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La situation intérieure
Un an et demi de présidence Macron
Pendant des décennies, la démocratie bourgeoise française avait trouvé, avec l’alternance gauche-droite, un équilibre permettant de canaliser les mécontentements vers le Parlement et les échéances électorales. La crise économique et les exigences de la bourgeoisie, qui veut en faire porter le fardeau aux classes populaires, ont amené les gouvernements de droite comme de gauche à se confondre dans une seule et même politique antiouvrière, faisant voler en éclats la mystification de l’alternance.
Élu à la présidentielle de 2017, Macron a mis fin au ronron gauche-droite, et a ouvert la perspective d’une recomposition du paysage politique, sa prétention étant de créer, sous l’étiquette progressiste, un grand pôle opposé au Front national. Pour y parvenir, il lui est nécessaire d’absorber une bonne partie de la droite et de la gauche, et de réduire à néant la concurrence de leurs vieux appareils. Il en est loin.
Son coup de maître à la présidentielle lui a certes permis d’engranger nombre de ralliements et de s’assurer une large majorité à l’Assemblée pour gouverner. Mais son pouvoir d’attraction s’use avec sa cote de popularité. Les médias qui avaient contribué à sa victoire s’interrogent désormais sur ce qu’ils appellent la gouvernance Macron. La défiance s’est insinuée jusque dans son propre camp, comme l’ont montré les départs précipités de Hulot et de Collomb du gouvernement. Sans relever d’une crise du pouvoir, la succession de mini-crises au sommet de l’État (affaire Ferrand, affaire Benalla, démissions et lenteur du remaniement, tergiversations sur le prélèvement à la source…) illustre sa fragilité.
Le discrédit et l’impopularité n’ont jamais empêché un gouvernement de poursuivre une politique antiouvrière. Hollande a attaqué le monde du travail jusqu’au terme de son mandat, quand bien même il était conscient de creuser sa tombe et celle de son parti dans l’électorat populaire. Macron prend le risque de creuser la sienne dans son électorat principalement petit-bourgeois.
Macron a en effet été soutenu, au premier tour, par la bourgeoisie, petite, moyenne et grande, et il a fabriqué une majorité parlementaire à l’image de ces bataillons. Mais il est d’abord l’homme de la fraction dominante de la bourgeoisie et du grand capital financier. En découlent les mesures que l’on sait contre la condition ouvrière (ordonnances travail, CSG, APL, pacte ferroviaire, assurance chômage…), mais aussi toutes celles consistant à rogner sur les services publics et les infrastructures utiles à toute la population (hôpitaux, écoles, routes…).
Vu la nature de son électorat, il est probable que Macron pâtisse davantage de la hausse de la CSG, de l’augmentation des prix des carburants et de la limitation de la vitesse à 80 km/h, que de la loi travail ou de ses attaques contre les cheminots. La création, récente, d’un ministère de plein exercice de la Cohésion des territoires, censé réconcilier les élus locaux avec Macron, montre que le gouvernement s’inquiète de la fronde des notables des collectivités locales.
Si Macron veut être autre chose qu’un fusible de la bourgeoisie, l’essentiel lui reste à faire. Pour l’instant, il gouverne en apesanteur. Pour assurer l’existence d’un appareil partisan couvrant tout le territoire et capable de l’influencer en profondeur, il se doit de gagner un ancrage local, en s’attachant les services de nombreux notables locaux. Dans cette perspective, les municipales sont essentielles, et la campagne est déjà lancée dans bien des villes.
Les élections européennes de mai 2019
Les élections européennes de mai 2019 sont à appréhender dans cette perspective. En elles-mêmes, en termes d’élus au Parlement européen et d’influence politique sur l’UE, ces élections n’ont pas grande importance. Mais, comme antichambre des municipales, elles en ont une. L’enjeu pour Macron est de redonner confiance dans sa bonne étoile et d’attirer des notables LR ou PS qui hésitent encore à franchir le Rubicon. Il se doit de sortir vainqueur des européennes. S’il échoue, son projet sera compromis.
Ce premier scrutin après le chamboule-tout de 2017 sera aussi important pour les partis d’opposition. Dans un paysage politique marqué par l’émiettement dans la gauche comme dans la droite, il mesurera et peut-être redéfinira les rapports de force politiques. Pour le Rassemblement national (RN), La France insoumise (LFI) et Les Républicains (LR), l’enjeu est de décrocher le titre d’opposant numéro 1. Pour les autres, et ils sont déjà nombreux à avoir annoncé une liste (Les Patriotes, l’UPR, Debout la France, le PS, Génération.s, EELV et le PCF), il consiste à sauver les meubles, voire à continuer d’exister dans une période d’instabilité politique.
Aux élections européennes de 2014, le Front national avait recueilli 24,4 % des voix. Le Pen peut faire tout autant, si ce n’est mieux. Ceux qui se rassurent en se disant qu’elle s’est discréditée dans le débat de l’entre-deux-tours de la présidentielle, ou que ses démêlés judiciaires l’affaibliront, se leurrent. Loin de lui faire barrage, l’arrivée de Macron à l’Élysée n’a fait que différer la menace qu’elle représente. En menant la politique du grand capital, Macron alimente la colère et le désespoir qui font le lit de l’extrême droite dans les milieux populaires.
Les mêmes vents réactionnaires qui ont fait les récents succès de l’extrême droite dans le monde soufflent dans le sens de Le Pen. Le Brexit, l’élection de Trump, le succès de Bolsonaro au Brésil et l’arrivée de Salvini au pouvoir en Italie donnent un nouveau crédit à l’extrême droite, en prouvant qu’elle n’est pas vouée à l’opposition stérile. Même si rien dans la politique d’Orban ou Salvini ne règle les problèmes propres aux travailleurs et aux chômeurs, ils apparaissent comme ceux qui, au pouvoir, tiennent leur parole en s’opposant aux migrants ou à l’UE.
Ajouté aux faits que les élections européennes donnent moins de prise au vote utile parce que, pour les électeurs, le scrutin est à la proportionnelle, qu’il a moins de conséquences politiques, et qu’il permettra de sanctionner Macron, tout indique que le vote en faveur du RN et des autres souverainistes du type de Dupont-Aignan ou Asselineau sera important.
Pour le parti Les Républicains, les élections européennes arrivent alors qu’ils n’ont pas réussi à recoller les morceaux de leur parti depuis l’échec qu’a constitué, pour eux, le premier tour de la présidentielle. L’électorat des Républicains et ses notables sont déchirés, entre l’attraction exercée par Macron d’un côté et celle de Le Pen de l’autre. Wauquiez, qui a pris la tête du parti, a tranché pour une ligne calquée sur celle du RN. Mais de multiples contestations se font entendre. La campagne des européennes peut renforcer ces tendances centrifuges.
Si Pécresse souhaite conserver et consolider l’Europe des vingt-huit, Wauquiez défend quant à lui le retour à une Europe des douze, se limitant à un marché commun. De son côté Retailleau (président du groupe LR au Sénat) revendique une position encore plus souverainiste. À l’heure actuelle, ce parti n’a toujours pas défini sa ligne politique. Et choisir une tête de liste semble relever de la quadrature du cercle.
Mélenchon et son parti veulent faire du scrutin un référendum anti-Macron. Leur positionnement sur l’Europe sera dans la continuité de ce que Mélenchon a défendu en 2017 : une remise en question et une refondation des traités européens, jugés incompatibles avec le programme du parti (plan A) et, en cas d’échec de la négociation, la sortie de la France de l’Union européenne (plan B), position résumée par le slogan : « L’UE, on la change ou on la quitte. »
Mélenchon est d’autant plus à l’aise pour surfer sur les préjugés antieuropéens dans le monde ouvrier qu’il n’a qu’à s’appuyer sur le travail accompli par le PCF. C’est en effet celui-ci, avec le poids qu’il avait dans la classe ouvrière, qui a des années durant fait passer les idées nationalistes et protectionnistes pour des idées du mouvement ouvrier.
De fait, il est difficile de distinguer les sorties de Mélenchon contre une « Europe qui ne laisse pas de place à une souveraineté pleine et entière des peuples » de celles de Le Pen. Sur ces questions, par son nationalisme revendiqué, Mélenchon continue à brouiller la conscience de classe des travailleurs.
Aussi nocives pour la classe ouvrière sont les illusions qu’il véhicule sur la possibilité d’un bon gouvernement pour les travailleurs, et donc sur les élections. Malgré ses multiples tentatives, la dernière en date étant l’appel à une marée populaire en vue de constituer un nouveau Front populaire, Mélenchon n’a pas réellement avancé sur la voie d’unifier la gauche autour de lui. Même affaiblis, et en partie décomposés, les vieux appareils que sont le PS et le PCF, avec leurs milliers d’élus locaux, résistent encore à l’OPA de Mélenchon. En vue du prochain congrès du PCF, la direction sortante a été mise en minorité, le texte majoritaire voulant que le PCF refuse « d’être le porteur d’eau à Mélenchon ». Mais celui-ci, le PCF ou Hamon défendent tous les mêmes perspectives électoralistes, contraires aux intérêts des travailleurs.
La participation des communistes révolutionnaires
Les communistes révolutionnaires devront être présents dans ces élections. Dans cette période marquée par la montée des protectionnismes et par les attitudes de plus en plus abjectes vis-à-vis des migrants, nous aurons à défendre les valeurs du mouvement ouvrier révolutionnaire, à commencer par l’internationalisme.
Nous devrons combattre les idées et les positions réactionnaires qui se déclineront aussi autour de la sortie de l’Europe ou de la rupture avec les traités européens. Même présentées sous un vernis internationaliste, même défendues par des partis de gauche, ces idées ne peuvent être distinguées de celles des souverainistes et interprétées autrement que comme un appel au repli national. Elles ne peuvent que tromper les travailleurs sur leurs véritables ennemis et sur le combat à mener.
Macron d’un côté et l’extrême droite de l’autre ont tout intérêt à laisser croire qu’il n’y a que deux camps : celui des progressistes européens et celui des souverainistes. C’est, pour les travailleurs, le nouveau leurre qui se substitue à la fausse opposition gauche-droite, car il cache des politiciens profondément d’accord pour défendre l’ordre social capitaliste, la propriété privée et la domination de la bourgeoisie sur la classe ouvrière.
Les contradictions qui ont présidé à la construction européenne – profiter d’un marché plus large tout en protégeant son marché national – sont toujours présentes et font de l’UE l’objet d’un bras de fer permanent entre dirigeants bourgeois, qui en plus tolèrent mal que celle-ci se mêle de leur politique intérieure. Il y a les intérêts des différentes bourgeoisies européennes qui divergent et parfois s’opposent. Mais il y a aussi le jeu des cliques politiques rivales qui traduisent ces divergences d’intérêts et les amplifient. Chacun voudrait que l’Europe serve d’abord et avant tout ses propres intérêts.
La renégociation ou la rupture avec tel ou tel traité est le reflet des rapports de force changeants entre bourgeoisies nationales et entre coteries politiques. Ce sont des mots d’ordre bourgeois, qui ne peuvent même pas être une étape du combat des travailleurs puisqu’ils ne se situent pas sur le terrain de la lutte de classe.
Comme en témoigne le Brexit, l’Europe peut se défaire sous la poussée de politiciens démagogues. Mais la dictature du capital sur les travailleurs n’en sera en rien entamée, car celle-ci est fondée sur l’appropriation des moyens de production par la minorité capitaliste. Les États nationaux et cet avorton d’État européen qu’est l’UE ne sont pas à l’origine du monopole du capital par la grande bourgeoisie ; ils ne font que le servir et le protéger.
Tout le jeu démocratique consiste à masquer, derrière la variété des partis et des options politiques bourgeoises, la dictature de la classe capitaliste sur la société et sa responsabilité dans un système à l’agonie. Dans cette période de crise et de réaction, les communistes révolutionnaires doivent souligner la faillite du réformisme et aider les travailleurs à tirer les conclusions révolutionnaires qui s’imposent : pour ne pas être voués à la déchéance sociale, les travailleurs devront exproprier la bourgeoisie et prendre le pouvoir entre leurs mains.
En 1935, Trotsky, dans Où va la France ? expliquait : « La thèse marxiste générale : les réformes sociales ne sont que les sous-produits de la lutte révolutionnaire, prend à l’époque du déclin capitaliste l’importance la plus immédiate et la plus brûlante. Les capitalistes ne peuvent céder aux ouvriers quelque chose que s’ils sont menacés du danger de perdre tout.
Mais même les plus grandes concessions dont est capable le capitalisme contemporain, lui-même acculé dans l’impasse, resteront absolument insignifiantes en comparaison avec la misère des masses et la profondeur de la crise sociale. Voilà pourquoi la plus immédiate de toutes les revendications doit être de revendiquer l’expropriation des capitalistes et la nationalisation (socialisation) des moyens de production. Cette revendication est irréalisable sous la domination de la bourgeoisie ? Évidemment. C’est pourquoi il faut conquérir le pouvoir. […] Les masses comprennent ou sentent que, dans les conditions de la crise et du chômage, des conflits économiques partiels exigent des sacrifices inouïs, que ne justifieront en aucun cas les résultats obtenus. Les masses attendent et réclament d’autres méthodes, plus efficaces. Messieurs les stratèges, apprenez chez les masses : elles sont guidées par un sûr instinct révolutionnaire. »
Aujourd’hui les masses sentent plus qu’elles ne comprennent la nécessité de la révolution sociale. Mais les tâches qui se posent aux communistes révolutionnaires ne se déduisent pas du moral des travailleurs à tel ou tel moment. Elles se fondent sur la réalité objective de la lutte de classe et de la situation du capitalisme. Elles se fondent sur le fait que rien n’attache la classe ouvrière à cette société car, comme l’écrivaient Marx et Engels, elle n’a que ses chaînes à perdre.
Dans la prochaine campagne européenne, les communistes révolutionnaires devront axer leur politique sur les intérêts matériels et politiques de la classe ouvrière, une politique visant à « du travail et une existence digne » pour tous les travailleurs ; l’échelle mobile des salaires et des pensions et l’échelle mobile des heures de travail. Et ils devront affirmer ce qu’une telle politique implique : la nécessité pour les travailleurs de se battre contre le grand patronat, avec la volonté de lui disputer la direction de la société, c’est-à-dire les perspectives révolutionnaires.
Le monde du travail, ses perspectives et celles des organisations syndicales
Malgré l’abattement et la morosité que l’on observe en général dans la classe ouvrière, attitudes qui se nourrissent entre autres des échecs des dernières mobilisations interprofessionnelles contre la loi El Khomri en 2016 ou contre les ordonnances travail en 2017, il existe de nombreuses luttes locales. Rares sont les fermetures d’usine ou de maternité restées sans réaction du monde du travail. Hôpitaux psychiatriques, Ehpad, écoles… : il y a, en permanence, des contestations localisées.
L’année a été marquée par la mobilisation des cheminots au printemps. La durée de leur grève et leur volonté, plus ou moins consciente, de s’adresser aux autres travailleurs a permis de mettre en avant les intérêts généraux de la classe ouvrière confrontée à l’offensive gouvernementale et patronale. Les cheminots engagés dans cette grève ont contribué, à une tout autre échelle que de petites organisations comme la nôtre, à propager l’idée que les travailleurs ont les mêmes intérêts et que leurs luttes doivent se rejoindre pour s’opposer victorieusement au patronat et à ses laquais arrogants.
Cette grève a été menée d’un bout à l’autre par la CGT, le syndicat majoritaire. La CGT a su s’appuyer sur le mécontentement tout en contrôlant ce mouvement de A à Z. D’un côté, les propos radicaux, en appelant à une grève dure et à la désorganisation ; de l’autre, le verrouillage d’une grève programmée façon grille de loto, avec deux jours de grève suivis de trois jours de travail. Ne s’imaginant pas faire grève sans la CGT ni remettre en cause sa direction autoproclamée cachée derrière une intersyndicale, l’écrasante majorité des cheminots ont entériné ce calendrier. La CGT avait ainsi trouvé un moyen sûr et efficace de confisquer la direction de la grève aux grévistes, excluant toute possibilité que les plus combatifs s’appuient sur l’enthousiasme d’une journée réussie pour développer la dynamique de leur propre mouvement.
« Dans la grève qu’ils brisent ou dans la grève qu’ils font, les bureaucraties syndicales ont la même attitude. Ils veulent pouvoir agir en représentants des travailleurs sans se soumettre à leur contrôle. Et, pour pouvoir mieux manœuvrer les ouvriers, ils doivent les déshabituer de décider eux-mêmes de leurs affaires », écrivaient des camarades de notre courant au lendemain de la grève Renault de 1947. L’expérience de cette grève l’a une fois de plus vérifié.
Grâce à la volonté de quelques noyaux militants convaincus que la grève devait être dirigée par les grévistes eux-mêmes, des assemblées générales ont tout de même donné la possibilité aux cheminots de s’exprimer, de prendre des initiatives et de s’organiser pour essayer de développer leur mouvement. Leur nombre était insuffisant pour inverser la situation, mais cette expérience de démocratie ouvrière fait partie de ce qui été le plus précieux dans cette grève : l’expérience faite par une fraction des cheminots qu’ils pouvaient décider de leurs propres affaires.
Dans le contexte de résignation que nous connaissons, les appareils syndicaux peuvent, par moments, apparaître plus combatifs que la majorité des travailleurs, et ce fut le cas lors de la grève des cheminots. Ils n’en sont pas moins les agents de la politique patronale dans le monde ouvrier.
Leur existence en tant qu’auxiliaires de la bourgeoisie est liée à la petite autorité qu’ils conservent dans la classe ouvrière. De même que l’on ne contracte une assurance que si celle-ci est capable de couvrir le risque, la bourgeoisie n’accepte de payer pour entretenir les appareils syndicaux que s’ils prouvent leur capacité à canaliser l’éventuelle colère des travailleurs. Conserver une crédibilité auprès des travailleurs les plus combatifs et l’entretenir auprès des nouvelles couches de prolétaires, tout en s’assurant, lorsque la colère éclate, qu’ils sauront neutraliser les travailleurs, les oblige à une certaine gymnastique. C’est pourquoi les bureaucrates nourrissent une méfiance instinctive vis-à-vis des travailleurs et des initiatives qui viendraient de la base. Malgré la faible combativité qui caractérise actuellement le monde du travail, cette méfiance ne diminue pas car, dans cette période de crise où la pression de la bourgeoisie sur les travailleurs se renforce, toute situation peut vite devenir explosive.
« C’est précisément parce que le prolétariat, en résultat de l’histoire plus que centenaire de ses luttes, a créé ses organisations politiques et syndicales, qu’il lui est difficile, presque impossible, de mener sans elles et contre elles la lutte contre le capital. Et pourtant, ce qui a été édifié comme le ressort de l’action est devenu un poids mort ou un frein. » (Trotsky, Encore une fois, où va la France ?)
Le problème du monde du travail est le manque de perspectives. Pour justifier leur passivité et leur absence de politique, les bureaucrates syndicaux ont coutume de dire que les travailleurs ne veulent pas se battre. Ce qu’ils interprètent comme de la non-combativité est aussi l’expression d’une profonde déception vis-à-vis des luttes ouvrières qui n’ont pas enregistré de victoires ces dernières années, et vis-à-vis des syndicats qui les ont menées.
L’attraction exercée dans la classe ouvrière par les appels à se mobiliser contre la hausse des carburants, le 17 novembre, montre l’étendue du mécontentement sur la question des prix, comme sur la question des salaires et des pensions. Au prétexte que l’extrême droite soutient ces initiatives, les directions syndicales se sont empressées de ne rien proposer. Comme les partis réformistes, elles sont devenues des poids morts pour les travailleurs.
Pour paraphraser Trotsky, les masses « comprennent ou sentent » l’ampleur de la tâche et des changements à opérer, sans savoir comment s’y prendre. Seul un parti révolutionnaire, qui ne craint pas de remettre en cause le pouvoir de la bourgeoisie et le capitalisme, est en mesure de leur offrir des perspectives politiques.
Construire un parti communiste révolutionnaire
Le parti communiste révolutionnaire reste à construire. Toutes les périodes, celles de remontée des luttes comme celles de recul, jouent leur rôle et se complètent pour bâtir le parti. Celui-ci ne peut réellement se développer qu’au travers de mouvements de masse, en faisant naître toute une génération militante. Même en dehors de telles périodes, les communistes révolutionnaires doivent se saisir de toutes les opportunités pour incarner, face à la bourgeoisie et ses politiciens, une politique correspondant aux intérêts de la classe ouvrière et poser ainsi les jalons de ce parti. Ils doivent participer et essayer d’avoir un rôle dirigeant dans les luttes, petites et grandes, qui surgissent dans les entreprises et les quartiers où ils sont présents. Et ils doivent participer aux combats politiques électoraux pour populariser leurs idées, montrer qu’elles correspondent aux besoins de leur classe et pour gagner le respect, voire la confiance des travailleurs, ne serait-ce que par la fidélité à leurs idées et la détermination qu’ils mettent à les défendre.
Toute campagne électorale fait partie du combat politique et s’inscrit dans la construction du parti révolutionnaire. Chaque campagne nationale permet aux militants révolutionnaires de s’adresser à l’ensemble du monde du travail et de faire connaître leur politique et leurs perspectives à l’échelle de tout le pays.
Elles permettent, au travers du vote, de tisser de nouveaux liens avec des dizaines de milliers de travailleurs. Ces liens sont d’un autre type que ceux que les travailleurs peuvent nouer quand ils mènent ensemble des grèves, où la solidarité et la confiance se forgent dans le combat commun. Ils sont plus ténus, mais ils n’en sont pas moins importants, surtout dans une période où les travailleurs se sentent abandonnés de tous les autres partis. Voter pour un candidat ou pour une liste communiste révolutionnaire ne vaut pas adhésion au parti, mais c’est un signe de confiance. Et c’est à partir de ce premier geste de reconnaissance que peuvent s’établir, au fil des campagnes successives, des rapprochements et des fidélités.
Avec ses activités militantes, ses discussions et ses rencontres, chaque campagne permet d’élargir le nombre de femmes et d’hommes qui ont le souci de militer pour les idées communistes révolutionnaires et qui se forgent une conscience politique.
Les élections européennes sont notre prochaine échéance. Vu le contexte de crise et la gravité de la situation politique, avec de nombreux travailleurs déboussolés, certains au point de se tourner vers leurs pires ennemis politiques, il nous faudra défendre un point de vue communiste. Il ne s’agit pas de faire une campagne propagandiste sur le communisme, il s’agit de développer une politique communiste révolutionnaire par rapport à la crise et à la catastrophe imminente.
Se faire le porte-voix des luttes du moment, luttes qui ne se situent d’ailleurs pas toujours sur le terrain de classe, ne peut suffire. Se faire le meilleur défenseur des réfugiés ou de l’écologie ne permettra pas aux travailleurs de distinguer ce qui sépare la politique des communistes révolutionnaires des partis dits de gauche. L’objectif premier de cette campagne doit être d’étendre notre audience sur des bases clairement révolutionnaires. Cela suppose de s’adresser au monde du travail et d’axer notre campagne sur les idées de lutte de classe indissociables de l’internationalisme prolétarien, sans perdre cet axe avec un catalogue de revendications démocratiques et écologistes.
Cette campagne doit permettre d’identifier les communistes révolutionnaires comme ceux qui parlent au nom des exploités et qui ont une politique pour les travailleurs. Une politique qui, pour paraphraser Marx et Engels, ne poursuit pas l’objectif de faire des salariés des esclaves satisfaits, mais qui se fixe pour but l’abolition du salariat, condition de leur émancipation totale. C’est dans ce sens qu’il faudra y mettre le maximum de nos forces.
12 novembre 2018