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- Lutte ouvrière n°2135
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Leur société
Procès AZF : Une parole ouvrière contre Total
J'ai travaillé pendant 25 ans dans l'usine AZF en fabrication et en 3x8, d'abord au service nitrate puis au sud de l'usine, notamment au service ACD où j'occupais jusqu'au jour de l'explosion le poste de chef de quart.
L'usine je la connais bien, du fait de mon parcours professionnel, mais aussi parce que j'ai été délégué du personnel et militant syndical CGT pendant toute une période.
Si aujourd'hui je me suis inscrit dans la citation directe de Total et de M. Desmarest, c'est parce que je trouve normal que le groupe et son dirigeant assument leur responsabilité, dans l'explosion d'une usine de leur filiale, comme ils assumaient auprès de leurs actionnaires les bénéfices de son exploitation.
... Avec mes camarades du syndicat, ou ceux du CHSCT, nous avons vu passer nombre de directeurs dans cette usine. Et notre action syndicale ne s'est jamais limitée au niveau de l'usine, tant nous savions que les décisions appliquées localement avaient été édictées au niveau des étages supérieurs du groupe, jusqu'à Elf d'abord, puis Total. D'ailleurs dans cette hiérarchie, les hommes ne changeaient guère, ni leurs fonctions, quand changeait la dénomination des entreprises ou du groupe. En tant que syndicalistes nous nous adressions autant au Bon Dieu qu'à ses saints. Je suis toujours dans cette logique aujourd'hui.
Ensuite, je suis partie civile par rapport à mes employeurs qui comme tous les hauts responsables de GP et de Total proclament que l'usine était impeccable, parfaite, avec une sécurité absolue, mais alors pourquoi a-t-elle explosé ?
Depuis le début du procès on nous dit que la sécurité était la préoccupation première du groupe et de ses filiales, que ce soit chez Grande Paroisse ou Total.
Il est vrai qu'en tant que syndicaliste, on nous l'a souvent dit et répété. Mais on nous disait aussi que l'entreprise n'était pas une association philanthropique. Et face à nos revendications, on nous répondait qu'il n'était pas question de produire à perte et que l'objectif était de dégager des résultats positifs. On nous parlait alors de ces trop fameux « gains de productivité » nécessaires pour maintenir des résultats positifs, et qui justifiaient les réorganisations, les réductions d'effectifs, la pression sur les salaires, et parfois même l'aménagement des contraintes en matière de sécurité.
Alors j'affirme que la préoccupation première du groupe et des filiales ce n'était pas la sécurité, mais la rentabilité, la productivité.... En octobre 2000, le directeur de l'usine affirmait que, le risque zéro n'existant pas, les exigences en matière de sécurité se traduisaient par une « politique de risques calculés ». Entre gain de productivité et sécurité, l'erreur de calcul a fait 31 morts.
Non, la sécurité n'était pas impeccable à AZF... On laisse le personnel se débrouiller avec des consignes inadaptées, avec une maintenance aléatoire et des conditions de travail parfois épouvantables... Oui, nous ressentions beaucoup de mépris pour nos conditions de vie et notre santé.
Certains pourraient se demander : mais comment pouviez-vous accepter de travailler dans ces conditions ? Malheureusement, quand on est ouvrier, on n'a pas beaucoup de choix. Il faut gagner sa vie, et bien souvent supporter l'insupportable, en faisant avec. Et puis, quand cela devient vraiment inacceptable, on fait des pétitions, des tracts, des arrêts de travail... Eh bien j'affirme que, s'il n'y a pas eu d'accident gravissime avant le 21 septembre 2001, c'est à la chance qu'on le doit, mais aussi aux efforts des salariés et des syndicalistes qui s'opposaient à la politique de « risques calculés » qui prévalait dans l'usine.
... Je pense que ces dirigeants d'entreprise doivent assumer leur responsabilité et leur culpabilité.