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PSA-Stellantis Poissy : pour la démocratie ouvrière et syndicale
L’objectif politique des communistes révolutionnaires est que les travailleurs dirigent la société. Si cet objectif, dans la période de recul que nous vivons, paraît éloigné, cela n’empêche pas de militer pour que les travailleurs commencent par diriger leurs propres luttes et leurs propres organisations de base que sont les syndicats.
Dans les entreprises, cela passe par une lutte permanente contre les bureaucraties syndicales, dont l’objectif est précisément l’inverse, c’est-à-dire de diriger à la place des travailleurs.
La lutte que viennent de mener les militants du syndicat CGT de PSA Poissy contre la Fédération des travailleurs de la métallurgie (FTM) de la CGT, pendant deux ans, est l’un des épisodes de ce combat pour la démocratie ouvrière. C’est, entre autres, parce que le syndicat CGT de l’usine de PSA Poissy a pris l’habitude de fonctionner de façon démocratique que la FTM a engagé la bataille pour le détruire. Mais c’est aussi précisément grâce à cela que les bureaucrates de la Fédération ne sont pas parvenus à leurs fins : le syndicat qu’ils ont voulu détruire continue d’exister de la même manière, sous une autre étiquette, avec les mêmes pratiques et le même soutien des travailleurs.
En 2022, la FTM a en effet exclu la totalité du syndicat historique de l’usine de Poissy, et a essayé de le remplacer par un autre syndicat CGT, à sa main. Les militants exclus ont constitué un syndicat Sud, et les élections professionnelles 19 avril dernier ont permis aux travailleurs de l’usine de trancher : la « nouvelle » CGT, soutenue par la FTM, est tombée à 10,5 % chez les ouvriers, divisant par trois le score de 2019 de la CGT historique, et à 8 % sur l’ensemble des trois collèges. Quant au syndicat Sud constitué par les militants exclus de la CGT, il a remporté plus de 21 % des voix chez les ouvriers
La CGT à Poissy
Stellantis Poissy est la plus grosse usine de production industrielle d’Île-de-France, avec 3 000 salariés, dont 2 400 ouvriers. Comme dans tout le groupe Peugeot-Citroën, la direction y a toujours eu une politique répressive contre les syndicats combatifs, pourchassant, d’une main, les militants de la CGT, et favorisant, de l’autre, des syndicats « maison » tout dévoués à sa cause : la CFT, dans les années 1960 et 1970, devenue plus tard la CSL, puis en 1999 Force ouvrière.
Mais toute médaille a son revers : faire la chasse aux militants combatifs peut aussi avoir pour conséquence de les sélectionner, de les aguerrir et de les renforcer : à Peugeot, depuis des décennies, un militant syndical qui a la carte de la CGT n’a rien à espérer d’autre que d’être en butte aux sanctions et au risque de licenciement pour le moindre prétexte. Cette politique répressive de la direction a fait naître à Poissy un syndicat CGT solide et endurci, dont les militants, s’ils n’ont plus à s’affronter physiquement aux nervis du syndicat maison, comme dans les années 1970 et 1980, collectionnent les sanctions, les menaces de licenciement, les gardes à vue, voire les peines de prison avec sursis.
La CGT de PSA Poissy s’est construite en grande partie grâce aux militants du PCF, dans ce qui était une usine Simca dans les années 1960, et grâce au dévouement et à la ténacité d’ouvriers d’origine immigrée, triplement en butte aux attaques de la direction, parce qu’ouvriers, parce que CGT et parce qu’immigrés. Ce sont eux qui ont construit le syndicat et l’ont fait vivre au quotidien. La CGT s’est, par la suite, renforcée de la présence de militants de Lutte ouvrière, dans les années 1990 d’abord, puis après la fermeture en 2013 de l’usine d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis). Mais ce sont les militants « historiques » qui ont, aujourd’hui encore, le poids et l’influence les plus déterminants dans l’usine, à l’image de son secrétaire général, Farid Borsali, qui concentre à lui seul des dizaines de journées de mise à pied, deux tentatives de licenciement et une condamnation à de la prison avec sursis à la suite d’un coup monté par la direction.
L’une des principales forces de ce syndicat, en plus de la ténacité de ses militants, est son caractère démocratique : les décisions y sont prises collectivement, les réunions de direction hebdomadaires (secrétariat) sont ouvertes à tous les syndiqués, et chacun a la possibilité de s’y exprimer. Ce fonctionnement collectif allait être déterminant dans la lutte contre les structures nationales de la CGT.
La FTM main dans la main avec la direction
La CGT de Poissy, en 2019, a obtenu 32 % aux élections professionnelles au premier collège (ouvriers), – preuve que, malgré toute la politique répressive de la direction, un nombre important de travailleurs plaçaient leur confiance dans les militants les plus combatifs.
La Fédération des travailleurs de la métallurgie de la CGT a pourtant décidé, en 2021, de s’y attaquer. Le ton combatif, lutte de classe, de ce syndicat, son refus de signer quelque accord que ce soit avec le patron, son fonctionnement démocratique, son rejet de la ligne de plus en plus conciliatrice de la Fédération, sont autant de raisons qui laissent à penser que la CGT de Poissy était dans le viseur des bureaucrates de Montreuil depuis longtemps. Il suffisait d’attendre la bonne occasion. Celle-ci s’est présentée début 2021, lorsqu’un petit groupe de délégués de l’usine s’est déclaré en opposition avec la majorité du syndicat et est allé se plaindre dans le giron des dirigeants de la FTM, accusant les responsables du syndicat de ne pas se comporter conformément « aux valeurs de la CGT ». Ironie de l’histoire, le premier de ces oppositionnels, prétendu gardien du temple des « valeurs de la CGT », qui avait déclenché le conflit en 2021, est aujourd’hui retourné à FO, le syndicat patronal de l’usine.
La Fédération de la métallurgie s’est jetée sur ce conflit – parfaitement banal dans la vie de tout syndicat –, y voyant une occasion en or de se débarrasser d’une organisation trop peu obéissante à son goût.
La FTM a commencé par demander que la CGT de Poissy tienne un congrès extraordinaire pour résoudre le conflit – ce que le syndicat a fait, organisant à l’automne 2021 un congrès qui a réuni plus de 190 syndiqués… auquel ni les oppositionnels ni les dirigeants de la FTM n’ont daigné assister. L’initiative du congrès s’est retournée contre la Fédération, puisque la direction sortante du syndicat y a été réélue à l’unanimité.
Mais, à la direction de la Fédération, l’avis des syndiqués compte pour rien dès lors qu’il ne va pas dans son sens. Puisqu’elle avait échoué à détruire la CGT de l’intérieur, la FTM attaqua alors de l’extérieur, en créant un deuxième syndicat CGT au sein de l’usine, en toute illégalité et au mépris des statuts de la confédération.
La CGT historique répliqua en faisant circuler dans l’usine une pétition contre la division syndicale. Portant la signature de plus de 1 000 ouvriers, celle-ci montra le soutien dont elle bénéficiait chez les travailleurs.
La Fédération réussit à faire reconnaître par une juge particulièrement complaisante cette seconde CGT. Puis, elle « exigea » d’un patron de PSA tout aussi complaisant – pour ne pas dire ravi – qu’il prive les militants de la CGT historique de tous leurs moyens de militer. Dans la nuit, le patron fit aussitôt changer les serrures du local CGT – faisant dire aux militants que l’on n’avait jamais vu la direction de Poissy montrer autant d’empressement à satisfaire une exigence de la CGT.
À partir de l’été 2022, les militants de la CGT historique ont dû militer sans moyens, sans mandats, avec l’interdiction de quitter leur poste de travail et même – sous peine de sanction – celle de se trouver dans l’usine en dehors de leurs horaires de travail. Mais ils se sont toujours donné les moyens de continuer à se réunir pour discuter ensemble de la situation et prendre collectivement toutes les décisions importantes.
Ils ont assumé cette situation, comme l’ont fait des générations de militants ouvriers avant eux, pendant des décennies, qui ont su militer sans moyens légaux, à l’époque où n’existaient ni mandats, ni délégués, ni même syndicats reconnus – situation qui existe encore dans de nombreux pays du monde, et qui n’empêche pas les militants de faire leur travail.
Un vote quasi unanime mais… « caduc »
Parallèlement à cette situation dans l’usine, la FTM s’est aussi attaquée à la CGT à l’échelle de tout le groupe Stellantis, qui avait élu comme délégué syndical central (DSC) Jean-Pierre Mercier, militant à Poissy et l’un des animateurs de la grève contre la fermeture de l’usine PSA d’Aulnay-sous-Bois.
C’est en premier lieu le soutien de tous les syndicats CGT du groupe Stellantis au syndicat de Poissy qui lui a attiré les foudres de la FTM. Mais c’est aussi le fait que la CGT du groupe fonctionnait, au fond, de la même manière que la CGT de Poissy : sur une ligne antipatronale, lutte de classe, et de manière collective et démocratique. Le fonctionnement collégial à l’échelle du groupe, appuyé non sur des oukases venus d’en haut mais sur des discussions fraternelles, des réunions régulières et ouvertes, en un mot, sur la confiance entre militants, ne pouvait qu’apparaître insupportable à la Fédération, dont les mœurs et les usages, c’est peu de le dire, ne sont pas ceux-ci.
En même temps qu’elle sabordait la CGT de Poissy, la Fédération a donc entrepris de se débarrasser de Jean-Pierre Mercier en tant que délégué central du groupe PSA. Elle a essuyé le même revers qu’à Poissy, puisque le 13 mai 2022, lors d’une assemblée générale tenue dans le hall du siège national de la CGT à Montreuil, au vu et au su de tous, 88 % des 220 militants venus de tout le pays réélurent Jean-Pierre Mercier. « Vote caduc !», déclara alors la FTM, qui imposa sans discussion comme délégué central un militant dont personne ne voulait.
Les élections professionnelles d’avril 2023
À l’automne 2022, la FTM réussit à faire valider par une juge l’exclusion de la totalité des militants de la CGT historique de Poissy.
Exclus de leur confédération, les militants de Poissy n’avaient plus d’autre choix que de changer d’affiliation. Ils se réunirent à nouveau en congrès, en décembre dernier, pour décider leur adhésion à Sud, entraînant avec eux plus de 215 adhérents.
Les bureaucrates de Montreuil pensaient qu’il suffisait de retirer leur soutien à ces militants pour qu’ils disparaissent. Mais, pour des militants attachés à la démocratie ouvrière, ce n’est pas la reconnaissance par les structures bureaucratiques ou une juge – et encore moins par les patrons – qui est indispensable : c’est celle des travailleurs. Pendant toute cette bagarre, les militants de la CGT historique n’ont cessé de répéter que les seuls juges seraient, au bout du compte, les travailleurs eux-mêmes.
C’est ce qui s’est produit le 19 avril dernier, lors des élections professionnelles. Après une campagne lors de laquelle les militants soutenus par la Fédération n’ont reculé devant rien – calomnies, mensonges, insultes, menaces physiques –, les travailleurs ont tranché : le nouveau syndicat Sud a recueilli 21,2 % au premier collège (ouvriers), contre 10,5 % à la CGT soutenue par Montreuil. En comptant les votes du deuxième et du troisième collège, la CGT est tombée sous les 10 % et a perdu sa représentativité légale.
Les travailleurs les plus combatifs de l’usine ont parfaitement compris que ce qui fait un syndicat, ce n’est pas son étiquette, mais les militants qui le font vivre. La FTM a réussi à faire s’effondrer la structure qu’elle avait artificiellement créée, mais pas à convaincre les travailleurs de se détourner des militants les plus déterminés, dont le syndicat s’appelle désormais Sud.
La démocratie ouvrière
Si, militants de Lutte ouvrière, nous avons pris toute notre part dans le combat de la CGT historique de Poissy pour la démocratie, c’est parce que, en tant que militants communistes révolutionnaires, nous nous battons pour que les travailleurs apprennent à se diriger eux-mêmes. C’est la base de nos idées politiques : « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes », écrivait Marx pour l’Association internationale des travailleurs. Cette idée, nous la défendons partout, sur tous les terrains et avec tous les outils que nous offre une situation donnée.
Ainsi, dans les élections politiques, nous défendons l’idée qu’il n’y a pas de « sauveur suprême » et que, plutôt que d’attendre que l’élection d’un politicien quelconque résolve leurs problèmes, les travailleurs doivent entreprendre de les résoudre eux-mêmes. Dans un atelier, nous militons pour que les travailleurs confrontés à une difficulté ne se contentent pas de se tourner vers un délégué pour qu’il la règle à leur place, mais se réunissent et s’organisent pour le régler collectivement. Dans une grève, nous combattons l’idée d’une direction automatiquement assumée par les dirigeants des syndicats, et mettons en avant les comités de grève, c’est-à-dire une direction élue, responsable et révocable par les grévistes, sous leur contrôle, composée aussi bien de syndiqués que de non-syndiqués. Et demain, lorsque arriveront des bouleversements révolutionnaires, nous militerons pour que ceux-ci soient dirigés par des soviets, des conseils ouvriers, c’est-à-dire par les travailleurs eux-mêmes.
« La démocratie ouvrière, c’est la domination politique du prolétariat », écrivait Trotsky. C’est très précisément pour cette raison que les bureaucrates syndicaux la combattent, et pour cette raison que nous la défendons. C’est une lutte profondément politique, au sens où elle participe du combat plus général pour l’émancipation des travailleurs.
Les bureaucrates syndicaux, qu’ils soient de la CGT ou d’ailleurs, à l’exact opposé de cette vision de syndicats dirigés par la base, se disputent le rôle de « chefs » du prolétariat, ce qui les amène à réduire la lutte syndicale à une bataille d’appareils, de boutiques en concurrence pour des places, des prébendes et un peu d’influence auprès de la bourgeoisie et de ses gouvernements.
Notre courant politique a toujours milité contre cet émiettement du mouvement syndical – qui ne sert que la bourgeoisie et a été, du reste, en partie organisé par elle. La classe ouvrière serait évidemment bien mieux armée si elle disposait d’un syndicat unique, d’une seule organisation syndicale, présentant un front uni face au patronat et à ses gouvernements.
Cette position est évidemment indissociable de la question de la démocratie. Un syndicat unique sans démocratie totale en son sein peut même se transformer en un outil de dictature contre la classe ouvrière – l’URSS stalinienne l’a parfaitement montré en son temps.
Pour être une arme utile pour les travailleurs, un syndicat unique doit au contraire permettre à toutes les idées, toutes les tendances, de s’exprimer librement et de débattre – y compris en permettant de s’organiser en fractions – afin que les travailleurs, quels que soient leurs idées et leur niveau de conscience, puissent décider eux-mêmes, par la confrontation des idées, d’une politique. Ce serait une école de la démocratie ouvrière, où les travailleurs apprendraient l’unité malgré la diversité des opinions et des engagements politiques. C’est d’ailleurs de cette manière que fonctionne un comité de grève, et que fonctionneront, demain, les conseils ouvriers.
Dans ce sens, travailler à faire vivre la démocratie ouvrière – ou plutôt à la ressusciter –, c’est préparer l’avenir. Apprendre aux travailleurs à contrôler et à diriger eux-mêmes leurs organisations de base, c’est le premier pas d’un apprentissage qui les conduira, à l’avenir, à contrôler et diriger eux-mêmes l’ensemble de la société. C’est en cela que la restauration de la démocratie ouvrière est un élément fondamental de notre lutte politique. C’est la condition qui garantit l’unité des travailleurs dans leur combat contre la bourgeoisie.
À une modeste échelle, c’est la politique que cherchent maintenant à défendre les militants qui animent le syndicat Sud de Poissy. Dès le lendemain des élections, ils se sont adressés à la CGT dans une « lettre ouverte », pour « tendre la main » à ses militants et leur proposer une politique unitaire, « pour mener ensemble les combats contre le patronat et le gouvernement, dans l’unité et la démocratie » (Voir page 7).
Une démonstration de la FTM
Le résultat des élections professionnelles à Poissy constitue un désaveu cinglant pour la FTM et sa politique de division et, au-delà, pour la direction confédérale de la CGT, qui n’a jamais levé un doigt pour empêcher les cadres de la FTM de nuire.
Les méthodes de la Fédération ont certes choqué de nombreux militants de la CGT, mais c’est tout l’appareil central de la Confédération qui s’est solidarisé de la FTM. Il partage en effet avec cette dernière, depuis des années, la volonté de donner une autre image de la CGT, moins lutte de classe et davantage « force de proposition », expliquant que la CGT doit prendre toute sa place dans les négociations avec le gouvernement et le patronat, et ne pas laisser la seule CFDT jouer le rôle de syndicat « responsable ». La Confédération partage aussi la détestation bureaucratique de toute structure organisée démocratiquement, donnant toute leur place aux militants du rang et ne cultivant pas une mentalité de petits soldats.
Cette méfiance épidermique vis-à-vis des pratiques démocratiques élémentaires – qui est, en réalité, une méfiance envers les travailleurs eux-mêmes – est une constante à la CGT depuis des dizaines d’années. Les plus anciens des militants se souviennent que, dans les années 1960 ou 1970, il suffisait de chercher à réunir les travailleurs pour discuter dans un atelier, pour être aussitôt catalogué « trotskyste » par l’appareil de la CGT, et en général exclu séance tenante.
L’attitude de la CGT actuelle présente néanmoins un certain nombre de différences avec celle du passé.
Dans le passé, la CGT et le PCF organisaient la chasse aux militants trotskystes parce qu’ils étaient staliniens, au sens politique de ce terme. Ce qui signifiait qu’ils décidaient de leurs orientations, en dernier ressort, en fonction des intérêts de la bureaucratie soviétique. C’est à ce titre qu’ils pourchassaient les militants trotskystes, leur interdisaient de s’exprimer, voire les passaient à tabac. Mais c’était déjà parce que le courant trotskyste militait pour le rétablissement de la démocratie ouvrière – combat qui a commencé en URSS, du temps de Trotsky.
Aujourd’hui, la direction de la CGT n’est plus politiquement « stalinienne ». Pas plus d’ailleurs que celle du PCF, avec la quelle la direction de la CGT n’a plus les mêmes liens que par le passé, passé et liens qu’elle tente d’ailleurs de gommer. Du stalinisme, elle n’a conservé que le bureaucratisme, les méthodes de voyous, l’habitude de la calomnie et du mensonge… et un programme politique fait de réformisme et de nationalisme. Autant d’idées et de méthodes qu’elle partage, du reste, avec la social-démocratie.
C’est pourquoi il serait faux de croire que la FTM ne s’est attaquée au syndicat de Poissy que parce qu’il s’y trouvait des militants trotskystes. Ce que combat la Fédération, c’est l’idée même de construire des syndicats de combat, des syndicats démocratiques, des syndicats où c’est la base qui commande, qui ne prennent pas leurs décisions en fonction des orientations à géométrie variable de la Confédération, mais en fonction des seuls intérêts des travailleurs, en sollicitant l’avis des militants du rang, des adhérents, des travailleurs même non syndiqués.
En s’attaquant à la CGT historique de Poissy, la FTM a voulu faire une démonstration : elle est prête à détruire un syndicat vivant, riche de nombreux adhérents, forgé au cours de décennies de lutte contre un patron de combat. Elle préfère soutenir une petite bande de délégués incapables de militer sérieusement dans une usine, mais dociles, plutôt qu’un syndicat de plusieurs centaines d’adhérents, dès lors que celui-ci n’a pas le petit doigt sur la couture du pantalon.
C’est une démonstration qu’elle adresse non seulement aux militants de la CGT tout entière mais, au-delà, au patronat lui-même : la FTM est capable de « faire le ménage » dans ses rangs, en jetant dehors les militants combatifs, dût-elle lourdement y perdre des plumes.
Enjeux contradictoires
Le résultat calamiteux des élections de Poissy, pour la CGT, est peut-être la seule chose qui pourrait pousser les bureaucrates à y regarder à deux fois avant de se lancer dans un nouveau procès en sorcellerie – eux qui ne savent raisonner qu’en termes comptables et au regard des résultats électoraux. Il est impossible de prédire l’avenir sur ce sujet, tant la CGT doit faire face, dans cette période, à des enjeux contradictoires.
D’une part, l’orientation que la direction confédérale souhaite donner à la CGT, c’est-à-dire rompre avec l’image d’un syndicat partisan de la lutte de classe, est un enjeu essentiel pour elle. Mais, a contrario, la CGT n’a d’autre raison d’être, aux yeux du patronat, que son influence dans les entreprises, c’est-à-dire sa capacité à éteindre d’éventuels incendies sociaux. Une CGT que sa propre politique rendrait sans influence dans la classe ouvrière ne servirait plus à rien, ni au patronat ni au gouvernement. Cela n’a rien d’une nouveauté : la CGT, depuis qu’elle a irrémédiablement trahi la classe ouvrière en 1914, est en permanence tiraillée entre ces injonctions contradictoires : montrer tout son « sens des responsabilités » à la bourgeoisie, tout en ne perdant pas toute crédibilité aux yeux des travailleurs, crédibilité sans laquelle son rôle « d’agent de la bourgeoisie au sein de la classe ouvrière », comme l’écrivait Léon Trotsky, serait réduit à néant. Par le passé, bien des épisodes ont illustré cette contradiction fondamentale entre le caractère profondément bourgeois des syndicats, à l’époque impérialiste, et la nécessité qui s’impose à eux de conserver une base ouvrière.
Syndicalisme et politique
Si l’appartenance de certains militants de la CGT historique de Poissy à Lutte ouvrière n’est donc pas la raison essentielle de l’exclusion de ce syndicat, la FTM a, en revanche, plusieurs fois brandi l’argument que ce syndicat était « trop politique », expliquant qu’il est désormais nécessaire de nettement séparer le syndicat et les partis.
Venant d’un syndicat qui a été profondément subordonné pendant des dizaines d’années au PCF, l’argument peut faire sourire. Mais, depuis une vingtaine d’années, la CGT fait tout pour montrer qu’elle a coupé le cordon ombilical avec le PCF, en particulier en imposant que ses principaux dirigeants ne soient plus membres de la direction du Parti communiste – ni même, si possible, du parti lui-même.
Cette rupture entre le PCF et la CGT n’est que de façade, dans la mesure où les deux organisations, même si elles font mine de ne plus avoir de liens organiques, partagent fondamentalement la même politique. Après des décennies d’emprise stalinienne, PCF et CGT continuent à partager la même volonté de gérer le capitalisme plutôt que de le détruire, et font assaut l’un comme l’autre de bons conseils aux capitalistes pour mieux gérer la société, quand ils ne font pas montre du protectionnisme le plus réactionnaire.
La CGT en est, maintenant, à faire la chasse aux militants politiques en son sein – bien au-delà du courant trotskyste, puisque la confédération s’oppose à certaines fédérations qu’elle juge trop liées au PCF. Voilà qui ne peut, là encore, que ravir le patronat. L’idée que les travailleurs ne doivent pas faire de politique, ou du moins ne pas en faire sur leur lieu de travail, est une règle qu’imposent les patrons dans toutes les entreprises. La démocratie s’arrête aux portes des usines et des bureaux, où l’expression politique est interdite. Qu’un syndicat comme la CGT prête main-forte au patronat pour pousser dans ce sens est criminel.
Pour ce qui nous concerne, nous avons toujours affirmé – comme l’ont fait des générations de militants révolutionnaires avant nous – que le syndicalisme sans politique est une impasse réformiste. Les militants communistes se battent à la fois pour la défense des intérêts quotidiens des travailleurs, dans le cadre notamment des syndicats, et pour la défense des intérêts historiques de la classe ouvrière, c’est-à-dire pour l’expropriation et le renversement de la bourgeoisie par les travailleurs. Il y a un lien indissociable entre ces deux combats, parce que le syndicat est l’école de la lutte de classe, une école où les travailleurs peuvent apprendre à gérer eux-mêmes leurs propres affaires par la lutte. Cette idée figure, déjà, dans le Manifeste communiste de Marx et Engels. C’est également elle qui a présidé à la création de la CGT, dont les statuts de 1906 définissaient comme but ultime du syndicat « l’abolition du salariat ».
La volonté de la CGT actuelle de se débarrasser des militants politiques menant la lutte de classe n’est au fond qu’une étape de plus dans son intégration au système capitaliste : en rompant avec les partis politiques, elle souhaite montrer qu’elle rompt aussi avec toute volonté de transformer la société, pour ne plus se donner pour but que de défendre – mollement – les miettes que la bourgeoisie a bien voulu laisser aux travailleurs.
7 mai 2023
La lettre ouverte adressée aux militants de la CGT par Sud Stellantis Poissy au lendemain des élections professionnelles d’avril 2023 est disponible sur la version PDF en ligne sur le site www.lutte-ouvriere.org