ne peuvent néanmoins aboutir qu'à mettre les révolutionnaires à la remorque des directions démocrates bourgeoises. Mais face à la tâche essentielle qui se pose aujourd'hui aux révolutionnaires, et qui reste la construction d'une Internationale révolutionnaire, il est certain que les camarades qui défendent ces théories ne peuvent être que désarmés devant ce qui se passe dans un certain nombre de pays sous-développés. Que peuvent-ils proposer d'autre, en effet, aux révolutionnaires de ces pays, que de se mettre à la remorque politique des directions révolutionnaires « déformées » ?

Et la meilleure preuve en est l'attitude des fractions françaises de la IVe Internationale durant la guerre d'Algérie.

Malgré les divergences profondes qui séparaient les sections du Comité International ( « la Vérité » ) de celle du Secrétariat International ( « la Vérité des travailleurs » - « IVe Internationale » ), qui devint par la suite le SU, leurs erreurs furent parfaitement symétriques. Les uns virent dans le Mouvement National Algérien (MNA) de Messali Hadj le futur parti révolutionnaire algérien. Les autres attribuèrent ce rôle au FLN. Mais toutes deux renoncèrent en fait à défendre l'idée de la nécessité de construire en dehors de ces organisations nationalistes un parti ouvrier révolutionnaire algérien.

C'est pourquoi le problème du rôle et de la nature des États issus des révolutions des pays coloniaux et semi-coloniaux est un problème capital. Car si la réponse que lui donnent aujourd'hui les différents groupes qui se réclament du trotskysme n'influera guère sur leur développement immédiat, il conditionne en fait leur capacité à aborder le problème de la reconstruction de la IVe Internationale.

Partager