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Dans le monde
Inde : un accident ferroviaire annoncé
L’Inde, où vient de se produire un dramatique accident ferroviaire, compte le plus grand réseau au monde appartenant à un même propriétaire. Il transporte 8 milliards de passagers par an, sur près de 70 000 km de voies et 700 gares.
Un grand nombre des 1,75 million de cheminots vivent dans des quartiers ferroviaires spéciaux. Mais une grande partie de l’infrastructure ferroviaire, datant de la période coloniale, reste archaïque.
Depuis les années 1990, une grande partie du système ferroviaire a été vendu à des entreprises privées – notamment les gares, la construction et l’entretien des wagons, la signalisation, l’entretien des voies, l’entreposage, la restauration, l’hôtellerie... D’autres parties, telles que les ateliers de réparation, devraient être privatisés prochainement. 59 % des voies sont électrifiées, mais de nombreux trains roulent encore au diesel.
L’accident s’est produit le 2 juin, dans l’État d’Odisha, dans l’est du pays, lorsque trois trains sont entrés en collision. Selon les premiers rapports des médias, le Coromandel Express, un train de passagers qui roulait à 120 km/h, a été dévié à tort de la ligne principale vers une ligne parallèle, où il a heurté un train de marchandises à l’arrêt. L’accident a entraîné le déraillement de 21 voitures, qui ont heurté un autre train de passagers circulant sur une autre voie. On estime à 275 le nombre de morts et à 1 100 le nombre de blessés. Plus de 100 corps, mutilés et brûlés, restent non identifiables. Il s’agit de la pire catastrophe ferroviaire en Inde depuis près de trente ans. Le gouvernement Modi a immédiatement pointé du doigt les « criminels » et les « saboteurs ». Mais le véritable coupable est la privatisation rampante de ce vaste réseau, qui remonte aux années 1990 et dont les gouvernements dirigés par le Parti du Congrès et le parti majoritaire, le BJP, sont responsables.
Si la cause précise de cet accident reste « en cours d’investigation » – on ne sait pas si la signalisation ou l’entretien des voies, ou les deux, sont en cause – une telle catastrophe devait arriver, dans un système qui a été dégradé et mis en pièces pour le profit privé au cours des trois dernières décennies.
Au cours de cette période, des dépôts essentiels pour l’entretien des trains ont été fermés et des contrats lucratifs ont été attribués à des entreprises comme Alstom, Hitachi, Siemens, Adani, Tata et Jindal. Celles-ci ont négligé des règles de sécurité ferroviaire, concernant l’emplacement des signaux, des limites de charge, etc. Par exemple, alors que les signaux sont censés être toujours placés à la hauteur du regard des conducteurs, à gauche de la voie, les sous-traitants les ont placés de manière aléatoire, les rendant invisibles. Les trains de marchandises sont régulièrement chargés au-delà de leur capacité, ce qui augmente les risques de déraillement ou de bascule.
Depuis l’arrivée au pouvoir de Modi en 2014, la situation n’a fait qu’empirer. Au lieu de procéder à des rénovations de base, les fonds ont été détournés pour acheter des trains tape-à-l’œil Vande Bharat (Vive l’Inde). Peu importe le fait que, compte tenu de la mauvaise qualité des voies, ces trains ne puissent rouler qu’à la moitié des 160 km/h théoriques !
Malgré un audit gouvernemental sur les accidents ferroviaires, qui a montré que leur principale cause était un renouvellement tardif ou inadéquat des voies, près de 10 000 km de celles-ci ont aujourd’hui dépassé la date prévue pour leur remplacement. Environ 8 000 km de voies, y compris le tronçon où s’est produit l’accident d’Odisha, sont utilisés à plus de 100 % de leurs capacités. Le budget consacré à la sécurité ferroviaire a été réduit de 79 % ; des ponts centenaires n’ont pas été reconstruits, des machines qui auraient dû être remplacées il y a cinquante ans sont toujours en service. Les compartiments de troisième classe, utilisés par les travailleurs et les pauvres, sont de plus en plus bondés.
Les emplois ont fait l’objet d’attaques. Au moins 80 000 postes ont été supprimés depuis 2010. Tous les services manquent cruellement de personnel et les postes sont laissés vacants. Dans la South-Central Railway Division de l’Odisha, 16 000 des 93 000 postes sont vacants, dont 11 012 dans le département de la sécurité.
Les systèmes de signalisation et de déviation des voies doivent souvent être neutralisés manuellement par le personnel des gares. Dans un passé récent, des accidents majeurs ont été évités uniquement parce que les conducteurs de train se sont aperçus à temps qu’ils avaient été aiguillés à tort vers une ligne attribuée à un autre train.
Pour couvrir les postes vacants, les conducteurs, qui sont légalement censés ne pas travailler plus de neuf heures, sont contraints de travailler 11 à 13 heures et cinq à six nuits consécutives, parfois sur des trains qu’ils ne sont pas qualifiés pour conduire. Les travailleurs permanents chargés de l’entretien ont été remplacés par des sous-traitants locaux non qualifiés. Les ouvriers qui assurent l’entretien des voies ont vu leur zone de patrouille étendue à plus de 20 km par jour – une distance presque impossible à parcourir.
L’accident ferroviaire d’Odisha était donc bien un accident programmé et tous les signes avant-coureurs étaient là. Le président Modi a chargé son Bureau central d’enquête de trouver les « coupables » de l’accident. Mais les gouvernements successifs et les patrons des entreprises parasites sont les premiers à avoir du sang sur les mains.