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Trump et sa guerre commerciale
Derrière ces déclarations aussi brutales que contradictoires, quelle est la part de poker menteur du maquignon Trump, négociant au nom de la bourgeoisie américaine ? Quelle est celle de la démagogie d’un président américain en campagne électorale de mi-mandat cherchant à obtenir des voix populaires en flattant le chauvinisme américain ? Qu’y a-t-il de changé dans les relations entre les principales puissances économiques de la planète du fait de la crise économique ?
Le capitalisme, c’est la guerre
Toute l’histoire des relations commerciales entre les bourgeoisies des différents pays est, depuis les origines du capitalisme, une succession non seulement d’épreuves de force commerciales mais le plus souvent de guerres tout court, pour s’assurer des colonies, des sources de matières premières, des débouchés pour leurs marchandises et leurs capitaux. La rivalité entre les puissances impérialistes européennes, dont le capital et les capacités de production se heurtaient à des marchés trop étroits et trop morcelés, a engendré la Première Guerre mondiale.
Depuis plus d’un siècle, les forces productives sont mûres pour le socialisme. Le niveau qu’elles ont atteint nécessite une production rationnelle, planifiée, qui prenne en compte les besoins et les capacités de production à l’échelle du globe tout entier. L’échec de la vague révolutionnaire des années 1917-1921 a donné un sursis au capitalisme. L’humanité l’a payé d’une nouvelle crise majeure, d’un repli protectionniste de grande ampleur suivi d’une nouvelle guerre mondiale qui lui a coûté des dizaines de millions de morts, des souffrances et des destructions matérielles inouïes. À l’issue de celle-ci, les États-Unis ont émergé comme la puissance impérialiste dominant la planète, à l’exception, au moins partiellement, des régions du monde placées sous la tutelle de la bureaucratie soviétique jusqu’à la disparition de l’Union soviétique.
Mais cette suprématie n’a pas fait disparaître la concurrence, sans cesse renouvelée. Si la suprématie américaine s’est accompagnée depuis la Deuxième Guerre mondiale d’une politique douanière globalement libre-échangiste, les mesures protectionnistes ou les taxes aux importations n’ont jamais disparu. Dans les années 1980 à 2000, quand se négociaient les divers traités de libre-échange entre de multiples pays sous l’égide du GATT (Accord général sur les tarifs et le commerce) puis de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), les normes sanitaires et techniques, ou encore les domaines réservés au nom de la défense nationale, représentaient des dizaines de milliers d’exceptions au libre-échange. Chaque produit faisait l’objet d’un marchandage. En atteste le poids des annexes aux divers traités signés.
Toutes les administrations américaines ont défendu, par tous les moyens et bien souvent par les armes, les intérêts de la bourgeoisie américaine partout dans le monde. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, il n’y a pas eu une seule année sans une guerre quelque part sur la planète, impliquant directement ou par l’intermédiaire de bandes armées locales les puissances impérialistes, en premier lieu les États-Unis. Et cela ne concerne pas que l’Afrique ou le Moyen-Orient. Il n’y a pas si longtemps, les visées américaines sur les pays issus de l’ancienne Union soviétique ont engendré la guerre en Ukraine. Quant aux impérialismes européens, s’ils sont plus faibles, ils ne sont pas en reste. Il y a vingt-cinq ans, les appétits économiques concurrents de la France et de l’Allemagne sur la Yougoslavie ont contribué à déclencher une guerre au cœur même de l’Europe.
Aujourd’hui que le capitalisme s’enfonce dans la crise, avec un marché mondial saturé, des investissements productifs limités et une financiarisation de l’économie encore jamais atteinte, la concurrence s’exacerbe entre les capitalistes et les puissances qui défendent leurs intérêts. C’est dire qu’aujourd’hui, plus encore qu’à l’époque de Jaurès, « le capitalisme porte en lui la guerre, comme la nuée porte l’orage ». Et pas seulement la guerre commerciale.
La puissance de l’impérialisme américain
Le slogan électoral de Trump, « Make America Great Again » (« Redonner sa grandeur à l’Amérique »), ne signifie pas que les capitalistes américains aient perdu leur suprématie. Trump a fait son cheval de bataille de la réduction du déficit commercial, un déficit de l’ordre de 570 milliards de dollars par an, aux deux tiers vis-à-vis de la Chine. Mais si les États-Unis importent davantage qu’ils n’exportent, cela n’est pas forcément un signe de faiblesse économique pour la bourgeoisie américaine.
Une part de ces importations est le fait d’entreprises américaines implantées à l’étranger. Quand Apple vend ses iPhones fabriqués en Chine, les profits vont aux actionnaires d’Apple. Dans une économie mondialisée, la balance commerciale d’un pays masque des relations bien plus complexes. Michelin, Daimler, BMW et tant d’autres possèdent des dizaines d’usines aux États-Unis, à partir desquelles ils exportent dans tout le continent américain. Ces exportations sont « made in USA ». À l’inverse, Ford, General Electric ou Carrier ont construit ou racheté des usines en Europe. Les produits qu’ils vendent ne sont pas comptabilisés dans les exportations américaines mais les profits reviennent aux actionnaires américains de ces sociétés. Quant aux composants utilisés dans les usines américaines, ils sont fabriqués par des sous-traitants implantés dans une multitude de pays. Ils traversent plusieurs fois les mers et les frontières avant d’être assemblés.
Le dollar étant la monnaie du commerce mondial, les États-Unis peuvent financer leur déficit commercial en prêtant des dollars à toute la planète. Ils vivent à crédit en émettant des bons du Trésor que les possesseurs de capitaux du monde entier s’arrachent, y compris l’État chinois lui-même, dont une partie de l’excédent commercial est investie en bons du Trésor américain. Le rôle central du dollar dans le commerce mondial est une arme politique majeure pour les États-Unis.
Cette arme oblige actuellement les grands groupes européens à quitter l’Iran après la décision de Trump de dénoncer l’accord sur le nucléaire iranien et de rétablir l’embargo, sous peine de sanctions ou d’interdiction d’accéder au marché américain. Comme l’expliquait Patrick Pouyanné, le PDG de Total, au journal Le Monde du 30 août 2018 : « L’essentiel du capital mondial et du système financier est entre les mains d’investisseurs et de banquiers américains : c’est la force du capitalisme américain. Un groupe mondial comme Total ne peut pas prendre le risque de se voir interdire l’accès à ces ressources financières. On peut regretter que les États-Unis utilisent la force de leur système pour imposer leur loi, mais c’est la réalité de notre monde global. » Autrement dit, Pouyanné prend acte que les plus forts font la loi et qu’il doit s’y plier.
Si l’hégémonie américaine reste incontestable, sur tous les terrains, économiques, politiques comme militaires, celle-ci doit être sans cesse défendue et réaffirmée en montrant ses muscles. C’est à cela que s’emploie Trump, dans le contexte économique actuel, avec son style personnel brutal mais aussi la vision politique d’un magnat de l’immobilier qui ne fait pas l’unanimité parmi la bourgeoisie américaine elle-même.
Les relations inégales entre la Chine et les États-Unis
La première cible de Trump a été la Chine, accusée de concurrence déloyale et d’exporter des marchandises produites à bas coût, avec des subventions de l’État chinois, sans respecter les règles de l’OMC, en pratiquant des transferts de technologie forcés ou en restreignant l’accès du marché chinois aux entreprises étrangères. En réalité, dès son entrée dans l’OMC en 2001, la Chine a subi des taxes sur une multitude de produits exportés, en particulier sur l’acier, taxé lourdement bien avant Trump, aux États-Unis comme en Europe. La majorité des taxes antidumping contre l’acier chinois a été mise en place en 2015-2016, sous Obama. Du fait de ces taxes anciennes, les exportations d’acier chinois vers les États-Unis sont déjà presque nulles.
C’est en position de subordonnée que la Chine a été réintégrée dans le commerce international à la fin du 20e siècle. Du fait de son histoire et de la lutte du régime maoïste pour recouvrer l’indépendance du pays au profit de la bourgeoisie chinoise, l’État a joué un rôle majeur dans le développement des grandes entreprises. Ce rôle central leur a permis de se tailler une place dans le marché mondial. Tout en restant souvent cantonnées au rôle de sous-traitants, tout en se voyant écartées de certains marchés, elles sont devenues de véritables concurrentes de leurs homologues occidentales dans divers secteurs. Les dirigeants chinois, dans un plan baptisé « made in China 2025 », ont d’ailleurs annoncé leur ambition de prendre la tête de plusieurs secteurs technologiques.
Année après année, les exportations chinoises vers les États-Unis augmentent plus vite que les exportations américaines vers la Chine. Selon les chiffres de la banque mondiale, de 80 milliards de dollars en 2000, le déficit commercial américain avec la Chine était monté à 202 milliards en 2005 et à 367 milliards en 2016. La Chine est le premier exportateur au monde avec 14 % de parts du marché, loin devant les États-Unis (9 %) puis l’Allemagne (8 %). Derrière ce déficit, se cache le rôle d’atelier du monde joué par la Chine. Elle exporte des chaussures, des meubles, des jouets produits à bas coût mais aussi beaucoup de machines ou d’équipements électroniques. Parmi ces derniers produits, certains sont fabriqués en sous-traitance ou sous forme de joint-venture (coentreprise) avec des compagnies américaines, qui surtout ne veulent rien changer à ce commerce inégal. D’autres sont des produits chinois venant directement concurrencer les produits américains. D’où le courroux de Trump et sa déclaration de guerre… commerciale.
En imposant unilatéralement des droits de douane sur les panneaux solaires et les machines à laver en janvier 2018, puis sur l’acier et l’aluminium en mars, Trump cherche à imposer une négociation commerciale forcée avec les dirigeants chinois comme avec les autres partenaires commerciaux des États-Unis. Semaine après semaine, la liste des produits chinois taxés ou contingentés aux États-Unis augmente. Fin août, l’administration américaine annonçait la taxation à 25 % de 50 milliards de dollars de produits chinois et elle menace de porter dès septembre à 200 milliards de dollars le montant des produits taxés. Selon le représentant au Commerce auprès de Trump, Robert Lighthizer, la liste « vise les produits qui concourent aux objectifs industriels de la Chine tout en minimisant l’impact sur l’économie américaine ». Parallèlement le Congrès américain a voté en août une loi interdisant l’utilisation par les administrations fédérales de matériels de télécommunication produits par les firmes chinoises ZTE et Huawai. Des fusions ou des rachats d’entreprises du secteur électronique ont été interdites sous prétexte qu’elles étaient favorables à la Chine.
Sans surprise, les dirigeants chinois ont imposé en représailles des droits de douane sur des produits américains. Ils ont ciblé notamment les produits agricoles, les fruits, le porc et surtout le soja, que les agriculteurs américains vendent massivement à la Chine. En ciblant les États agricoles américains, terres électorales favorables à Trump, les dirigeants chinois exercent une pression politique. Parce qu’ils importent moins depuis les États-Unis qu’ils n’y exportent, parce que leur marché intérieur, trop peu solvable, ne peut pas absorber les produits taxés par les États-Unis, leurs marges de manœuvre sont plus limitées que celles de Trump.
Par le chantage et le fait accompli, Trump cherche à renégocier les termes des échanges avec la Chine, là où ses prédécesseurs en étaient passés par les longues séances de négociations dans le cadre de l’OMC. Mais le but est le même : défendre les intérêts des capitalistes américains. Ces derniers sont cependant loin d’être unanimes et de serrer les rangs derrière Trump. Lors des premières annonces protectionnistes en mars, de multiples entreprises sont intervenues à Washington pour demander des exemptions ou pour contester cette politique. Selon la presse américaine, des groupes comme IBM et General Electric se sont opposés à la limitation des joint-ventures, et des banques comme Goldman Sachs et Carlyle se sont inquiétées des restrictions aux investissements en Chine. Si elle a fait le bonheur des sidérurgistes implantés aux États-Unis, la taxation de l’acier et de l’aluminium, venant de Chine ou pas, a provoqué une augmentation des prix (celui de l’aluminium a augmenté de 30 % entre mars et juin) au grand dam des constructeurs automobiles américains.
Les relations entre l’Union européenne et les États-Unis
En dépit des courbettes de Macron en avril à la Maison-Blanche, Trump n’a pas été moins brutal avec les dirigeants européens qu’avec les Chinois. Même si on apprend aux écoliers que les États-Unis sont les alliés historiques de l’Europe, les relations entre les uns et les autres ont toujours été fondées sur la rivalité et la concurrence. Il y a deux siècles, le président américain James Monroe (1817-1825) protégeait les intérêts des capitalistes américains en défendant « l’Amérique aux Américains ». De la défense, les États-Unis sont passés à l’attaque. Peu après la fin de la Première Guerre mondiale, Trotsky écrivait déjà que « les États-Unis veulent réduire l’Europe à la portion congrue », autrement dit : « lui permettre de se relever, mais dans des limites bien déterminées, lui accorder des secteurs restreints du marché mondial »[1]. Après la Deuxième Guerre mondiale, les États-Unis lançaient le plan Marshall et parrainaient la naissance du Marché commun (l’ancêtre de l’Union européenne) pour favoriser les exportations américaines entravées par le morcellement de l’Europe.
Depuis, sans remettre en cause la suprématie économique américaine, les capitalistes européens sont redevenus des concurrents sérieux. La balance commerciale des États-Unis avec l’Europe est déficitaire de quelque 100 milliards d’euros par an, depuis des années. Les États-Unis sont les premiers clients de l’Union européenne (UE) mais leur deuxième fournisseur derrière la Chine. Quand Trump déplore qu’il y a « trop de Mercedes à New York et pas assez de Chevrolet à Berlin », il exprime les inquiétudes de General Motors face aux constructeurs allemands, qui détiennent 8 % du marché américain. Quand il reproche à l’Allemagne d’acheter du gaz russe et de soutenir la construction d’un deuxième gazoduc à travers la mer Baltique qui permettra à la Russie d’augmenter ses exportations vers l’Europe, il défend les intérêts des pétroliers américains qui voudraient pouvoir vendre leur gaz de schiste liquéfié à l’Europe. En tweetant en plein sommet de l’Otan à Bruxelles le 11 juillet dernier : « Les États-Unis paient pour la protection de l’Europe, puis perdent des milliards sur le commerce », Trump exprime tout haut ce que ses prédécesseurs enrobaient dans un langage diplomatique. En d’autres termes, la puissance militaire américaine est là pour défendre les intérêts de la bourgeoisie américaine.
Dans leur concurrence avec les capitalistes américains, les Européens sont handicapés par leurs propres rivalités. Contrairement aux États-Unis, l’UE n’est pas un État mais un simple espace de libre-échange, soumis aux intérêts toujours aussi contradictoires de ses États membres qui défendent chacun pour leur compte les affaires de leur bourgeoisie respective. C’est ainsi qu’au moment où l’UE prenait des mesures de rétorsion contre les États-Unis après la taxation de l’acier, Angela Merkel a proposé la suppression de toutes les taxes sur l’importation automobile en Europe, ce qui n’est pas du goût des constructeurs français. Trump n’a pas de mal à exacerber les multiples divisions qui travaillent l’UE, encourageant des nationalistes xénophobes comme Orban en Hongrie ou Salvini en Italie, réclamant bruyamment un Brexit dur entre l’UE et la Grande-Bretagne.
Il ne cesse de souffler le chaud et le froid. Après les menaces, Trump et Juncker, le président de la Commission européenne, ont annoncé en juillet avoir trouvé un accord pour reprendre des relations commerciales apaisées. Outre que les deux parties se sont disputées sur son interprétation avant même que l’accord n’ait été publié, les déclarations de Trump ajoutent tensions et instabilité dans une Europe déjà déchirée par des forces centrifuges.
De nombreux précédents
Trump n’est pas le premier président américain, dans la période contemporaine, à défendre une politique protectionniste. En 2002, George W. Bush, s’asseyant sur les règles de l’OMC, avait déjà instauré de forts droits de douane sur l’acier européen. L’UE avait riposté en taxant pour 4 milliards d’euros de produits américains. Toute l’histoire de l’UE elle-même est faite d’âpres négociations, entre brigands, pour fixer des normes destinées à protéger son marché intérieur des concurrents non européens. De la banane au roquefort en passant par le poulet lavé au chlore, les batailles commerciales grimées derrière des combats sanitaires ou « culturels » n’ont jamais cessé.
Dans les années 1980, Ronald Reagan, qui prônait le libéralisme économique pour les autres pays, avait pris des mesures protectionnistes sévères contre les automobiles japonaises. Alors que la crise du pétrole avait fait chuter les ventes d’automobiles aux États-Unis, Reagan désignait les constructeurs japonais, les dangereux concurrents d’alors qui exportaient des petites voitures aux États-Unis, comme les grands responsables des suppressions massives d’emplois. Il a alors imposé des quotas d’importation sévères. Cela n’a évidemment pas profité aux travailleurs américains mais aux capitalistes… américains et japonais.
Le journal Les Échos rappelait dans un article du 27 juillet dernier que les constructeurs japonais « ont d’abord obtempéré puis commencé à construire des usines aux États-Unis, non pas à Detroit, mais dans les États non syndiqués du sud ». Les Échos concluaient : « Aujourd’hui, les voitures japonaises, qui représentent près de 40 % des ventes sur le territoire américain, sont pour l’essentiel fabriquées aux États-Unis. » Les constructeurs américains ayant à leur tour délocalisé une partie de leur production dans ces États du sud tout en supprimant des dizaines de milliers d’emplois dans le Michigan, les travailleurs de l’automobile ont été les grands perdants. Qu’ils soient exploités par des patrons américains ou japonais, les cadences se sont intensifiées, les salaires ont été réduits, des emplois ont été supprimés.
La guerre contre les travailleurs
Sous Trump comme sous Reagan, aux États-Unis comme en Europe ou en Chine, les travailleurs paieront le prix fort s’ils écoutent les sirènes protectionnistes et chauvines des politiciens bourgeois. Ils paieront tout autant s’ils se laissent abuser par les partisans affichés du libre-échange, comme Macron ou Merkel qui enchaînent les attaques contre leurs droits et leurs conditions d’existence.
Trump prétend mener une guerre commerciale pour préserver l’emploi américain. Les États-Unis auraient en effet perdu 5,5 millions d’emplois, soit 30 % des emplois industriels, en trente ans. Mais en même temps la production industrielle des États-Unis a augmenté de 60 % ! Autrement dit, si les compagnies américaines ont supprimé ces emplois, c’est moins en raison de la concurrence que par l’augmentation de la productivité et pour accroître les profits.
Les classes populaires ont déjà commencé à payer la politique de Trump à travers l’augmentation des prix. Ceux des machines à laver ont augmenté aux États-Unis depuis le début de l’année. Les constructeurs automobiles vont répercuter la hausse des prix de l’acier. Par le jeu des mesures de rétorsion, en Chine la population paiera d’une façon ou d’une autre le boycott ou la taxation des porcs ou du soja américains.
Les travailleurs le paieront surtout politiquement s’ils ne mettent pas en avant leurs propres intérêts politiques et laissent désigner les travailleurs des autres pays comme leurs adversaires, leurs concurrents plutôt que comme leurs frères de classe. En Europe, la montée des partis xénophobes et racistes, leur accession au pouvoir dans plusieurs pays est déjà une grave menace pour les travailleurs. Il en est de même aux États-Unis, surtout si Trump devait recueillir massivement les voix populaires lors des élections de mi-mandat, en novembre, avec son slogan « America First ».
Des annonces qui tombent dans une économie instable
À ce jour, le retour à un protectionnisme généralisé ne semble pas l’option privilégiée par la bourgeoisie américaine. Si les politiciens du Parti démocrate, qui dénoncent les postures de Trump, sont mus d’abord par leur concurrence politique avec les Républicains, ils représentent tout autant les intérêts de la bourgeoisie américaine. Cela ne veut pas dire que, de déclarations intempestives en mesures de rétorsion, la guerre commerciale ne puisse pas s’enclencher.
En Europe, où les bourgeoisies auraient plus à perdre dans une guerre commerciale – mais il y a aussi des capitalistes dans ce cas aux États-Unis – les économistes bourgeois et les organismes économiques officiels multiplient les rapports sur les effets néfastes d’une guerre commerciale généralisée dans une économie infiniment plus interdépendante qu’elle ne l’était en 1929. Ainsi, le Conseil économique et social, en France, écrivait dans un rapport publié en juillet : « Nos estimations suggèrent [qu’une telle guerre] aurait un effet permanent sur le PIB par habitant d’ampleur similaire sur les trois grandes puissances mondiales (Union européenne, États-Unis et Chine), d’environ 3 % à 4 % de PIB. L’impact serait comparable à celui de la Grande récession de 2008-2009. Il serait beaucoup plus grave pour les petits pays. » La crise de 2008, dont l’économie mondiale ne s’est toujours pas relevée, avait entraîné la suppression de plusieurs dizaines de millions d’emplois dans le monde. Le même rapport estime qu’un fort recul du commerce provoqué par une guerre commerciale généralisée ferait perdre 1 250 euros par habitant en Europe.
Ces rapports sont surtout significatifs des craintes des économistes conscients de la fragilité de l’économie mondiale et de son instabilité. Sans chercher à spéculer sur la part de bluff dans la politique de Trump, occupé à séduire ses électeurs, voire sur son irresponsabilité comme l’en accusent certains hauts cadres à l’intérieur même de la Maison-Blanche, toutes ces déclarations se répercutent dans une économie malade dominée par la finance. L’économie mondiale étant assise sur une montagne de capitaux erratiques à la recherche de support pour spéculer, la moindre incertitude, la moindre crise, est amplifiée et se traduit par une attaque spéculative sur le cours des monnaies, des actions ou celui des taux d’intérêt des emprunts d’État. Alors que rien n’a fondamentalement changé dans les relations entre les États-Unis et la Turquie, toujours alliés au sein de l’Otan, il a suffi, dans un contexte de dégradation économique, que Trump annonce un doublement des taxes sur l’acier et l’aluminium turcs pour que les « investisseurs », autrement dit divers capitalistes, banquiers ou fonds d’investissement, inquiets ou opportunistes, retirent leur argent du pays, provoquant la chute de la livre turque et une inflation catastrophique. Pour les marchés financiers, les déclarations des dirigeants politiques, comme celles des directeurs des banques centrales, sont devenues des indicateurs au même titre que le taux de chômage ou la croissance du PIB. C’est bien pourquoi, qu’elle enclenche ou non une guerre commerciale de plus ou moins grande ampleur entre les États-Unis, l’Europe et la Chine, la politique de Trump est lourde de danger.
Trump, ses conseillers ou les capitalistes américains qui profitent des taxes ou des quotas en sont parfaitement conscients mais ils s’en fichent car après eux, le déluge. Quant à ceux qui préfèrent, aujourd’hui, éviter la guerre commerciale et s’opposent à la politique de Trump, ils seront partisans des barrières douanières dès qu’ils estimeront pouvoir en tirer profit. La classe capitaliste est entièrement irresponsable ; la seule façon de s’en prémunir est de lui arracher le pouvoir et de l’exproprier.
8 septembre 2018
[1] Léon Trotsky, L’Europe et l’Amérique, 28 juillet 1924