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Renault et les grandes manœuvres dans l’automobile
Toute l’histoire du capitalisme repose sur la concurrence, et son moteur est la quête de profit. Cette concurrence peut aller de la simple compétition entre groupes capitalistes jusqu’à la guerre, pour défendre les dividendes de leurs actionnaires. Et comme dans toute guerre, certains ne s’en relèvent pas. Cette course entraîne des restructurations incessantes. Des usines ferment, et les licenciements s’additionnent.
Une restructuration qui n’a pas attendu la voiture électrique
Dans l’automobile, c’est déjà le cas de nombre de fonderies en raison de la baisse du nombre de moteurs thermiques. 15 000 travailleurs produisent dans ce secteur et déjà plusieurs milliers ont été licenciés. Une des dernières fermetures concerne la fonderie Alvance Poitou Alu (Fonderies du Poitou), à Ingrandes dans la Vienne.
« Renault peut-il s’en sortir ? », s’interrogeait le journal Les Échos le 11 juillet dernier : « Nous sommes inquiets pour eux. » Et c’est d’un point de vue patronal qu’il parle du « plan drastique de 2020 qui commence à porter ses fruits ». Ce plan incluait 15 000 licenciements – qui se poursuivent au-delà – dans l’ingénierie et les fonderies, la fermeture de l’usine de Choisy-le-Roi, dans le Val-de-Marne, sans compter les menaces sur les milliers de travailleurs de l’usine de Flins. Tel est le terreau des « fruits », c’est-à-dire des profits, que vante le journal.
Licenciements massifs et profits préservés
L’annonce des bénéfices des deux groupes Stellantis et Renault au premier semestre de 2022 a sonné comme un aveu. Il ne s’agit pas de produire des voitures électriques pour sauver la planète. Il s’agit, comme disent les PDG de Stellantis et de Renault de « produire de la valeur ». Le PDG de Stellantis est très clair : « Nous avons choisi de privilégier les véhicules qui font le plus de marge au détriment des autres. C’est le meilleur moyen, de protéger l’entreprise » ; ou, mieux dit : les actionnaires. Les huit milliards d’euros de bénéfices pour le premier semestre 2022 le confirment.
Renault annonce une marge opérationnelle de 988 millions d’euros (4,7 % du chiffre d’affaires). Ce ratio est supposé indiquer la performance d’une entreprise et ses chances de garder la confiance des investisseurs. Ces résultats de Stellantis et Renault montrent que malgré tous les problèmes d’approvisionnement en semi-conducteurs ou de renchérissement des matières premières, les voitures rapportent car elles sont vendues plus cher et avec moins de ristournes.
Par ailleurs, les voitures électriques ne sont aujourd’hui accessibles qu’aux plus aisés. Mais comme le rappelle le journal Le Monde, dans les années 1920, les Renault, Citroën, Peugeot et autres Fiat n’étaient-elles pas réservées à une minorité de consommateurs ?
Quand le patronat évoque le « risque social »
La restructuration de l’automobile ne date pas de la voiture électrique, mais l’arrivée de cette dernière s’inscrit dans ce cadre. Déjà en août 2019, Les Échos écrivaient : « En quinze ans, l’automobile en France c’est 120 000 emplois en moins. Une saignée représentant un tiers de ces effectifs. Ces chiffres tiennent compte des travailleurs intérimaires. » Les constructeurs d’Amérique et d’Europe se lancent prudemment dans la fabrication des voitures électriques. Le tournant est envisagé en 2035, et seulement en Europe et aux États-Unis. Le reste du monde pourra conserver ses moteurs thermiques, diesel et à essence.
C’est peut-être le succès de Tesla, le champion du monde de la voiture électrique, annonçant 3,3 milliards de dollars de bénéfices au premier trimestre 2022, qui a fait accélérer la cadence.
Le PDG de Stellantis proteste car, pour lui, le passage à l’électrique va trop vite et il évoque un « risque social ». Le « risque » est clair, car là où trois travailleurs suffiront pour fabriquer un moteur électrique, cinq salariés travaillent actuellement pour fabriquer un moteur thermique à essence ou diesel. Pour le président du syndicat des constructeurs, 65 000 emplois disparaîtraient d’ici 2030.
Selon le syndicat des patrons de la métallurgie et des mines, l’UIMM, le secteur de l’automobile compte 4 000 entreprises et 400 000 travailleurs. C’est une force énorme qui, engagée dans un combat clair pour la défense des intérêts ouvriers, pourrait entraîner d’autres travailleurs et se faire craindre et respecter par la bourgeoisie.
Un tel combat opposera clairement deux camps : eux, les capitalistes, la bourgeoisie, face à nous, les travailleurs, et à nos objectifs de classe. Il est indispensable, vital d’avoir un salaire pour vivre ! Aussi les travailleurs dans leur ensemble n’auront d’autre choix que de livrer bataille. L’enjeu en sera le maintien des salaires, même si le patronat a moins de travail à proposer, en imposant la répartition de ce travail entre tous. Cette revendication, en devenant une réalité, c’est-à-dire imposée par l’organisation collective et consciente de milliers de travailleurs, serait le début du contrôle de la production. Il s’agit de la seule manière d’empêcher la course aux profits de décider de notre sort, et du début du pouvoir des ouvriers.
En attendant, transformer des usines dans le cadre de la gestion capitaliste, en fabriquer d’autres, imaginer d’autres modèles de voitures demande des années mais aussi des milliards. Les spécialistes disent qu’il faudrait 526 milliards de dollars pour atteindre un ratio de près de 33 % de voitures électriques dans le monde. Pour cela, il faut trouver des investisseurs et des capitaux. Et cette quête a motivé la parution de nombre d’articles de presse, concernant notamment Renault.
Renault appâte les financiers
Obtenir la confiance des investisseurs n’est pas gagné pour Renault. Aussi, sa direction annonce la division du groupe en deux entités. Elle a décidé de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier, avec d’un côté, le pôle électrique qu’elle nomme Ampère, et de l’autre, le pôle hybride et thermique nommé Horse. Chacun emploierait 10 000 salariés en 2023. La production du pôle thermique se ferait hors de France et Renault ne garderait que 40 % de son capital. Et pour trouver des fonds pour le pôle électrique, des discussions ont commencé avec le groupe chinois Geely et le groupe pétrolier saoudien Aramco.
Pour séduire un peu plus les investisseurs, la direction de Renault envisage d’introduire le pôle électrique en Bourse. Le message est clair : « Si ça marche vous pourrez vous servir en direct. »
Par ailleurs, la direction met du sien pour faire accepter des sacrifices et trouver des complices. Elle a ainsi trouvé l’oreille de tous les syndicats des trois usines de Douai (Nord), Maubeuge (Nord) et Ruitz (Pas-de-Calais) pour, au nom de la lutte contre le chômage, créer son pôle électrique. L’usine de Douai, devenue filiale de Renault porte le nom de manufacture, pour bien la distinguer. Les trois usines du pôle électrique sont soumises aux mêmes accords, aux mêmes règles. L’une d’entre elles est que les 35 heures ne sont plus payées 39 comme elles le sont chez Renault.
Unanimité syndicale… dans la complicité patronale
La direction de Renault avance pas à pas, mais avec conviction. En face, les syndicats se révèlent des partenaires responsables.
Pour la CFDT, passer à la fabrication des voitures électriques demande au groupe une rupture technologique qui exigera un projet social stratégique. Quant à FO, si elle demande des garanties pour les salariés, elle encourage à participer à cette « aventure collective » !
La CGT, elle, a distribué le 25 mai, aux portes de l’assemblée des actionnaires, un tract, dont le contenu n’indique pas plus une intention de s’opposer au plan de la direction. Son titre est : « Pour la cohésion de l’entreprise, le groupe doit rester uni et indépendant ». Il affirme ensuite la nécessité « d’un plan industriel, sociétal et environnemental ». Rien d’étonnant concernant la CGT, dont c’est devenu une rengaine, ni dans la conclusion de ce tract : « À quand un État stratège pour stopper la désindustrialisation de la France ? » Il ne manque que La Marseillaise et la demande de nationalisation de Renault. La CGT propose par exemple le rapatriement de la production des Dacia, filiale de Renault, dont les voitures n’ont jamais été produites en France… La CGT – et les autres syndicats raisonnent de même – ne conçoit pas que les travailleurs s’opposent au plan de la direction. Encourager les travailleurs à décider eux-mêmes des réponses à apporter aux attaques du patronat est contraire aux idées de tous les appareils syndicaux, jaloux de leur autorité et de leur place dans la société.
Ces appareils syndicaux étaient déjà dénoncés par Trotsky en août 1940 dans son texte Les syndicats à l’époque de la décadence impérialiste. Il y décrivait comment les syndicats sont devenus des rouages de l’appareil d’État bourgeois.
Une électrification qui pose bien des problèmes
Tout est loin d’être réglé dans cette marche vers la voiture électrique. Comme le titrait le syndicat FO de Renault, nous sommes au début de l’aventure, sauf que c’est celle de la direction, et ce syndicat comme les autres ont choisi la boussole de celle-ci.
Il ne peut y avoir de voitures électriques sans les batteries nécessaires. Pour les fabriquer, d’immenses bâtiments, les fameuses gigafactories doivent sortir de terre. Entre Renault et Stellantis, c’est la course à la plus grosse usine, et à celui qui promettra le plus d’embauches. Ces promesses ont pour seul but d’aider les syndicats à justifier auprès de leur base leur soutien à ces plans et de faire passer les conseils régionaux à la caisse.
La fabrication des batteries nécessite du lithium, du cobalt, de l’aluminium, du manganèse. Le plus grand gisement de lithium est au Mexique, le cobalt se trouve en République démocratique du Congo (RDC) et en Zambie. En RDC, l’exploitation du cobalt est artisanale et les enfants en constituent la principale main-d’œuvre. Au Mexique, le groupe minier français Imerys s’est vu accorder par le gouvernement une prolongation de son permis exclusif de recherches minières jusqu’en 2035. Quant aux trusts pétroliers, ils pourront continuer à vendre du pétrole hors de l’Europe, mais s’en contenteront-ils ? Pour l’instant, ils se font payer par avance l’éventuel passage à l’électrique avec un prix du litre d’essence et de gazole au plus haut.
L’électrification nécessite aussi des infrastructures coûteuses. Les 60 000 bornes de recharge en France, dont seules 6 % sont publiques, sont déjà insuffisantes. Comme l’a relaté la presse le 30 juillet dernier, plus de dix voitures ont dû faire la queue jusqu’à la nuit sur une aire de l’autoroute A1 devant quelques bornes de recharge.
Par ailleurs, des taxes sur le carburant, dont la consommation diminuera, constitueront un manque à gagner pour l’État. À qui va-t-on le faire payer, et comment ?
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Sur le fond, les prouesses techniques dont la société capitaliste est capable sont utilisées principalement pour le maintien du profit et de l’exploitation. Si l’on ne meurt plus de silicose, puisque les mines de charbon ont été fermées en France, on meurt de faim au Sahel, et en Haïti on peut mourir de soif par manque d’eau potable. Les progrès techniques dans le cadre capitaliste sont en contradiction avec toute véritable avancée sociale pour l’humanité dans son ensemble.
Qu’en sera-t-il de la voiture électrique, hors de prix à ce jour ? Comment résoudre la question du transport des travailleurs s’ils sont encore, en 2035, réduits au travail en équipe en dehors des grandes villes, sans transports en commun adaptés, et celle des déplacements de toute la population pour se rendre dans des magasins éloignés des habitations ?
Bien des techniques permettraient d’économiser des heures de travail, de réduire la souffrance au travail, de donner partout accès aux soins médicaux, à une éducation pour tous les enfants du monde, de fournir l’eau et l’électricité qui manquent à toute une partie de l’humanité, ou des maisons qui résistent au vent, aux cyclones, et protégées des glissements de terrain. Mais rien de tout cela ne se produit.
Si les progrès étaient étudiés et décidés collectivement en fonction des besoins de l’humanité, dans le cadre d’une organisation communiste de la société, les possibilités seraient immenses. Le capitalisme est un frein pour l’humanité tout entière et la nécessité de le renverser est de plus en plus à l’ordre du jour. Il faudra mettre fin à l’exploitation et avoir comme ambition de diriger collectivement la production de toute la société en fonction de ses besoins.
6 septembre 2022