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Discussion sur les textes d’orientation (extraits)
Ce que nous avons abordé dans ces deux textes, en particulier les relations internationales, semble loin de la lutte des gilets jaunes qui se déroule en ce moment. Pourtant, nous sommes en plein dedans. Et pour juger de ce qui se passe et quelles doivent être nos positions politiques, nous devons comprendre le fond de l’évolution. Les pieds solidement campés dans l’actualité, mais avec des yeux qui voient plus loin et, surtout, la tête qui pense plus loin.
Nous voudrions préciser un certain nombre de choses. Un de nos textes de congrès, rédigé et publié au mois de septembre (« Contre le chaos de l’impérialisme… »), affirme : « Il y a un lien profond, organique, entre les différents événements d’une situation mondiale chaotique, aussi bien dans son économie que dans les relations internationales, et l’évolution politique des puissances impérialistes, et jusqu’à l’incapacité de l’humanité à faire face aux conséquences écologiques de sa propre activité, du réchauffement de la planète à la transformation des océans en poubelles.
La réalité qui s’exprime par tous ces faits et événements multiformes, c’est la présente crise de l’économie capitaliste mondiale. Nous parlons de crise actuelle, car les crises rythment périodiquement l’économie capitaliste depuis ses débuts et constituent en quelque sorte son régulateur normal. »
Trois mois après, nous n’avons rien à y changer, parce que la situation économique ne s’est pas améliorée, et ses effets sur la situation internationale non plus.
Des camarades ont discuté de la crise sous des formes diverses, parfois en alignant des chiffres qu’ils considèrent comme significatifs, mais qui ne le sont pas nécessairement pour comprendre le fond de l’évolution. Les statistiques peuvent aussi bien dissimuler la réalité que l’éclairer.
Nous avons déjà souligné que les statistiques sur l’évolution du PIB (produit intérieur brut) sont complètement bidon. Car elles noient l’évolution de l’économie productive dans un fatras qui mélange la production industrielle avec les « services » qui prennent une importance croissante et qui incluent les bénéfices dégagés de la spéculation, la comptabilisation des gaspillages innombrables et colossaux de l’anarchie de la production capitaliste, en passant par les retombées des commerces de la drogue et de la prostitution ! Aussi bidon que puissent être cependant les statistiques sur les PIB, même leur évolution à long terme indique un ralentissement économique. D’après la Banque mondiale, le taux de croissance du PIB mondial, de 5,5 % en moyenne entre 1961 et 1973, a été de 3,14 % entre 1973 et 2000 (avec deux pics négatifs) et de 2,9 % de 2000 à 2017.
Les statistiques portant sur la production industrielle elle-même n’ont de sens qu’en fonction de l’usage qu’on en fait. Quelle est la signification, par exemple, de la croissance de la production de fer, de cuivre ou de charbon, détachée du contexte général de l’économie ? Pendant la Deuxième Guerre mondiale, un général américain, ou peut-être était-ce un politicien, disait : « Gagner la guerre contre l’Allemagne se réduit à une arithmétique extrêmement simple : il faut que l’industrie américaine fabrique plus de chars, plus d’avions, plus de navires de guerre que n’en peut détruire l’armée allemande. » Et pour fabriquer tout cela, il a fallu en extraire, du fer, en produire, de l’acier ! Mais un marxiste ne dira pas que la Deuxième Guerre mondiale a été une période de progrès pour l’économie !
Quant à ce qui est de l’actualité, nous avons signalé dans le texte que la production d’armements dépasse des sommets et qu’elle est en croissance permanente. Eh bien, cette production d’armements et des produits intermédiaires destinés à cela est notée dans la colonne « actifs » de la comptabilité du capitalisme, et même dans les statistiques de production industrielle ! Quant au PIB, il intègre non seulement toute cette production d’armements, mais aussi le coût des guerres qui, malgré la prétendue paix, ne cessent aux quatre coins de la planète, du Moyen-Orient au Yémen en passant par l’Afrique.
Quand on considère les statistiques de la bourgeoisie, il faut se méfier même des mots car la production peut être équivalente à la destruction ou à l’empoisonnement de la planète. Pourtant les économistes bourgeois eux-mêmes écrivent des articles ou des bouquins sur « la stagnation séculaire » ou encore sur « de grandes récessions », etc. Nombre de leurs œuvres ont un ton catastrophiste.
Nous consacrerons un CLT à la question. Mais nous n’allons pas nous payer le ridicule de peindre l’économie capitaliste en rose, alors que nombre d’économistes bourgeois la voient en noir. Nous n’allons pas suggérer quand même que « tout ne va pas si mal que ça » !
Ce que nous voulions surtout souligner dans le premier texte (« Contre le chaos de l’impérialisme… »), c’est que l’économie capitaliste est en crise, et en crise grave, et que c’est cette réalité-là qui pèse sur les rapports de classe. C’est cette réalité qui constitue « le lien profond, organique, entre les différents événements d’une situation mondiale chaotique, aussi bien dans son économie que dans les relations internationales ». Et aujourd’hui, jusqu’au coup de colère qu’incarnent en ce moment les gilets jaunes.
Ce n’est pas un scoop. Cela fait quelques années, en particulier depuis la phase d’aggravation qu’a représentée la crise financière de 2008, que nous constatons l’incapacité du capitalisme à sortir de cette situation. Nous avons écrit à ce propos dans les LDC, dans les CLT, et dans nos textes de congrès.
Comprenons bien à quel niveau nous pouvons raisonner, en précisant cependant au départ que nous ne sommes pas des économistes. Et c’est tant mieux parce que les économistes de la bourgeoisie ne valent rien. Quant à être des économistes marxistes, dans le plein sens du terme, cela dépasse nos capacités, c’est ainsi. L’évolution de l’économie est cependant quelque chose de fondamental pour nous, et on peut en discuter à deux niveaux qu’il vaut mieux ne pas confondre.
Le niveau le plus important, c’est une considération très générale qui était discutée déjà au temps de Trotsky et qui, par la suite, a alimenté bien des débats abstraits, abscons ou détachés de toute réalité, dans les milieux trotskystes et surtout pour leurs intellectuels petits- bourgeois. Cette idée est dans cette phrase du Programme de transition : « Les forces productives ont cessé de croître ». Au temps de Trotsky, le capitalisme était déjà au bout du rouleau. Cette considération générale ne l’a pas empêché de discuter, notamment avec le SWP américain, de l’évolution conjoncturelle pour discuter de la politique à court terme. Il savait que, par exemple, une certaine reprise, même limitée ou aboutissant à une réduction même momentanée du chômage, pouvait avoir de l’influence sur l’état d’esprit des travailleurs américains et, donc, sur la façon de faire de l’agitation révolutionnaire parmi eux. Durant l’entre-deux-guerres, la crise, la chute brutale de la production, les fermetures d’usines avec les effondrements boursiers, n’ont pas fait disparaître les pulsations classiques de l’économie capitaliste : crise/reprise, crise/reprise, etc.
Mais cet aspect des choses, c’est-à-dire les fluctuations de l’économie capitaliste, est passé au second plan par rapport au constat fondamental fait par Trotsky que les forces productives avaient cessé de croître. L’expression caractérisait l’ensemble de la période. Elle faisait référence à l’époque où la classe capitaliste, encore montante, faisait surgir des tréfonds de la société, pour paraphraser l’expression de Marx dans le Manifeste communiste, des forces productives auparavant insoupçonnées. Elle n’en est plus capable. Elle ne fait plus progresser la société, elle la décompose. Il appartient au prolétariat de prendre la relève pour créer une autre organisation sociale en expropriant la classe capitaliste et en réorganisation du tout au tout l’économie. Si Trotsky a écrit cela, c’est qu’il avait une vision de l’économie capitaliste dans son ensemble. Pas catégorie par catégorie. Pas une vision statique. Il raisonnait en marxiste, c’est-à-dire en matérialiste dialectique. Mais en même temps, cela ne l’empêchait pas de suivre l’évolution de la conjoncture pratiquement au jour le jour. Vu d’aujourd’hui, c’était un trou noir entre 1929 et la guerre mondiale, mais c’était en réalité bien plus compliqué que cela. Il y avait des hauts et des bas. Trotsky savait à la fois suivre les cycles habituels de l’économie capitaliste, les récessions, les reprises, sans jamais oublier l’essentiel.
Réfléchissons à ce que la financiarisation croissante signifie fondamentalement. Il n’y a pas que l’aspect spéculatif, ni même seulement, derrière ces spéculations, la menace d’un krach économique, d’un effondrement brutal. La menace est grave, mais avant même qu’elle se produise – voire même si elle ne se produit pas –, la longue agonie du capitalisme ligote déjà l’économie, bloque déjà la marche de l’humanité vers le progrès et pousse déjà la vie sociale vers la barbarie.
Dans l’économie capitaliste, le travail accumulé du passé revêt la forme de capital. Or, c’est cette accumulation qui est la clé du progrès de la société humaine. C’est du travail humain cristallisé qui devrait permettre à l’économie d’avancer. La perspective communiste de l’humanité est conditionnée par l’expropriation de la classe capitaliste qui monopolise cette accumulation résultant de l’activité humaine du passé et du présent, pour qu’elle puisse être maîtrisée par la collectivité humaine.
La financiarisation signifie qu’une part sans cesse croissante des capitaux est de moins en moins investie dans la production, pour être gaspillée en opérations financières. C’est la signification profonde, fondamentale, de la financiarisation. Ce n’est même pas le danger d’un effondrement catastrophique.
Bien sûr, toute croissance ne s’est pas arrêtée ! De nouvelles usines sont sans cesse créées pour remplacer les plus vieilles. La vie économique de 7 milliards d’êtres humains ne peut pas s’arrêter, elle ne s’est pas arrêtée même pendant les pires moments des guerres mondiales. Mais les investissements productifs reculent par rapport aux capitaux disponibles.
Ce que Marx – et d’autres avant lui – appellent la « reproduction élargie », c’est-à-dire l’investissement de la masse des capitaux disponibles pour pouvoir recommencer un nouveau cycle de production, plus large, plus vaste, est, justement, de moins en moins élargie. C’est en cela que le grand capital devient de plus en plus parasitaire. C’est cela, le problème véritable, même s’il n’y a pas d’écroulement brutal.
Les financiers qui spéculent savent très bien que « les arbres ne poussent pas jusqu’au ciel ». Ils savent que détourner les capitaux de la production, au profit d’opérations financières, mine leur propre système. Mais, encore une fois, quel est le spéculateur que cela empêchera de faire un bon coup ? Comme disait Lénine, le capitaliste est prêt à vendre la corde pour le pendre.
S’il y avait un krach financier grave, cela aurait des conséquences catastrophiques pour les travailleurs. Mais, même si cela ne se produit pas, la société s’enfonce dans le marasme. Raisonner sur des chiffres même de production réelle n’a pas de signification. Trotsky, quand il discutait du retard de l’URSS, citait évidemment la production d’acier, de fer, etc. pour dire que la Russie était très en retard par rapport aux pays développés. Mais cela avait un sens dans le cadre d’un raisonnement. Le progrès se manifeste dans n’importe quelle société par l’utilisation du surproduit social accumulé. Ce surproduit, on peut le gâcher complètement.
Le fond des idées marxistes est que le prolétariat doit conquérir le pouvoir politique, mettre fin à la propriété privée des moyens de production, pour utiliser les forces productives autrement et plus intelligemment. Ne serait-ce que pour ne pas démolir la planète, etc.
Quand on raisonne sur une catégorie d’indices, il ne faut pas oublier tout le reste : la transformation de la Terre en poubelle, le réchauffement du climat. La société humaine, même en décadence, fait forcément des progrès. C’est le propre de l’homme. On invente toujours un tas de choses : Internet, les téléphones portables, etc. La technique n’arrête pas de progresser. Les scientifiques sont au travail, un travail dont la société actuelle peut utiliser le produit pour faire progresser l’humanité ou, au contraire, pour la démolir. Les découvertes en matière nucléaire, si elles sont maîtrisées, peuvent être mises au service de l’humanité. Mais elles peuvent être utilisées pour fabriquer des bombes de plus en plus sophistiquées. La communication quasi instantanée pourrait être un outil extraordinaire pour la planification, en mettant en adéquation les besoins des hommes et la capacité de production de l’humanité. Quand on repense au problème du pouvoir soviétique à ses débuts et aux difficultés qu’il avait pour être informé de ce qu’on produisait aux quatre coins du pays et de le recenser… ! Eh bien, aujourd’hui, il y a les instruments techniques qui peuvent servir à cela, mais aussi, comme actuellement, à la spéculation instantanée, à la spéculation sur le cours des monnaies et ses variations à la micro-seconde près.
Alors, peut-on dire qu’avec ces investissements, les forces productives progressent ? Cela dépend de l’usage qu’on en fait. Cela dépend quelle est la classe sociale qui est au pouvoir ! L’essentiel de ce que nous avons à dire, c’est que tant que ce sont les capitalistes qui ont le pouvoir, cela ne peut que tourner en rond, en créant peut-être des choses, mais des choses dont l’humanité pâtit ensuite. Si nous pouvons nous inspirer aujourd’hui encore du Programme de transition, ce n’est pas parce que celui-ci contient des vérités éternelles, mais parce que la situation est, sur bien des points, la même qu’au temps de sa rédaction.
Une autre chose très générale encore. Une question que je vous lis telle qu'elle a été rapportée : « Une question sur le niveau politique compliqué des textes de congrès. N’y a-t-il pas moyen de réussir à trouver des formes plus accessibles de ce genre de texte (cibler certaines situations historiques, simplifier, faire des stages là-dessus…). Il faudrait réussir à augmenter le niveau de conscience des travailleurs en s’appuyant sur leur niveau de conscience relativement bas. »
Là où le camarade a raison, c’est qu’il faut savoir s’expliquer sur notre programme de la façon la plus simple possible et en partant du niveau de conscience très bas. Mais il ne faut pas trop mélanger les choses : mettre dans le même sac des cours historiques, les stages, les échos, notre hebdomadaire ou notre mensuel.
Pour ce qui est des textes de congrès, ce sont des textes d’orientation, dont le caractère « compliqué » ne vient pas du texte mais de la situation. Je ne sais pas si le camarade a trouvé simples les innombrables textes classiques du marxisme ou, pour comparer avec autre chose du même genre, les thèses et les résolutions des quatre premiers congrès de l’I.C. Si on fait ce type de comparaison, notre faiblesse n’est pas là où il la voit, mais bien plus dans le fait que les écrits et thèses desdits congrès reposaient sur une expérience autrement plus vaste, celle d’une Internationale, analysée par des militants d’une tout autre compétence que celle que nous donne notre propre expérience de petite organisation.
Je ne discute pas de la qualité de la rédaction, où toutes les formulations plus précises sont évidemment les bienvenues et seront intégrées. Mais je discute de ce que le camarade appelle « le niveau politique compliqué ». C’est comme si un étudiant qui se prépare à devenir médecin trouvait le niveau des livres d’anatomie ou de physiologie, etc., trop compliqué. Eh bien, il vaut mieux, s’il veut devenir médecin, qu’il se hisse au niveau de complication desdits livres et qu’il n’en réclame pas un Reader’s digest !
En politique, c’est pareil. Il faut exprimer une même idée dans un texte de congrès, dans un article de LO ou dans un écho politique, mais chaque fois, il faut trouver la formulation adéquate. Les textes d’orientation, votés à notre congrès, sont destinés à résumer, une fois par an, le sens des événements auxquels nous avons été confrontés pendant l’année et ceux auxquels nous risquons d’être confrontés l’année qui vient.
Par exemple, tout en défendant la même politique par rapport au mouvement des gilets jaunes, nous ne nous exprimerons pas de la même manière dans les éditos ou les échos politiques que dans notre journal. Dans les éditos, par exemple, nous nous adressons à un public de travailleurs, qui plus est d’entreprises grosses ou moyennes, qui nous connaissent. Mais, en revanche, il faut que nous soyons capables de décrire le caractère complexe de ce mouvement pour en dégager la politique que nous voulons défendre auprès des travailleurs.
* * *
Quelques remarques à propos du texte sur les relations internationales.
Une camarade, par exemple, a fait cette réflexion : « On a l’habitude de dire que les politiciens bourgeois sont les serviteurs de la bourgeoisie. Mais en Grande-Bretagne, en Italie, aux USA, ils font de la surenchère qui arrive à nuire aux intérêts de leurs propres bourgeoisies. Comment se fait-il que la grande bourgeoisie ne maîtrise pas mieux ses serviteurs politiques ? »
Pour continuer à évoquer les serviteurs, n’importe quel grand bourgeois qui a besoin pour vivre de femmes de chambre, cuisiniers, jardiniers et chauffeurs, vous dirait à quel point il est difficile, de nos jours, de trouver des domestiques à la fois loyaux, efficaces et fiables. Il y en a qui exécutent les ordres mais tellement bêtement qu’il vaudrait mieux qu’ils ne le fassent pas ; d’autres qui n’en font qu’à leur tête, etc. Et quant à la loyauté, la riche bourgeoise qu’était Mme Bettencourt en avait fait l’expérience avec ses serviteurs les plus proches, sa comptable particulière et son majordome qui enregistrait ses conversations avec ses visiteurs.
Dans les relations entre classes sociales, c’est nettement plus compliqué car il ne s’agit pas d’individus, mais de classes ou de catégories sociales. La bourgeoisie elle-même est une classe aux intérêts individuels très divergents sur beaucoup de questions, sauf sur la question essentielle du maintien de l’exploitation. Ce qui caractérise les relations des bourgeois entre eux, c’est la concurrence, la rivalité, le chacun pour soi, quitte non seulement à être en désaccord avec leurs congénères mais à vouloir les écraser. Les bourgeois ont des préoccupations tellement à court terme que les ambitions individuelles de chacun compromettent les intérêts généraux de leur classe.
Les grands bourgeois les plus puissants savent, par exemple, que leurs spéculations risquent de conduire à la catastrophe. Mais quel est celui d’entre eux qui laisserait passer l’occasion de faire une bonne affaire en se disant : « Après moi, le déluge ! » ? Alors, si les relations sont de ce type-là même entre bourgeois, pourquoi voulez-vous que les politiciens, du moins ceux qui sont aux manettes, soient plus responsables vis-à-vis de leurs maîtres que lesdits maîtres entre eux ? Et puis, les divers partis bourgeois incarnent – ou plus exactement peuvent incarner suivant les circonstances – des options politiques différentes pour la bourgeoisie. Sans parler du fait que, dans la concurrence entre eux pour se faire élire, il y a une part de démagogie.
En outre, comme les choses évoluent, ce qui pouvait être l’intérêt de la bourgeoisie à un moment donné, ou du moins tolérable de la part de ses serviteurs politiques aujourd’hui, ne le sera peut-être pas demain. Macron avait vraiment tout pour plaire aux banquiers. La grande bourgeoisie de ce pays pouvait être très contente de lui il y a 18 mois, lorsqu’il a réussi à trouver une solution momentanée par rapport à la crise de l’alternance. Eh oui, c’est bien gentil, un président « jupitérien », mais le jour où il met le pays à feu, si ce n’est à sang, la bourgeoisie a quelque raison d’être moins contente de lui. Demandez leur avis aux commerçants des Champs-Élysées, même à ceux qui ont voté pour lui il y a un an et demi !
Geoffroy Roux de Bézieux, président nouvellement installé du Medef, n’a certainement pas d’état d’âme par rapport aux mesures qui frappent les gens du peuple, et la violence policière ne l’effraie sûrement pas. Mais lorsque la situation compromet le bon déroulement des affaires des capitalistes, alors là, cela n’est pas acceptable ! Dans Le Parisien de mardi dernier, il a désavoué de façon inélégante la hausse du prix des carburants. Mieux encore, il a pris à contre-pied Édouard Philippe qui, il y a une semaine, avait refusé de donner un simple coup de pouce au smic. Roux de Bézieux a annoncé qu’il ne voyait pas d’inconvénient à l’augmentation du smic, à condition que ce soit l’État qui prenne en charge la différence. Il n’est pas grand patron pour rien !
Pour résumer, il ne faut pas être schématique et transformer l’idée fondamentale de la lutte de classe en une sorte de match de boxe individuel entre un bourgeois et un prolétaire.
À propos de la crise économique
Pour terminer, revenons sur la crise et sur une des nécessités fondamentales qui en découlent pour nous, celle d’affirmer clairement notre programme révolutionnaire.
Depuis qu’a commencé cette longue crise, qu’on peut dater du début des années 1970, il y a eu des hauts et des bas, des reprises suivies de retombées. Ces cycles se manifestent surtout dans le domaine financier, mais pas seulement, tant la finance a gangréné le moindre recoin de l’activité économique. La tendance générale est cependant cette longue période d’agonie dont la classe capitaliste, ses intellectuels et ceux qui commandent la vie économique ne voient pas l’issue.
Cette agonie qui rend la révolution sociale absolument nécessaire peut durer. Personne ne peut prédire combien de temps. La solution ne pourra venir que du prolétariat ayant retrouvé non seulement sa conscience de classe, mais aussi son ambition de renverser l’ordre social actuel pour créer le sien. Et c’est cette ambition d’émanciper la société qui est incarnée par le parti communiste révolutionnaire. Dans certains textes, Trotsky parlait de décennies de confrontations, de guerres civiles, de réactions, avant que le prolétariat parvienne non seulement à la conscience de son rôle mais à renverser l’ordre capitaliste.
Par rapport aux nécessités historiques, notre rôle, nos tâches, peuvent apparaître insignifiants, et ils se révéleront peut-être comme tels. C’est à nous de savoir, individuellement et collectivement, si nous faisons nôtre ce combat. Nous n’avons aucune garantie de jouer un rôle dans l’avenir.
Un camarade a fait allusion au dernier alinéa du § 30 : « De nouvelles explosions sociales sont inévitables, mais en l’absence de forces révolutionnaires prolétariennes, elles risquent de mener à de nouvelles impasses. » Il se demandait pourquoi, au lieu d’affirmer que ce sont de nouvelles impasses, nous parlons de risques.
Eh bien, tout simplement parce que nous ne prévoyons pas l’avenir et parce que c’est à l’échelle de la planète que se décide l’avenir de la société. C’est-à-dire de savoir qui prendra la direction de la société, entre une bourgeoisie décadente et le prolétariat ? Quelles pourront être les conséquences d’une période de convulsions révolutionnaires, de guerres civiles, de violences réactionnaires, de fascisme sous des formes aujourd’hui imprévisibles ? Qui peut prédire ce qui se passera, par exemple, dans un pays immense comme la Chine ? Quelles forces souterraines la travaillent ? Et quel avenir s’y prépare ? Qu’est-ce qui pourrait résulter de la mise en mouvement d’un prolétariat puissant et pauvre, dans une société aux inégalités croissantes ? Au nom de quoi pourrait-on nier, par avance, la possibilité que surgisse là-bas une nouvelle génération révolutionnaire de la taille des bolcheviks ?
Nous devons agir là où nous sommes et faire ce que nous devons faire, en premier lieu préserver et transmettre les idées de la lutte de classe, la perspective de l’émancipation sociale, les faire vivre et les développer dans la classe qui pourra les transformer en force sociale capable d’« ébranler le monde » (et peut-être, cette fois, définitivement). Et si le marxisme nous a appris quelque chose, c’est que tant que dure la société de classe, avec ses contradictions, elle fera surgir les forces et les hommes qui la détruiront. À moins de sombrer dans la barbarie. Même si la société commence déjà à s’y enfoncer, nous n’arrêterons pas le combat.