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- Lutte ouvrière n°2503
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il y a 50 ans
Les essais nucléaires français en Polynésie : l’État dégage toujours sa responsabilité
Il y a cinquante ans, le 2 juillet 1966, avait lieu le premier essai nucléaire français en Polynésie. Pendant trente ans, 193 tirs allaient être effectués dans cette zone de l’océan Pacifique et, aujourd’hui encore, les dommages causés aux hommes et à la nature ne sont toujours pas réparés.
Pour de Gaulle, au pouvoir depuis 1958, la « grandeur de la France » devait être assurée par la possession de l’arme nucléaire. Pour autant, il n’était pas question que ces essais soient effectués en métropole, par crainte de réactions de la population. Le choix se porta sur des territoires colonisés, d’abord en Algérie, au sud du Sahara, ensuite en Polynésie, des lieux qui avaient l’avantage d’être éloignés de l’hexagone.
Les essais nucléaires
En tout, jusqu’à leur interdiction décidée en 1996, il a été procédé à 210 essais nucléaires, 17 en Algérie et 193 en Polynésie.
En Algérie, les tirs ont été effectués entre 1960 et 1966, y compris donc après l’indépendance du pays, puisqu’une « annexe secrète » des accords d’Évian de 1962, qui mettaient fin à la guerre, autorisait la France à y lâcher ses bombes pendant cinq années supplémentaires. Quels dégâts sur la région l’armée française a-t-elle laissés derrière elle ? Il est bien difficile de le savoir, les autorités militaires n’ayant laissé dans leur ancienne colonie aucune archive sanitaire, étant parties en laissant des sites contaminés par des déchets toxiques enfouis à faible profondeur, et ayant menti sur l’ampleur des zones touchées par les radiations.
En Polynésie, les tirs effectués « au nom de la paix » ont eu lieu sur les atolls de Mururoa et Fangataufa. Mais c’est sur l’ensemble de l’archipel que les fonds marins ont été fragilisés, et aujourd’hui les atolls risquent à tout moment de s’effondrer. Les sols ont été contaminés par des débris toxiques et radioactifs, ce qui atteint par ricochet les réserves alimentaires, à commencer par les poissons. Face à ce désastre, les scientifiques ont calculé qu’il faudra attendre 240 000 ans pour que les retombées du plutonium, présent dans l’arme nucléaire, soient complètement neutralisées.
De la part des autorités françaises la même ignorance qu’en Algérie prévaut sur les conséquences sanitaires qui frappent la population polynésienne : cancers, leucémies, malformations congénitales, difformités, déficit des naissances, etc. Et comme tout le système de santé polynésien était tenu jusqu’en 1994 par des médecins militaires, il est évident qu’un voile opaque recouvre les atteintes aux personnes.
Irresponsables et criminels
Les apprentis sorciers qui, à l’armée, commandaient aux tirs n’avaient pas envisagé toutes les conséquences, et ils n’avaient surtout aucune certitude quant à la portée et la fiabilité de ces expériences. Pour toute protection, les soldats portaient une simple chemisette de coton et un masque datant de la Seconde Guerre mondiale, et il leur était seulement conseillé de prendre une douche après avoir assisté aux explosions. Deux ministres présents furent eux aussi contaminés lors d’un accident de tir en 1962 en Algérie, et l’un d’eux mourut d’une leucémie. Quant à la population locale, elle n’était la plupart du temps même pas informée des dangers.
Pire, l’ouverture partielle des archives en 2013 a révélé que c’est sciemment que soldats et habitants avaient été exposés aux radiations, afin que les militaires puissent étudier les effets de l’arme nucléaire sur l’homme.
Dans ces conditions, il est difficile de connaître le nombre total de victimes, puisque l’armée s’est prévalue pendant des décennies du secret défense pour poser une chape de plomb sur ses crimes ; il n’y a pas eu de dépistage, ni sur les soldats de retour en métropole ni encore moins sur les populations locales. On estime que sur les deux sites de lancement 150 000 personnes ont été touchées.
Des victimes en quête de reconnaissance
En 2010, le vote de la loi Morin, du nom du ministre de la Défense d’alors, a permis aux victimes de prétendre à une indemnisation. Mais il fallait déjà en être averti, ce qui était loin d’être le cas pour les habitants isolés, ou ceux qui, se trouvant à des centaines de kilomètres des explosions nucléaires, se croyaient à l’abri. Mais surtout, les conditions d’attribution ont été très restrictives : il fallait prouver que l’on avait été exposé suffisamment longtemps à un certain taux de radiations, et la loi introduisait la notion de « risque négligeable ». Peu de dossiers ont donc été acceptés. En janvier 2014, sur les 880 dossiers déposés, seuls 1,5 % ont donné droit à une indemnisation ; dix-neuf personnes en tout en ont bénéficié, dont neuf Polynésiens !
Après l’arrêt des essais nucléaires en 1996, la Polynésie a bénéficié en dédommagement des dégâts occasionnés d’une rente annuelle fixée à 150 millions. Elle a diminué ensuite pour atteindre 84 millions cette année.
En 2013, l’ouverture des archives militaires, partielle et avec, en outre, de nombreuses pages blanches, n’a pas vraiment levé le secret défense. Sans doute des documents font état du fait que toute la Polynésie a été contaminée, et pas seulement les deux atolls où les tirs ont eu lieu. Mais presque tous les rapports affirment en revanche que les doses de radiations subies par la population étaient « négligeables ». C’est en vertu de ces conclusions que 81 % des demandes d’indemnisation ont été rejetées.