- Accueil
- Lutte de Classe n°39
- Guerre d'usure
Guerre d'usure
La grève de la SNCF qui a pimenté d'imprévu le retour de vacances pascales de tous ceux, bien entendu, qui étaient partis, a surpris par sa soudaineté et, surtout, par l'apparente contradiction entre son extension spontanée, fulgurante et l'insignifiance du fait qui l'a déclenchée. Toute la presse l'a indiqué : la grève est partie du fait qu'un mécanicien du dépôt d'Avignon avait été refusé à un examen de promotion. La grève de solidarité s'est étendue de proche en proche dans toute la région méditerranéenne, prenant au fur et à mesure un caractère revendicatif, avec comme objectif la diminution de l'horaire de travail. Cette grève « sauvage » menaçant de s'étendre à tout le réseau et d'échapper à leur contrôle, les syndicats, ou plus exactement les fédérations CGT et CFTC, ont, par une tactique qui leur a déjà rendu service dans le passé, allumé un contre-feu en déclenchant une grève de vingt quatre heures qui leur permit, en ayant l'air d'étendre le mouvement, de le limiter dans le temps (la fédération CGT-FO eut au moins la franchise de ce qu'elle est, en se prononçant purement et simplement contre « un mouvement sans objet » ).
Le fait remarquable cependant n'est pas l'attitude des syndicats, attitude en tous points conforme à leurs habitudes, à leur rôle et à leur nature, mais la réaction des travailleurs du rail. En effet, cette grève montre que l'apparente passivité du monde du travail, son peu d'empressement à répondre à certaines consignes syndicales (échec justement de la dernière journée d'action il y a quelques semaines chez les cheminots), cache, souvent, un potentiel de lutte considérable, une réactivité intacte et, toujours, un mécontentement profond. En 1958 l'économie française était au bord d'une crise, la balance commerciale était déficitaire, les réserves en devises et en or avaient fondu et la bourgeoisie française se voyait en situation difficile. Elle pouvait toujours compter sur l'aide de ses alliés, mais ceux-ci la lui auraient immanquablement échangée contre l'arrêt de la guerre d'Algérie. D'ailleurs elle risquait même de se trouver dans la situation d'être incapable économiquement de poursuivre cette guerre. C'est là deux des raisons qui amenèrent de Gaulle au pouvoir : arrêter la guerre et résorber la crise sur le dos des masses laborieuses, grâce à la popularité acquise. L'histoire a montré qu'une fois la crise passée de Gaulle se donnait du temps pour arrêter la guerre mais, sur le plan économique, il est de fait que la bourgeoisie française est maintenant dans la situation la plus favorable qu'elle ait connue depuis quatre ans et que son rétablissement a été obtenu par l'appauvrissement de l'ensemble des classes populaires (ouvriers, paysans, retraités, vieux, infrastructure. sociale etc.).
Cet état de choses n'a pas manqué d'être ressenti par les intéressés, les conflits sociaux n'ont pas manqué, que ce soient les grèves en ce qui concerne les travailleurs, ou les véritables insurrections de l'été dernier en ce qui concerne les paysans. Mais ni les uns, ni les autres, n'ont pu s'opposer à la dégradation continuelle de leur niveau de vie.
Les centrales ouvrières et en particulier la CGT prétendent que du fait du régime gaulliste les travailleurs se trouvent en situation défavorable pour lutter, et que leur combativité est moindre, qu'il faut donc trouver des formes d'action, qui, avec des moindres frais pour les travailleurs, gênent au maximum le patronat et l'État. C'est l'actualisation de la tactique, chère à la CGT depuis une dizaine d'années, des « grèves tournantes ».
De ce que valent ces grèves tournantes la détérioration du niveau de vie des travailleurs est la mesure. La période actuelle est caractérisée par un renforcement du pouvoir de l'État, et ce n'est qu'en opposant un large front que les travailleurs pourraient s'opposer de façon efficace à ce qui est une politique d'ensemble de la bourgeoisie.
La grève des cheminots a montré que ce n'est pas un quelconque manque de combativité qui empêche les travailleurs de mener de tels combats, mais la volonté délibérée des centrales syndicales de ne livrer qu'une guerre d'escarmouches et d'usure... de la combativité ouvrière.