Il y a 80 ans, l'arrivée de Hitler au pouvoir : La tragédie du prolétariat allemand06/02/20132013Journal/medias/journalnumero/images/2013/02/une2323.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Il y a 80 ans, l'arrivée de Hitler au pouvoir : La tragédie du prolétariat allemand

Le 30 janvier 1933, Hitler était nommé chancelier par le président de la République, le maréchal Hindenburg. Le prolétariat allemand, dont Trotsky disait qu'il était « le plus puissant d'Europe par son rôle dans la production, son poids et la force de ses organisations », n'avait pas réussi à s'opposer « à l'arrivée de Hitler, ni aux premières attaques violentes contre les organisations ouvrières ». Mais ce n'était ni du fait d'un manque de courage et de détermination, ni parce que l'ensemble de la population allemande aurait été derrière Hitler, comme on l'entend encore. Ce fut en grande partie dû à la politique des directions des partis ouvriers, et du plus important d'entre eux, du Parti social-démocrate.

La bourgeoisie allemande face à une classe ouvrière puissante et entreprenante

La crise mondiale de 1929 avait frappé durement l'économie allemande. D'autant plus durement que l'Allemagne n'avait pas de colonies, et qu'elle était soumise aux contraintes imposées par les vainqueurs de la guerre de 1914-1918. Le chômage toucha la classe ouvrière massivement. Pour imposer ses mesures clairement antiouvrières, la bourgeoisie allemande s'appuya d'abord sur des gouvernements forts, comme celui de l'homme de droite Brüning, au pouvoir en 1930.

Mais cela ne se fit pas sans heurts, sans résistance, sans mobilisation d'une classe ouvrière puissante, organisée dans des syndicats et des partis influents. Dans les années vingt, le Parti social-démocrate allemand comptait un million de membres. Il dirigeait des syndicats de quatre millions et demi de membres, des coopératives, des associations, disposait d'une milice ouvrière. Le Parti communiste allemand, à la tête d'une milice de 100 000 hommes, regroupait des milliers de militants, qui constituaient la fraction la plus combative, la plus décidée du prolétariat allemand.

La classe ouvrière allemande avait une conscience élevée de sa force sociale et politique. En 1918, elle avait renversé la monarchie et menacé la bourgeoisie. Les événements révolutionnaires s'étaient succédé jusqu'en 1923. C'est cette classe ouvrière là que les bourgeois allemands devaient affronter avec la crise.

La montée du nazisme

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, le Parti nazi n'était qu'un parti d'extrême droite comme un autre, regroupant des anciens combattants. En 1923, après un putsch qui échoua dans des conditions lamentables, Hitler dut faire quelques mois de prison. Les années de stabilité économique qui suivirent faillirent bien être fatales au Parti nazi. En 1928, il obtint 2,6 % des voix aux élections.

La crise, en jetant brutalement les classes populaires dans la misère, se traduisit sur le plan politique par l'effondrement des partis traditionnels aux élections législatives de septembre 1930, un an seulement après son éclatement. Le Parti nazi obtint 18,6 % des voix, avec 6,4 millions de voix, gagnant 5,8 millions de voix en deux ans. Une bonne partie des classes moyennes désespérées, ruinées, avait perdu toute confiance dans les partis traditionnels de droite et voté de ce fait pour les nazis.

Hitler enrôla les plus enragés de ces petits bourgeois dans des Sections d'assaut (SA) les utilisant contre les organisations ouvrières. Les SA, qui regroupaient 200 000 membres en 1930, 400 000 deux ans plus tard, s'attaquaient aux locaux des syndicats ou des partis ouvriers, s'en prenaient aux militants ouvriers. Pendant la seule campagne électorale de l'été 1930, deux cents militants ouvriers furent ainsi assassinés par les SA.

De son côté, la classe ouvrière se radicalisait elle aussi. Le Parti communiste totalisait aux élections de septembre 1930, 4,6 millions de voix, soit 13,1 % des voix, gagnant 1,3 million de voix. Cette radicalisation ne se traduisait pas seulement sur le plan électoral, mais aussi par une recrudescence des grèves. Ainsi, en 1932, l'annonce d'un énième plan d'austérité provoqua une vague de grèves. Les affrontements, les meetings politiques se multipliaient.

Aux yeux de la bourgeoisie, la situation devenait trop risquée. Aussi se préparait-elle de plus en plus ouvertement à s'appuyer sur le Parti nazi pour écraser les organisations ouvrières. Dès 1930, les principaux dirigeants de l'industrie lourde - Gustav Krupp, président du syndicat patronal, Thyssen, Siemens, ou encore les dirigeants d'AEG, d'IG Farben - décidèrent de financer le mouvement nazi.

La trahison des partis ouvriers allemands

Pourtant, les dirigeants de la plus importante de ces organisations ouvrières, le Parti social-démocrate, se refusaient à mener la lutte contre le fascisme, ne concevant pas de mettre en danger l'ordre bourgeois... et leur propre position. Car ils étaient totalement intégrés dans l'État bourgeois. Ils avaient participé à presque tous les gouvernements de 1918 à 1923. Des centaines de milliers de fonctionnaires de l'État étaient sociaux-démocrates, comme en Prusse, où la police, jusqu'au préfet de police, avait été recrutée en très grande majorité chez les sociaux-démocrates.

La social-démocratie mit tout son poids politique à convaincre la classe ouvrière que, pour se protéger du danger fasciste, elle devait s'en remettre aux institutions bourgeoises, voire aux hommes de la bourgeoisie eux-mêmes. Et c'est au nom de la politique du « moindre mal », qu'au début de l'année 1932, lors de l'élection pour la présidence du Reich, le Parti social-démocrate appela à voter dès le premier tour pour le candidat de la droite, le maréchal Hindenburg, ce propriétaire foncier et officier réactionnaire.

Non seulement les socialistes ne menaient pas la lutte contre le fascisme, mais ils participaient à la répression de grèves ou de manifestations ouvrières, comme ce fut le cas en Prusse, en août 1930, où la police, dirigée par les sociaux-démocrates, tira sur des manifestants, faisant plus de 30 morts

Le Parti communiste allemand, quant à lui, suivait les tournants de la politique de Staline, lancé dans un cours pseudo-radical qui isolait les militants. La direction du Parti communiste allemand défendit une politique absurde et suicidaire, prétendant que la social-démocratie et le fascisme étaient des « frères jumeaux » et désignant la social-démocratie comme l'adversaire principal, refusant toute action commune avec les sociaux-démocrates.

Dès 1930, Trotsky exhortait les militants communistes allemands à abandonner la politique aberrante de la bureaucratie stalinienne : « Maintenant il faut se retourner contre le fascisme en formant un seul front », disait-il. Cette nécessaire politique était dite de front unique.

Mais aucun des partis ouvriers ne proposa des combats communs pour protéger les locaux, pour constituer des dépôts d'armes, pour protéger les usines, alors que ce qui se jouait en Allemagne était l'existence même du mouvement ouvrier. En sauvegardant ses organisations, le prolétariat aurait pu alors se préparer aux combats nécessaires contre l'ensemble des capitalistes, qui voulaient son écrasement.

L'arrivée de Hitler au pouvoir

En novembre 1932, tous les grands noms de l'industrie allemande signaient une adresse à Hindenburg lui demandant « la remise de la responsabilité du pouvoir au chef du parti national le plus important », à savoir le Parti nazi. Quand, le 30 janvier 1933, parvint la nouvelle de l'arrivée de Hitler au pouvoir, ce fut la consternation dans les rangs des militants communistes, qui se trouvèrent complètement déboussolés, leur direction proclamant que la nomination de Hitler n'était pas dramatique car le pouvoir nazi s'userait très vite. La social-démocratie continua, quant à elle, à nier le danger. Elle publia des adresses à Hitler, lui demandant de respecter la Constitution ! Et elle déclara dans sa presse : « Et maintenant, attendre ! »

Trotsky écrivait en juin 1933 : « Le fascisme allemand, comme le fascisme italien, s'est hissé au pouvoir sur le dos de la petite bourgeoisie dont il s'est servi comme d'un bélier contre la classe ouvrière et les institutions de la démocratie ; mais le fascisme au pouvoir n'est rien moins que le gouvernement de la petite bourgeoisie. Au contraire, c'est la dictature la plus impitoyable du capital monopoliste. »

Hitler put ainsi s'installer au pouvoir et entreprendre « le grand nettoyage » sans avoir à combattre réellement le mouvement ouvrier. La classe ouvrière subissait une défaite sans combat dont les conséquences furent catastrophiques car, Hitler au pouvoir, cela signifiait la démoralisation, mais aussi le démantèlement physique systématique du mouvement ouvrier, puis la marche à la guerre.

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