La Côte d'Ivoire n'est peut-être pas si loin que cela05/01/20112011Journal/medias/journalnumero/images/2011/01/une-2214.gif.445x577_q85_box-0%2C13%2C240%2C324_crop_detail.png

Editorial

La Côte d'Ivoire n'est peut-être pas si loin que cela

Les États impérialistes ont beau brandir des menaces, des délégations de chefs d'État africains ont beau se succéder à Abidjan, la crise politique en Côte d'Ivoire se prolonge et s'aggrave.

À l'issue de l'élection présidentielle qui vient d'avoir lieu, les candidats restés en lice au deuxième tour, Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara, se sont tous les deux proclamés vainqueurs. L'un, Ouattara, a été reconnu comme président de la République par le Conseil électoral, l'autre, Gbagbo, l'a été par le Conseil constitutionnel. Gbagbo bénéficie du soutien du gros de l'appareil d'État ivoirien, notamment de l'armée. Ouattara a été reconnu par ce qui s'intitule la « communauté internationale », c'est-à-dire par des chefs d'État et par l'ONU.

Qui des deux est plus légitime ? Bien naïf ou prétentieux celui qui s'aventurerait à trancher, surtout de loin, alors que chacun des deux camps brandit les tricheries, les bourrages d'urnes de l'autre camp.

Ce qui n'empêche pas Sarkozy de trancher et, de concert avec tous les chefs d'État, de proclamer dans une belle unanimité : l'élu, c'est Ouattara.

Pourquoi donc cette unanimité, en particulier des grandes puissances ? Parce que Ouattara a eu plus de voix ? Mais qu'en savent-ils, eux qui sont passés maîtres en fabrication d'élections ouvertement truquées, de l'Afghanistan à l'Irak ?

Par souci démocratique ? Mais longue est la liste des chefs d'État africains, aujourd'hui morts ou encore au pouvoir, de feu Houphouët-Boigny en Côte d'Ivoire à Bongo père puis fils au Gabon, présidents grâce au pétrolier Total, en passant par l'inamovible Biya au Cameroun, dont tout le monde sait qu'ils étaient ou sont des dictateurs. Ils étaient ou sont pourtant fréquentables et reçus à l'Élysée en grande pompe car défendant les intérêts des groupes capitalistes français.

Ouattara, ex-Premier ministre de Côte d'Ivoire, a cet avantage sur son rival que, en tant qu'ex-directeur général adjoint du FMI, il a pu être jugé et jaugé par les cercles dirigeants du monde impérialiste et reconnu plus fiable, plus malléable, plus contrôlable, que Gbagbo.

Oh, cela ne signifie pas que Gbagbo menace en quoi que ce soit les intérêts des groupes capitalistes français ! Il est au pouvoir depuis bientôt dix ans et les groupes français présents dans le pays, de Bolloré à Bouygues, n'ont jamais eu à se plaindre de lui.

Et si Gbagbo avait en France des amis à la direction du PS et bénéficie encore du soutien publicitaire des deux ténors du barreau réputés de gauche Dumas et Vergès, cela n'en fait pas encore un ami des classes pauvres de Côte d'Ivoire ! Mais il suffit qu'il paraisse moins prévisible, moins fiable, pour que le monde impérialiste accorde sa préférence à Ouattara.

La lutte pour le pouvoir a déjà fait plus de 200 morts et plusieurs centaines de blessés. La population vit dans la crainte permanente d'attaques venant des milices armées d'un clan ou de l'autre. L'insécurité rend difficile, voire impossible, de se rendre à son travail et de toucher son salaire. En même temps, les prix des produits alimentaires ont doublé en un mois, menaçant de pousser nombre de familles d'ouvriers vers la famine.

Mais le plus grave est que les deux camps cherchent à mobiliser leur base électorale au nom de leur appartenance ethnique. S'ils arrivaient à ce que les machettes sortent dans les deux camps, ce serait une catastrophe. Du Liberia voisin au Rwanda, les pays d'Afrique qui ont connu de tels affrontements en portent encore les stigmates physiques et moraux.

Même dans l'émigration ivoirienne, la déchirure est visible entre ceux qui mettent leur confiance en Gbagbo et ceux qui la mettent en Ouattara. Nous, travailleurs ici, en France, nous n'avons pas à nous en étonner. Combien de fois dans le passé avons-nous mis nos espoirs dans un dirigeant, de Mitterrand à Jospin, pour finir trompés et déçus ?

Dans un pays pauvre comme la Côte d'Ivoire où la vie est plus dure, comme le sont les pratiques politiques, les illusions se paient comptant. Mais pas plus là-bas qu'ici, il n'y a de « sauveur suprême ». Là-bas comme ici, mettre notre espoir dans un des camps de la bourgeoisie, s'enrôler derrière un dirigeant par crainte de l'autre, paraît plus facile. Mais cela conduit inévitablement, au mieux, à la déception, au pire, au sang versé dans une guerre qui n'est pas la nôtre.

Construire notre propre force, celle des travailleurs conscients de leurs intérêts de classe, peut paraître plus difficile. Mais, pour les exploités, c'est la seule voie qui représente l'avenir.

Arlette LAGUILLER

Éditorial des bulletins d'entreprise du 3 janvier

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