Orange : le harcèlement patronal a tué20/07/20162016Journal/medias/journalnumero/images/2016/07/2503.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans les entreprises

Orange : le harcèlement patronal a tué

Il y aura peut-être un jour un procès contre l’entreprise France Télécom (devenue Orange), et contre ses principaux responsables. Ces derniers ont mis en place à partir de 2006 une politique de harcèlement du personnel, dans le but de faire baisser drastiquement les effectifs. Il s’agissait de se débarrasser de 22 000 salariés, en bonne partie des fonctionnaires, et d’en déplacer 10 000, soit au total un quart des salariés de l’époque.

Pour ce faire, le nouveau patron, Didier Lombard, embauché en 2005 pour cette tâche, était bien décidé à employer la manière forte. Ne pouvant procéder à des licenciements classiques dans le cas des fonctionnaires, il avait décidé de les dégoûter de leur travail, et de les faire démissionner sous la pression. « Je ferai les départs d’une façon ou d’une autre, par la fenêtre ou par la porte », avait-il déclaré.

Cette politique de stress organisé avait été mise en œuvre avec la participation active des hauts cadres de l’époque, dont Louis-Pierre Wenes, le bras droit de Lombard, et Olivier Barberot, le responsable des ressources humaines. Si la procédure continue, ces trois-là, et peut-être quelques autres, seront jugés pour harcèlement moral.

Les salariés visés, très souvent employés à des postes à responsabilité, étaient baladés de service en service, parfois à travers toute la France, ou mis au placard, sans travail, ou encore mutés sur des postes subalternes, par exemple sur des plateaux d’appel où le travail est harassant et répétitif. De nombreux salariés avaient craqué, d’autres avaient sombré dans la dépression, et certains s’étaient suicidés. Sur les deux années 2008 et 2009, au moins 35 salariés se sont donné la mort, certains laissant des courriers tout à fait explicites mettant en cause ce « management par la terreur ». Un salarié de Troyes, à qui on venait d’annoncer sa mutation, s’était poignardé devant 15 de ses collègues ; une autre, à Paris, s’était jetée du quatrième étage en sortant d’une réunion. Tout cela n’avait pas ému Didier Lombard, qui avait même parlé de « mode du suicide » à France Télécom. Cette dernière phrase avait scandalisé au-delà du personnel de l’entreprise, et Didier Lombard avait finalement été mis sur la touche : d’abord nommé conseiller du nouveau patron, Stéphane Richard, il avait finalement dû démissionner.

Mais la grande majorité des cadres dirigeants de cette époque était restée en place. Et la même politique fut poursuivie, mais en y mettant davantage de formes. Stéphane Richard commença par geler une bonne partie des mutations prévues, mais l’objectif de réduction du personnel restait le même, un peu plus étalé dans le temps.

En effet, cette politique ne dépendait pas du seul Lombard. Elle avait été décidée par l’État lui-même, actionnaire majoritaire à l’époque.

Lombard était chargé de faire le sale boulot, et ce qui lui vaudra peut-être un éventuel procès tient surtout à ses maladresses de langage. Mais au total, il aura accompli sa tâche, rempli ses objectifs, et quitté l’entreprise, en 2010, avec une retraite chapeau de 300 000 euros par an. Et tant pis pour les dizaines de milliers de salariés bousculés, maltraités, déplacés, licenciés, et parfois décédés.

Le procès pour harcèlement, s’il a finalement lieu dans un ou deux ans, ne changera rien, ni pour les victimes de la logique inhumaine du capitalisme, ni pour les salariés de l’entreprise. Elle entachera peut-être la fin de carrière de Lombard et de quelques-uns de ses acolytes, mais ça, personne ne s’en plaindra.

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