Il y a cent ans : L'Internationale Ouvrière décidait d'une journée des femmes03/03/20102010Journal/medias/journalnumero/images/2010/03/une2170.jpg.445x577_q85_box-0%2C104%2C1383%2C1896_crop_detail.jpg

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Il y a cent ans : L'Internationale Ouvrière décidait d'une journée des femmes

C'est à Copenhague, en mars 1910, que les militantes de l'Internationale Ouvrière et leur dirigeante Clara Zetkin, au nom des femmes membres des partis socialistes du monde entier, décidèrent d'organiser une journée internationale des femmes. De même que, tous les 1er mai, les prolétaires de tous les pays étaient appelés à manifester ensemble, les femmes manifesteraient chaque année, en mars, pour défendre leurs propres revendications, et avant tout le droit de vote et l'égalité.

Cette prise de position des partis ouvriers en faveur de l'égalité homme-femme n'était pas une simple pétition de principes, mais une réelle préoccupation militante, assortie de la création d'organisations spécifiques, d'organes de presse, de réunions publiques fréquentes, etc. Au point que l'année suivante, en 1911, l'Internationale put comptabiliser un million de manifestantes en Europe à l'occasion de la journée de la femme.

COMMUNISME ET FEMINISME

Dès le début du mouvement communiste, Marx et Engels avaient naturellement pris position pour l'égalité des sexes. Ils s'opposèrent aussi aux préjugés contre le travail des femmes, alors fréquents dans le mouvement ouvrier. En effet, au milieu du 19e siècle, bien des militants, constatant que l'entrée des femmes sur le marché du travail tirait les salaires vers le bas, se prononçaient pour l'interdiction pure et simple du travail féminin et, adoptant les idées de la classe dominante, prétendaient que la place des femmes était à la maison. Pour les communistes au contraire, l'émancipation des femmes dépendait de leur indépendance économique, et donc de leur accès au travail, notamment salarié. Le développement du capitalisme, en envoyant à l'usine des millions de femmes, créa une situation irréversible, donnant ainsi rapidement raison dans les faits à Marx, Engels et leurs partisans. À la fin du 19e siècle les femmes constituaient une grande partie du prolétariat et une de ses fractions les plus opprimées.

Le fait que la classe ouvrière ne pouvait pas se battre, et encore moins vaincre, sans les femmes, devint alors une évidence pour la majeure partie des ouvriers organisés. Cela fut mis particulièrement en lumière dans l'ouvrage du dirigeant socialiste allemand Bebel, La Femme et le Socialisme, paru en 1879, qui fut le livre le plus lu dans le mouvement ouvrier de cette époque. Bebel y démontrait que l'oppression des femmes est liée à l'apparition de la propriété privée et que, par conséquent, leur émancipation et une réelle égalité des sexes ne pourraient s'établir que dans le cadre d'une société sans propriété et sans classes sociales, par la victoire du socialisme. Ce qui n'empêchait pas, au contraire, la lutte quotidienne pour l'amélioration immédiate du sort des femmes. Un programme qui, sous ses deux aspects, garde toute son actualité.

LE FEMINISME OUVRIER

Les féministes des classes bourgeoises se battaient à l'époque, à juste titre, pour que les femmes obtiennent le droit de vote, ne soient plus sous la tutelle de leur mari et accèdent aux professions réservées aux hommes de leur milieu : médecin, avocat, professeur d'université, etc. Mais les femmes prolétaires avaient encore bien d'autres revendications à faire valoir : la hausse des salaires, ne serait-ce que pour éviter à une partie des jeunes filles ouvrières de devoir se prostituer, et à toutes d'être obligées de se soumettre à leur époux ; la protection des femmes enceintes et des accouchées, pour qu'elles ne soient pas purement et simplement renvoyées de leurs usines ; le droit à l'éducation et à la formation professionnelle, jusque-là réservées aux hommes ; la fin de l'esclavage ménager et de la double journée de travail, à l'usine puis au foyer. Pour faire aboutir cette dernière revendication, les socialistes comptaient sur le progrès technique, la collectivisation des tâches ménagères et l'éducation des hommes.

Lier l'émancipation de la femme au socialisme, tenter d'organiser le prolétariat féminin, lui proposer des cercles d'éducation traitant de tous les sujets, faire entrer des ouvrières dans les syndicats et les partis socialistes, y compris aux postes dirigeants, combattre sans relâche les préjugés sexistes dans la classe ouvrière, ainsi s'entendait le « féminisme ouvrier ». Il constituait alors la doctrine, l'attitude générale du mouvement socialiste, et résultait en grande partie de l'activité de militantes comme Clara Zetkin. Ces féministes ne traitaient pas du « problème féminin », terme qu'elles récusaient, mais de la situation et des revendications des femmes prolétaires et ce, dans la perspective de la révolution socialiste.

En 1914, alors que les dirigeants de la plupart des partis socialistes trahissaient l'internationalisme et appuyaient l'effort de guerre de leur propre bourgeoisie, Clara Zetkin lançait, au nom des femmes socialistes, un appel aux femmes de la classe ouvrière, leur enjoignant de rester fidèles à l'internationalisme et d'être les dépositaires de l'idéal socialiste. Et en effet, ce furent les femmes de la classe ouvrière qui relevèrent les premières le drapeau, en manifestant dès 1915 à Berlin et en se mettant en grève en Russie en février 1917.

LA REVOLUTION RUSSE

Le « féminisme ouvrier » s'était répandu parmi les ouvrières russes qui, dès 1913, organisaient clandestinement des réunions pour célébrer la journée de la femme et discuter de la révolution, du socialisme et de l'émancipation des femmes. En 1917, à l'occasion de cette journée - en février suivant le calendrier russe - les ouvrières de Petrograd se mirent en grève et manifestèrent pour le pain, la paix et le retour des hommes du front. Elles entraînèrent à leur suite l'ensemble des travailleurs dans un mouvement qui déboucha, à travers deux révolutions, sur la victoire d'Octobre.

Le régime issu de la révolution russe fut le premier non seulement à instituer l'égalité complète entre les hommes et les femmes sur tous les plans, mais à mettre en avant une politique active et concrète pour que la loi s'applique dans la réalité. L'État ouvrier ouvrit des crèches, des restaurants communautaires, fit construire des immeubles équipés de cuisines et de buanderies collectives, favorisa l'éducation des femmes, de l'école élémentaire à l'université. Dès les années 1920, des femmes russes étaient médecins, ingénieurs, commissaires politiques aux armées et, évidemment, ministres. Et c'est par décision du Conseil des commissaires du peuple, présidé par Lénine, que la journée internationale des femmes fut placée précisément le 8 mars, pour commémorer l'action des ouvrières de Petrograd.

Cette date, devenue une institution dans ce qui était le Bloc de l'Est, fut reprise en 1977 par l'ONU, puis par la plupart des pays.

UN COMBAT TOUJOURS INDISPENSABLE

Entre-temps, dans l'URSS de Staline, la condition des femmes reculait et le mouvement ouvrier tendait à gommer l'émancipation des femmes de son programme réel. En France par exemple, ce ne fut pas le gouvernement de Front Populaire élu en 1936 qui accorda le droit de vote aux femmes, mais celui de De Gaulle en 1945. De même, le droit à la contraception puis à l'avortement furent conquis, en 1967 et 1975 sous des gouvernements de droite, sous la pression des féministes.

À l'évidence, aujourd'hui encore, l'émancipation des femmes est loin d'être un acquis. Les préjugés machistes, la discrimination au travail et l'esclavage ménager restent la règle, y compris dans les pays développés. En France, l'an passé, 160 femmes ont péri sous les coups de leur compagnon. Le développement des préjugés réactionnaires constitue de surcroît une menace pour les droits des femmes de ces pays dits « avancés ». Quant aux femmes des pays pauvres, elles restent opprimées, humiliées, exploitées, souvent usées par les grossesses à répétition et réduites à l'esclavage domestique. Privilège des femmes, elles peuvent être, suivant les barbaries locales, coutumières ou politiques, battues, voilées, excisées, infibulées, brûlées vives, répudiées, enfermées, violées, mariées de force. Mais elles ne se soumettent pas, comme le montrent celles qui, aux quatre coins du monde, se battent courageusement contre ces exactions.

Même officialisée par les pouvoirs publics, la journée du 8 mars reste une occasion de montrer sa solidarité avec toutes ces combattantes, connues ou obscures.

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