Guadeloupe : attaques patronales contre la CGTG14/10/20152015Journal/medias/journalnumero/images/2015/10/2463.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

Dans le monde

Guadeloupe : attaques patronales contre la CGTG

Le syndicat CGTG (Confédération générale du travail de la Guadeloupe) et deux délégués de l’hypermarché Carrefour Milenis de la ville des Abymes ont été condamnés à deux reprises, en première instance puis en appel : au total, 53 412 euros sont à payer par un syndicat qui compte quelque 4 000 adhérents, dans une île dont la population active est de 220 000 personnes.

Le délit serait d’avoir écrit à la fin d’un tract qui s’opposait à un plan de 28 licenciements dans l’entreprise : « La famille Despointes a bâti toute sa fortune sur la traite négrière, l’économie de plantation et l’esclavage salarial », le syndicat rappelant ainsi que les principaux actionnaires avaient les moyens de maintenir les emplois. Jean et Martin Huygues Despointes, associés de la SAS Sophyper (Carrefour Milenis), se sont estimés diffamés et ont porté plainte.

Les Despointes font partie de ceux qu’en Guadeloupe et Martinique on nomme les Békés. Ces Blancs, dont les ancêtres sont arrivés aux Antilles dès les débuts de la colonisation, constituent une catégorie sociale particulière, presque une caste. Leurs membres, bien qu’ayant côtoyé durant plusieurs siècles des gens à peau noire, ne se sont jamais métissés, du moins pas de manière officielle. Parmi eux se comptent les plus grandes figures du patronat local.

Aujourd’hui, certaines familles békées dominent aux Antilles l’essentiel de l’import-export et les grands centres commerciaux. En 2012, le groupe Hayot était classé 185e du palmarès des plus grandes fortunes de France, avec une fortune estimée à 275 millions. Le groupe Huygues Despointes, avec 150 millions, est classé 331e. Les fortunes amassées par ces capitalistes et leurs ancêtres l’ont bien été sur le dos des travailleurs, esclaves ou salariés. Pour l’avoir exprimé, la CGTG se retrouve condamnée et confrontée à un grave problème financier, au point de ne pas pouvoir faire face à ses charges courantes.

Pour des déclarations infamantes à l’égard des Noirs, certains Békés et autres grands patrons ont eu à subir des condamnations autrement plus légères : le Béké martiniquais Alain Huygues Despointes avait été relaxé et « blanchi » par la cour de cassation de l’accusation d’apologie de crime contre l’humanité, pour laquelle il avait été condamné en première instance et en appel. Il avait exprimé en 2009 son regret que les historiens « parlent surtout des mauvais côtés de l’esclavage, il y en a des bons aussi » et affirmait sa volonté de « préserver la race ». Sylvie Hayot, rejeton d’une autre famille békée, fut condamnée à six mois avec sursis. Elle avait traité de « sales nègres » et agressé physiquement les pompiers venus la secourir après un accident de voiture. Le parfumeur Guerlain a été condamné en 2012 à 6 000 euros d’amende pour injure à caractère raciste. Il avait déclaré sur France 2 : « Pour une fois je me suis mis à travailler comme un nègre. Je ne sais pas si les nègres ont toujours tellement travaillé, mais enfin… » Rien qui puisse les acculer à la ruine ni même écorner légèrement leur patrimoine !

La condamnation de 53 470 euros infligée à la CGTG apparaît comme un moyen pour le grand patronat local et la justice de tenter de briser un syndicat qui les gêne. Seul syndicat à s’opposer au plan de licenciement à Milenis, la CGTG a aussi fait plier une autre famille békée particulièrement arrogante, les Dormoy, sur la plantation de banane Bois Debout à Capesterre-Belle-Eau.

En vingt-cinq ans, il y a eu dix décès dus à des accidents du travail sur cette plantation. Louis Dormoy a été condamné pour la première fois, en 2009, à douze mois de prison avec sursis et 10 000 euros d’amende, suite à une plainte portée par la famille d’une des victimes, soutenue par la CGTG. Puis, en 2015, l’inspection du travail a dressé un procès-verbal pour entrave au droit d’alerte et de retrait du comité d’hygiène et sécurité. La CGTG s’est portée partie civile sur cette plainte qui a été retenue par le procureur. Et le 12 février 2016 Dormoy devra s’expliquer devant le tribunal correctionnel. Finalement, le patriarche Louis Dormoy, devant lequel les travailleurs devaient auparavant passer en baissant la tête, a démissionné du conseil d’administration.

La CGTG est donc perçue par le patronat local comme une entrave à licencier et exploiter sans merci, dont il voudrait bien se débarrasser. Les Békés et la justice coloniale se serrent les coudes. Mais la CGTG entend bien mener la contre-offensive.

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